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16 déc. 2010

TANKINO: RUBBER, Quentin Dupieux

Illustration: Pierre Girardin
En cette période de fêtes de Noël, on ne peut pas dire que le cinéma nous gâte. Côté sortie-ciné, le choix est aussi difficile que de choisir entre avaler un bol de glaire tous les matins ou avoir une jambe en mousse. Entre Narnya, Megamind 3D, un biopic sur Lennon ou encore Johnny et Angelina à Venise, le synopsis de Rubber devient soudainement extrêmement alléchant.




C’est l’histoire d’un pneu qui tue des gens. « Et tu crois que tu vas me faire payer 17.- pour aller voir ça? » Heureusement, les cinémas Pathé (du moins en Suisse) n’ont pas retenu le pneu très longtemps dans leurs salles et l’ont très vite relâché pour que celui-ci vienne tranquillement s’installer dans le cinéma indépendant du coin : merci le Zinéma ! Quentin Dupieux – alias Mr. Oizo pour les intimes – revient donc avec son deuxième véritable long-métrage après le sympathique Steak paru en 2007, et nous offre quelques bons moments dans ce bassin d’innombrables plans faussement esthétiques. Tourné entièrement à l’aide d’un appareil photo sur l’espace de deux mois, l’effet est charmant. Après la naissance du tueur, ce magnifique pneu, nous le suivons dans son évolution où celui-ci va faire ses armes avant de s’attaquer à l’homme. L’homme, puis la jolie jeune femme qui sera son objectif principal qu’il n’arrivera pas à tuer puisqu’une équipe policière se mettra au travers de sa route. Toute la petite enquête est suivie des yeux de véritables spectateurs présents dans le film et c’est avec ce medium que le film paraît parfois frôler le très bon. Car c’est ici qu’on peut s’amuser au jeu des analyses : le chef flic fait figure d’individu pivot entre les personnages diégétiques (faisant partie de l’action du film) et les spectateurs qui sont présents dans le film qui regarde le film. En somme, un triple niveau dans lequel le spectateur (le vrai cette fois : vous !) se ballade et rigole des mésaventures des protagonistes. Mais rassurez-vous ! Ce n’est pas le scénario d’Inception. Le film, malgré ce jeu entre réalité et fiction, reste simple, attractif et drôle. Une lenteur même agréable et planante, qui laisse le temps au spectateur de bien s’immerger dans l’univers californien que semble sublimer Quentin Dupieux. Par instants, le film possède des qualités qui pourraient même le confondre avec les premiers Spielberg (clin d'oeil ou hasard, la ressemblance du comptable avec le héros de Jaws, Martin Brody, est flagrante). Entre western absurde et tragicomédie burlesque, le réalisateur se sert de cet arrière-plan stéréotypé pour nous endormir dans le chemin tanguant du pneu, auquel, minute après minute, sans savoir vraiment pourquoi, le spectateur s’identifie.


Car au-delà d’une simple histoire de pneu fou qui tue tout le monde, le film parle du rôle du spectateur de cinéma. En préambule du film, le flic l’avertit : « tous les plus grands films sont remplis de « no reason » ; pourquoi E.T. est marron ? Pourquoi dans Love Story tombent-ils amoureux l’un de l’autre ? Pourquoi personne ne se lave les mains dans Massacre à la tronçonneuse ? Il n’y a aucune raison à ça. » Et c’est de cette anti-morale que le film tire son épingle du jeu. On aurait pu mettre un piano-tueur, un radiateur-tueur ou un tricyle-tueur, le public l’aurait accepté (même s’il faut avouer que le pneu est très photogénique par moment). Gentille satire du cinéma hollywoodien, puissante satire du public de masse (la voiture qui shoot les chaises au début du film est marquante) et néanmoins sublimation du paysage et de l’ambiance ouest américain, Rubber est un film-tueur à regarder en entier ou à moitié, selon le piège de l’appétit...