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30 nov. 2011

TANKINO: Immortals / Contagion / The Guard

Francisco Bayeu y Subias, Olympus, la Chute des Géants, 1764
Le retour de Soderbergh derrière la caméra pour un film-chorale sur une épidémie planétaire, le très attendu film mythologique 3D de l'indou Tarsem Singh et une petite comédie noire à l'humour british forment le TANKINO de la semaine. Du lourd ?

Le choc de Tarsem Singh
On l’attendait quand même un peu ce film mythologique réalisé par Tarsem Singh qui nous avait régalé avec The Fall, film jouant sur l’univers des contes imaginés par l’auteur et piquant dans différents styles picturaux la construction de ses propres images. Etant donné que Singh nous avait fait croire à cette faculté à bien cadrer ses plans, Immortals semblait tailler dans la pierre pour offrir enfin un film mythologique (de ceux qui sont presque entièrement en images de synthèse) réussi. Le problème avec ces films mythologiques d’action, c’est que les producteurs mettent beaucoup trop de limites à leur réalisateur. En somme, ce sont trois ingrédients obligatoires et à utiliser sans modération qui sont demandés : de la baston ; des biceps et du nibard ; et encore de la baston. Conséquence : le scénario en prend un sacré coup (Le Choc des Titans par exemple) et toute l’attention des ouvriers autour de l’œuvre se tourne sur l’apparence du film et donc, son image. Si 300 avait réussi cela dignement (bien que le côté extrêmement militariste du film peine à nous le faire aimer), Immortals devait alors créer l’écart avec ses prédécesseurs en portant à l’écran l’histoire de Thésée. Héros réformateur des Athéniens et roi-fondateur d’Athènes, le possible enfant de Poséidon (source antique, rien n’est dit à ce propos dans le film) est aidé par les Dieux lorsque le roi Hyperion décide d’aller délivrer les Titans emprisonnés dans le Mont Tartare grâce à l’arc d’Epiros, arme volée à Thésée. Le scénario part dans tous les sens, en partant d’un rêve prémonitoire des Oracles à un arc trouvé par hasard dans un rocher, le film garde un rythme inconstant jusqu’aux batailles finales. Les Dieux qui voient les Hommes depuis le Mont Olympe (plutôt bien adapté), hésitent à descendre sur Terre défendre les causes de Thésée. Le film aurait pu (dû) jouer là-dessus, sur cette attirance à venir à la rescousse de l’Homme ou à laisser le Mal (Hyperion) accomplir ses atrocités. Malheureusement, le film s’effrite en plusieurs petites idées à peine développées et surtout mal utilisées (le combat contre le Minotaure aurait dû être plus percutant et plus « mythique »). Les combats restent tout de même impressionnants (la descente de Zeus) et le film se termine sur une image immense, sublime et empruntée aux grandes œuvres de la Renaissance (le plafond de la Chapelle Sixtine) : le combat des Dieux et des Titans qui continue dans les cieux. Le travelling arrière (appelons-le comme ça) qui dévoile petit à petit les combattants qui s’affrontent par en-dessous, permet d’exploiter parfaitement l’usage de la 3D qui est ici, pour la seule fois du film, nécessaire.

Immortals, réalisé par Tarsem Singh (USA) *****


Contagieux
Film sur la parano et sur un risque réel que l’humanité court, Contagion est le dernier long-métrage de Steven Soderbergh, l’homme des Ocean’s Eleven/Twelve ou du très réussi remake de Solaris. Glacial, médical, gris, maladif sont les quatre premiers mots qui me viennent à l’esprit après le visionnage du film. Il est vrai qu’on ne se sent pas très rassuré durant la projection du film et que subitement plus personne n’ose manger ses pop-corns dans la salle de cinéma – ce qui est un des principaux avantages du film. Soderbergh propose donc avec Contagion ce qui se passerait si un virus se propageait sur toute la planète, et ce qui nous est montré n’est sans doute pas loin de la vérité. De ce côté-là, c’est réussi. Le réalisateur choisit de ne pas prendre une figure de héros et suit l’optique du « film choral » qui à première vue semble dérisoire, mais qui finalement semble vouloir dire quelque chose : les « stars » sont comme tout le monde, et si une épidémie touche tout le monde, ils seront aussi touchés. C’est ce qui est exprimé très vite avec Gwyneth Paltrow qui meurt au bout de dix minutes. Car en Amérique, il faut oser tuer la « star » qui joue le rôle d’une mère de famille. Bien évidemment, la morale dira que puisqu’elle a trompé son gentil mari (Matt Damon), elle l’a bien mérité. Et c’est par ces petits dérèglements inutiles que le film perd un peu de sa force. Autre exemple, le personnage joué par Marion Cotillard qui ne sert qu’à montrer une européenne dans une micro-narration plutôt ratée qui ne débouche sur rien et qui n’ajoute rien au film. Certes, le côté documentaire est réussi, mais Soderbergh semble ne pas vouloir que le public aime son film, et chercherait même à l’en dégoûter, ne touchant pas le spectateur. Cela dit, c’est aussi ça qui fait marcher son film : rester à distance face à une réalité susceptible d’arriver. Au final, on s’ennuie quand même un peu.

Contagion, réalisé par Steven Soderbergh (USA) *****


La bonne surprise irlandaise
Nous avons la chance d’avoir The Guard diffusé dans les salles suisses grâce au succès que le film a connu en Grande-Bretagne et plus particulièrement en Irlande. Le film démarre sur  un meurtre commis dans une petite ville portuaire d’Irlande sur lequel le sergent Gerry Boyle va essayer d’enquêter au plus vite. Il semblerait qu'il s'agisse d’une histoire de trafic de drogues avec une somme d’argent importante. Le FBI décide alors d’envoyer l’un de ses hommes sur place, l’agent Everett, un « black » que Gerry va avoir du mal à accepter. Ce long-métrage (le deuxième du réalisateur John Michael McDonagh) bascule entre la petite comédie noire et le drame léger et filme l’Irlande avec une bande-son à la Ennio Morricone, tissant un lien inatendu entre le western et l'Irlande. Le film passe comme une lettre à la poste et bien que Gerry soit un flic lourdaud, on s’accroche au fil des minutes au personnage jusqu’à la fin du film, fin futilement réflexive et bienvenue sur le monde du cinéma américain. Loin du chef-d’œuvre, The Guard est un très bon petit film comptant surtout sur une ribambelle d’acteurs excellents, du petit garçon au chien (Michael Og Lane) à la ravissante femme du flic qui débarque dans la ville (Katarina Cas), l’ensemble couronné par un Brendan Gleeson (le flic) frisant par moments la ressemblance avec un Gérard Depardieu des meilleurs jours.

The Guard, réalisé par John Michael McDonagh (Irlande) *****



24 nov. 2011

Le son de Drive

Illustration: Giom
On a déjà parlé de DRIVE, le film sur Think Tank. Mais vu que tout le monde en poste des chansons, il valait encore la peine de s'arrêter sur DRIVE, la bande originale. Omniprésente tout au long du film, elle en est un des points forts. Jouant parfaitement les jeux de lumières, l'italo disco et la cold wave scintillent au milieu de la pénombre.

Il faut être fétichiste pour pondre un film pareil. Pour construire un tel personnage, donner une telle place au silence, pour forger une telle qualité d'image, où chaque plan, chaque scène (le bordel, l'ascenceur, et tout le reste), chaque objet (le veston, les gants, et tout le reste) sont filmés comme des objets d'adoration. Mais pour réussir cela, de nombreux ingrédients sont nécessaires. D'abord avoir un excellent réalisateur. Ensuite, des acteurs au top de leur présence. Et pour nourrir un long plan où les dialogues se résument à une question, un sourire et des regards, il faut aussi une musique capable de susciter une ambiance qui dise elle aussi ce que le film donne à voir: un héroïsme de pureté errant sur des highways où tout n'est plus que faisceaux de lumière, jetés dans une trame de bandits où la violence ne pourra qu'advenir, sans être jamais choisie et aussi pure que cet amour asexué qui traverse le film.


Commençons avec les titres extérieurs de la bande originale, signés par cinq groupes différents, ces titres que tout le monde a gardé en tête après être sorti du film et n'a pas pu s'empêcher de poster à qui mieux mieux. A vrai dire, on le comprend très bien, tant il est rare de se trouver face à une telle intelligence dans le choix des chansons peuplant un film. Chacune réussit à la fois à faire ressortir sa face la plus pop tout en se fondant parfaitement dans l'ambiance. La cold wave et l'italo disco sont parfaites pour reproduire de façon sonore cette beauté toute de lumière et de pénombre, une beauté mêlée, on ne sait comment, de tristesse. Le tube de cette bande originale, c'est bien sûr le titre du générique, qui, avec l'écriture rose, est là pour mettre tout de suite le spectateur dans une position d'idolâtrie face à un film où tout semble parfait. Cette chanson, c'est "Night Call" de Kavinsky avec Lovefoxxx aux vocals. Cette dernière n'est autre que la chanteuse de CSS, méconnaissable sur ce titre à rebours des facéties du groupe brésilien. On retrouve sur "Night Call" un synthé retro au combien séduisant, épaulé par une voix sombre d'ordinateur, et explosant en un refrain qui scintille de mille étincelles. On en est qu'au générique et pourtant la séduction a déjà parfaitement opéré. Kavinsky est français et prouve que c'est à côté de l'écurie Ed Bangers que l'on trouve les plus beaux restes de la dernière vague électro made in France. Ce que confirme College avec la deuxième grande chanson de cette bande originale: "Real Hero". On retrouve cette même ambiance retrofuturiste avec des synthé parfaits. Cela sonne de façon extrêmement sensuelle et romantique, et rappelle bien sûr l'italo disco des années 80 où l'émotion pouvait se montrer telle quelle, sans masque ou second dégré. "Real Hero" énonce presque littéralement la nature du personnage de DRIVE et surgira à deux reprises dans le film: d'abord lors du moment de bonheur partagé avec Irène et son fils au bord de la rivière, puis à la toute fin lorsque le driver repart sur la route. On a parlé plus haut d'italo disco, le label passé maître en matière de revival du genre, c'est bien sûr Italians Do It Better, et c'est donc finalement logique qu'on retrouve deux groupes du label sur cette bande originale. Il y a d'abord Chromatics, dont l'album NIGHT DRIVE représente peut-être l'équivalent musical de DRIVE. Ici, c'est un titre instrumental qui a été choisi, comme pour donner une prémisse au travail de Cliff Martinez, donnant d'emblée cette ambiance nocturne de lumières filantes. L'autre groupe est moins connu, il s'agit de Desire avec "Under Your Spell" qui intervient lors de la soirée du retour du mari et dont est absent le driver, qui n'entend donc la chanson qu'assourdie par le mur. Les basses donnent l'illusion d'un rythme festif que le chant vient refroidir en énonçant à nouveau une émotion: I do nothing but think of you. Un dernier titre se détache des autres mais fait pourtant partie lui aussi de la fibre italienne. Riz Ortolani est un compositeur de musique de film italien. "Oh my love" est tiré de la bande originale de ADDIO ZIO TOM qui date de 1971. Beaucoup plus classique et moins synthé, cette chanson pousse à son paroxysme ce moment de sacrifice de la pureté, où la beauté doit devenir violence meurtrière face à la tristesse du monde.


Quand on fait le tour de ces cinq chansons, on remarque que toutes sont portées par des voix féminines à l'exception évidente de l'instrumentale, tout de même interprétée par un groupe où le chant est habituellement assuré par une femme. Au-delà de l'anecdote, ce choix nous dit quelque chose sur le film et son héro. Construit sur un jeu de miroir, le film oscille constamment entre lumière et pénombre, entre pureté et violence, avec d'un côté le bonheur de rouler et de sourir à une femme et son enfant, et de l'autre le vice d'un milieu de gangsters. La bande originale nous laisse penser que le driver se trouve par essence du côté associé au féminin dans ce film et que c'est seulement le fait de se retrouver jeté dans un monde de meurtres et de drogue qui l'oblige à montrer sa face violente. Il est un ange perdu sur terre, qui porte des enfants sur ses épaules, et ne souhaiterait faire que ça si la situation (c'est-à-dire le scénario) ne l'obligeait pas à faire résonner son courroux. Cette hypothèse peut être étayée en se penchant sur la musique produite par Cliff Martinez pour DRIVE. Ce dernier a déjà signé la bande originale de films de Soderbergh (SOLARIS et TRAFFIC notamment) et était membre des Red Hot Chili Peppers du début, et oui! Avant cela, il était batteur de groupes plus pointus comme Captain Beefheart et Lydia Lunch. Si son travail pour DRIVE semble difficilement audible hors vision au premier abord, Cliff Martinez parvient parfaitement à extraire une ambiance très cold wave et à transformer les lumières qui filent sur la route en sons, répétitions scintillantes au premier plan et paysage paisible en fond. Le tout baigne dans une mélancholie grandiose où on ne sait pourquoi toute cette beauté nous fait pleurer. Ces moments de musique interviennent presque exclusivement dans les moments où le driver se retrouve seul à conduire, et surtout lorsqu'il est avec Irene, transformant sa passion pour elle en véritable épiphanie. Par contre, les moments de violence se font presque tous sans musique, ne laissant plus qu'entendre le choc de la matière et des os. Ce clivage est évident dans la scène synthétique de l'ascenceur, où l'image se ralentit, "Wrong floor" plonge le tout dans une ambiance de plénitude quand le driver prend Irene de son bras pour l'envelopper dans l'ombre et l'embrasser. Puis soudain, la trame s'accélère, la musique passe au second plan, et le driver se lance sur l'agresseur pour lui fracasser le crâne à coups de pied. Certains reprochent à DRIVE et à son personnage principal d'être irréalistes. Mais est-ce bien à l'aune de ce critère qu'il faut juger ce film? Ne s'agit-il pas plutôt de l'immersion d'un être pur, presque sans parole et sans sexe, dans un milieu vulgaire? Tant la musique que l'incroyable force esthétique qui est donnée à chaque objet entourant le driver nous font pencher pour cette interprétation d'un film pas du tout de bagnoles. A real hero, oui; a real human being, beaucoup moins.

23 nov. 2011

Oui a la Superette

Photo: flyer de la Superette (détail)

Pour sa septième édition, la Superette passe en mode deluxe et ouvre son horizon électro. A une période où les concerts de qualité se comptent facilement sur les doigts d'une main, Think Tank vous conseille chaudement de foncer à Neuchâtel pour faire le plein. De Koudlam à Planningtorock en passant par Brodinsky, il y en aura pour tout les gôuts et ça commence ce jeudi.

La Superette a donc 7 ans, les années passent vite, mais néanmoins on ne peut accueillir la vieillesse qu'avec bonheur quand la croissance se fait si saine. En effet, la Superette a sû se diversifier, ouvrir sur des directions moins évidemment électro sans pour autant en perdre son identité. Et cette septième édition s'annonce véritablement deluxe ne serait-ce qu'à travers des flyer super et surtout grace à une programmation léchée et alléchante. Notre sélection: Jeudi, on retrouve Honey For Petzi et leur pop sulfureuse, Alexis Giddeon d'African Tape, pour un hip hop franchement aventureux. Vendredi, sortez les paillettes, le rare Koudlam sera de la partie. Avec des récents featuring au top et un premier album excellent, pas de doute, il faudra ne pas manquer ce déchainement de new wave spirituel. Déplacée au vendredi soir, Planningtorock avait déjà donné un concert hallucinant au Romandie. Pour ceux qui l'ont raté, ce concert est une seconde chance inespérée de voir en live une des artistes les plus fascinantes du moment. Toujours le même soir, Publicist est une promesse de dandinement pour les dernières heures du vendredi. Samedi, on sait que nos attentes seront comblées avec Brodinski passé maître dans l'art de pondre un DJ set aussi léché qu'efficace. Ceux qui préfèrent onduler sur du Downtempo pourront se tourner du côté de Tokimonsta. Le reste de la soirée fait la part belle à la scène suisse avec la présence des incontournables écuries Fayabash et Mental Groove. Bref à l'opposé d'un Electrosanne où on vient plus pour se gueuler dans les oreilles que pour écouter de la musique, les avisé-e-s qui se rendront à la Superette en auront pour leurs oreilles.




22 nov. 2011

TANKINO: Polisse, Intouchables et Mon Pire Cauchemar : comment va le cinéma français ?

Illustration: Pierre Girardin
Après le décevant film de Bonello (L’Apollonidepourtant encensé par la presse spécialisée), le cinéma de nos voisins francophones s’emballe en ce mois de novembre avec la sortie de trois long-métrages bien différents : trois genres distincts qui s’opposent et qui offrent un sujet taillé dans la pierre pour Think Tank.


Une comédie pure, une comédie dramatique et un drame. Comme s’ils l’avaient fait exprès, voici trois long-métrages qui permettent peut-être d’établir un baromètre qualitatif du cinéma du pays de Truffaut. Et pourtant, il faut un Belge à Anne Fontaine pour réussir son histoire. Un Belge qui fait le con (Benoît Poelvoorde bien sûr) et une Française (la toujours ravissante Isabelle Hupert) qui a du fric, quinqua, cul-tendu et qui travaille dans l’art contemporain. Ces deux-là font la paire antinomique rêvée, le Belge incarnant tout ce que la belle Française déteste ; c’est la Belle et le Belge. Voici une comédie dans laquelle on rigole beaucoup et qui, durant les 45 premières minutes, ne donne que du plaisir tant on est heureux de retrouver un Benoît Poelvoorde au sommet de son art du trop gras et du très lourd. Répliques en enfilades, boutades continues et gueule de con, l’arrivée de ce plombier de bas étage dans cette famille bien éduquée installe à merveille l'histoire et ses personnages. La réalisatrice Anne Fontaine, visant la comédie parfaite, s'amuse à critiquer le monde de l’art contemporain. La moquerie est parfois bien menée (comme la scène du photographe asiatique invité au repas) quand elle n’est pas un peu abusée (la dernière scène). Ce thème de l’art contemporain est aussi abordé dans Intouchables, le film qui cartonne actuellement en France et qui vient de franchir la barre des 5 millions de spectateurs dans les salles. Dans ces cas-là, on parle de phénomène, comme l’avait été en 2008 Bienvenue chez les Ch’tis de Danny Boon.

Sans penser un jour chatouiller le box-office, Eric Toledano et Olivier Nakache ont été touchés, il y a sept ans, par un documentaire qu’ils ont vu sur un homme riche, handicapé, qui demande à être aidé par une personne non qualifiée et issue de la banlieue pour l’assister. Les deux bonhommes vont déconstruire tous les tabous et clichés qui entourent le quotidien d’un tétraplégique. Pas loin du Huitième Jour, en plus drôle et plus décalé, Omar Sy y est pour beaucoup dans le succès de cette histoire. Le comique du « Service Apres Vente » de Canal+ emporte le film et lui donne  de la vie, comme il en donne à Philippe, joué par François Cluzet. L’histoire est certes simpliste mais bien écrite, et devient surtout efficace quand à l’écran, elle est jouée par deux excellents comédiens qui incarnent chacun une façon de jouer opposée : c’est le mouvement contre le statique, l’expression du visage contre celle du geste, du corps et des danses de Omar. Un peu comme si l’on avait pris l’acteur type français du début des années 2000 (Cluzet) face au renouveau, au futur du cinéma français, Omar Sy.


Intouchable
Alors bien entendu, c’est joli, comique, touchant et, surtout, ça rapporte ! Au-delà, il n'y a pas grand chose. Si ce n’est cette bonne idée qu’est la première séquence du film qui joue avec l’horizon d’attente du spectateur et aussi cette capacité de savoir rire non pas « de » mais « avec » quelqu’un. Maïwen, de son côté, c’est l’inverse : elle reprend la vie faussement réelle de tous les jours de la brigade de protections contre les mineurs et en fait une fiction avec ses petites histoires d’amour par là et ses problèmes d’égo par ci. C’est un métier comme tous les autres, avec des gens comme il y en a dans un bureau d’assurance. Les différents personnages sont construits de la tête au pied par la réalisatrice et l’effet « réel » en prend alors un coup, puisque la fusion entre la pseudo-réalité de la dure vie de ces flics-nounous et l’histoire d’un couple qui se sépare n’a pas grand chose à voir entre elles. Maïwen s’introduit dans le film comme la « photographe branchée assez jolie et timide au début pour finalement tomber dans les bras de la grosse tête de la bande » et si Omar et Poelvoorde étaient obligatoires au récit, Maïwen ne sert à rien, sauf pour se montrer à rouler des pelles à Joey Starr. Une fois n’est pas coutume, ce sont les acteurs qui sauvent le film. Les scènes d’engueulades sont oppressantes (on s’enfonce dans son fauteuil en espérant disparaître) et les moments de violence, le plus terrible étant celui où l’on sépare le fils de sa mère, sont assez saisissants. Mais encore une fois, la caméra ne fait pas grand chose d’intéressant et les histoires viennent et repartent sans tisser de liens entre elles, ou entre l'histoire et les personnages. Ce sont donc, encore une fois, les acteurs qui assurent avec en leader incontesté l’immense Joey Starr qui tient ici un rôle ahurissant, tant dans ses sorties inconvenues que la place qu’il prend dans le cadre filmique. Une force de la nature en somme, comme l’est Omar Sy dans Intouchables et Poelvoorde dans Mon Pire Cauchemar.


Deux blacks et un Belge
Car le cinéma français tient à peu de choses aujourd’hui : un bon sujet et de bons acteurs. Ces trois films cités les ont. Alors que L’Apollonide, par exemple, n’avait ni acteurs ni sujet, il avait cependant une âme malheureusement sous-exploitée. Deux blacks et un belge, c’est ce qui rend ces trois films touchants. Poelvoorde n’a jamais joué autant son propre personnage, celui qu’il paraît être dans la vraie vie, et c’est ce que le public et ses fans lui demandent. Il est évident que si vous n’aimez pas Poelvoorde, ce n’est pas le film d’Anne Fontaine qui va vous le faire aimer (Les Emotifs Anonymes peut-être). Il serait préférable dans ce cas d’aller voir le tendre duo d’acteur Cluzet/Omar dans Intouchables ou la sale gueule flamboyante de Joey Starr dans Polisse. Sur ces trois films, deux d’entre eux s’inspirent de la réalité, comme si la fiction était un lieu trop difficile, ou alors trop bien conduit par Hollywood, domaine où les réalisateurs français n’osent plus s’aventurer. Alors, il faut (ré)utiliser ce qu’ils ont de meilleur peut-être aujourd’hui : des personnalités, des visages, des individualités fortes qui marquent les esprits et attirent le public. De plus, ces personnages externes arrivent dans un groupe (ou un monde) courbé sur lui-même, enfermé, et débarquent tel l’ennemi mais deviennent rapidement l’ami, ou une bouffée d’air attendue depuis trop longtemps. Finalement, nous trouvons trois films qui traitent par le même moyen un sujet différent ; ce qui ne fait pas beaucoup avancer le cinéma français, mais ne l’empêche pas d’additionner des millions d’entrées. Le drame de Maïwen ne vaut pas un Prix du Jury à Cannes mais la comédie française reste encore ce qui se fait de mieux chez nos chers voisins. On en sort le sourire aux lèvres mais on en veut plus peut-être. Et on aurait envie de délirer un peu, de s'enfiler dans des histoires folles, de danser... ou juste regarder : "ce sera mon plaisir", comme dans La Peau Douce.


Mon pire cauchemar de Anne Fontaine *****
Intouchables de Eric Toledano et Olivier Nakache *****
Polisse de Maïwen *****










15 nov. 2011

Remixes ou l'art du morceau hanté


Extrait de l'épisode 2 des Vampires de Louis Feuillade: "La bague qui tue". Sans son. Lancez le titre de votre choix ci-dessous et profitez. Puis recommencez.

Les musiciens regroupés derrière le label Tri Angle ont décidé de ne pas se contenter de leur sort spectral. En plein élan de prosélytisme, ils ont décidé d'étendre au plus loin leur aura en venant hanter de plus en plus de morceaux via des remixes plus excellents les uns que les autres. C'est parti pour une sélection et un post avec moins de texte et plus de son.

Après avoir vu pas mal de groupes de l'écurie Tri Angle en live (Holy Other et How To Dress Well), avoir appris que Balam Acab donne ces jours-ci son tout premier concert et que Clams Casino n'a presque jamais rencontré les rappeurs pour qui ils signent des productions, on a franchement l'impression que les artistes de ce label sont tous des geek, se cachant derrière leur capuche ou dans leur chambre, pour préparer ces potions envoutantes. Le monde de la musique étant devenu un monde sans frontière, quoi de plus normal que de voir ces apôtres de la musique hantée étendre le spectre de leur musique en triturant d'autres titres dans des remixes hantés au possible. L'art du remix,  faussement considéré comme un moyen de remplir des face b de single ou à rendre club des chansons pas assez dansantes, donne la vraie nature de la musique: jamais finie, chacun à le droit de se l'approprier pour l'emmener toujours plus loin.


Souvent présenté comme le musicien le plus fin de l'équipe Tri Angle, avec ses deux albums tout en  délicatesse, Balam Acab se révèle également un remixeur soigné et sûr de ses coups. S'attaquant à un éventail large, il parvient aussi bien à happer le tube du moment (Lana Del Rey) pour l'emporter dans des clairières aux sonorités soudain profondes, qu'à transformer un vieux tube bien love R'n'B (Ghost Town DJ's) en bombe de sensualité contemporaine, où l'hyperdub devient soudain suave au possible. Il réussit le même exploit en s'attaquant à Twin Sister et Sleep Over, transformant l'émotion indé un peu plate en titres multidimensionnels, où chaque son semble vouloir nous parler.







Lorsqu'Holy Other triture des morceaux, c'est pour y appliquer sa propre sauce. Tout devient soudain plus flippant et plus lent, que ce soit avec un groupe familier (How To Dress Well) ou pas (Asobi Seksu). Une fois de plus, le remix bat à platte couture l'original. Mais Holy Other se fait avoir à son propre jeux, lorsque Blood Diamonds remixe son "Touch" le rendant tout d'un coup plus clair, faisant voir toute la lumière qui se cachait sous des draps noirs de boucles profondes.






Pour finir, Clams Casino, très bon tout seul, encore meilleur quand il bosse avec des rappeurs, se permet de prendre au sérieux la chill wave de Washed Out, et parvient presque à nous faire croire qu'à partir d'elle on peut batir des cathédrales.


13 nov. 2011

TT Speaches / Octobre 2011

Illustration: vitfait
Le mois d'octobre se finit, les feuilles se colorent et pour cause de participation au coolloque, ce Speaches se fera un peu plus léger. Il n'empêche l'équipe de Think Tank s'est démenée une fois de plus pour vous parler des sorties marquantes du mois.























Julien: comme si c'était étrangement marketé, le dixième mois de l'année a vu la sortie probante de deux disques dans l'air du temps, aux abords vaporeux, à mi–chemin entre chill et witch. Débutons de fait avec High Places. ORIGINAL COLORS suit de près …VS MANKIND, chronologiquement et musicalement (sorti chez Thrill Jockey – Wooden Shjips, Future Islands dans le catalogue). Désormais plus proche du soleil – le duo a récemment déménagé de Brooklyn à LA – High Places ne s'est toutefois pas grillé les neurones: entre dub, chill pop et minimale, ORIGINAL COLORS m'a enthousiasmé lors des premières écoutes avant. Et puis j'ai tout remis en question; bien trop langoureux et séduisant pour être réellement poignant. "The Pull" place la technique/recette: boîte à rythme et chant dédoublé et distant de Mary Pearson, avec plus ou moins de succès ("Ahead Stop" reprenant les gimmicks de "Dont Fight it, Feel it" de Primal Scream, "Dry Lake" un peu mieux, "Banksia", proche du boulot récent de Moderat). A l'instar du titre "Morning Ritual" High Places semble comme coincé dans leur schéma tactique, incapable d'accélérer ou, au contraire, de couper net sa bonhomie dub et de se décanter d'une structure de compositions archi–classique. Récemment clippé, "Sonora" est le morceau le plus étonnant, résultant d'une plus grande prise de risque, entre cette dub et cette voix cristalline. Si votre installation sonore suit les basses, vous risquez de vous retrouver à Brixton dans un mur de fumée. Comme quoi on peut livrer un album fadasse et l'un des meilleurs titres du mois – fâcheuse tendance du groupe à ne présenter qu'un single isolé par album… J'espère mon cher Pierre que le deuxième LP tendance du mois est plus intéressant.


Pierre: L'autre disque qui a fait pas mal de bruit ce mois–ci, c'est donc le nouveau M83: HURRY UP WE'RE DREAMING. Tout le monde crie au génie pop une fois de plus, prétention auquel le groupe se plie explicitement en osant le coup du double album. Je dois avouer que j'ai beaucoup de peine à me rappeler un double album récent qui m'ait plu. Souvent le projet semble démesuré et fait disparaître les bons titres dans un trop plein de complaisance créatrice, surtout quand il s'agit d'un groupe au son pop comme M83. Et pour moi, HURRY UP WE'RE DREAMING ne fait pas exception. J'aurais mille fois préféré un seul album puissant et incisif. La somme des 23 chansons a fini par me lasser, me faisant oublier les bons moments (et il y en a beaucoup) dans une masse protéiforme sans point d'ancrage. Il est vrai que la profession de foi en la valeur de la pop que représentent ce nombre de titres et la qualité du travail d'écriture et de production derrière chacun est honorable. Mais au fond,  n'est-ce pas oublier ce qui fait l'essence de la pop? La fougue, l'evanescence, l'immédiateté, la fraicheur, la briéveté.
























Julien: Jamais on n'aura si mal débuté un Speaches…


Pierre: J'aurai rêvé que M83 aient le courage plus grand encore de sacrifier de bonnes chansons pour faire ressortir les autres de manière plus éclatante. Un chef d'oeuvre pop tient autant aux chansons enregistrées qu'à celles qui sont absentes. Bon faisons abstraction du support album et ne gardons que les actes de fulgurance, surtout qu'ils ne manquent pas. Les seuls moments de mauvais goûts que commettent M83 sont ceux où ils se plient à chanter en coeur le poing sur le torse, en bref à faire du Arcade Fire avec "Intro" et "My Tears Are Becoming A Sea", même si c'est en mieux. Par contre, il n'y a rien à redire au tube "Midnight City". On a rien entendu d'aussi claquant depuis "Odessa" de Caribou ou "Bombay" de El Guincho. Un son brillant qui a la même intensité à chacune de ses répétitions. Toute la chanson se nourrit de l'éclat de ce synthé et on en redemande encore. De son côté, "Raconte moi une histoire" réussit l'impossible: une chanson épique avec voix d'enfant qui soit bonne. Bref sur HURRY UP WE'RE DREAMING, on trouve des instrumentales et ballades dont l'audace est à la hauteur de la prétention, mais celle-ci oublie de se faire discrète.


Julien: j'avais vu M83 à l'époque où je me nourrissais de concerts et j'avais failli mourir d'ennui devant ces profs de musique. Passons à plus humble, passons à de la musique d'avenir fait de vieux: Nicolas Jaar a sans doute livré l'un des meilleurs disques 2011 (SPACE IS ONLY NOISE), l'une des meilleures mixtapes (pour XLR8R) 2011 et une série de concerts assez prodigieuse. Comme quoi, on peut faire de la house à valeur ajoutée et donner une leçon de bonnes idées. Le résident chilien a sorti très discrètement un EP 2-titres, DON'T BREAK MY LOVE. Deux morceaux proches d'un mix. C'est que Jaar sait procéder dans la haute voltige des morceaux-tiroirs, à plusieurs histoires pour autant de phonèmes, le tout hyper léché dans la production. L'electronica "Don't Break My Love" sample et triture sa voix, modèle un terrain pour mieux le briser net, l'écho continuant sa route, la dubstep terminant la chose. Je ne sais pas ce que tu en penses Pierre, mais à chaque fois que j'écoute une production de ce jeune homme, j'ai l'impression qu'il possède des bandes d'enregistrement chimiquement miraculeuses: le son est incroyablement riche et juste. "Why Didn't You Save Me" est plus classique, dans la lignée de son LP, gracieux et inébranlable. Comme une danse sans toucher terre, gaga mais pas dada. Musique maligne pour tout public. Non?


Pierre: Oui c'est clair que Nicolas Jaar, avec un peu de recul, c'est une des meilleures choses qui soient arrivées à l'année 2011. Il parvient à mélanger le côté iconoclaste de ces bandes à des rythmiques fluides qui rendent le tout non seulement digeste mais délicieux. J'ai raté son concert à Montreux mais son live au Sonar a prouvé que tout cela ne tenait pas au hasard, cela faisait longtemps que j'avais pas vu un album super devenir encore plus fort en live. Pas de gimmick rock, pas de boum pas boum facile, mais un live électro aussi intelligent que dansant.


Julien: Si l'heure n'est pas encore aux bilans, on retiendra dans tous les cas cet étrange dialogue à distance entre Nicolas Jaar et James Blake, chacun y allant de sa mixtape grand cru, de ses EP, et, forcément, de leur album respectif et plus que remarqué. L'Anglais a récemment produit un long DJ set pour la BBC, révélant de fait de nouveaux titres. ENOUGH THUNDER les regroupe et fait évoluer Blake. "We Might Feel Unsound" ressemble à du Blake mais avec plus de luxuriance, alors que le très soul "A Case of You" est une super B-Side de son premier album (un piano acoustique où le jeune homme étend tous ses talents vocaux sans effet). Le classique "Not Long Now" n'est pas super-prenant, mais pas inintéressant. Mieux, avec ces quelques morceaux supplémentaires à sa discographie, on peut désormais parler de style blakien. Ce qui n'est pas rien pour un mec de 23 ans et quelques disques auto–produits. Là où son premier LP est à voir comme un album maîtrisé dans son tracklisting, sa manière de diriger l'auditeur, ENOUGH THUNDER est plus libre, voire expérimental, ce qui, d'une manière, est peut-être plus sincère. Ce EP n'a pas de tube ni de morceau retournant, mais se présente comme un très bon entre–deux alors qu'il aurait pu, à l'instar de Jaar, se reposer sur ses succès cru 2011.


Julien: Si ces jeunes gens remportent actuellement la timbale, Oneohtrix Point Never (cover ci–dessus) pourrait être leur parrain. Daniel Lopatin, vivant à Brooklyn, a récemment ouvert pour Animal Collective, et vient de sortir son nouvel album, REPLICA (paru chez Mexican Summer). Dans un style décrit comme new age, Oneohtrix Point Never est actif depuis de nombreuses années et enregistre ses morceaux sur cassette et se fait parfois appeler KGB Man. Forcément intéressant, forcément un peu geek aussi. Si son projet Ford & Lopatin était ultra-80's, celui–ci joue plus de résonance (le synthé dément sur "Power of Persuasion"), de relâchement électronique ("Remember") et concède à l'actuel des touches bien amples ("Replica"). Comme si Boards of Canada lâchait sa rythmique pour ne jouer que sur des ambiances. OK, le terme ambiance est sur-utilisé. Parlons alors de la réussite "Sleep Dealer", proche de Zomby dont tu parlais le mois passé Pierre. Pas franchement éloigné de Oneohtrix Point Never,  Robot Koch paraît lui aussi son nouvel album, THE OTHER SIDE (Robots Don't Sleep). Le Berlinois n'est pas un producteur inconnu d'un style à mi–chemin entre dubstep et électronica: il est aussi membre du projet house Jahcoozi, signé chez BPitch Control. Il a cependant eu le temps de remixer des gens comme Rusti, Amanda Blank ou encore Infinite Livez et de développer ses trucs à lui, bien plus méchants que Jahcoozi. Il sait toutefois signer des mini-tubes comme "Feel" ou "Heal", chanter avec classe et briser ses harmonies. Le blog XL8R le place judicieusement entre Aphex Twin et Roots Manuva. On le présente comme le beatmaker le plus bouillant de Berlin, plus réputé pour ses affres minimales que pour ses sound-systems. Oui, mais voilà, à l'ombre des clubs cools, il y a ce multiculturalisme incroyable et ses lieux alternatifs comme le Cassiopeia, là où on achète son ticket pour Londres ou Detroit à 5 balles l'entrée. THE OTHER SIDE pourrait bien permettre à Robot Koch de décoller très haut, sur fond de basses amples, et bouger les pattes des fans de Modeselektor. "Lights" est mon titre du mois, bien leste et groovy pour la nuit.


























Pierre: Déjà présente sur une chanson de l'album de M83, Zola Jesus sort CONATUS. Sorte de Lady Gaga underground (pour le physique bizarre et la voix basse), Zola Jesus avait réussi à nous fasciner avec son ancien single "Night". Il y a bien sûr chez elle un côté emo qui en détournera plus d'un. Mais pour ceux qui idolatrent Kate Bush (j'en fais de partie), on se plait à trouver dans CONATUS une vraie qualité de voix et des chansons hantées par des souvenirs baroques. Si bien sûr le modèle n'est pas égalé, Zola Jesus parvient parfois à hisser la barre très haut avec des titres comme "Hikkimori" ou "Ixode", où le kitch est maitrisé et le chant glaçant à souhait. Malheureusement dans la fin de l'album , Zola Jesus s'oublie un peu et on verse dans le cliché gothico-émotif au point que "Seekir" frise carrément le ridicule.


Julien: Est-ce que Zola Jesus est cool? Encore plus bankable que cette dernière: je ne sais pas si tu as écouté le second album de Florence and The Machine. Un pur produit pop des années 00's, à la production monstrueuse, au chant qui ne l'est pas moins. J'avais pas mal aimé LUNGS sorti en 2009, plaçant Florence Welsch dans le bon wagon des cantatrices pop modernes. CEREMONIALS est donc censé confirmer ce statut de petite reine britonne à Florence. J'ai débuté l'album à l'envers, avec les versions acoustiques de "Breaking Down", "Heartline" et "Shake it Out": cette meuf est assez dingue malgré le fait qu'on puisse la taxer d'esthète mainstream. Pierre, nous n'avons pas parlé de Lana Del Rey… Qu'en penses–tu?


Pierre: Je n'ai pas écouté le Florence and the Machine. Mais, par contre, avec Lana Del Rey, on touche vraiment à un phénomène intéressant des dynamiques mainstream/alternatif. Plus qu'avec Zola Jesus qui ne sera jamais véritablement mainstream touchant un public trop restreint et Florence and the Machine qui est d'emblée trop formatée. En gros, Zola Jesus c'est du mainstream qui plaira à ceux qui écoutent de la musique alternative, Florence and the Machine de l'alternatif fait pour plaire à ceux qui écoutent du mainstream. Lana Del Rey, par contre, elle est apparue comme de nulle part, avec un clip ciché mais ma foi émotionnellement efficace. Apparue sur des blogs de connaisseurs, je dois bien avoué qu'il était difficile de ne pas être fasciné par cette chanson parfaite ("Video Games"), portée par une voix et un physique hors du commun. Surtout, ce titre avait un romantisme mêlé de tristesse, qui nous ramenait directement au grand moment de la pop féminine classique. Et j'écoutais cette chanson comme un mystérieux trésor. Puis internet s'emballant, tout le monde parle de Lana Del Rey, on imite ses grosses lèvres et je me surprend à aimer un peu moins cette chanson, est-ce que parce qu'elle finit par lasser ou par snobisme? Difficile à dire, mais bref, s'il faut faire le point, je dirai que c'est de la pop de bonne qualité. D'accord, Julien?


Julien: Chanson parfaite. C'est exactement ça, ce "Video Games". Après, Mariah Cary ou Whitney Houston ont elles-aussi signés des titres définitifs… En même temps si l'on pense à des dames comme Petula Clarke ou June Carter Cash au hasard, des dames qui ont maintenant acquis un statut culte, voire divin, j'ai tout de même l'impression qu'à leur époque elles-aussi n'était pas "irréprochable" ou admirable. Le temps a juste magnifié les choses… J'y reviens: si son album est bien trop long, Florence and the Machine garde tout de même cette verve monstrueuse, typiquement britannique, à en retourner un stade entier, supporters de football, coiffeurs et banquiers réunis, une main sur la pint, l'autre pour s'essuyer les larmes. L'Angleterre n'a rien de plus beau quand elle tente de coup de la grandiloquence, du clinquant et de l'épique. D'avantage que Glasvegas, Kaiser Chiefs ou Kasabian, Florence and the Machine me donne envie de prendre mon billet de Ferry pour aller voir un match de West Ham ou de Newcastle et de (me) finir dans un de ces clubs où l'on n'y passe que des tubes à chanter à tue–tête. C'est toujours mieux ça que de finir à l'Eglise après avoir écouté Arcade Fire.
























Pierre: Parlons un peu de hip hop dans ce Speaches. La mixtape du mois, c'est sans aucun doute LIVE LOVE ASAP de Asap Rocky. Du très très lourd. Il n'y a bien que dans le hip hop que des disques d'une telle qualité, avec de telles pointures, au public aussi large, puissent être distribués gratuitement.  Bon c'est aussi parce que derrière, y a pas mal de fric. On n'en avait pas entendu parler depuis un moment, mais Clams Casino est de retour à la production de cinq titres sur cette mixtape. Et quel retour! On avait peur que le producteur profite de la reconnaissance de son talent pour s'entêter à ne plus sortir que des instrumentales. Et non, il montre à nouveau qu'il est sans doute le producteur hip hop le plus intéressant du moment. "Bass" met tout le monde à l'amende. Avec des voix ralenties et des basses profondes comme des cratères, cette chanson prouve une fois de plus que la seule vraie raison d'être de la witch house, c'est de filer au hip hop des beats qui tabassent. Clams Casino signe également la production du premier titre: "Palace", où Asap Rocky balance un flow monstrueux sur des chœurs, dans une entrée en matière aussi couillue que celle de Kanye West sur son dernier album. Le reste de la mixtape ne fait jamais retomber la pression avec des chansons presque en finessse comme "Peso" et des tubes terribles comme "Purple Swag". Le mec porte quand même un t-shirt FUCK SWAG dans son clip.


Julien: Ouais, quand même… Sinon, rien à voir, il y a un live de Radiohead au Tweeter Center de Mansfield, Massachussets, qui a récemment leaké. C'était en 2003, c'était avant que le groupe ne m'énerve totalement. 2003, c'est surtout l'année sainte de Radiohead, l'année de leurs meilleurs prestations scéniques. On ne vous donne pas le lien du live, vous le trouverez facilement… On change du tout au tout?


Pierre: Au rayon suisse de qualité, est sorti MUTUAL FRIENDS du duo féminin Boy. A l'image du trailer, dans cet album, tout est joli et gentil, sûrement un peu trop. Si on prend les mélodies, la voix, l'ambiance et qu'on reporte tout ça au genre, alors oui le duo germano-helvétique n'a rien à envier à tout ce qui se fait au niveau international. C'est catchy, c'est mignon et on a déjà l'impression d'être dans un café en train de boire un thé menthe avec un speculos en écoutant le single "Little Numbers" ou le très phoenixien "Oh Boy". Bref ça sent un peu trop la fleur. Un conseil, si vous essayez de draguer une milf, offrez lui ce disque, elle aura l'impression d'arriver à aimer la même musique que vous et ce sera de toutes façons cent fois plus frais que tout ce qu'elle peut écouter.


Julien: Ah mais bravo. Sinon, il y a le nouveau Coldplay qui est sorti et qui pourrait aussi bien servir cette noble cause. Leur single inaugural est d'une cruauté lyrique sans nom. Plutôt que de jouer au raciste pédant, je conseillerai à Morrissey d'intenter un procès pour mauvais goût et, accessoirement, de tuer toute libido, au groupe de Chris Martin. De son côté, Madame Björk a elle aussi prouvé qu'elle existait encore physiquement. Artistiquement, c'est un peu plus douteux, mais on retiendra avec grand plaisir ses plans jungle sur quelques morceaux. 15 ans après la gloire de ce style dérivé de la Drum&Bass, il fallait oser. Quoique: on devrait un jour ou l'autre bien assister au retour de ce "genre". A mort la Dubstep?

























Pierre: Si pour beaucoup, les feuilles qui tombent sont synonymes de guitare acoustique et de chemises à carreaux, moi je préfère directement me tourner vers la lumière froide de fin d'après-midi et avec Led Er Est, je suis servi. L'album a beau s'appeler MAY, il est question ici de synthés coldwave et d'ambiance flippante au possible. En seulement six titres, MAY est le meilleur album que j'ai écouté en ce mois d'octobre. Bien au dessus de tout ce qui s'est engouffré dans la vague cold wave, Led Er Est parviennent à créer une dark disco, aussi expérimentale qu'entrainante. "Lonesome xoxo" déglingue tout sur un son bien soviétique qui n'oublie pas le refrain mélancolique. "Madi La Lune" est sûrement la meilleure instrumentale cold wave entendue depuis très longtemps, planante sans être chiante, courte et dense, et surtout carrément étrange. Le reste est tout aussi bon, Led Er Est ne garde que le meilleur de l'influence krautrock, et on pense souvent à du Faust en moins ampoulé.


Julien: J'ai aussi été super enthousiasmé par cet album, tout en ayant de la peine à transgresser mon amour certain aux sbires originaux, Joy Division en tête. J'ai peut-être quelque chose de beaucoup plus étonnant à te proposer: Cankun fait de l'électronica électrique, invoque l'Afrique rêvée des nordiques et le post rock fantasmé des sudistes. ETHIOPIAN DREAMS est comme une rave à distance, à 100 mètres du sol, la tête dans les vapes. On jurerait entendre un son en écho constant, comme si Dan Deacon jouait au milieu du lac Léman et nous le cul posé dans les vignes, le gosier plein. Enfin, peut-être que j'en fais trop, mais l'expérience est réellement excitante. Suite?



Pierre: Spectrals est roux et écrit des chansons toutes simples et toutes bien faites. Le problème c'est qu'avec son accent anglais, on a l'impression d'entendre le chanteur des Arctic Monkeys et que donc il devient difficle de croire en la tristesse qui nourrit des chansons comme "Get A Grip". Rien de nouveau dans ce songwriting qui n'est vraiment spectrale que trop rarement, sauf sur "If I Thnink About The Magic Will It Go Away", à moins qu'il devienne carrément pop sur "Confetti". Ces éléments, on les retrouve et en mieux sur le nouveau Real Estate, DAYS. Ici, il y a une vraie maitrise de mélodies en acoustique et, à nouveau, c'est beau mais quand même un peu mou. Mais ils ont le mérite d'avoir fait un clip avec des chiens pour "It's Real".
























Julien: Oh mais tu oublierais presque de mentionner la pépite "Municipality", relayant le meilleur de la sunshine pop. OK, "Out of Tune" semble être dans la pure lignée des losers The Thrills,  "Wonder Years" croise Byrds et Yes, ce qui n'est pas très très bien tout de même, "Younger Than Yesterday" est du sous–Shines, mais "Easy" est tip top, et, effectivement, "It's Real" mérite le détour. Et puis, je ne veux pas relancer le débat, mais avec "All The Same", tu as vraiment de quoi pécho ta milf, en sept bonnes minutes aussi accessibles que proches parfois des touts bons Yo La Tengo ou Teenage Fanclub. Par ailleurs, Still Corners ne te rendra pas plus successful, mais leur album CREATURES OF AN HOUR prodigue une certaine idée de la classe, pas loin du cinématographique ("Velveteen", "I Wrote Blood") ou de Kate Bush ("Demons") On pense à Elysian Fields, à Electrelane aussi, à du boogie–woogie parfois ("Submarine") et aux quelques groupes 100% féminins d'excellence (les sus-nommées ainsi que The Organ ou Warpaint). Excellent album. Je me permets juste de rajouter qu'une autre grande dame, Julianna Barwick, adepte des échos de l'extrême, s'est vu remixée par des mecs comme Diplo et Lunice, Prince Rama ou encore Helado Negro. Le EP s'appelle MATRIMONY REMIXES et permet aux échos-sceptiques de mieux saisir l'enjeu, avec des rythmiques plus accessibles.


Julien: Je reprends mon souffle pour un drôle d'album: signé chez 4Zero, Lunar Dunes pourrait faire peur. Se revendiquant du psychédélisme britton 60's, de Coltrane et inaugurant GALAXSEA avec le très free jazz "Moon Bathing" et sa choriste. Heureusement, "Oriental Pacific" réoriente la formation de Liverpool dans le sillage d'un Sun Ra contemporain, "Pharoah's Dream" est du dégomme jazz assez dément, ou "Free to Do" perverti ce qu'il reste de l'héritage blues, en y ajoutant une voix cinglée, à déprimer les fans de Massive Attack. Génial, non? En tout cas la meilleure façon de m'amener au disque de la conclusion, fait par un ami. Marc Méan a vécu à Copenhague, y a monté un trio assez sérieux avant de revenir en Suisse enregistrer son premier album, WHERE ARE YOU? Laissant parfois pantois, ou par moment dubitatif par tant de complexité, ce LP fait du bien dans notre paysage bien trop rangé par moment, entre rock, électro ou hip hop. Marc a aussi performé avec le groupe Rectangle, il sait donc quand et comment foutre la sauce. Au contraire, la sauce, il te la met sur la longueur, avec classe et sobriété. Ayant récemment tourné un clip avec ce dernier exécutant une de ces compositions, j'ai pu entendre dans l'équipe filmique: "cette musique, c'est vraiment le sexe même. Et ces doigts virils qui jouent de ces instruments…". Oui, mon cher Pierre, au final, je pense que ta milf, c'est tout de même avec du jazz que tu la choperas.


Albums du mois
Pierre: Led Er Est, MAY
Julien: Still Corners, CREATURES OF AN HOUR
            Marc Méan Trio,  WHERE ARE YOU?


Singles du mois
Pierre: Kavinsky feat Lovefoxx, "Night Call"
           Asap Rocky, "Bass"

Julien: Robot Koch, "Lights"


Clip du mois
Asap Rocky, "Purple Swag" 

11 nov. 2011

KINO KLUB: The Mondrians – Rainbow (CH)



Retour à l'actualité et avant–propos visuels avant une nouvelle chronique helvétique, Musikunterstadl: The Mondrians reviennent au premier plan avec le second album – TO THE HAPPY FEW – et un joli répertoire agité, insoumis, vif et branleur, brillamment maîtrisé pour de si jeunes gens. Ce Kino Klub s'arrête non seulement sur le plus vieux titre de l'album, "Rainbow", mais aussi sur deux teasers. Aux commandes de ces "déournement d'images", l'artisan Patrick Vermeulen, un fin limier de la musique (Überreel, c'est lui) et des images (il fut un photographe remarqué). "Rainbow" ressuscite en format 2/3 (bonheur!) un camion entiers de films (bien vu, le groupe est composé d'érudits en cinéma) et joue sur le rythme. C'est la Classe américaine sans dialogue, mais avec un morceau tip top. Fin facile: la classe helvétique?










The Mondrians vernissent leur second album TO THE HAPPY FEW ce vendredi 11 novembre au Bourg de Lausanne. Vinci Vince en première partie.

8 nov. 2011

TANKINO: We Need To Talk About Kevin / The Thing / Poulet aux Prunes

Photographie : Vincent Tille
Du briton qui tourne aux States, des ricains en Norvège et des frouzes en Iran : we are the world comme nous disait l'autre, quel optimimisme ! En fait, nous parlons surtout de morts aujourd'hui. A vos risques et périls.



We need to talk about Ramsay
Le troisième long-métrage de l’écossaise Lynne Ramsay est une adaptation du roman de Lionel Shriver. C’est un drame, un combat, une sorte de jeu d’Œdipe entre une mère et son gosse, petit diablotin qui finira par commettre (on s’y attend un peu) l’irréparable. Le film est monté entre flash-backs et scènes du présent. Nous suivons le personnage principal qui est la mère (Tilda Swinton) et qui souffre de la croissance de Kevin durant tout le film. Certaines séquences sont bonnes (la promenade de la poussette) et par moments même inattendues : les deux plans de coupe franche au début du film où nous passons de la mère au fils vu depuis un lavabo. Les acteurs sont impériaux et c'en est clairement le point fort du film. Le problème, c’est que la réalisatrice Lynne Ramsay s’étend à vouloir faire de ce long-métrage une œuvre trop importante, trop dense, trop oscar-isante. Ramsay joue sur l’ambiance malsaine qui habite la famille de Kevin usant de moyens cinématographiques classiques mais jamais bien placés : les contrastes flous/nets sont pénibles et la couleur rouge qui étouffe le film est pathétique. Comme pour bien faire comprendre qu’un drame va arriver, le rouge est partout, sur la maison, dans le panneau "Exit", sur le phare des voitures, sur le camion des ambulances, etc. et cette surabondance n'a pour effet que de nuire à l'esthétique déjà vierge du film. Résultat : on voit que Lynne Ramsay sait tourner un film, mais elle n'en fait rien. L'atmosphère glauque du film déborde et s'enlace dans une ronde monotone et lassante. Heureusement que Josh C. Reilly, Tild Swinton et le démoniaque Ezra Miller qui interprète Kevin sont bons – ainsi que la BO, excellente (le joyau Mother's Last Word to her Son qui tente de donner un peu d'âme au film), qui vient sauver les meubles.

We Need To Talk About Kevin, Lynne Ramsay, UK-USA (2011)
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L'affreuse chose
La version originale de John Carpenter (1982) n’avait pas connu un grand succès tant critique que commercial à sa sortie. C’est une fois sorti en VHS suivi d'un bouche à oreilles entre fans de films d'horreur gore de série B qu'il se hissa au panthéon des meilleurs films d’horreur et de science-fiction aux côtés d’Alien ou de La Nuit des Morts-vivants. Le réalisateur américain avait réussi un beau pari en réalisant The Thing : faire croire qu’une "chose", qui n'a pas de forme originale, terrorise une équipe de scientifique coincée dans le grand nord. La réalisation, les scènes d'explosion d'hémoglobine, le suspens du test sanguin, tout était à la hauteur d'un bon petit film d'horreur sans prétention et qui, sans vraiment le vouloir, eut un impact dans l'histoire du genre. Puis, trente ans plus tard, The Thing, intitulé comme le précédent (sans précision s'il s'agit d'une suite, prequel ou remake), sort en salle. C'est un certain Matthijs van Heijningen Jr. qui accepte la commande des studios Universal pour ce qui est – après de méticuleuses recherches – bel et bien un prequel. Super alors ! se dit-on, avant d'embarquer dans l'une des pires histoires qu'Hollywood ait daigné nous offrir depuis la remake de Vendredi 13. Acteurs médiocres, scénario plus vierge que la neige de Norvège (on annonce une tempête au début du film qui ne viendra jamais…), réalisation nulle et surtout : rien d'effrayant. Seuls les effets spéciaux viennent réveiller le spectateur endormi depuis le générique et la scène où la "chose" rassemble deux humains renversés qui se déplacent comme une araignée est tout de même rigolote. Mais Carpenter, avec notamment le chien qui explose dans la cage, avait tout réussi dans cette séquence inattendue qui arrive sans crier gare au premier quart d'heure. Le spectateur, ensuite, pendant tout le film, se demandait à quelle sauce il allait être mangé, déséquilibré par la vision d'une chose indescriptible puisque sans forme d'origine. Le plus affligeant dans ce "prequel", c'est qu'on ne voit pas qu'est-ce que ça vient apporter au film de 1982. Zéro quoi.

The Thing, Matthijs van Heijningen Jr., USA-Norvège (2011)
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L'après Persepolis
Comme Tintin, ce long-métrage est aussi une adaptation d'une bande dessinée en film avec certes une différence majeure, la BD et le film sont le résultat artistique d'une seule personne : Marjane Satrapi. Cette iranienne nous avait conquis avec son Persepolis (2007), film entièrement d'animation et tiré de la BD du même nom. Avec Poulet aux Prunes, la réalisatrice a décidé de tourner un film avec de véritables acteurs et des scènes bien réelles, sans s'empêcher tout de même d'y ajouter sa pâte pour les séquences d'animation qui surgissent au bon moment dans le film. L'histoire raconte la vie d'un violoncelliste de renom qui a décidé de se donner la mort après que sa femme – qu'il n'a jamais aimé – lui a cassé son violon devant ses yeux, ne supportant plus la vie qu'elle menait à ses côtés. Nous passons donc les huit derniers jours avec Nasser Ali Khan (Mathieu Amalric) qui se remémore les bons et les tristes moments de sa vie. Satrapi ne fait qu'effleurer des bonnes idées sans jamais vraiment les exploiter. Et du coup, le film ressemble à une étrange tambouille ou à une sorte de ratatouille imparfaite ; ou bien (osons le rapport facile) à un poulet aux prunes où le poulet serait passé de date mais où les prunes viendraient relever le goût fade de la viande blanche. Des idées, il y en a pourtant. Et par exemple l'épisode où l'on suit le parcours du fils de Ali Khan qui part vivre aux Etats-Unis est exquis ! De même, la séquence où l'ange de la mort (Edouard Baer et son phrasé pince-sans-rire irrésistible) vient rencontrer Ali Khan au lit de sa mort est délicieuse, bien menée et efficace. Entre petites pièces bien montées et long film autoroute un peu ennuyeux, Poulet aux prunes est une jolie histoire, qui essaie d'avoir des airs de grands films (ce qui est un chemin délicat à prendre) et qui essaie surtout de résister à la normalisation classique du cinéma français d'aujourd'hui. Là où, malheureusement, Satrapi échoue.

Poulet aux Prunes de Marjane Satrapi et Vincent Paronnaud, Iran-France (2011)
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6 nov. 2011

L'art en plein air en question

Photo: Roman Signer, ”Banc”

L'art investi les champs, et semble-t-il ce n'est pas nouveau. Fumiste et Julien Gremaud ont sali leur chaussures entre le Chablais et le Jura et se questionnent sur le fondement-même de telles expositions. Pour les images, se reporter sur notre post imagé.


Fumiste: Salir, c'est un peu le but à vrai dire, se salir les semelles pour mieux se décrasser la tête. Se désengorger les méninges. En effectuant un bref retour en arrière sur les deux grosses manifestations artistiques en plein air de l'été cependant, Bex et Môtiers, qui bien que la première soit une triennale et la seconde une... comment on dit, quadriennale ? une tétrannale ? tombaient en même temps, on dira qu'il y avait du bon et du très bon, mais aussi une ou deux choses à pointer du doigt et à gratter.


Julien: C’est finalement avec un peu de recul qu’on prend conscience des échanges, des liens ou des particularités de ces deux organisations. C’est aussi amusant que de se dire: « hum, finalement, j’ai préféré tel ou tel endroit », un peu à la manière d’un film ou d’un concert. Parce que, attention, l’art contemporain ne se compare pas, non. Il y a une dose de sacralisé à laquelle il serait bien avisé de ne pas toucher. D’une certaine manière, ces expositions en plein art, plus que n’importe quelles expositions collectives ou biennales officielles, permettent un éclatement de cette bulle critique et de sa position privilégiée pour les gens de bonnes culture.


Fumiste: Commençons par le bon. À Bex (39 oeuvres, 45 artistes) c'est d'abord le cadre. Parc de style "paysager anglais" typique aménagé dans les années 30 du siècle dernier, et qui a servi d'impulsion, d'élan, aux créateurs invités (moins nombreux que la dernière fois, mais c'est un choix curatorial et ça faisait sens). On retiendra d’abord les monuments dans cette thématique intitulée cette ”territoires” : une cacahuète totémique érigée à l’entrée du parc par le genevois Joly en guise d’offrande aux dieux du lieu, neufs miroirs de plexiglas reproduisant le reflet gondolé des Dents du Midi, made by Simon Deppierraz, et cette structure, immense et ramifiée construites de lambourdes et de colle des Frères Chapuisat qui ne sont même pas frères. Du grand, du colossal, à Bex, il y en avait. Du gigantesque façon romantisme, à la mesure des moyens mis en oeuvres, mais est-ce ce qui compte et seulement ?


Julien: Au contraire de Môtiers, qui propose une ballade à majorité dans les bois, Bex impose à ses visiteurs, outre une marche tonique, des grands espaces. Comme tu l’as dit, ce style à l’anglaise permet de grandes ouvertures et permet ainsi une vision large; dans ce cas, il paraît logique de ne pas y aller avec le dos de la cuillère au niveau des proportions, ce qui n’est pas pour déplaire aux suiveurs paresseux de l’art actuel, où tout est XL voire XXL (il suffit de voir le succès incroyable de la partie Unlimited d’Art Basel pour saisir l’ampleur de la tendance). Alors oui, Simon Deppierraz et son miroir maousse en impose. A cette échelle-là, difficile de rivaliser avec peu de moyens. Ce dernier aura d’ailleurs eu toutes les peines du monde pour trouver la solutions la moins onéreuse. Quand on joue sur le terrain d’Olafur Eliasson, on risque gros. Outre une déformation évidente, je retiendrai cette formidable vague de chaleur. Nous y étions en septembre, et pourtant, l’herbe était brûlée, et nous on a pris notre cuite. Un gros crâmage de territoire donc. Par ailleurs, il y avait cette onde magnifique, vu de haut. Qui en était le créateur?


Fumiste: Un collectif, le collectif_fact. Une barque plantée dans l’étendue végétale créant à la manière d’un caillou dans une mare, des strates de ramous creusés dans le terrain. Cette interaction, c’était intéressant justement : entente cordiale ou en équipe entre les différents artistes, et besoin, nécessité, demande forte des curateurs, de fonctionner avec le lieu. C’est un peu à un laboratoire qu’on assistait, à Bex : fruits d’expériences diverses et de confrontation ou d’adaptation entre le parc, l’oeuvre comme produit d’un échange ou d’une lutte parfois (certains artistes se sont en effet battus pour obtenir leur place sur le terrain, cruciale, parce qu’en lien avec le sens de chaque sculpture) et le spectateur. Sous le verni d’une “grande expo” officielle à gros budget, Bex et Arts présentait une mosaïque de tentatives, un agrégat de propositions d’occupations d’espaces. Pas sans cohérence pourtant. Ces multiples élans d’idées et de formes cristallisés dans la pierre, le bois, le plastique, zigzagues de sens où se cognent l’humour et la gravité, la supercherie et la critique (Jean Schoerer et sa fausse pancarte indiquant la vente du parc et la construction prochaine de 78 villas mitoyennes et devant laquelle s’est extasié un cadre de la BCV lors de la visite donnée par un collègue : « Ah, Enfin ! ». Authentique). L’unité de Bex, c’était ce mouvement brownien, une structure alvéolaire de possibilités, tendue tout le temps entre le devoir d’affirmer sa filiation de noblesse, et l’excitation démiurge et naïve de l’enfant qui ouvre sa boîte de lego avant de se mettre à l’ouvrage. À la fin, c’est peut-être l’obligation du sérieux qui a tué un peu la jouissance. À Môtiers, c’était plus marrant ?


Julien: Où sans porter attention aux curateurs de ces deux expositions en plein air, on se dit que, naturellement, le Jurassien manie plus l'humour. Vrai: le casting plus prestigieux à Môtiers relevait de véritables chantres du décalage. Roman Signer, toujours aussi incroyablement juste avec son banc, installation/performance à la durée indéfinie, cette poutre métallique le défonçant, tenant dans un équilibre précaire sur ces planches éventrées, pour combien de temps?; Simon Beer et le "Dernier ours du Val-de-Travers, ô pas si menaçant, bien caché sous une roche géante. Mieux que dans un zoo; Bretz et Holliger avec la meilleure performance vidéo du cru: "la maison volante", miniature, effectue des défilés solitaires au-dessus de précipices. Plonk & Replonk, pas le plus finaud des plasticiens, sait ici jouer de ce décalage et de cette absurdité de la maison. Sinon, on aura aimé les installations posées à même le sol de garages prêtés pour la bonne cause, où l'on se permet de laisser les skis et les vélos dans un coin. Ca sent la bonne franquette, et on ne peut qu'apprécier. John Armleder propose lui de se parer d'un accessoire aussi chic qu'imposant: "From here to There" est le take it/leave it version jurassienne, où l'on utilisera à sa guise des boilles de lait, pour les remettre dans l'un des deux côtés de la ruelle de départ. Mais peut-être ne devrions-nous pas laisser penser qu'on n'a fait que de se marrer. Deux choses d'une donc: l’impossibilité d'une cohérence totale ne réduit–elle pas ces expositions en plein air en ambitions vaines, aussi belles soient-elles? Et, de fait, son empreinte "grand–public" n'est-elle qu'une belle promesse non tenue?

Fumiste: Pas si on tient compte du terrain, du lieu, de la nature comme élément autonome. L’idée qu’un ours empaillé ou une maelström de lambourdes seraient, oui, plus au chaud et somme toute plus en sécurité dans une galerie et présenté façon white cube. Mais ça y perdrait : il y manquerait l’évolution dans le temps et au fil des caprices météo, des kleptomanes éventuelles, des bourdes ou des élans affectifs et tactiles irrépressibles du public. Promesse non tenue donc, seulement si on exclut l’environnement comme sculpteur à part entière. Et dans cette veine à mon avis, Môtiers a été plus fructueux. Plus on accepte la bricole, plus on fuit l’idée d’un rendu lisse à tout prix, et plus on élargit les possibilités d’interventions du milieu. Il est clair que ça s’adresse aussi aux avertis, et que « nul n’entre ici s’il est géomètre », parce qu’il / elle y trouvera volontairement des triangles à 4 côtés et des quadrilatères arrondis. C’est peut-être ça aussi, la surprise, la réinsertion du facteur incertitude dans le mécanisme de présentation peut-être trop bien huilé de l’art contemporain, qui constitue l’intérêt et le but de l’art en plein air. Avec ses bémols, aussi (sic. à Bex, les parasols de Delphine Reist, arrachés par une tempête après un petit mois de durée, et non remplacés ensuite). Du coup, la question qui se pose en parallèle, c’est celle des projets : une expo en plein air dicte-t-elle nécessairement ce qui peut (et doit) être installé, ou l’artiste, au risque de déplaire, peut-il s’offrir le luxe de présenter un bonhomme de neige posé au milieu de la prairie, qui ne survivrait même pas au vernissage ?