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28 févr. 2011

TT SPEACHES / FEVRIER 2011

Illustration: vitfait
TT Speaches: à chaque début de mois, l'écurie de Think Tank ouvre un post commun. Publié 30 jours après, il sera sensé ainsi approcher de l'exhaustivité. TT Speaches, c'est notre façon de vous faire part de tout ce qui est sorti en musique durant le mois écoulé.




Bonjour Pierre, c'est le début du mois de février. Et une nouvelle chronique pour Think Tank: TT Speaches. Une promesse, on parlera de chaque sortie veux–tu? Certes, ça ne va pas être de la tarte, mais tentons le coup. Surtout que niveau sorties ce mois, on est vraiment gâté: James Blake, PJ Harvey, Sonic Youth ou encore Bright Eyes. L'année commence très très fort. Mauvais plan pour débuter: Wire, ce groupe épouvantail du post-punk a sorti un nouvel album, paru sur leur propre label Pink Flag (oh la référence à leur disque-clé), et l'on n'a pas du tout rit. Pas que cet album vous retournait les tripes, au contraire. Dommage, il faudra encore attendre pour une nouvelle déflagration. Et ce n'est pas Sonic Youth qui s'en chargera avec leur BO du film Mais où est Simon Werner. Enfin, Simon Werner A Disparu. L'occasion de voir le groupe le plus in des étudiants en école d'art titrer leurs morceaux en français (" Les Anges au piano" ou " Jean-Baptiste et Laetitia" et encore mieux,  "Thème de Jérémie") et ne pas se la fouler en refourguant leurs plans guitares à la Sonic Youth / Dieu est ici présent. Là non plus ça ne rigole pas, et on s'est bien contenté de passer leur bande-son de film pour lire notre journal quotidien. Voilà pour mon introduction tendance négative.


 

Julien: L'album le plus attendu de ce mois de février est le fait d'un begginer, ou presque: James Blake (cover). Signé chez R&S Records, son premier album semble collectionner les étoiles et autres bonnes notes, avant de recevoir des lauriers et des hourras estivaux sans aucun doute. On l'annonce presque partout cet été, cela dit je crains beaucoup pour le passage de sa musique sur scène. Il faudra vaincre le brouhaha obligé. Bon, c'est un détail. Pour l'album, je doute que Think Tank soit à 100% enthousiaste. J'y vois un véritable génie derrière les boutons, mais qu'en est-il des compositions? Est-ce que, finalement, on ne s'enflamme pas un peu pour rien? Après tout, ce LP me semble naviguer dans les mêmes eaux qu'un Bon Iver, les chansons et l'émotion en moins...

Pierre: Moi, j'avais trouvé vraiment intéressant ses deux premiers EP (CMYK et Klavierwerke) et j'ai eu très peur en entendant le single de l'album: "Limit To Your Love". Déjà, je ne comprends pas la nécessité qu'à James Blake de faire une reprise quand il a plein de compositions à lui. Et puis, sa façon de chanter me faisait vraiment penser à Anthony and The Johnsons, un des groupes qui m'irrite le plus. Cette espèce de virtuosité de la voix, ça m'ennuie. En plus, la production de ce single est assez classique. Mais après cette première déception, je dois dire que le reste de l'album m'a vraiment convaincu. James Blake réussit vraiment à digérer l'influence dubstep pour en faire des chansons entre bricolage et virtuosité. Je trouve surtout que pour un album aussi attendu, il y a vraiment des choix stylistiques intéressants. Sur mes titres préférés, la double "Lindesfarne" et "To Care (Like You)", il se passe très peu de chose, on a l'impression d'entendre une seule piste dans le silence d'une chambre, puis ça monte gentiment et ça devient franchement grandiose. Alors qu'on est tellement habitué à entendre des chansons saturées, la maitrise des silences par James Blake est juste magnifique. 

Julien: toujours dans le registre électronique, j'aimerai vite revenir en arrière, au 31 janvier, pour parler de la compilation maousse du non moins prolifique label berlinois, BPitch Control: WERKSHAU place ainsi 17 artistes autour d'Ellen Allien, pour célébrer ses 12 ans d'activité. Est écrit sur la notice: "Imagine you had the job of representing your entire life in the form of seventeen songs - a difficult task? Unsolvable? BPitch control has attempted to do just that, packing a turbulent twelve-year label history onto one silver disc". Au programme donc, beaucoup de titres jamais sortis auparavant, entre la starlette Paul Kalkbrenner et les excellents Telefon Tel Aviv. Il y a de tout, de grandes choses – "Hiddensee" de Sasha Funke notamment – et d'autres choses moins vitales. Une bonne sortie néanmoins. Dans le même registre, Kompakt a sorti au début du mois la compilation POP AMBIANT, avec notamment les piliers du label, Paape ou Fehlmann et d'autre, Marsen Jules ou Triola, ce juste avant de lancer le EP de SBTRKT, STEP IN SHADOWS. Avant de sortir son premier LP, ce mec qui a longtemps côtoyé Modeselektor livre un 4-titres assez bon, entre dubstep élancée et proto – UK dance. Bien vénère, "Hide Or Seek" vaut le détour.




Pierre: En parlant de label électro mythique, Warp a sorti le premier album de Hundred In The Hands (cover). Et je suis franchement déçu, surtout que leurs précédents titres étaient bien plus frais ("Tom Tom", "Ghost"). Là, je trouve leur son hyper froid et lisse. Pitchfork en a dit un truc très méchant mais très juste: la seule gloire à laquelle Hundred In The Hands peuvent aspirer pour l'instant, c'est d'être remixé par Kitsuné. Et c'est vrai qu'on sent vraiment ce son genre électro-rock chic, un peu la musique lounge de notre époque. Il y a très peu d'âme dans le son de ce groupe. Même le single me laisse de marbre. Quand on écoute ce genre de musique, on se voit déjà s'ennuyer devant la publicité ou le défilé snob qu'elle va accompagner. Malgré tout le bien que je pense du label Warp, là je m'avoue tout sauf convaincu.

Julien: et j'ai presque oublié de citer les albums respectifs des allemands Isolée et de Steffi du label Ostgut Ton, taillé pour les platines mais souffrant de la concurrence ce mois-ci. pour te changer les idées,  je te propose la petite bombe italian electro des parisiens de Discodeine (label Dirty / Pschent). Sisi, et il y a même des featurings d'enfer avec oncle futé Jarvis Cocker (futur ex-Pulp) – pour qui 2011 pourrait être une grande année, son groupe à lui, Pulp donc, devant se reformer cet été – ainsi que celui qui devrait être appelé le Roi Soleil, Mathias Aguayo pour lancer l'album ("Singular": le tube de l'été?). Moi qui attrape la nausée devant les choses d'Ed Banger ou Kitsuné, là il y a suffisamment d'arguments pour que ce duo traverse autant l'Allemagne des clubs sobres que l'Espagne.


Pierre: Sinon Vice Records a sorti le premier album de Win Win. Je trouve que ça sent un peu trop l'album de producteur (à la base du groupe, il y a XXXChange de Spank Rock). Il y a de bonnes idées, en soirée ça doit sûrement tabasser mais à l'écoute, l'album reste un peu froid et manque de cohérence. Surtout, les voix sonnent souvent de façon désincarnée. Le tout hésite entre disco baléarique, rave et restes de la vague Ed Banger. Par contre, sur cet album éponyme, il y a deux featuring qui valent le détour: "Interleave with you" et "Release RPM". Sur la première, on retrouve Alexis Taylor de Hot Chip pour une chanson plus lente et assez majestueuse, un peu ce que Yeasayer avait vaguement essayé de faire sur leur dernier album. Sur la seconde, c'est Lizzie Bougatsos de Gang Gang Dance qui s'y colle et plutôt bien. Sa seule voix convoque cette transe ressentie lors de son concert à Kilbi en 2009. Toute la chanson se colle parfaitement à cette voix et devient diaboliquement entêtante et tribale. Donc voilà Win Win ne sont jamais aussi bons que quand ils font des featuring, sachant parfaitement faire ressortir tout le potentiel d'une voix, comme quoi c'est pas si facile de sortir de son rôle de producteur. Quant à Gang Gang Dance, leur prochain album est annoncé pour mai et ça, ça m'excite vachement.


 

Julien: c'est quelque chose que l'on risque de suivre en effet. L'autre grosse sortie du mois, c'est évidemment le nouveau PJ Harvey (cover), de retours aux affaires (sérieuses pour le grand public). Tout le monde en a parlé, ce d'autant plus que les deux dernières sorties de Polly Jean avait frisé l'anonymat et donc réjouit la plupart de ses fans hardcores, entre folk crépusculaire à tomber à la renverse (WHITE CHALK) et rock brut avec son ami proche John Parish (A MAN A WOMAN WALKED BY). Ce 9ème album pourrait bien être celui de la consécration: à mi-chemin entre sophistication et rugosité, Harvey semble avoir trouvé la bonne mesure, dans un disque très classieux et, ô surprise, politique. Honnêtement, si l'on n'a jamais douté des orientations multiples de la britannique, on ne s'attendait pas forcément à cela. Grosse prise de risque, et album du mois pour ma part mon cher Pierre.

Pierre: Beaucoup moins de risque pris dans les disques de deux groupes de filles de Los Angeles: La Sera et Puro Instinct. Ou alors s'il s'agit d'aventure, ce serait plutôt du genre safari enfermé dans une voiture blindée suivant des routes toutes tracées. La Sera s'autorise une échappée hors des Vivian Girls pour sortir cet album aux influences sixties. Ce n'est pas que ses chansons courtes soient mauvaises, mais à force de sobriété, elles manquent franchement de densité. Pour le coup, je préfère le son tout aussi rétro mais plus fun de son groupe. Quant à Puro Instinct, je dois dire que c'est un phénomène assez étrange, qui montre bien l'explosion de la notion d'underground, surtout dans la ville californienne, où les catégories de hype, hip et underground sont généralement moins tranchées. Dans ce cas donc, on a affaire à des soeurs blondes et toutes propres mais qui font clairement du sous Ariel Pink. L'influence de ce dernier et d'une certaine lo-fi californienne, psychédélisme lascif et bricolé., est indéniable sur HEADBANGERS IN ECSTACY. J'ai été assez séduit à la première écoute et finalement agréablement surpris de voir l'influence d'Ariel Pink touché aussi loin, surtout sur "Stilyagi". Mais vite, on ressent la désagréable impression que le psychédélisme n'est ici que façade. Alors que les compositions d'Ariel Pink sentent vraiment la folie, les chansons de Puro Instinct ont plutôt le fumet d'un plat réchauffé. Et franchement, dire autant de fois de Los Angeles et California sur un disque, c'est suspect. Est-ce que la scène locale serait sur le déclin après deux années de gros boom?


Julien: avant que l'on boucle ce post, n'oublions pas de parler de Esben and the Witch. Leur premier album – VIOLET CRIES – signé chez Matador s'aligne dans le sillage de Beach House. On devrait en entendre parler très rapidement. Au niveau petits génies inclassables, outre James Blake, c'est le premier album de Nicolas Jaar (cover) qui est sorti aussi ce mois de février: SPACE IS ONLY NOISE, diamétralement opposé de ses multiples remixes chills ou hédonistes, à choix. Ici, il est question d'espace(s), d'exploration sonore et d'un énorme travail en studio. Ce petit mec au nom douteusement francophone replace tant son Chili que l'Espace ("Space is The Place" clamait autrefois le roi Sun Ra). Un album dense et ambitieux pour un über-DJ qu'on devrait voir un peu partout cet été. Voici peut-être le futur grand nom de l'électro. Tu voulais me parler de Cut Copy non ? En attendant, je termine mon mois TT Speaches avec l'album de Gil Scott-Heron I'M NEW HERE remixé par Jamie Smith des XX, ce qui donne WE ARE NEW HERE. Franchement, comme dans tout album de remixes, on ne va pas tout encensé, mais il y a vraiment de quoi se satisfaire avec ce phrasé / parlé associé à la dub du londonien. Ca fait un peu penser à Bobby Womack avec Gorillaz ou à des vieux morceaux dances des années 90. Jack White a produit l'album de Wenda Jackson, Jamie Smith remixé un autre vieux briscard. On a tout de même de quoi être fier de notre génération.

Pierre: Je vais effectivement conclure ce premier TT Speaches par une question sur Cut Copy. Est-ce que quelqu'un peut m'expliquer qu'est-ce qui plait tant chez eux? Parce qu'après avoir questionné les autres membres de Think Tank, je n'ai toujours pas eu de réponse satisfaisante. Bon d'accord, leur clip est assez bien, surtout le moment où il y a des voitures qui passent. Et oui, c'est une chanson tubesque. Mais moi, ce son kitch 80's, cela me touche pas vraiment, à vrai dire ça m'agace même assez vite, surtout sur tout un album. J'attends vos commentaires et peut-être qu'au mois de mars, j'aurai finalement compris.


Disque du mois:
Julien: PJ Harvey, LET ENGLAND SHAKE
Pierre: James Blake, JAMES BLAKE

Singles du mois:
Julien: Stranded Horse, "What Difference Does It Make ?" (The Smiths Cover)
            Discodeine, "Synchronize" Feat. Jarvis Cocker
Pierre: Elite Gymnastics, " WAKA"
           Panda Bear, "Last Night at the Jetty"
         




Et ce dont on n'a pas pu parler ce mois:
...And You Will Know Us By the Trail of Dead
Gruff Rhys
Bright Eyes
Yuck
The Twilight Singers
Toro Y Moi
The Go Team!
MEN
Stateless

22 févr. 2011

TT TV: THE MONDRIANS (ACOUSTIQUE)



Deuxième partie de notre reportage dans la campagne vaudoise, à la rencontre des petits doués des Mondrians. En fin d'enregistrement de ce qui sera leur deuxième album, le groupe suisse nous recevait dans cette superbe bâtisse demeurée intacte. Un joli terrain de jeu afin d'effectuer un morceau acoustique rien que pour Think Tank. "Church" figurera sur le disque et on est heureux de vous la faire écouter en primeur. Moteur!

20 févr. 2011

TANKART: TT TRIP BASEL

Illustration: vitfait
C'est les vacances pour certains amuseurs de Think Tank. L'occasion pour deux d'entre eux de prendre leur bicyclette dans le train direction Bâle avec une guide avertie. 30 heures à peine sur place et pourtant quelques très belles choses aperçues dans la ville la plus romande de Suisse alémanique (ou l'inverse). Micro-récit d'un voyage placé sous le signe de la vidéo.

Galerie New-Jerseyy à la Hüningerstrasse 18, au Nord de la ville, administrée par de jeunes gens en baskets Mizuno dont Tobias Madison: le Californien Pentti Monkkonen vernissait l'exposition "Crawfish Bisque", à la cohésion étonnante. Au menu, une virée joviale entre petit-plats néerlandais et effluves du Mississipi que n'aurait pas renié un Benny Hill inspiré. Monkonnen y met du sien et sa vidéo se retrouve pertinemment dans un bien beau théâtre miniature / casserole pour soupe posé sur des fondations de moulin à vent / château d'eau. Au centre de l'affaire "Crawfish Bisque", on retrouve tant cette structure dans la vidéo que la géniale valise – nappe pour picnic pratique mise en scène dans un carré de nature reconstituée dans un coin de la galerie. Attention où l'on met les pieds, un Bloody Mary à la main (la spécialité de la maison?) ce soir-là. A l'opposé, un autre sac dépliable, en tissu tressé par de sveltes machines californiennes, reprenant un objet autrefois couramment utilisé et retraçant ici en trois mètres de long le périple filmé par Monkonnen. Une bien belle unité dans cette exposition aux multiples références et reprises. Vivant à Los Angeles, Penti Mokkonen dit "l'homme que l'on croise à chaque coin de rue" (l'appellation n'est sans doute vérifiable qu'à Bâle) est né en 1975 excelle notamment dans les installations ou autres sculptures et fut professeur en céramique. Son exposition est visible jusqu'au 12 mars.


Toujours dans le registre vidéo, après une courte halte au magnifique garage Von Bartha pour faire le plein de flyers et magazines (l'espace y présente une sélection de travaux de l'allemande Imi Knoebel), on fait chauffer nos pneus 23 pouces à travers les ruelles escarpées de la vieille ville pour se rendre au Museum für Gegenwartskunst. Le Français Pierre Huygues a vu ses meilleurs travaux vidéos acquis par ce bien bel espace tout en recoins et en étages. Depuis le 22 janvier et jusqu'au 5 mai, trois vidéos sont ainsi honorées:  Atlantic (1997), L’Ellipse (1998) et This is not a Time for Dreaming (2004). Cette dernière, sans doute la plus connue et reconnue, consiste en un conte fait de marionnettes retraçant l'histoire d'un bâtiment conçu par Le Corbusier, le Carpenter Center for the Visual Arts à Harvard et celle du propre projet de Huyghe.


Toutefois, c'est L'Ellipse qui a suscité les ovations enthousiastes de la petite équipe de Think Tank: un trypique de 13 minutes, avec Der amerikanische Freund de Wim Wenders (1977) comme périmètre et sujet: 20 ans plus tard, Huyghe y greffe une partie en forme de faux raccord jadis. En steadicam 16mm, on suit Bruno Ganz en lente cavalcade parisienne sur un plan-séquence étourdissant, déployant sa classe et sa nonchalance durant une poignée de minutes. On est resté scotché devant cette installation. Au même étage, le diapo de la performance nonsensique de Simon Starling intitulée Autoxylopyrocycloboros (2006) via un projecteur moyen-format nous aura permis de terminer avidement ce petit voyage. Starling alimente le moteur de son bâteau à vapeur par des parties de la structure de son propre bâteau. Très beau, encore une fois.


18 févr. 2011

MUSIK TANK : BEST COAST OU LA FIN DE L'HIVER ?

Illustration : vitfait
Dans cette masse musicale de plus en plus envahissante, je manque de trouver un petit bout de bonheur qui mêlerait simplicité, nostalgie et sécurité en pas trop de temps. Il y a trop de bons disques qui sortent il paraît. Ok, je veux bien, mais c’est étouffant et personnellement, je n’arrive pas à suivre. Alors évidemment, mes amis rigolent quand je leur parle tout souriant d’un groupe que je viens de découvrir alors que l’album a déjà six mois. Pourtant, c’est en entrant à l’improviste dans la chambre de mon frère, cherchant quelque chose de nouveau à écouter, qu'il me tend un disque jaune avec un petit chat dessus : « prends ça, tu devrais aimer. »


Best Coast existe depuis deux petites années (sûrement plus), c’est un groupe composé de trois membres, deux filles et un mec. Bethany Cosentino est la « leadeuse » du groupe, elle écrit toutes les chansons qui sont exécutées par Bobb Bruno, le multi-instrumentaliste du groupe. A la batterie, une ex-Vivan Girls : Ali Koehler. Leur site web est un mini blog (http://bestycoasty.blogspot.com) qui mélange mode, photos de clips et « wouah ! regardez cette vidéo qu’on a trouvé sur Youtube ! ». Lors de leur tournée US, elles ouvrent régulièrement pour le semi-génial Wavves. On comprend, car en écoutant la galette, on y retrouve la même gentille folie édulcorée qu’à l’écoute du dernier Wavves. Les chansons s’enchaînent avec simplicité. Elles se ressemblent, bien sûr. Mais c’est temps mieux, car la prod est bonne et donne l’impression de regarder un film en Super-8 jauni (couleur constante du livret) pendant 28 minutes. Car il n’en faut pas plus. Moins d’une demi-heure, c’est juste ce qu’il faut pour ne pas commencer à trouver l’album chiant. Un disque homogène, dans le bon sens du terme. Leur premier single a marqué Pitchfork, sélectionné comme « best new track » : Boyfriend ouvre l’album majestueusement ; on crierait presque à une demo du premier Arcade Fire. Mais la suite donne tout son sens au morceau : ça ne décollera jamais plus haut, bien que les morceaux restent (et je le souligne !) de qualité, mis à part l’horrible Happy où mademoiselle Cosentino chante comme les Cranberries et alors là c’est « next track » et pis-c’est-tout !

Pas besoin de grosse tartine pour parler de ce disque, si ce n’est qu’à l’écoute, on aimerait sauter dans la mer, sentir le soleil brûler sur sa peau et écouter Crazy For You en boucle. Mais dans une pareille situation, on serait peut-être très vite lassé de ce Best Coast. C’est pour ça qu’il faut l’écouter en hiver, en rêvant de l’été. Une fille qui se plaint de son petit ami tout au long du disque pourrait être très pénible, mais Crazy For You, The End, Our Deal, Goodbye, le génial Summer Mood, le faux-shoegaze-solaire I Want To ne peuvent vous passer au-dessus sans vous toucher. Si ? Bratty B enfonce le clou. Il faudrait les entendre en live, mais aucune date suisse n’est prévue. La bande se produira au Printemps de Bourges en avril, en espérant que le Romandie ou le Bad Bonn les attirent. Review courte pour un disque tout aussi court, mais classe. Un disque de fin d’hiver génial pour ceux qui attendent l’été avec trop d’impatience.

16 févr. 2011

TT TV: THE MONDRIANS (INTERVIEW)



Deux ans après leur premier album éponyme, The Mondrians ont vu beaucoup de choses changer autour d'eux. Un nouveau batteur, des déménagements successifs si bien qu'il est encore difficile de les considérer comme un groupe valaisan (l'ont-ils jamais été?), la fin de la grande vague rock, de nouvelles aspirations. Et ce groupe, coûte que coûte, formé on ne sait plus, en 2003 déjà? Pour un deuxième album au goût de revanche, The Mondrians ne sont pas allés chercher Gordon Raphael (producteur du premier LP), ni le dépaysement. Rendez-vous donc avec eux dans la campagne vaudoise pour cette première partie "interview", annonçant l'acoustique à venir.

15 févr. 2011

KINO KLUB: ARCADE FIRE – THE SUBURBS (CAN)



Difficile d'échapper cette semaine à la tornade Arcade Fire, vainqueur dimanche dernier du prix du meilleur album 2010 aux Grammy Awards. Prestigieux honneur pour un album déjà "classique", qu'ici à Think Tank on a aimé dans ses grandes largeurs (où est la verve de FUNERAL?). Rendons–leur toutefois hommage: car en 2010, Arcade Fire aura surtout livré un clip génial, servi sur un plateau par Spike Jonze. Qui a dit que le clip était mort?

TANKINO : BLACK SWAN

Illustration: vitfait
S'il ne fallait trouver qu’un mot pour définir Black Swan, dernier film de Darren Aronofsky, ce serait sans doute le terme éprouvant. En effet, Black Swan est avant tout une expérience sensorielle à vivre, une caractéristique subjective certes, mais finalement assez rare de nos jours. Un film magistral, viscéral, terrifiant et brillant.

Darren Aranofksy est un cinéaste qu’on pourrait qualifier d’ovni dans le paysage hollywoodien, proposant toujours ses propres visions, sans jamais vendre son âme aux grands studios qui dominent l’industrie (bien que cela s'apprête à changer vu qu’il se verra prendre les reines du prochain Wolverine qui fera le bonheur du geek que je suis). Avec un début de carrière réussi mais un peu inégal : Pi, un premier film brillant mais oubliable, un second Requiem For A Dream ambitieux mais trop démonstratif, puis The Fountain, un bijou pour ma part, qui divise par son côté ésotérique et qui fut réalisé avec brio malgré un budget réduit de moité, puis, un quatrième film, The Wrestler, rompant totalement avec le reste, drame sociale et intimiste, embellit par la magnifique performance de Mickey Rourke. Darren Aronofsky se devait de rassembler avec sa nouvelle œuvre ses fans cinéphiles de la première heure et le public académique ayant apprécié l'expérience The Wrestler. Ce défi, il le remporte haut la main, que ce soit sur le fond ou sur la forme, et propose ainsi à son public ce qui est sans aucun doute son meilleur film, dépassant largement l'ambitieux The Fountain et le touchant The Wrestler. Darren Aronofsky envoûte dès les premières secondes de son Black Swan, immergé dans un noir rugueux, la caméra poursuit au plus près un cygne blanc sous projecteur dans un ballet effréné. La sublime musique de Tchaïkovski remixé avec soin par Clint Mansell nous introduit un lac des cygnes revisité, déshabillé, un show d’excellence viscéral et réel. Se basant sur les codes des contes de fée bien que nous somme plus proche d’Edgar Poe et des Frères Grimm, en les pervertissant à l’extrême, rite de passage, parcours initiatique, mère castratrice, doppelganger, transfiguration, pureté et virginité, Black Swan est une boîte à musique où une petite ballerine n'en finit pas de tourner en rond au milieu des miroirs sur une comptine angoissante. Ces symboliques enfantines paraîtront comme de grosses ficelles d’un scénario qui somme toute pourrait paraître grossier pour ses détracteurs.


Mais Black Swan, c'est avant tout une performance. Celle de Natalie Portman qui trouve, sans aucun doute possible, son meilleur rôle à ce jour et qui nous offre là ce qui restera peut être comme le rôle de sa vie. Car bien que les seconds rôles soient extrêmement bons (Vincent Cassel et surtout Barbara Hershey), c'est avant tout le cygne blanc qui domine le film de sa superbe. Passant du visage angélique à celui de terrifié, passant des larmes inconsolables à la fureur meurtrière inévitable, Natalie Portman prouve une bonne fois pour toute qu'elle est bien l'une, sinon la meilleure actrice de sa génération, une chose que tout les prix du monde ne sauraient récompenser à sa juste valeur. Il faut dire aussi qu'avec un tel scénario, l'actrice portait véritablement le succès du film sur ses épaules. Car Black Swan est, comme l'était The Wrestler, le portrait intimiste, physique et psychologique d'une personne parmi tant d'autres, un film donc totalement subjectif, où le spectateur est contraint de limiter sa vision à celle du personnage principal. Quand on regarde Black Swan, on pense forcément au Perfect Blue de Satoshi Kon, au mythe du fantôme de l'opéra, à Alfred Hitchcock, à William Friedkin, à Roman Polanski et l'œuvre de Tchaïkovski bien entendu, autant de références jamais utilisées dans l'excès qui rendent le film intéressant, unique et profond. Il est étonnant de se rendre compte à quel point Black Swan, en terme de mise en scène, s'inscrit parfaitement dans un déroulement logique de continuité dans la filmographie d'Aronofsky, qui propose là un subtil mélange entre The Fountain (pour les plans au cadre très travaillé) et The Wrestler (pour la caméra épaule, la pellicule granuleuse et l'utilisation du plan-séquence). Du coup, dès la première scène, on se retrouve spectateur d'un spectacle saisissant: celui d'une danse filmée en steady-cam où la chorégraphie se trouve, à la grande surprise de tous, magnifiée par cette caméra qui se rapproche des danseurs tout en tournoyant autour d'eux, scène qui ne fait qu'écho à quelque chose de bien plus puissant : le final du film qui trouve une apothéose puissante avec la naissance du cygne noir et de sa métamorphose.


Avec Black Swan, nul doute que Darren Aronofsky signe là une œuvre majeure, que ce soit pour sa propre carrière ou pour le cinéma américain du 21ème siècle. Expérience sensorielle intense, véritable chant d'amour à l'art et pamphlet sur les démons intérieurs de l'être humain, Black Swan est un film complexe, poétique et effrayant sur la notion d'artiste, ses motivations et finalement sa recherche interminable de la perfection. Cet équilibre trouvé entre une multitude de tons permet d’exposer un corps qui souffre lors de la création pointilleuse d’un spectacle à la manière de The Westler, Aronofsky colle intimement le dos son héroïne afin de la suivre dans les méandres de sa psyché. Un jeu de miroirs et d’oppositions signant l’aboutissement formel de son auteur, Aronofsky clone son sujet d’une mère obsessive regrettant ses choix passés à un Winona Rider en star déchu fantomatique en passant par Mila Kunis, véritable aimant noir sexy et impulsif. Des doubles poussant Nina dans ses retranchements, autant de déclinaisons de son propre soi auxquelles elle tente désespérément d’échapper.


Un ballet granuleux et charnel sans cesse en mouvement envoûté par une bande son magistrale, porté par le regard intense de Nathalie Portman qui trouve son plus grand rôle. Black Swan adopte la structure majestueuse de son opéra, cette œuvre classique phare est transportée dans un New-York contemporain, dont le récit est celui d’un ange vierge piégé dans le corps d’un cygne blanc désirant la liberté mais dont seul le véritable amour, sous la forme d’un prince pourra briser le sortilège. Récit qui deviendra tragédie quand survient le jumeau maléfique: le cygne noir. Aucune surprise à l’horizon, tout est annoncé. Pourtant, Aronofsky rend captivant un monde rigide en traversant différent genres cinématographiques, un film mutant oscillant entre l'horreur, le fantastique, le drame psychologique, l'épanouissement corporel et l'aboutissement de soi à travers l'art.

“I felt it. I was perfect.”

Tankart : Philippe Parreno à la Serpentine Gallery

Film Still: Philippe Parreno, June 8, 1968
Véritable oasis onirique au milieu de l’art marchand londonien, la première exposition individuelle sur sol anglais de Philippe Parreno envoute. Réunissant différentes vidéos de l’artiste, l’installation se présente comme une promenade magique brouillant la frontière qui sépare réalité et fiction. 

Après quelques jours passés à Londres, je commençais à désespérer de voir une bonne expo d’art contemporain. L’expo temporaire de la Tate Modern, Gabriel Orozco, était franchement faible et les différentes galeries ne m’avaient pas d’avantage convaincu, sans parler de l’ennui ressenti à Saatchi, genre ambiance friquée bien naze. Restait donc la Serpentine Gallery, petit pavillon au milieu de Hyde Park, où sévit depuis 2006 un certain Hans Ulrich Obrist. Et donc en ce moment, il y a une exposition de Philippe Parreno. Vous ne pourrez sûrement pas voir cette expo, du moins à la Serpentine Gallery, car elle se termine le 13 février. Et c’est bien dommage. Elle regroupe en fait différentes vidéos de l’artiste, réalisées entre 2003 et 2010, toutes aussi fascinantes. Boy from Mars, tournée en Asie, filme en différents plans fixes une structure architecturale au bord d’une étendue d’eau. Les seuls mouvements sont ceux du vent, de la lumière du soleil et d’autres points électriques mais surtout ceux de buffles actionnant une machine qui permet la production d’électricité nécessaire au film. 8 juin 1968 fait référence au transport de la dépouille de Bob Kennedy de New York à Washington DC, deux jours après son assassinat. Toujours en plans fixes, mais disposés sur un train, la vidéo donne à voir un parcours à travers la campagne peuplée de personnes immobiles dans leur recueillement. Invisible Boy, création la plus récente de Parreno, montre un enfant clandestin chinois dans un appartement que viennent peupler des monstres imaginaires, réalisés à l’aide de rayure sur la pellicule. Enfin dans une quatrième vidéo, ce sont des enfants en colère qui scandent « No More Reality ».


Plus que la qualité individuelle de ces vidéos, entre méditation et émerveillement, c’est le soin apporté par Philippe Parreno à construire l’exposition comme un tout qui ravit. On sort de la simple addition d’œuvres pour entrer dans une expérience plus proche de l’errance, de l’aventure ou du cheminement. Le visiteur est guidé de pièce en pièce, de vidéo en vidéo par le son. Au moment où une de celles-ci se termine, sa bande-son continue dans la pièce ou est remplacée par le son du parc environnant. Quand le silence finit par se faire dans la pièce, on entend un nouveau son qui naît dans une autre, passant du murmure pour finir par être de plus en plus fort. Tu te lèves donc à la recherche de cette suite. Cela fait bien sûr penser à la légende du joueur de flûte de Hamelin mais aussi aux charmeurs de serpents. C’est bien ici le charme de la musique qui est mis en œuvre, son aspect envoûtant et magique. Cette magie se retrouve partout dans ce parcours au sein de la Serpentine Gallery. Quand les stores se lèvent à la fin de la vidéo, il neige dans le parc et on ne sait plus si on préfère rester regarder tomber ces flocons factices ou continuer la ronde. Le parcours dure environ une demi-heure, mais s’enchaîne sans interruption, ce qui a pour effet de modifier le rapport du visiteur à l’exposition. Tout d’abord, il n’y a plus de fin ou de début déterminé. La temporalité est circulaire. Et il n’est pas possible de zapper entre les différentes vidéos. Une seule pièce étant « active » à la fois, on doit se fondre dans le rythme de l’exposition. Cette mise en rythme a un effet extrêmement positif sur la manière de visiter. En effet, elle met à mal le caractère individualiste de la visite d’exposition pour en faire une expérience collective, de partage esthétique. Pour en revenir au caractère magique du son dans cette exposition, là où Parreno fait fort, c’est lorsqu’il y mêle des sons enregistrés en direct dans le parc entourant la galerie. Ainsi, la frontière entre réalité et magie est remise en question. Il ne s’agit pas d’un pur émerveillement métaphysique ou abstrait mais d’un charme advenant au sein ou contre cette réalité. Ce brouillage entre fiction et réalité est bien la constante de cette exposition. Dans Invisible Boy, l’enfant chinois est filmé dans sa chambre sous une forme proche du réalisme social et des monstres viennent habiter cet espace. Le titre indique tant le propos politique de la vidéo – un enfant que la clandestinité force à l’invisibilité (Nobody Knows) – que la présence d’êtres invisibles, simples rayures sur pellicule. 8 juin 1968 fait référence à événement historique mais le rejoue pour en revivre l’émotion, la beauté de ces visages hors du temps regardant passer la dépouille. Le décor de Boy from Mars, comme son titre l’indique, mélange réalité naturelle – des bœufs, un lac, le soleil – et réalité créée – lumières d’ampoules et structure géométrique –, les deux étant reliés par le fait que seul le travail des bœufs permettent aux ampoules de briller et à la caméra de filmer. Enfin, si des enfants manifestent, c’est pour qu’il y ait « no more reality ». Mais ce brouillage entre réalité et fiction, entre magie et travail, entre poésie et critique mis en œuvre par Parreno signifie bien que ce qui est donné à voir n’est pas un simple refus de la réalité pour s’enfuir dans les limbes de l’abstraction pure. Ce qui est plutôt en jeu ici, c’est l’ébranlement de la réalité dans ce qu’elle a de plus froid, de plus concret, de plus institué. Ce qu’au fond Parreno combat à travers ces œuvres, c’est le principe de réalité, c’est-à-dire cette force castratrice et conservatrice qui vise à forcer l’homme à renoncer au plaisir et à la liberté pour se conformer à la réalité présente, en un mot un principe réactionnaire qui voile toute possibilité de changer le réel et donc l’histoire. Parreno, en instituant une narration circulaire mêlant fantaisie et documentaire, invite à ébranler le réel en l’enchantant et/ou en la critiquant. La réalité donnée n’est toujours qu’une contingence. A l’homme, la possibilité de la dépasser par l’imaginaire, par l’émerveillement, par la création, par la critique.

9 févr. 2011

TT TRIP : WU LYF à londres

Photo: Pierre Raboud

Cela fait plus d’un an que le nom de WU LYF est partout, au point que le mystère qui entoure ce groupe paraît de plus en plus factice. Alors posture artistique forte ou stratégie commerciale hype ? Pour le juger, rien de mieux qu’un TT Trip à Londres.

WU LYF est un de ces objets musicaux qu’on ne sait pas vraiment comment prendre, tant à des moments il paraît n’être qu’une émanation de blogs à la recherche de la nouvelle sensation. Pour un groupe qui n’a encore sorti aucun véritable disque officiel, ils ont déjà une communication au point et une posture ultra définie : très peu d’interviews, des vinyles seulement vendus via leur site ou à leurs concerts. WU LYF signifie World Unite Lucifer Youth Foundation (en gros l’union mondiale de la fondation de la jeunesse luciférienne). Un myspace hors service. Un site qui ne dirige que vers un (très beau) mystérieux clip. Finalement on arrive à en trouver un autre bouillonant où on nous propose de rejoindre la fondation, avec la promesse de recevoir non seulement un vinyle mais aussi un drapeau et une marque d’allégeance. Différents textes cotoient des collages dans un style et un ton assez post-situationiste autour des notions de « Play », de « Dirt », de « Heavy Pop », et de « Lucifer ». On nous présente carrément LYF comme une alternative à la vie. Un nouveau discours, en soi pas inintéressant, sur la subversion venu de jeunes gens dans des cafés ou des galeries, pourquoi pas ? Après tout, à une époque où la posture artistique se résume le plus souvent à l’énonciation « je crée dans mon coin, je n’ai rien à dire sur le monde mais je fais de belles mélodies », un peu de discours ne fait pas de mal. Pas qu’on croie vraiment qu’en rejoigant WU LYF on va changer le monde. Mais au moins poser qu’on veut le changer. Si cette pratique sera difficile à tenir, cela reste honorable pour un groupe de continuer à vendre ces vinyles sans distributeur institutionel, échappant ainsi aux « shackles of monetary driven interest ».


Voilà ça fait tout un paragraphe où il a été peu question de musique, mais bon WU LYF l’ont bien cherché. Pourtant ce qui faisait que j’étais tout excité à l’idée de les voir, c’est bien et avant tout les premières chansons qui avaient perçé. A couper le souffle, elles avaient marqué mon année 2010. L’article dithyrambique de Libération sur leur concert à l’excellent MIDI festival l’été passé n’avait fait qu’attiser ma curiosité à vif. Le concert londonien se déroulait dans les Corsica Studios, une petite gallerie. Partout sur les murs et les retours, il y a des affiches semblables aux décorum du site, avec paroles et enfants en furie. Ce soir, c’est bar et projection dans la première salle et concert dans la seconde petite salle. La première partie, Eternal Fags, jouent au pied de la scène. Ce duo punk ne brille pas par leur technique mais l’envie de donner le maximum et un brin d’insouciance font que finalement c’est parfait pour chauffer la salle qui est de plus en plus bondée. Sur scène, le joli clavier en bois et la croix marquée du sigle LYF sont soudain dévoilés et le groupe entre sur scène. WU LYF, c’est donc finalement un quatuor, moins gravure de monde qu’on le pensait et craignait. Y a un bassiste rondouillard torse nu dès la deuxième chanson, un guitariste chemise sur T-shirt et un un batteur à la cool. Bon, c’est clair que le chanteur au clavier fait le bouleau, dans le genre charismatique maigrichon à foulard. Ce qui me rassure d’emblée, c’est qu’en live, WU LYF laisse de côté tout le discours situ. Pas de mise en scène pompeuse avec des diables ni de psaume sur la jeunesse subversive. En plus, les mecs se prennent pas trop au sérieux. On sent plus de la timidité que de la pose et quand le guitariste se lance dans un solo, c’est gaiment que tout le monde se moque de lui. Au fil du concert, je me rends compte que WU LYF n’est finalement pas un groupe exceptionnel ou mystique comme aurait pu le faire croire le bouche à oreille frénétique et leur propre communication. C’est juste un bon groupe tribal pop à la candeur épique. Dans toutes les chansons, on sent cette simplicité et cette envie d’exprimer des émotions fortes. Je pense évidemment d’abord à la voix du chanteur. Sur certaines chansons, c’est clair qu’elle est un peu trop manièrée et agace. On ressent ce que je désignerai comme l’impact négatif d’Anthony and the Johnsons sur la musique actuelle. Pour faire bien comprendre qu’on est ému, on est pas obligé de mettre autant de trémolo dans sa voix. Mais sur les bonnes chansons de WU LYF, la voix est juste hallucinante, encore plus vibrante en live que sur album, sans rien perdre de sa beauté. Comme au bout du rasoir, sur un fil entre le sanglot et le cri, elle te colle au sol, remue ton intérieur et tu dis merci. Ce qui fait que ce groupe mérite d’être écouté et vu, c’est qu’il a produit des chansons vraiment incroyables, à la force sentimale époustouflante pour une formation aussi jeune. Heavy Pop et Split It Concrete Like The Colden Sun God sont deux chansons magnifiques, puissantes, envoutantes, jamais lassantes. Et pour ça, peu importe la hype, peu importe leur posture, peu importe leur âge, je suis prêt à rejoindre WU LYF.

8 févr. 2011

MUSIK TANK: LA FIN DES ANNéES 2000

Photo: Julien Gremaud

En dix jours, c'est une série d'événements successifs, certes attendus voire même annoncés, qui ont définitivement permis de tourner la page de la première décennie du XXIème Siècle. Musicalement donc, en tout cas.

Trois séparations. Enfin, de nouveaux horizons pour trois façonneurs du paysage musical des années 2000. Le retour du rock à guitares, (parfois) enregistré en analogique (The White Stripes); la fusion parfaite de ces mêmes guitares avec des machines électroniques qui commençaient à tirer la gueule à force de tourner en rond (LCD Soundsystem); et puis un rap enfin revenu à visage humain, avec un beau cockney en prime (The Streets).

"Everything is borrowed" titrait l'ouverture du quatrième album éponyme de The Streets. Mike Skinner, ce kid de Birmingham, trouvait là l'épitaphe des années 2000. Une décennie étrange, pas franchement qualitative à défaut d'avoir semble-t-il encore accéléré les turn-overs. Tout a été dit ou presque, l'avènement d'Arcade Fire notamment pour le grand public indie, mais surtout l'irruption du génie d'Animal Collective, en avance sur tout le monde sans aucun doute. D'un point de vue moins formel, trois autres groupes figuraient eux aussi dans les must-have de la décennie, trois groupes qui viennent de mettre la fèche à droite. The Streets donc pour débuter. Avril 2002, sortie d'ORIGINAL PIRATE MATERIAL, un classique immédiat, le son du futur, ou presque. Un coup fatal porté à la crédibilité chancelante du rap US. "Go classic, not best seller": la Grande Bretagne signait son retour là où on ne l'attendait plus, fière, incisive, surprenante (qui d'autre peut caser de la 2-Step ou du Broken-Jazz sur un album de rap et vendre?) et fonçant droit dans le mur en excès divers, ici splendidement secondé par The Libertines, autre groupe vital de 2002. Ensuite, Mike Skinner sortira le plus accessible A GRAND DON'T COME FOR FREE avec le putassier "Fit But You Know It", sorte d'hymne pour hooligans 2.0, puis deux albums un ton en-dessous, avant d'avertir l'assistance que The Streets ne dépassera pas le cap des 5 albums. COMPUTER AND BLUES est ainsi le chant du cygne d'un one man band brillant, intelligent et même amusant sur scène. Personnellement, j'ai depuis longtemps posés les disques de cet anglais aux côtés des premiers albums – énormes – de Nas. Mike Skinner a déjà entamé depuis une poignée de mois sa réorientation cinématographique, tout en n'excluant pas un retour possible.


LCD Soundsystem ensuite. Là aussi un presque one man band en la personne de James Murphy. Une issue qui était là aussi fortement prévisible pour le co-fondateur du label DFA. En l'espace de deux ans pour deux albums, le nounours new-yorkais a fait de LCD Soundsystem la chose la plus bandante à passer sur les dancefloors et ailleurs. Sommet du bon goût, le groupe avait aussi réussi à mettre tout le monde d'accord niveau produit fini: l'éponyme en 2005 et SOUND OF SILVER en 2007. Avec pour chaque album sa ballade stellaire, dans la lignée de Pink Floyd ("Never As Tired As When I Wake Up" et le flippant "New York, I Love You But You're Bringing Me Down "). Plus tranchant, le deuxième album tenait quelques morceaux de grande envergure, hymniques et jubilatoires, alors que l'album éponyme était plus uniforme, plus smooth mais cela dit tout autant indispensable. On oubliera par contre volontiers dans les annales l'épilogue de LCD, THIS IS HAPPENING, redite pas franchement extraordinaire et sentant le réchauffé. Après, on est cruel en enterrant cet album, car beaucoup signeraient sans broncher pour un tel album. Enfin, cette même semaine sorti aussi la dernière breaking news: The White Stripe, c'en était fini. Ah bon? Car ici aussi, ça sentait le roussi depuis une paie. Entre l'excellent ICKY THUMP en 2007 et 2011, seul un documentaire aussi splendide qu'attristant – Under Great White Northern Lights (2010) – avait permis de se rappeler que Jack White n'était pas seulement un membre prestigieux des Raconteurs et Dead Weather. Avec son amie d'alors Megan Martha White, John Anthony "White" Gillis s'était naturellement imposé comme le parrain d'une certaine idée du retour du rock. Si aujourd'hui son nom est partout, présent au chevet de vieilles gloires américaines ou encore dans les Simpsons, Jack White avait su la jouer discret alors qu'on assistait à une guerre anglophone, des meilleurs groupes du monde en veux-tu en voilà.


Aujourd'hui, je suis malade et les années 2000 sont finies, avec une année de retard sur le planning. Je ne peux écouter "Fell In Love With A Girl" ou "Thrills" plus fort que 60 décibels, et ça fait bizarre, comme une veillée de fin de règne, comme si l'on devait rapidement tourner la page comme on prend des coupes-grippe dans son lit. J'aurai eu la chance de voir deux fois sur scène tant The Streets que LCD Soundsystem, avec des souvenirs contrastés, entre joie et petite frustration tant le talent de Skinner et Murphy était quasi impossible de se retranscrire en live. Je n'ai cependant jamais eu la chance de voir The White Stripes sur des planches. Dommage, mais il fallait se lever tôt pour espérer voir le meilleur duo des années 2000 en concert (aucun passage en Helvétie à ma connaissance). Aujourd'hui, ou hier, les années 2000 ont pris fin. Aujourd'hui, on a du se contenter de 30 secondes en forme d'attrape nigauds pour célébrer le grand retour des Strokes, groupe si banal à côté des trois susnommés, ci ce n'est le premier album, IS THIS IT. Pas de quoi me redonner le sourire et encore moins m'enlever mon mal de tête. Passons… Vite fait, trois vidéos. Trouvez l'intrus.








6 févr. 2011

TANKINO: THE KING'S SPEECH

Illustration : Maxime
Attendu le 27 février prochain comme le messie lors de la cérémonie des Oscars avec pas moins de douze nominations, The King’s Speech n’est que le deuxième film du réalisateur (très) britannique Tom Hooper. Une proie facile pour la critique cinématographique qui n’a pas manqué de descendre le film en attaquant cette « machine taillée pour les Oscars » (Télérama) ou en comparant l’écriture du film à un épisode de La Petite Maison dans la Prairie (les Inrocks) … Si les Français ont commencé gentiment d’applaudir les super-productions américaines (Avatar, The Social Network), il semble que la haine et la jalousie pour leur cousin britannique ne s’arrêteront pas demain. Remettons les compteurs à zéro et remontons en 1939.


Le film narre l’histoire d’Albert duc d’York qui n’était pas destiné en premier lieu à devenir roi d’Angleterre. En effet, son frère Edouard VIII, l’aîné de la famille, ayant préféré se marier à une femme divorcée, n’est pas autorisé à devenir roi. Le costume royal revient donc à son petit frère, et cela, à la veille de la Seconde Guerre Mondiale. Mais le cadet voit la montée sur le trône comme un cadeau empoisonné : ce dernier souffre de bégaiement ce qui l’empêche d’assurer les différents discours  nécessaires à sa fonction. Après qu’il ait consulté nombre de médecins et subi des traitements plus que farfelus, la femme du futur roi lui conseille d’aller voir un spécialiste australien réputé dans le domaine. Celui-ci a en effet réussi à guérir des soldats revenus du front mutilés psychologiquement par la violence de la guerre qui avaient  perdu la voix . Lionel Logue a donc pour mission de faire retrouver la voix au roi, ce qui permettrait  de redonner confiance à un peuple qui en a fort besoin dans ses heures sombres de l’Histoire. Le film nous montre donc une histoire politique, royaliste et quelque peu dramatique, mais qui parle surtout d’une amitié qui se tisse au fil des mois et des séances d’élocutions entre Lionel Logue et le futur roi. Bien que le film comporte quelques erreurs historiques (que s’empressent de corriger les critiques), Tom Hooper nous montre le combat d’un homme contre lui-même, contre son handicap, contre sa peur. S’il est vrai que The King’s Speech enjolive de façon un peu lèche-cul la monarchie (Dumbeldore dans le rôle du papa du roi reste excellent), il faut prendre un peu de recul sur le discours politico-social du long-métrage pour y trouver son essence brute. Tout le film parle de l’importance des médias dans la politique, dans cette époque moderne où la communication détient un rôle majeur et primordial pour les présidents, les premiers ministres et les rois. Souvent revient en gros plan le fameux microphone par lequel le roi devra s’exprimer. Cet instrument qui est pour George VI l’oreille du Diable et le porte-parole d’une voix qui ne s’exprime que par bribes entrecoupées de soupirs et de craintes. La séquence d’ouverture où le prince doit parler au public londonien pour l’inauguration de la Wembley Exhibition Arena vise à nous montrer l’angoisse et la gêne non pas du mauvais parleur, mais celle du peuple. Et c’est par cette honte, que le roi au cours du film, va essayer de vaincre son handicap.


Certes le film comporte une narration linéaire et quelques fois trop scolaires. Maintes scènes sont plutôt faciles et filmées sans grande conviction. On dirait un peu un grand film pour la télévision. Et cela est facile à exécuter pour un réalisateur qui a longtemps été un salarié de la  BBC, la première chaîne britannique. Donc, en effet, douze oscars pour un grand film de télé, ça fait mal. L’épreuve est donc de mettre de côté cette distinction qui aveugle le regard critique du spectateur (et qui le pervertit) pour ne voir que le film, les scènes, les acteurs, la réalisation et la musique. Celle-ci justement est parfois utilisée à bon escient (l’ouverture, la déclaration de guerre), parfois en trop, voir le speech final du roi qui est gâché par la présence trop en avant de la musique. La qualité de prestation de l’acteur australien illumine l’ensemble et là, on respire, là, on sourit. On sourit et on rit. Car c’est ici que les Anglais sont les meilleurs,  dans leur humour – humor ! – avec lequel le scénariste ne peut s’empêcher de jouer entre quelques bonnes répliques (« Fuck, fuck, fuck, shit… tits ! ») et l’amusante opposition de style entre Lionel Logue et Albert que tout semble séparer. Et parmi quelques jolies scènes et plans intéressants (le roi qui se présente devant la chambre de ministres et qui regarde autour de lui ses ancêtres, en peinture, qui le contemplent), le film malheureusement manque  un moment de frôler le « climax » ou moment mythique : le futur roi regarde avec sa famille un reportage sur les anciens couronnements. La bande projetée en noir et blanc montre ensuite, un peu par hasard, un discours d’Hitler qui s’adresse à des milliers de soldats. Un champ / contre-champ s’établit petit à petit entre George VI et Hitler, où le premier voit devant lui un orateur doué et qui représente la grande menace qui pèse déjà sur l’Europe. La double interprétation du personnage que nous renvoie le film laisse le spectateur perplexe car divisé entre peur et éblouissement. La scène coupe très vite, peut-être de peur d’y montrer une lecture dangereuse pour les millions de spectateurs qui vont aller voir The King’s Speech dans les salles ? Là où le film aurait pu faire scandale, il se rabat sur lui-même pour éclipser rapidement le mécanisme qui avait pourtant été mis au point de façon assez surprenante : suivre pendant plus d’une heure et demie un homme qui ne sait pas parler et qui voit, soudainement, terrorisé durant quelques secondes, Hitler s’exprimer devant le peuple d’une façon impériale – quelle dualité ! Le jury des Oscars se laissera-t-il avoir ?

3 févr. 2011

TT TV: CHARLES NEGRE & Yusuke Nishimura

Photo: Charles Negre

Le 16 décembre dernier se tenait à la Galerie 22bis de Vevey le vernissage de l'exposition commune de deux jeunes photographes, Charles Negre et Yusuke Nishimura. L'occasion pour Think Tank de de se rendre au bord du lac, en pleine tempête, et de s'entretenir avec deux espoirs du 8ème art, entre vraies fausses images, paysages fabriqués ou fantasmés, simulacres paisibles et splendides.
 




Plus d'informations:
Le site de Charles Negre
Le site de Yusuke Nishimura
Le site de la Galerie 22bis

MUSIK TANK: J'ATTENDS FLEET FOXES

Illustration: pochette de l'album

Les champions du monde 2008 reviennent en mai de cette année. Trois ans pour préparer une nouvelle performance qui sera attendue au tournant. Trois ans ou presque: si 2008 et 2009 ont été quasiment dévolus à défendre la ceinture de titré, le batteur J.Tillman avait profité pour enregistrer en solo pas moins de trois albums. 

Précédé d'un EP  prometteur, MYKONOS, le groupe avait ensuite tout raflé donc sur son passage en 2008. Et ce n'était pas une mince affaire: si le LP FLEET FOXES n'était pas parfait de bout en bout, on avait l'impression que chaque morceau rivalisait de superbe et d'inoubliable. Vérifié sur scène – de préférence sur de belles planches comme ce fut le cas pour moi au Neue Welt de Berlin – leur talent ne sentait pas le surestimé. Tombé au bon moment au bon endroit – Seattle – Fleet Foxes tentera ainsi cette année 2011 de garder leur rang; le titre  "Helpnessness Blues" ne permet pas de tirer des hypothèses hâtives, si ce n'est que le groupe est toujours aussi proche de ses modèles, entre Simon & Garfunkel et Fleetwood Mac, entraîné brillament par un Robin Pecknold en verve.

Par ailleurs, si le quintette avait chipé une illustre toile à Pieter Bruegel – Proverbes néerlandais en VF – pour leur premier LP, HELPNESSNESS BLUES arborera lui aussi une bien belle robe, illustrée par Toby Liebowitz et peinte par Chris Alderson. Quatre mains pour une bien belle spirale, démontrant encore une fois le bon goût du groupe de Seattle. En attendant donc cet album, une tournée qui pourrait bien passer par la Suisse, écoutons sagement le titre éponyme.