MUSIQUE      CINEMA      ART + LIVRES      POST DIGITAL

31 oct. 2011

TANKINO: Tintin par Spielberg, Le Secret de la Licorne

Illustration : Pierre Girardin
Le film le plus attendu de l’année est sorti cette semaine en Suisse et les producteurs n’y sont pas allés par quatre chemins pour la promotion du film : parmi (ou en plus ?) des 135 millions de dollars de budget du film, 100 millions auraient été uniquement investis dans le marketing et la publicité du long-métrage d’animation. Sorti exceptionnellement en Europe deux mois avant les Etats-Unis, Spielberg nous met à l’épreuve… 


En Europe donc, les critiques sont souvent sévères pour tout ce qui touche au patrimoine du vieux continent : Le Monde a descendu le film (« C’est raté. »), tout comme Libération (« Il [Spielberg] atteindrait avec Tintin un paroxysme du tout-faux »), tandis que du côté des Inrocks ou du blog Critikat.com, on est plutôt en joie. La production du film tient à ce que le film ait de bons échos en Europe pour pouvoir prévenir l’Amérique du bon accueil reçu chez nous. Mais finalement, les critiques ont-elles vraiment leur mot à dire dans un film qui, de toute façon, va connaître un succès commercial certain ? Qui ne va pas emmener ces gamins voir Tintin au cinéma si, en plus, c’est en 3D ? Parfait pour les gosses ! Et puis la grande majorité des jeunes de 20-30 ans veulent à tout prix voir ce que Hollywood a fait de son héros d’enfance. Et comme si les producteurs ne s’y attendaient pas, Peter Jackson a officialisé la semaine passée qu’il réalisera bien une suite (Le Temple du Soleil). Spielberg a vraisemblablement bien joué la comédie quand il a fait croire à tout le monde qu’ils verraient comment le premier volet marcherait avant d’en faire une suite. Les chiffres de spectateurs sont à peine tombés que Jackson, en plein tournage de The Hobbit a déjà donné son feu vert.


Mélange d’histoire
Il semblait alors tout de même peu probable, avouons-le, que Spielberg nous ponde une merde. Oui, on craignait des libertés quant à la bande dessinée et à son histoire. Oui, on craignait que le capitaine Haddock soit trop sobre. Oui, on craignait que Spielberg américanise le tout. Sur ce dernier point, il y a matière à discuter (les coupures de journaux en anglais sont énervantes). Sur le reste, Steven a vu juste. La motion capture est une franche réussite et disons-le tout de suite avant que vous courriez au cinéma, la version 3D est (encore une fois) obsolète. Tintin reste donc en 2D, gonflé tout de même légèrement plus que sur les planches d’Hergé. Il est plus rond, moins poupon et peut-être un brin trop dicaprionesque. Si les Dupond-t ont des tronches qui font plus penser à Mario Bros qu’à ceux d’Hergé, Haddock, lui, est réussi de fond en comble : son phrasé, ses insultes légendaires (il faut bien entendu voir le film en vf) et ses maladresses sont bien là et il relance au moindre temps mort qui s’installe, comme dans la BD, le rythme du récit – la séquence où il narre l’histoire de son arrière-grand-père est d’ailleurs une des meilleures du film.

Le fan du reporter belge à mèche s’est senti trompé et un peu perdu de savoir que Tournesol ne figurerait pas dans le film. Si Spielberg a choisi de reprendre l’album du Secret de la Licorne, comment pouvait-il s’arrêter juste avant que la bande parte chercher le trésor dans les fonds marins ? Comment faire la Licorne sans l’expédition maritime, sans le requin sous-marin ou les équipements « pompés » les Dupont-d ? Spielberg et ses scénaristes ont réussi à ce niveau un joli coup et les reprises du Crabe incrustées dans le Secret sont d’une ingéniosité remarquable (la malle qui envoie littéralement Tintin dans un autre album) qui est mise à profit par l’outil qu’est l’animation. Cette technique permet de grandes libertés et Spielberg s’amuse. On le voit bien quand Haddock raconte son histoire, passant sans cesse du narrateur ivre à l’histoire mise en scène sur le navire. Faire revivre Hergé en caricaturiste au début du film, planter la Castafiore à la fin et l’épisode de la rencontre Haddock-Tintin sont de véritables cadeaux enchantés offerts par le film où l’on a l’impression de retrouver des amis que l’on aurait plus vus depuis longtemps. Quelques maladresses subsistent, comme le trop-plein d’actions à la fin (le combat de grues est clairement inutile) ou la séquence où nous assistons à un concert de la Castafiore : la liberté de Spielberg passe au-delà de l’imaginaire d’Hergé, sans vraiment le respecter, et c’est franchement médiocre. Si la première heure très « européenne » du film est réussie (il faut arriver à temps pour le générique !), la dernière demi-heure – plus américaine – sent un peu trop le gros blockbuster et déplaira aux Tintinophiles. Pour se rattraper, Spielberg fait de l’auto-référence (Jaws, Indiana Jones) et réussit tout de même un plan-séquence (bon ok c’est de l’animation) de plus de 6 minutes dans la course-poursuite dans la ville marocaine : époustouflant.


Jeu de miroirs
Tintin est un bon film d’action et s’en plaindre serait faire preuve de pédanterie. Il est facile de le descendre tant on l’a attendu, tant Hollywood a préparé le gros carburant et tant Tintin fut pour chacun de nous un héros propre à notre enfance. Le voir au cinéma, c’est le trahir d’une certaine façon et une adaptation sera toujours un risque, quel que soit le médium de base. Pour Tintin, passer de la BD à la motion capture n’est pas négligeable et apporte même une nouvelle vie  à l'oeuvre d'Hergé. La séquence dans le désert est sublime, du quasi jamais vu pour un film d’animation, tout à l’opposé du kitsch d’Avatar. Il est fort possible que Jackson réussisse un meilleur film que Spielberg, moins délicat, plus ironique et plus tranchant et on s’en réjouit. Comme pour ne pas trop se dévoiler, Spielberg utilise dans tout son film un artifice plaisant : le jeu des miroirs. Tout est réflexion (à deux sens) dans son film. Souvent les personnages sont vus indirectement, à travers une flaque ou un verre brillants. Car en fait, Spielberg n’a jamais voulu exhiber des acteurs dans ses films : du requin de Jaws au dinosaures de Jurassic Park (sans compter les extra-terrestres de E.T. et de Rencontre du troisième type ou tout prochainement un cheval dans War Horse), le réalisateur semble fuir l’acteur, le personnage, l’identité. Si avec Indiana Jones Spielberg avait alors trouvé un type de héros qui lui plaisait, Tintin était alors le héros parfait qu’il attendait. Hergé aurait-il aimé cette adaptation ? On ne le saura jamais. Mais là où il remerciera sans doute Spielberg, c'est de (peut-être) réussir à rendre Tintin aussi connu en Amérique qu'en Europe. Décembre nous le dira.

Les Aventures de Tintin - Le Secret de la Licorne de Steven Spielberg, USA, 2011
****


29 oct. 2011

L'art jeune: Zürich

Photo: Niklaus Spoerri "Who is Who?" (extrait)

Le Kunsthaus de Zurich présente durant deux mois ses acquisitions de 1970 à nos jours, catégorie "art jeune". L’exposition s'étend des débuts de la période contemporaine et est conçue comme une histoire en plusieurs chapitres. Au cabinet, des artistes actuels: Latifa Echakhch, Pauline Boudry/Renate Lorenz ou encore Haris Epaminonda. Au rez, des anciens jeunes: John Armleder, Fischli&Weiss entre autres. Think Tank se lance dans la bataille suite à cette exposition et vous livre des images de pièces présentées au très cool Perla Moda: Niklaus Spoerri et son très rigolo reportage sur les sosies, ou encore Christa Ziegler et ses photos aériennes de ville. Ce n'est pas encore le must, mais il faut bien commencer par quelque chose.

Zurich

25 oct. 2011

TT Trip Berlin: Perles de sueur

Photo: Lapiaz, "Cloud Cities" de Tomas Saraceno 

Derniers jours de chaleur à Berlin, un TT Trip où, entre une bière dans un parc et un russe blanc dans un bar, on a fait le plein d’H2O, sous forme liquide avec la sueur de Shabazz Palaces, et sous forme vaporeuse avec les villes de nuages (CLOUD CITIES) de Tomas Saraceno.

Bon, est-ce que cela sert encore à quelque chose de décrire comment c’est Berlin, tant presque tout le monde a fini par y aller et que donc la description du décor risque d’être fort peu exotique. Hé oui, on y boit de bons russes blancs et on peut assister à des karaokés au public de plusieurs milliers de personnes, à en faire pâlir de jalousie nos amis les groupes. Il n’empêche qu’on a toujours beaucoup d’amour pour Berlin et qu’elle nous en donne tout autant, parfois même de façon un peu trop directe, sous la forme d’un torse musclé à crâne rasé dans les toilettes du Berghain. Et y a pas à dire se rendre à un concert à Berlin l’été, ça se fait souvent dans de très bonnes conditions. Genre admirer le coucher de soleil sur le Tempelhof puis dévorer un hamburger. Même sans ça, c’est un plaisir de rentrer dans la Festsaal de Kreuzberg. Y a une petite cour, la salle est chaleureuse et confortable, avec de grands canapés pour se prélasser. A peine le temps de faire le tour du propriétaire, que Shabazz Palaces entre sur scène. Ils sont deux, un rappeur, tripotant son clavier et son mac tout en modifiant constamment le son de sa voix, et un percussionniste aux longues tresses, passant du Djembe à d’autres instruments à cordes, tout en assurant des backing vocals tout en susurration. Au début, la différence du son entre live et album, attendue du fait de la qualité de production du petit dernier, est difficile à avaler. La voix semble pâtir d’un trop plein d’effets, et les samples surpuissants des chansons comme "Free Press and Curl" ou "An echo from the hosts that profess infinitum" tombent à plat, tant ils sont étouffés. Mais passée cette première surprise, on se rend vite compte que cette différence est une chance, car ce concert de Shabazz Palaces nous permet d’apercevoir ce qui était passé au second plan à l’écoute de BLACK UP : la dimension soul lover du groupe. Elle se fait sentir partout : dans le flow, dans les chorégraphies naïves du duo, dans la sueur qui coule dans le V du col de chemise. Le concert nous enveloppe directement dans cette ambiance érotique et rigolarde. Ou c’est peut-être le vodka-mate qui fera dire à notre cœur que les musiciens ont autant l’air de faire l’amour à leur copine que de s’éclater avec leur meilleur pote. Les grands moments du concert resteront ainsi "Recollections of the wraith" et ses ouh ouh ouh et "A treatease dedicated to The Avian Airess from North East Nubis (1000 questions, 1 answer)". On secoue la tête, et même les plus allergiques au hip hop se trémoussent sur des basses qui parlent autant aux reins qu’à la tête. Y a plus qu’à s’embrasser.


Le jour de la fête nationale allemande (pour votre culture générale, sachez que c’est le 3 octobre, soit l’anniversaire de la Réunification de 1990), ça vous prend par surprise. Une surprise bien dissimulée, vu qu’il ne se passe rien ; la seule différence avec un dimanche, c’est que les magasins sont vraiment fermés. Heureusement qu’il restait l’Hamburger Bahnhof, où était exposé CLOUD CITIES de Tomas Saraceno. Né en 1973, il est à la fois artiste et architecte. Pour cette exposition à Berlin, il occupe l’ensemble de la halle centrale avec des structures en bulles, de la plus petite à la plus grande. L’ensemble est un mélange fusionnel de l’organique d’un côté avec de l’eau, des racines paraissant être nées au sein même de ces bulles ; et du technologique de l’autre avec ce plastique ultra fin (en fait de l’aérogel, matière spécialement conçue et brevetée par l’artiste) et des réseaux de câbles noirs. Cette fusion va jusqu’à brouiller les frontières de ces deux pôles : les câbles prennent l’air de toiles d'araignée, les bulles semblent être plus être faites en savon qu’en plastique, tandis que les racines ont l’air de décoration design et l’eau d’essence translucide. L’ensemble de l’œuvre touche à un des thèmes centraux de l’artiste : l’utopie réalisable, à travers l’art. Ce concept d’utopie, touchant à l’évocation d’une alternative de société, est riche de deux dimensions, poétique et critique, en ce qu’elle recherche à dépasser la réalité. Donnant dans ces structures à voir une vision alternative de l’espace, de l’habitation. Par ses œuvres, il remet en question notre façon d’habiter la ville, que ce soit dans l’inclusion de l’environnement, rendant organique la matière habitable, ou dans sa dimension individuelle, la paroi transparente, rendant le monde urbain véritablement partagé. Bien plus l’image du nuage repousse les limites que l’architecture impose de façon non-questionnée, comme l’ancrage au sol. Ces bulles se séparent du plancher pour donner l’impression de flotter dans l’air. Cette expérience, les visiteurs peuvent la faire au prix d’une légère attente, et ramper au milieu de grandes bulles. C’est toute l’immersion dans CLOUD CITIES qui est une entrée dans un espace fait de beautés lumineuses, de couleurs superposées et de structures changeantes sous chaque angle.


Pour finir, impossible de ne pas signaler un concert, avec moins de sueur mais encore plus d’intensité, celui de V au Studio 8. Armé seulement de sa guitare et de sa présence époustouflante, V pose sur une base de boîte à rythme des chansons tonitruantes de fragilité, où la voix découpe l’air de la pièce avant de faire tout imploser dans un cri aussi maîtrisé que sauvage. Bref checker son myspace et surtout si elle donne un concert du côté de chez vous

24 oct. 2011

TANKINO : Drive

Illustration: Pierre Giradin


Catégorisé "film de bagnoles" par Hollywood et ses producteurs, Drive est bien au-dessus de ce classement primaire. Il est même au-dessus de tout ce qui s'est fait en 2011 et depuis des années. Chef d'œuvre hypnotique, le dernier film du danois Nicolas Winding Refn allie violence et douceur dans un thriller intelligent, intense et prestigieux.

Refn en bref
Nous avions quitté Refn avec dans sa poche des long-métrages de haut vol, bien torchés, mais qui attendaient une œuvre majeure. Après la formidable trilogie Pusher qui lance déjà des pistes intéressantes et qui seront réadaptées plus tard (Pusher 2 a des phases très Drive), le réalisateur danois décide de passer au niveau supérieur et signe Bronson, filmant à la Kubrick une histoire de taulier qui sonne comme un hommage ouvert à Clockwork Orange. Puis Valhalla Rising, film du silence et de la contemplation, où la photographie nous empêche de voir un rayon de soleil durant tout le film. Passé de l'ombre à la lumière, c'était le parti pris obligé de Refn pour son nouveau film, Drive – un film de bagnole où l'on suit un jeune homme de Los Angeles, cascadeur à mi-temps pour des films hollywoodiens le jour et conducteur de braquage la nuit. Rien de très alléchant.


Drive est une simulation de la conduite nocturne et offre au spectateur cette douce sensation proche du demi-sommeil ou d'un rêve éveillé. Le conducteur, c'est Ryan Gosling. Il nous emmène dans les rues fantomatiques de LA durant cent minutes de classe ultime. Le scénario n'a pas son mot à dire dans cette histoire somme toute assez simple (et pourtant tirée d'un bouquin), et c'était donc le devoir de Refn de filmer quelque chose d'un peu plus persuasif que le récit de James Sallis. Cette chose, c'est la mise en scène. Refn sait filmer ; et surtout, il sait comment filmer des acteurs. Les dialogues sont le plus souvent montrés en contre-plongée, ne mettant pas seulement l'acteur en position dominante, mais instaurant ainsi une puissance des corps dans un paysage à chaque fois fermé et immobile. C'est Los Angeles filmé dans sa largeur, tentant de cette manière à exposer l'extension infinie de cette mégapole où l'ivresse du gain passe avant toute chose et qui, contrairement à New York ou Chicago, n'est pas une ville debout, en hauteur, mais une ville à plat, où le ciel n'appartient qu'à ceux qui s'y rendent victime d'insouciance. C'est d'ailleurs ce que dira Bernie Rose à la fin du film : "For the rest of your life you will be looking over your shoulder" – déjà culte, immense, aussi puissante qu'une réplique du Parain, cette phrase conclut la danse de tueries qui sévit à partir de la moitié de l'histoire. Prophétiques, moralistes et fuyant toutes formes d'espoir, ces mots sont comme un coup de poignard dans la vie du driver qui accepte ce deal afin de sauver la femme qui lui avait fait entrevoir l'amour.


Perfection
Plus que de nous raconter une histoire, Drive nous transporte. Embarqué dans une voiture, le spectateur est drogué par l'ambiance hypnotique et danse mentalement grâce au Night Call de Kavinsky. Il faut lâcher prise et se laisser guider par les gants de cuir de Ryan Gosling perdu dans une rue faussement sombre de LA. Un mot, tout de même, sur sa prestation. De Steve McQueen de Bullitt à l'homme sans nom de la trilogie du dollar, Ryan Gosling touche ici la perfection. C'est son meilleur rôle (déjà excellent dans Half Nelson), le plus mystérieux et difficile peut-être, tant le dialogue est évité et tant la gestuelle est travaillée. La scène dans le backstage des strip-teaseurs est hallucinante. Nous y voyons les deux faces du personnage, celle de l'assurance dominante, avec la balle sur le front de sa future victime, et celle de la peur, avec la conversation téléphonique qu'il a en même temps. Ce sont ici deux apparences de l'homme qui sont mis à contribution et qui s'opposent : la voix, hors du corps, est sûre d'elle. Mais la main, le visage et le bras tremblent et le corps tout entier transpire. La dualité du corps mise en scène est ici montrée comme rarement au cinéma. Du génie, on en retrouve plus tard : la scène du fusil à pompe n'est pas sans rappeler celle de Scarface de Brian de Palma dans les toilettes (Refn semble reprendre le mouvement de caméra de la séquence originale). Autre coup de force, ces inserts de flash-backs furtifs, où l'on ne sait plus à quel moment de la diégèse nous nous trouvons : la discussion finale et fatale entre Bernie Rose et le driver qui laisse place, après la parole, à l'action, sur le capot d'une voiture. Quelques plans de la discussion dans le restaurant chinois viennent se glisser entre ceux du règlement de compte sur le parking, ce qui ouvre l'interprétation : le driver connaissait-il la suite ? Refn veut-il nous montrer la naïveté de celui qui protège son prochain ? Est-ce la fatale déclinaison des choses, la destruction obligée et convenue à tout homme osant se hisser devant la Famille ?

La grandiloquence des Parrains est là, le Scorcese de Taxi Driver et de Mean Streets aussi. Tarantino surgit par moments et Thomas Mann n'est pas loin. C'est le cinéma américain dans toute sa splendeur, recréé par un Danois, qui dix ans auparavant faisait un ravage avec sa trilogie Pusher en Europe du Nord. Comparé aux autres sorties "poids lourd" de 2011, Drive, dans sa sérénité, trouve sa place entre les pièces mastodontes de Malick et Von Trier, se détache du classicisme de The King's Speech ou du trop parfait Almodovar, touche le point sensible de la rêverie que Aronofsky ne fait qu'érafler et passe haut la main l'examen d'entrée la fabrication des personnages secondaires chez les Coen. En piochant au bol dans les multiples séquences fascinantes de cet ovni, la scène de l'ascenseur accouple les deux extrêmes qui sont désormais la marque de fabrique de Refn, dispositif déjà testé dans Valhalla Rising : c'est la douceur sensuelle et l'ultra-violence rassemblée dans une seule scène, lorsque la lumière change la figure du driver après le baiser d'adieu à Irène.



Drive de Nicolas Winding Refn, USA, 2011
*****







19 oct. 2011

MUSIKUNTERSTADL: Dans la Tente & Peter Kernel

Photo: Julien Gremaud

Think Tank soutient la scène locale et helvétique et ressort le projet personnel de son chef de rubrique pour cette cause. Musikunderstadl: la musique sous l'étable, preuve que l'on peut être suisse, indépendant et surtout intéressant en musique. A l'honneur pour débuter, du bourbine et du tessinois, avec Dans la Tente et Peter Kernel. D'ores et déjà passionnants.

Vous souvenez–vous des années 80 en Suisse, la ARF de Zurich (Groupe d'Action Rote Fabrik), les révoltes dans les principales villes alémaniques durant quasiment une décennie, et même à Lausanne (Lôzane Bouge)? Vous souvenez–vous qu'à Genève, bien avant Artamis, il y avait un terreau alternatif impressionnant? Vous souvenez–vous d'une époque où la Suisse avait les crocs et s'exportait culturellement encore (Yello, Fischli&Weiss, Grauzone, Celtic Frost, John Armleder, Young Gods, Roman Signer ou encore Tinguely), avant de songer à importer (Art Basel, Montreux Jazz Festival et compagnie)? Non bien évidemment, seuls les magazines nous décrivent cette période où la culture n'était pas mise en boîte ou en sachet. C'est un paradoxe aujourd'hui: alors que Beyeler marche du tonnerre, que le Paléo Festival pète la baraque, que Pro Helvetia est plus présente que jamais et que les nombreux concours fédéraux ont un succès qui se renforce d'année en année, il devient de plus en plus difficile de s'extraire non seulement de la meute mais de s'exporter. On ne choquera personne en déclarant qu'il n'y a jamais eu autant d'artistes, terme hybrides comprenant les vrais et les autres,toute la masse de producteurs culturels. A l'avenir, nous essayerons de rapprocher nos divers préoccupations des activités helvétiques: notre pays est hyperactif culturellement, et pourtant son champ d'action ne franchit que rarement ses frontières. Musikunterstandl ne demande pas la pitié et ne marginalise pas les artistes suisses mais, au contraire, les met en valeur en leur donnant une rubrique bien méritée. Il est l'heure de se secouer messieurs et mesdames les grands trésoriers culturels et programmateurs de festivals. Il est temps de dépoussiérer vos programmations et inventaires: au lieu d'un Deep Purple, pourquoi pas un Honey for Petzi? Et, aussi, en passant: on se passera volontiers des Rambling Wheels. Voilà, parenthèse fermée. On attaque?


De Lucerne, Dans la Tente pourrait représenter "le futur avec leurs jolis clins d'œil au passé". Nous le prédisions en janvier 2011, lorsqu'était sortit un vinyle deux titres ainsi que son clip rappelant l'émission So it Goes de Granada TV. Bien que dans la lignée du EP de 2009 KNIGHTS, "As Long As The Heart Keeps Beating" présentait un groupe toujours aussi leste mais moins jovial. Beaucoup moins jovial. A commencer par les titres des morceaux. Et de l'album pour cette année 2011: DID WE LIKE IT SO FAR OR HAVE WE JUST PERSEVERED? en guise de référence à la situation décrite en introduction de cet article, allez savoir… On peut être bon, signer de splendides titres et vendre peu. Ou pas du tout. En fait, tout le contraire du marché actuel, suivant la donne établie des années 80, et, de fait, la fameuse fracture grand public et indépendant: vendre en faisant du rock, ce n'est plus troquer son âme au diable, non mais bien pire, c'est arriver à en perdre son éthique. Raccourci oblige: on choisit une voie parallèle: celle de la dèche contre intégrité artistique. Donc, reprenons, Dans la Tente fait partie de ces groupes qui ne vendent que très peu mais qui, heureusement, jouissent d'une certaine renommée et de bonnes critiques. Ainsi, cet album (signé chez Goldon Records) concrétise leurs premiers pas remarqués. Et amène le quatuor vers une envergure conséquente: comme une métaphore de la bonne santé de la musique suisse, c'est un au revoir à ces années 80 tant décisives sur tous les plans. "Plus profond, plus chalereux" était la devise du groupe avant d'enregistrer ce 9-titres. Plus personnel aussi. En ouverture, "Ritual" ne dément pas nos propos avec des prétentions de grands garçons, eux qui semblaient à l'étroit dans leur chambre d'ados, période KNIGHTS. Ainsi, de suite, "Nothing But Leaving", s'impose comme un véritable hymne ténébreux pour Dans la Tente, à la grandeur pastorale et aux arrangements subtils. Du rock d'adulte, dorénavant. Ambitieux sans être maniéré ni pédant. On pense parfois à Wilco pour cette quête des grands espaces, mais aussi aux Talking Heads pour la belle rythmique (le très réussi "Between Me and Tomorrow" ou à la grâce mélancolique des Smiths époque fin de règne ("Drunken Heart", magnifique). Et puis, en fin d'album, on oscille entre l'allégresse sobre ("Decayed") ou sereine ("Aquanaut"). Dans la Tente signe un album remarquable et foutrement produit. Puissent leurs prétentions passer l'épreuve de la scène (on n'a encore jamais été convaincu) et, effectivement, ils seront vus comme le groupe du futur en Suisse.


Le Tessin ensuite. Quoi? Sisi. Peter Kernel sonne sec et tutoie notre vertige. Parmi les groupes remarqués cet été, le trio n'est pas le plus maladroit. "Anthem of Hearts" en impose mais brouille les pistes: du "rock primaire" comme ils l'avouent, pour mieux contrer nos attentes, finissant en chœur étourdissant. Barbara Lehnhoff d'abord, en ouverture, puis Aris Bassetti sur "I'll Die Rich at Your Funeral" au chant, et ainsi de suite. La fille a du Slits et du Pixies dans les chordes, le gars du Spencer Krug (meneur de Wolf Parade notamment, qui a récemment invité Peter Kernel en tournée). Bon signe. Autre particularité: le groupe a signé WITH DEATH & BLACK HEART sur le label français – très ouvert à l'international – African Tapes (pour preuve: Extra Life, Honey for Petzi ou Aucan). Avec ce deuxième album, le trio a su trouver le bon compromis entre violence sourde et accessibilité, rappelant dans ce brio, forcément, les mythiques Sonic Youth. Après, on n'annonce pas que Peter Kernel va en vendre des tonnes, non. Toutefois, ces douze morceaux en mettent plein la vue, avec la tête. Ils auraient pu faire du Blood Red Shoes, ils se placent du côté du bal des vaincus et irréductibles d'un style trop souvent bafoué. "It's hard to be Tessiner..." relevait notre ami Christophe Schenck dans sa chronique sur Peter Kernel. Outsiders d'un pays lui–même outsider sur la scène musicale: et si la force vive se trouvait, avec les luzernois de Dans la Tente, dans ce trio a priori éloigné de tout réseau suisse–allemand du showbiz? Le mois prochain, nous aborderons la sortie d'album simultanée de deux groupes en "The" de la région orientale du Léman: The Mondrians et The Awkwards. 


Dans la Tente joue prochainement à l'Amalgame d'Yverdon (mardi 25 octobre).
Peter Kernel sera au Romandie de Lausanne le 26 novembre.



16 oct. 2011

L'art en plein air: Bex et Môtiers

Photo: Julien Gremaud

Successivement cet été se sont déroulées maintes expositions d'art contemporain en format open–air, au centre–ville des fois, en campagne souvent, mais aussi dans des splendides villages bucoliques qu'on pensait hors de tout circuit. L'art investi les champs, et semble-t-il ce n'est pas nouveau. Fumiste et Julien Gremaud ont sali leur chaussures entre le Chablais et le Jura. Avant la chronique, voici les photographies. Bex / Môtiers, même direction?

Bex

bex-arts_TT


Môtiers
Motiers-TT

14 oct. 2011

Sensuelle séduction

Photo: Lea Kloos




Le lecteur de Think Tank a pu se faire une idée biaisée d’un goût musical qui ne serait que recherche dans des contrées lointaines (A mort la world music) ou obscures (Musique Hantée). Mais notre vie n’est pas faite que de dubstep et d’instruments amplifiés à la really ghetto. Au contraire, on n’est pas les derniers à écouter du son bien bien love, prêt à accepter une bonne bouchée de kitch si le cœur y est. De l’italo disco à la chillwave en passant par de la house bien nineties, Sensuelle Séduction (en hommage à qui ?, toi-même tu sais !) fait le tour de tout ce qui donne envie de se prélasser, de se déhancher ou de faire l’amour. Pour ce premier épisode, c’est Neon Indian, Ford & Lopatin et L.A Vampires Goes Ital qui mènent la danse. Freaky disco !

Tu entres sur la piste, encore un peu timide et rouillé, guettant de part et d’autres un partenaire au hasard d’une mèche ou d’un déhanché. Mais l’ambiance n’est pas au supermarché de la drague, non, le tout reste enfumé et sombre. Alors en guise de préliminaires, les bizarroïdes L.A. Vampires Goes Ital conviennent parfaitement. Avec un nom de groupe qui transporte tout de suite la musique hantée du côté de la mousseline et une pochette qui en dit long dans la référence aux paillettes les plus fluos des années quatre-vingt, ça sent tout de suite la sueur. Tu peux sans autre sortir ton déhanché le plus langoureux et regarder l’être convoité droit dans les yeux. Derrière ces vampires californiens, tournant italo, on retrouve d’un côté Amanda Brown, membre de Pocahaunted, et tête du projet L.A. Vampires, qui a déjà collaboré avec Zola Jesus, et de l’autre Daniel Martin-McCormick, du groupe Ital et surtout chanteur des géniaux Mi Ami. On en a déjà parlé sur Think-Tank : ici, et on continue d’en recommander l’ensemble de la discographie, tout particulièrement le dernier album, au nom assez sensuelle séduction de DOLPHINS. L’influence de Martin-McCormick se fait tout de suite sentir sur les quatre titres de STREETWISE : de la dance qui n’en est pas. Ici, il est bien question de la révolution que connaît aujourd’hui le monde de la musique. Les frontières, autrefois strictes, entre mainstream et underground, sont en train de s’effacer dans des échanges transversaux incessants. Avec STREETWISE, on est en plein dans la perversion du mainstream, dans le pastiche. Rappelons qu’un pastiche désigne l’imitation d’un style, différent de la parodie ou de la caricature, dans le sens où il respecte ce qu’il imite, constituant une sorte d’hommage. Ce qui est pastiché ici, c’est l’eurodance des années 90. On en retrouve les rythmes directement dansants, l’ambiance hyper cul et la voix sous écho, mais passés à la moulinette de collages maniaques de loops, de samples, de flûtes et de boîtes à rythmes déglinguées. Le résultat en est une bombe qui part tantôt dans le tube explicitement sexuel à la George Michael pour, sans prévenir, glisser dans des longs passages de transe partant dans tous les sens. Pour mieux illustrer ces propos, il suffit de regarder le clip de "Streetwise" où s’affirme encore plus ce glam étrange ou d’écouter en boucle "The Chic Should Inherit the Earth". C’est bon, tu sues mais tu t’en fous et tu te rapproches définitivement de l’objet de ton désir, avec pour paillettes la poussière qui tombe des murs.


Maintenant que vous êtes proches, il s’agit d’atténuer un peu le côté bizarre et d’accentuer le mode love. C’est chose faite avec Ford & Lopatin. Même pas besoin de te mordre les lèvres ou de faire des regards par en dessous pour faire comprendre à ton/ta partenaire de quoi il en retourne avec ce genre de musique. Le nom du groupe a beau avoir l’air fantaisiste, il s’agit vraiment des patronymes des deux protagonistes du groupe, Joel Ford et Daniel Lopatin, qui répond en solo au doux nom de Oneohtrix Point Never. Les deux s’appelaient jusqu’à peu Games, sortaient des titres comme "Planet Party" mais ont été contraints à changer de nom. Avec CHANNEL PRESSURE, sorti sur le très bon label, Mexican Summer, ils balancent un album aux sonorités très eighties, années qui ont fini par symboliser la revendication du ridicule mais aussi l'amour explicite et pas forcément très romantique. Pour aider les deux musiciens, on retrouve en invités vocaux les chanteurs de deux formations aussi raffinées : Autre Ne Veut et Stepkids. Comme avec les L.A. Vampires Goes Ital, on est en pleine post-pop, où les éléments tubesques sont détournés pour donner une musique qui assume sa volonté de plaire et accepte d’être kitsch pour mieux faire passer un mélange d’influence kraut et des sons crades de synthé. C’est tout autant évidemment pop qu’indéniablement bizarre. C’est moins cul et plus romantique que L.A. Vampires Goes Ital. Les synthés scintillent, les basses dandinent et des chansons  gays au possible se frottent les unes aux autres. Au milieu d’instrumentales démentes, des grandes chansons pour faire l’amour à la piste de danse : "Emergency Room", "The Voices", et surtout "Joey Rogers" et "World of Regret" accompagné d’un clip où il est question de fraises, d'une libellule et d'un dauphin.


Vos regards se sont croisés, vos mains ont touché la chair sur puis sous des textiles et vous vous êtes échangés vos fluides et autres petits noms. Mais reste ce moment épique, qui fait encore entièrement partie d’une soirée d’amour, ce moment où tu te retrouves seul après, que tu repenses à tout ça et que tu te laisses couler dans ce bonheur qui t’emplit. Le nouvel album de Neon Indian est plein de ce sentiment, post-love, mi-mélancholique et mi-rêveur. ERA EXTRANA a été enregistré en Finlande et se distancie franchement de son prédécesseur PSYCHIC CHASMS. Ce premier EP est, avec du recul, ce qui s’est peut-être fait de mieux dans la vague chillwave, prenant les sonorités du genre pour les rendre moins plan-plan et plus jouissives. Dans son nouvel album, Neon Indian prouve une fois de plus son intelligence pop et évolue vers un son plus froid et parfois plus dur. On songe toujours aux années quatre-vingt mais dans leur face froide, un romantisme la larme à l’œil. Une mélodie un rien ténébreuse mais pas moins séduisante. ERA EXTRANA montre une fois de plus la capacité de Palamo à construire des albums complets et variés. On y trouve des tubes excitants au possible comme "Polish Girl" ou "Arcade Blues", des chansons blanches d’un romantisme éploré, à la My Bloody Valentine ou M83, avec "The Blindside Kiss" ou "Halogen (I Could Be A Shadow)". Neon Indian fait tout tout seul et il le fait bien. Chaque titre frissonne de sentiments magnifiques, grâce à une voix de mieux en mieux posée et des synthés qui rappellent les jeux vidéo, tant par leur apparent aspect de bricolage que par l’envie d’héroïsme qu’ils insufflent instantanément.


Pour finir et en bonus, un clip luisant de deux limaces qui font l'amour comme jamais:
 

PERSONA LA AVE = SOULMATES from smokeDONTsmoke on Vimeo.

10 oct. 2011

TANKINO: le mystère Hazanavicius, The Artist

Illustration : Lucie Sgalmuzzo
En avant-première dans trois villes lémaniques en ce début du mois d'octobre, l'équipe de The Artist assure sa promo pour défendre l'œuvre particulière qu'il présente : un film muet, noir et blanc, au format (presque) carré, tourné en 35mm et sublimant la grande époque du cinéma des années vingt. Jean Dujardin avait décroché la Palme de l'interprétation masculine à Cannes et le chien-vedette la Palme Dog. Que vaut le reste ?

Le mystère Hazanavicius
La première fois que j'ai entendu son nom, c'était dans le film Didier d'Alain Chabat. Hazanavicius était le nom d'emprunt du soi-disant joueur de foot lithuanien engagé par Jean-Pierre Bacri. Un nom pareil, ça ne s'oublie pas. Quelques années plus tard, je retrouve ce nom, "Michel Hazanavicius", au générique de OSS 117 : Le Caire, nid d'espions. J'ai longtemps cru à une plaisanterie ou à un nom d'emprunt. Après un bref détour sur la filmographie de l'auteur, je découvre que Michel a travaillé chez Canal+ et qu'il a collaboré à plusieurs sketchs des Nuls. Le mystère n'en était plus un, Hazanavicius était donc bel et bien un élève de l'école Farrugia. Pas étonnant quand on voit dans OSS les avalanches de blagues et répliques devenues très vite cultes. En 1993, Hazanavicius avait signé La Classe Américaine, film uniquement basé sur le montage de scènes de films de la Warner ; des collages réussis qui permettaient de voir s'afficher au générique une poignée de célébrités comme John Wayne, Orson Welles, Paul Newman et Dustin Hoffman. L'énorme succès du premier OSS l'amène à réaliser un second opus, le duo Dujardin-Hazanavicius étant devenu clairement une entreprise gagnante. Déjà dans ses premiers films, Hazanavicius semble à l'aise pour rejouer le passé et le moderniser : le montage rythmé des OSS, les filtres employés sur l'image et surtout l'usage réussi et amusé du split-screen dans le deuxième volet. Cet amour du passé allait devenir si fort que même Dujardin fut pris d'un doute étrange lorsque son pote arriva vers lui pour lui demander s'il voulait tourner avec lui un film noir-blanc et muet.

Les feux de la rampe
Mais Michel Hazanavicius a confiance en lui. Ou disons, il a confiance en son acteur fétiche. Si Jean Dujardin dit oui, alors la moitié du travail est fait. Dujardin est l'un des acteurs le plus aimé des Français et la paire qu'il forme avec Hazanavicius fait office de label qualité pour la comédie. Le problème est que The Artist n'est pas une comédie. Autre difficulté : The Artist ne sera pas non plus un film à répliques, comme l'étaient les deux OSS. Du coup, il fallait trouver le moyen de détourner ces obstacles. Hazanavicius a donc visé haut et a décidé de prendre comme modèle le plus grand réalisateur et acteur du septième art : Charlie Chaplin. C'est une évidence, au fil des minutes, l'âme de Chaplin est partout : lui aussi, comme George Valentin (l'acteur joué par Jean Dujardin) va avoir de la peine à s'acclimater à l'arrivée du cinéma sonore. Comme dans A Dog's Life (1918), un chien fidèle l'accompagne partout. Comme Chaplin, George Valentin va continuer à réaliser des films muets lors de l'avènement du parlant, ne croyant pas à cette nouvelle technologie qui détruit l'art de la pantomime. Au-delà de cette référence évidente, Hazanavicius ne va pas se gêner pour faire des clins d'œil aux grands classiques du cinéma : les petits-déjeuners du couple et métaphore de la vie qui passe sont repris de Citizen Kane et Marlène Dietrich est le modèle plastique de Bérénice Béjo tout au long de l'histoire. Toutes ces références sont donc bienvenues et obligatoires dans un film qui ose l'imagerie des années 20, allant jusqu'au dispositif de captation.

Aller de l'avant par le passé
Un casting hollywoodien au menu avec deux seuls comédiens français que sont Jean Dujardin et BB (Bérénice Béjo) est le choix important et crucial qu'a voulu le réalisateur : on retrouve le fantastique John Goodman en producteur riche et avide de succès, James Dromwell en chauffeur et larbin de stars ou le très charismatique Malcolm Mcdowell en apparition furtive au début du film. À la manière d'un Luc Besson avec Le Cinquième Elément, Hazanavicius  se lance dans la contribution franco-américaine pour un film qui n'aurait jamais vu le jour si une âme européenne ne l'avait imaginé et une équipe américaine réalisé. Si les premiers long-métrages de Hazanavicius faisaient plus partie de la nouvelle grande comédie française dont les films passent le mardi soir sur France2 avant une émission pseudo intellectuelle, The Artist vient alors confirmer l'ascendance d'un talent du vieux pays qui ose le grand film sans prétention.

The Artist est donc un mélo réussi, dans le sens académique du terme. Ce n'est pas une comédie, ni un film d'auteur – un simple mélodrame comme on en produisait des milliers dans les années 20 à Hollywood puis jusqu'au milieu du XXe siècle. Réaliser un muet c'était avant tout éviter des pièges : celui du pastiche, de la citation facile ou du cliché pédant ; et Hazanavicius s'en sort plutôt bien. L'ouverture du film est très réussie et joue sur la mise en abyme de la spécificité du film. Ensuite, le scénario est quand même un brin léger et c'est ce qui tend  à montrer bêtement au jeune public que sans son on ne peut rien réaliser d'audacieux, ce qui est entièrement faux. Le film est intéressant quand il joue sur l'absence de son synchro : lorsque nous voyons la réaction du public après la projection du nouveau George Valentin ou bien lorsque soudain, la musique s'arrête et qu'un dialogue muet et sans carton s'anime devant nos yeux – nous n'entendons rien mais nous comprenons tout. Se laisser bercer par la magnifique composition originale sonore du film est un des points forts majeurs du film et c'est là qu'on comprend que le cinéma au début du XXe siècle était un art bien différent de celui d'aujourd'hui. Rien que pour ça, bravo Michel !

The Artist, Michel Hazanavicius, USA-France, 2011
*****



9 oct. 2011

Musique hantée au Romandie

Illustration: vitfait
En plein Electrosanne, où la bière coule, les beats et les baffes claquent, les plus avisés savaient qu’il fallait se rendre en plein Romandie, pour profiter de la pénombre des concerts de Holy Other et Darkstar. Tombé de rideau.

Oui, c’est sûr, Electrosanne a bien marché cette année, il y avait beaucoup de monde et la programmation gratuite était de très bonne qualité. Mais au fond de mon esprit, reste un doute. Tout ceci ne serait-il pas devenu une beuverie qui ne dit pas son nom ? Une sorte de carnaval de la ville pour pseudo-branché, une foire à la bière en moins populaire, mais où la musique n'a finalement que très peu d’importance. Le public se résume souvent à une population de clubbeur-braguettes, plus occupés à serrer, picoler et embrouiller qu’à entendre du bon son. Alors on pourrait se dire que c’est une occasion parfaite pour profiter de passer tout genre de musique, même le plus expérimental. Non car chez les clubber-braguettes, où finesse rime avec fesses, existe la tyrannie du boom boom, le DJ se faisant conspuer si ça ne pète pas.


Bref, heureusement, qu’il y avait le Romandie pour partir se recueillir. En plus, le samedi soir, c’était session messe noire avec Holy Other et Darkstar. Le premier m’avait déjà totalement scotché lors du dernier Sonar. Cette fois, l’impression fut un peu moins forte, surtout à cause d’un son flasque, privant le set de puissance et de basses. Il n’empêche qu’après la soupe entendue dans les bars de la place de l’Europe, ce fut bon d’entendre un concert où la musique est toute d’intelligence et de finesse. Avec Holy Other, aucune faute de goût n'est commise, même quand il envoie les voix féminines façon nineties; celles-ci restent comme en retrait, toujours plus dans le soupir que dans l’orgasme simulé. Caché sous son voile, Holy Other représente haut la maison Tri Angle, avec ce son entre hyperdub et hip hop, où les silences descendent aussi profondément que les nuques et où chaque note, malgré sa simplicité, est habitée d’un monde. Et dans son répertoire, on trouve déjà deux grands titres avec "Yr Love" et "Touch".


A peine le temps de fumer une cigarette, qu’un second concert commence. Et avec Darkstar, j’avais très peur d’être déçu. Leur concert à Kilbi avait été juste magique, nous laissant presque tous sous le charme d’un chanteur au regard de glace sous champi. Mais tout cela n’était-il que le fruit de la beauté du moment, en cette fin de soirée campagnarde où les basses nous étreignaient ? De plus, à l’écoute des versions enregistrées du groupe, on était bien loin du souvenir de ce concert. Mais non ! Des petits seins ont beau avoir poussé sur le torse du chanteur, ce fut de nouveau d’enfer. C’est sûr qu’on ne pouvait pas demander au Romandie la même ambiance qu’une fin de nuit dans la campagne fribourgeoise. Il n’empêche qu’à nouveau ce fut incomparable avec tout ce que l'on peut entendre de Darkstar sur internet ou sur album. Le trio, presque immobile, balance un mur de basses transpercé seulement par la voix du chanteur, ou plutôt enjambé, tant cette dernière tutoie les poutres. Avec Darkstar, il y a un peu quelque chose de l’ordre de l’emo, le mauvais goût et les mèches bleues en moins. L’ensemble du set suit, avec une discipline presque religieuse, un style tout en noirceur, en tristesse mélancolique et en beauté glaciale. Le concert se finit. Cela fait quelques heures que, grâce au Romandie, on s’est cru vivre une soirée dans une cave de vieille maison longeant des rails. Au point qu’au moment de sortir dans la cohue d’Electrosanne, les oreilles nous brûlent.

3 oct. 2011

TT SPEACHES / septembre 2011

Illustration: vitfait
Le mois de septembre, c'est le début de l'automne, le retour aux affaires mais aussi la rentrée des labels avec de très nombreuses sorties. L'équipe de Think Tank se démène une fois de plus pour faire le tour des sorties du mois, le tout entre deux cours et une partie de chasse.






















Pierre: Je commence avec un album sorti en août mais que le manque de temps ne m'avait pas permis de chroniquer à ce moment là. Après tout tant mieux car il n'y a pas plus automnal que le WANDER/WONDER de Balam Acab. Signé sur le label dont je n'arrête pas de dire du bien et qui se prépare à sortir de nouveaux albums sous peu, Tri Angle, Balam Acab avait déjà fait la démonstration de toute sa finesse avec un premier EP, SEE BIRDS. Au milieu des grosses basses de oOoOO et des cris de How To Dress Well, il insufflait un souffle plus léger et lyrique, avec des perles comme "See Birds (Sun)" (Pour ceux qui veulent en savoir un peu plus, voir la premier article musique hantée: ici). Avec WANDER/WONDER, Balam Acab passe à l'étape supérieure avec huit titres toujours aussi raffinés. Beau comme la rencontre fortuite de l'hyperdub dans une boîte a musique. Les beats sont très lents et bercent comme la pluie fine contre les carreaux au milieu de la nuit. Comme quoi la witch house qui était apparu sous la forme de collages trasho et de croix renversée a fini par enfanter de rayon de lumière bleutée au fond d'une caverne. La fourre de cet album et son titre (errance et étonnement) donne bien le ton d'un album qui n'est qu'émerveillement paisible. Balam Acab échappe au tout électronique et, à l'aide de boucles fluides et de voix cristallines, parvient à rendre musicalement quelque chose comme le son de vies mystérieuses, entre fougères sous la rosée et bain nocture. Au milieu d'un album qui coule comme de l'eau de roche, le marcheur pressé s'arrêtera devant les très belles "Oh Why" et "Except".


Julien: Et le type derrière le projet, Alec Koone, n'a que 20 ans. Merveilleux! Cela dit, cette électronica est tellement délicate, cette dub-pop tellement placide qu'on avisera l'auditeur de se trouver un espace–temps approprié, sous peine de passer complétement à côté de la chose. A faire de même avec Sun Araw: l'expérience est totalement barge et se passe presque de commentaire, et pourtant, on aime parler. Qui est ce type,  Cameron Stallones, capable de fédérer, avec son album ANCIENT ROMAN musique africaine (et plus spécialement congolaise) et psychédélique US (l'incroyable ouverture "Lucretius", ou "Fit for Caesar") dub et jazz ("Crown Shell" ou "Lute and Lyre"), pures ballades lo–fi stupéfiantes ("Crete"), interludes de fin de monde de onze minutes ("At Delphi") à facilement remballer M83, et, encore mieux, le meilleur de l'électronique contemporaine, de Kraftwerk à Jon Tejada? Pour situer le propos, écoutons le final, "Impluvium", résumant notre champ musical dressé ci–dessus. Pour tout dire, ce one-man band aux cinq albums très peu connu ouvre actuellement pour Animal Collective, Julianna Barwick, Prince Rama ou encore les prometteurs High Wolf. Une nouvelle entrée dans ton dossier "Musique hantée" mon très cher Pierre? En tout cas moi, si je n'en fais pas mon disque du mois, je trouve avec "Impluvium" mon morceau mettant tout le monde d'accord. Et septembre pour commencer, déjà. ANCIENT ROMAN est sorti chez Not Not Fun Records, Los Angeles (Holy Strays, Peaking Lights, Pocahaunted, Prince Rama).



Pierre: Oui, Sun Araw, c'est vraiment très bien et son dernier album ne déroge pas à la règle. Je l'avais vu en concert au Smell de Los Angeles et c'était vraiment incroyable ce qu'il dégageait comme densité sonore à lui tout seul. Il faut absolument guetter sa prochaine tournée. D'ailleurs, un live enregistré du gars s'est fait pas loin d'ici, il s'agit des GENEVA HITS, enregistrés à l'Usine et sorti sur Mental Groove. En parlant d'homme seul oeuvrant dans l'ombre pour préserver la valeur de la musique, Zomby a sorti son nouvel album DEDICATION. Ce troisième disque, le producteur anglais semble l'envisager comme un manifeste en l'honneur de tout ce qu'il y a de bon dans la dubstep, à une époque où, à force de se retrouver partout, ce genre a fini par devenir ce qu'il exécrait, une soupe vaguement dansante, qu'on sert dans les moments musicaux des pires tubes, de Britney Spears à Lady Gaga. En ces jours obscures, DEDICATION résonne comme une ode aux enfants bénis du dubstep: grime et hyperdub. A aucun moment de l'album, le producteur ne se laisse aller à des sons faciles et réussit quelque chose de rare: un disque de musique électronique, faite dans une logique de club (et non pas dans une volonté de faire des chansons à la manière pop, genre en invitant notamment des chanteurs externes), agréable à écouter chez soi ou dans ses écouteurs. Les seize chansons sont toutes pleine de finesse tout en étant basées sur une matière sonore extremement brute, fait de cliquetis et d'ondes rêches. Et au milieu, jaillisent des merveilles comme "Natalia's Song". Et on a même le droit à un featuring avec Panda Bear: "Things Fall Apart". Tu kiffes aussi Julien?

Julien: Oui, et je te remercie d'ailleurs d'avoir souligné cet album que j'aurai complétement oublié. Oui, "Natalia's Song" est d'enfer, oui "Things Fall Apart" est une bonne surprise, mais je préfère ses titres plus élancés comme "Alothea" et "Florence" ou le minimal "Riding With Death". Je retiens aussi l'épilogue du LP, avec "Haunted" et surtout le grave "Basquiat". Oui, bien plus qu'un simple recueil de tracks.























Pierre: Au rayon grande pop, ce mois sont sortis trois albums qui tentent de faire bien là à tout le monde se complait dans la suffisance. Tout d'abord, Girls avait déjà conquis mon cœur avec un premier album imparable, aux chansons parfaites pour les fins de soirées épiques comme "Hellhole Ratrace". Un an plus tard, le chanteur a coupé ses cheveux, c'est moins joli mais il a toujours ce petit sourire craquant et j'ai toujours aussi envie de les voir en concert. Dans FATHER, SON, HOLY GHOST, on retrouve bien sûr le sens émotionnel et la voix d'un chanteur, qui font que chaque chanson sonne à fleur de peau. Le chanteur de Girls, c'est un peu un Kurt Cobain qui ne sortirait pas avec Courtney Love mais avec Kate Winslet. Il y a cette fragilité dans le chant, ces mélodies d'amour, toujours à la limite du mièvre, qui avaient déjà fait du premier album un coup de cœur instantané. Le problème avec FATHER, SON, HOLY GHOST, c'est que les gars de Girls sont devenus conscients de ce talent pop et ont perdu en innocence ce qu'ils ont gagné en grandiloquence. Ainsi sur le premier disque, seul un titre dépassait les quatre minutes, quand la plupart durait entre deux et trois. Ce caractère unique donnait à cette chanson toute sa grandeur. Sur le second album, il y a maintenant trois titres de plus six minutes, et cinq autres de plus de quatre. Girls, trop sûrs de leur talent pop, signent bien un bon album, avec de nombreuses belles chansons, mais partent trop souvent dans le pompeux allant jusqu'à intégrer des chœurs à la DARK SIDE OF THE MOON. Alors que là où ils excellent toujours le plus, c'est dans les singles ravageur de love ("Honey Bunny") et non dans les longues ballades tristes ("Vomit").


Julien: Indéniablement, ces mecs ont du talent et suffisamment de conviction pour sortir un album de rock indé – alors que le convoi a quitté la gare depuis 2004 – pour prouver leur bonne foi. Après, j'ai de la peine à comparer Girls avec leurs illustres aînés sans ressentir une certaine gêne: ce n'est tout de même pas pareil. Et la production ultra–lisse m'emmerde ("Vomit" au hasard). Cela dit, je te conseille fortement d'écouter The Hype. C'est très amusant tellement c'est nul. L'album s'appelle HAVE YOU HEARD THE HYPE et leurs titres "Do You Remember School?"ou encore "Mighty Quinn (Quinn The Eskimo)". Tout un programme. OK, Girls, c'est bien. Suite?
 

Pierre: Un second album qui joue dans la cour pop mais qui vise le ciel, c'est le disque éponyme des Stepkids (cover ci–dessous). Ces trois types sortent un premier album à l'ambition monstre. A vrai dire, je ne savais pas qu'on faisait encore des disques d'une telle qualité. On pense tout de suite aux grands albums concept des années 60. On retrouve une chanson d'intro et une d'outro. Et toutes les chansons sont orchestrées comme des pièces d'orfèvrerie, les backing vocals sont placées à la perfection. C'est plus tous les jours qu'une telle attention est apportée à la confection d'un objet pop, où résonne une soul ultra (peut-être trop) maitrisée avec des titres sexy comme "Brain Ninja" ou un "Legends in my own Mind", qui rappelle fortemment Jamie Lidell.






















Julien: à noter que ce disque est sorti sur le label incontournable Stones Throw, aussi réputé pour ses excellentes signatures hip hop (Madlib récemment) que pour ses artistes siphonnés (Anika, James Pants parmi les nouvelles choses). Avec Mayer Hawthorne, Aloe Blacc, Dudley Perkins et donc The Stepkids, Stones Throw propose une vision idéale de la soul music actuelle, aussi peu pédante que se reposant sur des acquis royaux. Vous détestez la production du second Amy Winehouse? THE STEPKIDS est pour vous! Que veut dire une production "parfaite" ici Pierre? Pour moi, un sens aérien de l'arrangement, des échos légers, des breaks lests et classe. Et les chœurs (sur "La La" par exemple) sont parfaits! The Stepkids est un trio de musiciens partageant la scène avec Lauryn Hill ou Alicia Keys mais ne s'apparentent pas à de simples musicos. Donner une leçon en un album inaugural. Et signer des titres absolument dingues, comme "Shadows On Behalf" – proche d'un "New Beat" de Toro y Moi et pourtant ici définitivement plus classe, mais aussi d'"American Boy" d'Estelle produit par Kanye West – ou le malin "Santos And Ken". J'irai même plus loin Pierre. Quand j'écoute "Legend In My Own Mind", je vois The Stepkids débarquer dans tous les salons sonorisés. Attention, c'est du lourd, de la catégorie pop qui sait se vendre et persister. Ce trio sera aussi énorme que l'a pu être récemment Gnarls Barkley. Ou Amy Winehouse tiens.


Pierre: Enfin, Lightspeed Champion sort un nouveau projet avec Blood Orange avec en couv' une mytérieuse chinoise. Ce pays, on le retrouve dans certaines mélodies pour un album hyper pop et il faut le dire assez cul. Dev Hynes sort sa plus belle voix d'androgyne et des chansons pour siroter un cocktail à ombrelle comme "Sutphin Boulevard". Je l'ai dit, ça suinte pas mal mais les sons orientaux, le côté trans genre rappelle bien le meilleur des années 1980 et annonce parfaitement la future nouvelle rubrique de Think Tank: Sensuelle Séduction. Tiens tiens, un point commun à tous ces groupes, c'est qu'ils seront au Midi Festival Hiver. J'y étais l'an dernier et je peux garantir qu'entre fruits de mer et palmiers, on y déguste que de la pop de qualité.


Julien: Tiens, amusant, je n'ai pas été renversé par ce LP. Et dire que j'avais vu ce même Dev Hynes sous la formation proto–punk Test Icicles ouvrant pour les Baby Shambles en 2005 à Bristol. Une autre époque véritablement, et heureusement pour Hynes, qui paraissait alors sacrément brouillon. Entre Lightspeed Champion (quel nom!) et Blood Orange, il s'est bien rattrapé. Tout en restant perpétuellement hype. Plus facile à dire qu'à faire. Je devrai toutefois me garder de parler trop hâtivement: après avoir douté de Twin Shadow, je suis totalement revenu sur mon point de vue. Même si je ne suis pas certain de la prétention artistique de ce mouvement "sensuel". Faudra me convaincre!


Pierre: En automne, il faut bien quelques jolies chansons pour partir se balader en forêt. Mais attention, c'est pas parce que les fleurs changent de couleurs qu'on va se mettre à écouter de la folk. J'en veux pour preuve Megafaun. Peut-être que les amateurs du genre trouveront cet album bien mais pour moi, dès les premières notes ces sérenades geignardes m'agacent. Les jolies chansons ne manquent pas, les tout est bien réalisé, mais ce n'est pas là le problème. Aucune expérimentation, toujours les même choeurs de mecs à barbe ampli de prétention. Bon je m'attarde pas et ne demande qu'à être contredit (Julien?). Passons à Memoryhouse. Ca partait déjà mieux, le groupe m'avait conquis avec des clips plein de bonheur champêtre comme celui de "Bonfire". De la dream pop de qualité. Le souci, c'est qu'il semblerait que le groupe ne soient pas en train d'étouffer sous les nouvelles compositions. Ainsi sur THE YEARS, Ep ne contenant que cinq chansons, on retrouve des titres déjà parus sous forme de singles. Et surtout, la beauté des ballades de Memoryhouse était celle d'un flocon de neige, tenant à la fragilité de la voix et à la simplicité de l'instrumentation. Avec la production surchargée de cet EP, il s'agirait plutôt d'une de ces boîtes à neige pour touristes.






















Julien: Au rayon électronique, la rentrée est forcément hyper riche, avec des remixes en tout genres, dont Mount Kimbie qui s'attaquent à Andreya Triana sur "A Town Called Obsolete", le rude Axel Boman s'en prenant lui aux très trendy Kenton Slash Demon sur "Deamon" ou encore How to Dress Well remixés par Solar Bear sur le splendide "Suicide Dream". Parmi les compilations, ou mixes parvenus à nous, le GET LOST 4 de Damian Lazarus, sorti sur Crosstown Rebels, est assez housy et propose des choses utra–essentielles à tout clubber: Art Department, Left, Nitin ou encore Acid Pauli. Autrement plus intéressant d'un point de vue artistique, bien que l'on ne tire pas sur les titres dansants, au contraire, on s'est pris le mix de Dixon (cover ci–dessus), 8ème volume de la série de Live at Robert Johnson en pleine poire, et cela faisait bien trop longtemps que l'on avait pas entendu un set aussi prenant. Le label de Francfort homonyme à l'ancien guitariste américain avait notamment invité Roman Flügel, Gerd Janson et Thomas Hamman, ou encore Chloé lors de ses précédents mixes. Le Berlinois Dixon, chef d'Innercity Visions choisit une setlist exigeante et cohérente pour ce dernier volume de ces Live at… Il faut attendre une bonne vingtaine de minutes et le bien connu Agoria ("For One Hour") pour que les basses s'activent. Avant, Hauschka ("Wonder") ou encore Barnt ("Collection") procèdent en une légitime entrée en matière, en toute quiétude, préparant au mieux les tracks plus dansants comme "Deamon" de Kenton Slash Demon dont nous parlions juste avant, "Dishes & Wishes de Roman Flügel, ou de la presque–IDM (Mark E ou Todd Terje). Il va sans dire que le tout est mixé avec beaucoup de bon goût et de retenue. Ici, pas de kicks ni de gros breaks. Cela reste délicat et c'est mon album du mois. Sisi. Pour info, il est possible d'écouter ce disque sur Soundcloud.


Pierre: Pour ma part, dans ma boîte, j'ai reçu du bon et du moins bon. On commence par ce dernier. Plaid sont chez Warp et en activité depuis plus de dix ans. Avec SCINTILLI, ils signent un album sans relief, où la musique à force d'être intelligente à oublier d'être inventive et captivante. Tout le contraire des incroyables Fuck Buttons. Cette fois, un des membres s'émancipe du duo et sort un album sous le nom de Blanck Mass. Sur ce mode, il laisse tomber le côté grand-huit du groupe, avec ces montées endiablées et ces descentes plus folles encore, pour prendre du recul et laisser planer les courbes du paysage. Les dix titres ne sont certes pas faciles d'écoute, mais la kosmische musik est à ce prix là. Il faut savoir arrêter son esprit pour se laisser prendre par ces nappes sonores sans fin et ces bruissements tantriques. A quand un concert, pour se faire happer par "Chernobyl" ou les treize minute trente de "What You know"?


Julien: Si "Unbank" ou "Missing" sont passables, je garderai tout de même les tracks plus rentre–dedans comme "Thank" ou "Talk To Us" (proche d'un Tim Exile) sur cet album de Plaid. Plus fâcheux: on croirait entendre Röyksopp par moment, et ça, c'est mal. J'ai maintenant quelque chose de beaucoup plus évident: le brésilien Gui Boratto présente son nouvel album, III. A bientôt 40 ans, le natif de São Paulo n'a bientôt plus rien à voir avec son pays d'origine. Signé chez le label de Cologne Kompakt (nous en parlons chaque mois), Boratto tourne énormément en Europe, avec le succès que l'on sait, joliment relayé par de vrais albums d'auteur (le dernier paru en 2009, TAKE MY BREATH AWAY, vaut bien le détour). "Galuchat" lance mollement l'album. Le bien nommé "Stems From Hell" replace le propos: minimal et foutrement efficace, sans pour autant taper comme du Marcel Dettman. Un long break, entouré de deux abîmes de claviers/marteau piqueur. Et si Boratto avait – enfin diraient certains – musclé ses ardeurs? "Striker" garde cette même ligne, avec plus de nuances. On lève les bras au ciel devant la performance. "The Drill"est nettement plus aventureux tout en gardant une structure classique, alors que l'interlude "Trap" ou "Soledad" placent le DJ dans les traces de Boards of Canada, ce qui n'est pas rien. "Destination Education" (quel drôle de titre) et "Talking Truss" reviennent sur une techno plus affirmée, sans pour autant être du même niveau que les premiers titres de III. "This Is Not The End", en duo avec Luciana Villanova la joue ultra-pop pour terminer. III ne sera pas une pièce maîtresse de notre discothèque électro, même si deux-trois tracks s'en détachent, ce qui conviendra à la majorité des auditeurs/DJs.

























Julien: last but not least: encore chez le mastodonte Kompkat, voici d'ores et déjà une des meilleures sorties électroniques de l'année 2011. Composé de Alessio Natalizia et Sam Willis, Walls s'est laissé 12 mois à peine après le premier LP du même nom. Toujours proche d'une certaine idée de l'électronica défendue par James Holden ou Caribou, Walls se rapproche cette fois–ci de Detroit avec des titres hautement clubbant. Je vois déjà ce duo sur de grandes scènes le printemps prochain quand j'entends des morceaux comme "Heat Haze" ou "Sunporch", proches ici respectivement de Pantha du Prince et d'Animal Collective. Mieux même: ils ont les capacités de faire de l'ombre au duo ultra–encensé Moderat, ce qui ne serait pas mal, avec des puissantes frappes ("Il Tedesco") et des titres majestueux ("Ecstatic Truth" ou "Drunken Galleon"). CORACLE débute comme il se termine: en finesse, fidèle à ce style musical trop souvent massacré par les opportunistes. Pour terminer ce TT Speaches, parlons encore brièvement d'Alias, membre du label Anticon. Darren Alias vient de Toronto et a récemment publié FEVER DREAM, qui n'est pas un énième LP de dream pop. Oh non. Parmi les choses remarquables, prenons pour exemple ce "Wanna Let it Go", sa batterie synthétique, sa richesse dans les arrangements, ses samples vocaux déments: ce titre proto–dubstep lance le second album du Canadien et, forcément, ça s'annonce bien. Suivent des choses plus martelées et proches du hip hop comme "Dahorses" ou "Boom Boom Boom", de puissants hommages à Aphex Twin ("Sugarpeeeee", "Feverdreamin") ou de la house déconstruite ("Revl Is Divad"). Il y a même une relique foutraque de R&B sur "Talk in Technicolor" et c'est plutôt pas mal.


Julien: Ah, on avait presque oublié de le souligner: la rentrée est belle, mais le rock ne fait pas vraiment partie de la fête. Faut–il encore s'en émouvoir? THE LOUDEST ENGINE des Howling Bells est une véritable déception après un excellent premier album, et dEUS fait du… dEUS, trop scotché dans son répertoire pour encore étonner. Brett Anderson ne sait plus que faire de lui–même après sa gloire avec Suede (BLACK RAINBOWS). Sinon Patti Smith a laissé sortir OUTSIDE SOCIETY, sorte de best–of pas forcément intéressant si on connaît la dame. Mais là, on parle d'une autre époque. Du label belge Crammed Discs (Megafaun aussi à l'actualité des sorties), Skeletons  est logiquement le meilleur album du mois dans cette catégorie. Encore qu'on peut se demander s'il s'agit de rock. PEOPLE sacre le groupe de Brooklyn dans un math–rock aventureux et agile. Ce LP sera repris le mois prochain, c'est certain. Par ailleurs, les Lucernois de Dans la Tente s'apprêtent à sortir un nouvel album DID WE LIKE IT SO FAR OR HAVE WE JUST PERSEVERED? sous peu, qui est vraiment bon. Nous en parlerons dans le cadre d'une nouvelle chronique (Musikunderstandl) totalement dévolue à la musique helvétique, en collaboration avec le club l'Amalgame d'Yverdon.


Disque du mois
Julien: Dixon, LIVE AT ROBERT JOHNSON, Vol. 8
Pierre: Neon Indian, ERA EXTRANA

Singles du mois
Julien: The Stepkids, "Shadows On Behalf"
            Alias, "Wanna Let it Go"
Pierre: Holy Other, "Touch" (Blood Diamonds Remix)
           Michael Myerz, "Space Ape"


 A venir le mois prochain::

ADR, Solitary Pursuits
Andy Stott, We Stay Together
Apparat, The Devil's Walk
Bonnie 'Prince' Billy, Wolfroy Goes to Town
Boom Bip, Zig Zaj
Cymbals Eat Guitars, Lenses Alien
Dan Deacon, Spiderman of the Rings
Dan Mangan, Oh Fortune
Das Racist, Relax
Dear Reader, Idealistic Animals
Dum Dum Girls, Only In Dreams (Sub Pop)
Feist, Metals
I Am Oak, Waves II - VII (tape)
James Blake, Enough Thunder
Loney Dear, Hall Music
Matthew Herbert, One Pig
MGMT, Late Night Tales
Prince Rama: Trust Now
S.C.U.M., Again Into Eyes
Shifty, Sneaky Bastards
Sleep ∞ Over, Forever
Slow Club, Paradise
Spank Rock, Everything Is Boring and Everyone Is a F---ing Liar
Tropics, Parodia Flare
Twin Sister, In Heaven
We Were Promised Jetpacks, In The Pit Of The Stomach
Welder, Florescence
Wilco, The Whole Love
Winter Family, Red Sugar
Zola Jesus, Conatus
Zun Zun Egui, Katang
Youth Lagoon, The Year of Hibernation

La vidéo du mois: Ganglians, "Bradley"