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29 mai 2011

MUSIK TANK: les Black Lips en Arabie

Photo: Julien Gremaud

Deux petites années déjà après le très moyen 200 MILLION THOUSAND, les Lèvres Noires sont de retour aux manettes avec ce nouvel album produit par leur propre soin mais aussi par un as de la prod mainstream gros cylindré, Mark Ronson (Amy Winehouse, Lily Allen, Duran Duran). Alors qu’on les avait connus adeptes du son ultra-pourri, cet album serait-il celui du grand virage à destination des boîtes branchées de cet été ?

Le troisième album chez Vice Records (mais le sixième en tout) est dans la lignée de ces précédents : chansons courtes dont le fond et la forme ressemblent à tout ce qu’on trouve dans les coffrets Nuggets (compilations de pépites garage pop des sixties) et plus particulièrement le coffret « ricains et restes du monde ». Le départ en fanfare avec « Family Tree » ouvre l’album de la meilleure des façons avec son couplet pieds-aux-planchers et ses drôles de trompettes arabiques. La bonne chanson évidente quoi. Après le single « Modern Art » et le très appréciable « Spidey’s Curse », l’album s’essouffle assez vite. Il y a ce « Mad Dog » qui fait vite penser à « 7 and 7 is » de Love en moins génial bien sûr et « Go Out and Get It » avec ses airs de « Birthday » des Beatles qui laissent présager un manque cruel de profondeur chez les Lips. Non pas qu’il fasse critiquer le groupe pour son irrémédiable envie à vouloir rejouer leurs classiques garage pop préférés, mais plutôt le manque de mélodies accrocheuses. Ce qu’on retrouve heureusement avec un bon morceau comme « Time » par exemple, l’unique morceau signé Ian St. Pé (celui avec le dents en fer).


Dans l’ensemble, le disque n’est pas mauvais, mais un peu trop long. Si LET IT BLOOM, le meilleur et troisième disque du groupe, comptait le même nombre de titres, le courant passait mieux, dû peut-être à une plus folle activité créatrice, à des sons de guitares juste primaires mais efficaces et à un ensemble plus cohérent dans son bordel intrinsèque. Le « Don’t Mess Up My Baby », avant-dernier titre du disque, aide à ne pas enfoncer la galette trop aux oubliettes. Ce morceau génial qui cache peut-être un certain intérêt aux meilleurs morceaux de Fatboy Slim : on dirait un « Praise You » joué à la guitare en mieux. Titre euphorique, sans fioritures, rigolo, authentique, efficace et bien torché : c’est comme ça qu’on les aime les chansons des Black Lips et c’est ce dont GOOD BAD NOT EVIL regorgeait tant et qui marque l’écart entre les deux derniers albums des Black Lips et ceux des années 2005 et 2007.


Mais ce qu’on leur doit bien à ces fous débiles, c’est qu’ils restent confortablement assis dans leur trip se foutant complètement du monde qui les entoure. Cette bande d’anarcho-nihilistes du punk ravagent depuis bientôt dix ans les scènes américaines et du monde entier à la recherche de rien de plus que de jouer aux fans de garage et de skateboard. Ils sont partis d’un punk influencé Pennywise avec deux albums assez pénibles, pour ensuite sortir l’un des meilleurs morceaux rock des années 2000 (« Boomerang ») et d'inclure dans leur disque une chanson de Dutronc que tout le monde avait oubliée. LET IT BLOOM a permis de les réévaluer et de les écouter sur disque et pas seulement sur scène. Au Romandie de Lausanne il y a deux ans, le groupe avait un peu déçu faute à ce grand calme incompréhensible qui régnait dans la salle. Bon, c’était un dimanche, et en terre helvétique. Mercredi 1er juin, le groupe se déploie au Rocking Chair de Vevey et nous permet d’entamer l’été plus que parfaitement. Comme « Family Tree ».

26 mai 2011

TT TRIP: KILBI 2011, LES BONNES COMBINES

Illustration: Kilbi Bad Bonn


Mon cher Pierre, va, amuse–toi, ramène–nous des belles images et un beau récit de cette nouvelle Kilbi. En attendant, je vous propose les bonnes combines d'un affilié de Think Tank resté à quai de ce festival hors–champ.

Alors oui, c'est intéressant, ce soir c'est la grosse grosse sauce avec les deux pointures internationales du festival. Avec de l'intérêt plus que de l'apparat: Queens of the Stone Age profitent de cette tournée 2011 pour fêter la réédition de leur premier LP éponyme (Roadrunner, 2002). L'expérience devrait être belle et assez cadencée, avec des titres comme "If Only" d'une coolitude absolue, bien loin de la masse sourde de la période Kyuss. Lu ici et là, la recette QOTSA aurait mal vieilli, ce qui n'est pas archi–faux, mais on attend impatiemment un retour sur ce concert. Donc, deuxième grand nom, forcément, Animal Collective, en pleine actu, un album à sortir bientôt et le curatoring du festival aux abords de Bristol –Minehead pour être précis– le All Tomorrows Parties. Il y a d'autres intérêts malgré tout pour ce soir d'ouverture. Parmi ceux–ci, Matthew Dear en version groupe, ayant rôdé sa tournée en premières parties d'Interpol. Par ailleurs, il se voit honoré d'une fausse publicité kilbienne, d'une rare efficacité. Le contenu entier de ces fausses pubs, côtoyant de vraies est visible ici. Ca s'appelle Inserate et ce fut repris comme contenu du programme du festival, sous forme de petit booklet papier glacé comme seuls savent le faire les vraies (fausses) kermesses. Le concert de Swans, casé entre Disappears (aperçu récemment au RKC de Vevey notamment) et QOTSA sur la grande scène fait aussi partie des obligations morales. Cela dit, je proposerai aux curieux de s'intéresser au cas de la Club Stage, proposant une line–up presque exclusivement suisse. Ici aussi pourrions–nous parler de devoir moral tant les autres grands festivals passent en sourdine ceux qui se bougent dans ce petit pays. Trois groupes à recommander de fait pour ce jeudi: Must Have Been Tokyo, très prometteurs sur démos et EP, un peu moins en live – d'expérience, vus seulement en 2008. On espère secrètement que le groupe post–punk ait pris de l'ampleur. Juste avant, Labrador City, mais surtout après, Bit–Tuner que l'écurie Think Tank avait vu au Dachstock de Bâle, un petit grenier en bois, 40 personnes, et de l'énorme dubstep. Attention à observer une pause avant Animal Collective tant le son est massif et pourrait faire passer les New–Yorkais pour de quelconques saltimbanques. 


Le lendemain, toujours de l'éclectisme et pas mal de choix cornéliens à faire, malheureusement. Qui peut se targuer de voir tous les concerts à la Kilbi? Merci de ne pas répondre, c'est impossible. De fait, je me verrai bien passer la soirée à la Kantine, comme une bonne soirée que le Bad Bonn sait proposer tout au long de l'année. En un souffle, Lucky Dragons (aperçus à Milan récemment), Crystal Fighters, Gonjasufi (que Daniel Fontana, programmateur, recommande fortement, comme pour faire oublier la désillusion vécu lors de son premier passage à Düdingen). Darkstar aussi pour les fans d'électro, notamment composé de Kode9 termine la soirée à la Kantine. Julianna Barwick est aussi à recommander avec sa folk jouée de sang–froid, découverte et magnifique, au Club Stage, la salle mère du lieu. Juste après succéderont les bien connus Rizzoknor, aussi à l'aise dans des salles rock qu'au Bar 25 à Berlin, avec une électro minimale jouée en direct, pour le plaisir des yeux. Pierre, verras–tu dans cette abondance de bien Caribou? A mon avis, un des concerts à rater, étant donné la fréquence de leurs passages en Suisse. Sur la grande scène aussi, The Tallest Man on Earth et Akron/Family, incroyable non? Honnêtement, je regrette de ne pas pouvoir venir à cette nouvelle édition de la Kilbi, d'autant plus quand on s'attaque à la dernière journée: The Walkmen, Apparat en groupe, Battles, The Ex, Anika ou encore Suuns. Je conseillerai pour ma part de se balader au club, avec Shakleton et son électro perforante, à la violence sourde. FABRIC 55 est sorti récemment et c'est hyper brillant. Notre cher ami Buvette de même, qui lui succédera, avec son électro–pop prenant de plus en plus d'envergure à mesure qu'il élève la voix et les syncopées. Vus récemment à Milan, dans le cadre du festival Elita, Battles sera à voir pour mieux juger du nouvel album à venir tout bientôt. Je n'avais pas été archi–convaincu, puisses–tu trouver les mots mon cher Pierre pour me faire changer d'avis. Sinon? Je retourne à mon travail. Soyez à la hauteur de cette Kilbi. En attendant, petit feedback avec l'interview réalisée de Duex, nous décrivant la programmation dans ses moindres détails.



21 mai 2011

KINO KLUB: Chad VanGaalen – Peace On The Rise (USA)



De Calgary, Alberta, Chad Vangaalen est un des fers de lance actuels du label Sub Pop. Pour son quatrième album, DIAPER PAPER, le Canadien s'est créé un petit studio personnel splendidement appelé Yoko Eno après avoir produit le premier disque de Women. Pour inaugurer son nouveau LP, VanGaalen ne change pas ses bonnes habitudes de DIY en réalisant lui même intégralement le clip pour "Peace On The Rise". Ce proto–Avatar barré est quand même hyper bien foutu, dans le plus pur style US. Avec une question à la fin: "Did you find the egg salad sandwich?". Si oui, il faut vite répondre à la question ici. Chronique de cet excellent album à venir!

19 mai 2011

TANKINO : The Tree of Life, Terrence Malick

Photo: Olivier Bemer / Julien Gremaud. Objet: vitfait

Annoncé il y a une année comme le messie à Cannes, The Tree of Life fut retiré la veille du festival par ses producteurs, Terrence Malick n’étant pas satisfait de son montage. La déception fut grande, et la boîte de distribution annonça alors une sortie pour fin 2010.  L’échéance ne suffisait pas, et c’est encore à Cannes, une année plus tard que prévu, que le film fut projeté pour sa grande première. La croisette a sifflé et applaudi l’ovni: chef d’œuvre ou pet dans l’eau?

Cinq films en quarante ans. Cinq œuvres importantes. Après ses deux films des années 70, Badlands et Days of Heaven (qui remporta le prix de la mise en scène à Cannes en 1979), Terrence Malick était attendu au tournant. Le réalisateur mystique prend tout le monde a contre-pied et se retire des terres, disparaît. C’est à ce moment déjà, au début des années quatre-vingt, que le projet de The Tree of Life naît sous le nom de projet Q: rien de moins qu’un film sur la vie, ses origines, l’évolution, la famille et Dieu. Malick travaille-t-il alors d’arrache-pied sur ce projet jusqu’aux années 90 ? En tout cas, c’est The Thin Red Line qui sort en 1998, un film sur la bataille de Guadalcanal dans le Pacifique, pendant la Seconde Guerre Mondiale. Comme pour se rapprocher des grands maîtres du cinéma, Malick réalise son film de guerre qui très vite sera placé par les cinéphiles au même niveau que Apocalypse Now ou Full Metal Jacket. Quand il annonce son retour, le tout Hollywood veut participer au retour du réalisateur mythique et le moindre rôle, même minimal, s’arrache comme des petits pains: Sean Penn, Adrien Brody, Jim Caviezel, George Clooney, John Cusack, Nick Nolte ou encore John Travolta sont au casting de ce film-fleuve, poétique et qui se démarque par son usage particulier de la voix-off. Une pratique reprise pour The New World, autre œuvre réussie de celui qui est aujourd’hui considéré comme le fils spirituel de Kubrick. C’est en tout cas ce à quoi nous fait irrémédiablement penser la première demi-heure de The Tree of Life.

Les règles du père, les ordres du Père
Oui, la première demi-heure du film est suffocante, intense, sublime, impossible à décrire. Les images sont plus que belles et la bande-son composée par Alesandre Desplat (dont le travail pour le film remonte à 2007) évoquant la Symphonie du Nouveau Monde de Dvorak pose délicatement ses notes sans jamais tomber dans le poussif agonisant. Puis surgit le profil de Brad Pitt, celui d’enfants qui courent dans les hautes herbes vertes malickiennes, la présence de la mère, puis la mer, les rivières, l’Amérique des années 50, symbole d’une vie qui peut enfin reconsidérer l’évolution et la croissance après les désastres causés par les guerres de la première moitié du siècle. Point de départ pris par Malick pour étendre sa panoplie d’artifices cinématographiques, le film va s’amuser à quitter ce Texas natal (authentique pour Brad Pitt et Malick) pour y revenir par à-coups, détruisant la narratologie classique du film. Là est sa principale spécificité : pas étonnant qu’une bonne dizaine de personnes quittent la salle de cinéma au bout d’une heure tant le film se détache du schéma classique de la fiction. Car The Tree of Life n’est pas une fiction, n’est pas un documentaire et n’est pas une histoire : c’est le cinéma pur, proposant des séquences qui ne veulent pas raconter mais juste montrer et laisser le spectateur seul ouvrier d’un monde diégétique à construire lui-même. Chaque image est un choc visuel immaculé et calculé. Tous les plans suivent la logique d’un mouvement rapide en extrême contre-plongée qui aboutit à chaque fois sur un gros-plan d’un visage qui exprime le désespoir et le questionnement. Plus qu’un film sur la vie, The Tree of Life est une longue prière dont la majorité des voix-off (celle du père des enfants, celle de Sean Penn, celle de la mère) sont murmurées timidement au Seigneur. Dieu est clairement au centre d’un film à la posture verticale : la foi, l’Eglise, les règles du père et les ordres du Père.

Filmer la grâce
« There’s two ways in the life. The way of nature. And the way of grace. » est la phrase inaugurale du film et le projet que Malick essaie de concevoir pendant plus de deux heures. Quelle est la voie à choisir ? Laquelle choisiras-tu, fils ? Laquelle as-tu choisie, père ? C’est l’histoire d’une famille, d’un père autoritaire mais absent, d’une mère protectrice mais passive qui se posent des questions tout au long de leur existence en cherchant la réponse chez Dieu, à travers la nature. Déployé en plusieurs mouvements comme une symphonie, le film commence par le drame, puis par la vie adulte de l’aîné (impeccable Sean Penn), et enfin retrace le chemin des origines de la vie. Le début est si intense qu’on se demande comment Malick va réussir pour ne pas faire chavirer l’énorme vaisseau lancé comme un astéroïde au milieu de l’Histoire. Poète de la fugacité, le réalisateur domine son sujet, l’étend de façon surprenante jusque dans le cosmos et au milieu de la Nature ordonnée par l’eau, élément dominateur et omniprésent tout au long du film. The Tree of Life est à coup sûr une œuvre majestueuse, qui effleure la grâce et la perfection et qui confirme encore une fois l’immense jeu d’acteur de Brad Pitt et lance parfaitement le jeune et talentueux Hunter McCracken. Est-ce le chef d’œuvre parfait ? Durant la première heure peut-être. Mais, comme souvent dans les œuvres qui se veulent atypiques et puissantes, la fin se brise sur elle-même et flanche quelque peu ; elle rend compte des limites du cinéma pour montrer ce que tout réalisateur a un jour tenté de filmer : la vie après la vie, le paradis sur terre où nous nous retrouverons tous.

Beaucoup ont voulu comparer The Tree of Life à la (plus ?) grande œuvre de Kubrick, 2001: A Space Odyssee. La différence est pourtant flagrante: lorsque Kubrick suggère, Malick montre. Et quand Kubrick termine son film par la plus improbable et incompréhensible scène du cinéma, Malick continue dans sa volonté de filmer des plans plus beaux les uns que les autres. Et parfois, ça ne suffit pas. Pourtant, le dernier rescapé de la descendance Herzog-Kubrick s’est essayé à tourner une odyssée de la vie qui nécessite des plans attendus (la naissance, le bonheur, la mort) et malgré la séquence finale, le film regorge d’instants bénis: lorsque Brad Pitt apprend à ses fils à se battre ou quant les trois frères regardent les façons étranges qu’ont les gens de marcher dans la rue. Là, on touche au sublime.

17 mai 2011

Tankino: Tomboy

Illustration: Giom

Tomboy a tout pour plaire: une jeune réalisatrice plutôt talentueuse, un scénario intéressant, une distribution variée et réussie, un discours sur le genre intelligent sans être pompeux. Mais voilà, à force de tout lisser, ce film finit par ennuyer et perdre toute force pour devenir un bon vieux film consensuel à la française.

Le scénario donne bien sûr envie de voir ce film. Laure, une fille de dix ans, emménage dans une nouvelle ville. Garçon manqué, elle dit s’appeler Michael lorsqu’elle rencontre les autres enfants. S’ensuivent les conséquences de cette décision, de l’intégration totale avec au menu football et petite copine, jusqu’au dévoilement de l’identité. Ce film a, il est vrai, certaines qualités. J’en vois en tous cas deux. D’abord, les acteurs enfants sont bien choisis et jouent plutôt bien, surtout l’actrice principale Zoé Heran. Ensuite, le fait que Céline Sciamma applique à la réalisation la considération que ce sont les corps qui comptent. La caméra s’attarde à raison sur les corps marqués ou non par les genres. Le seul corps non marqué est en fait celui de Laure/Michael aussi bien garçon que fille. Le film commence par un long plan sur ses jeunes mains fines et sa nuque, donnant à voir en quoi ce corps ne peut être rattaché à un sexe ou à l'autre que de manière forcée. Par contre, en dehors de Laure/Michael, chacun joue parfaitement son petit rôle. La petite sœur danse en jupe et chante des chansons sur les garçons, l’autre fille du film dit des phrases niaises d’admiration devant les garçons dont elle est forcément amoureuse. Ces derniers jouent bien sûr au foot, se battent, crachent et se mettent torses nus. Toutes ces démonstrations corporelles, Laure/Michael tentera de les jouer aussi avec toutes les difficultés que cela induit. En effet, Céline Sciamma donne très bien à voir ce que représente le fait de jouer le garçon pour une fille, assignée à la discrétion jusqu’à l’effacement, qui doit alors se frotter à un monde où on "met les couilles sur la table", où on affiche son corps constamment, sûr de son bon droit. La fille reste sur le bord du terrain, le garçon affiche sans gêne ses tétons et peut aller pisser sans aller se cacher dans la forêt.


Tout ça, c’est très bien mais ça donne un peu l’impression d’appliquer à la lettre le petit guide de l’étude genre. On suit gentiment toutes les étapes. Tout commence avec une personne énoncée dès le début du film comme différant légèrement des caricatures de genre : le garçon marqué. Puis vient l’adoption du sexe opposé, la construction littérale d’un faux pénis, puis la découverte de la supercherie qui donnera lieu à la traditionnelle sortie du placard, d’abord par le retour des habits marqués comme féminin, puis par comparution devant les autres, par l’aveu dans un premier temps, par la culotte baissée dans un deuxième. Dit comme ça, ça a l’air terrible, mais le problème de Tomboy, c’est justement que tout y est lissé. Tout le monde est tellement gentil. Le papa et la maman sont de sympathiques petits bobos, ouverts et compréhensifs, cela va de soi. Ce à quoi ce film échoue totalement, c’est à créer le moindre trouble. Tout d’abord à cause de sa temporalité. Le film se termine très vite après la révélation du "vrai" prénom de Laure, sans que soit exploré ce que cette révélation implique pour les autres. Que ressent la fille qui sortait avec Michael et l’a embrassé ? Du dégout ou le trouble d’avoir pu ressentir ce genre de sentiment pour quelqu’un du même sexe ? Que ressentent les garçons, qui ont accepté Michael comme un des leurs, se sont fait battre au football ou à des jeux de force par lui/elle ? Nous n’en saurons presque rien. Quand vient ce moment déterminant, tout s’aplatit très vite et, après quelques moqueries, Laure est à nouveau rangée dans la catégorie fille sans que cela semble gêner quiconque, y compris Laure. C’est comme si tout cela n’avait été qu’un jeu de masque pour les vacances, qui doit bien finir avec la rentrée. Et après un petit moment de gêne, tout peut être à nouveau propre en ordre. A force de concentrer l’ambiguïté sexuelle sur le seul personnage de Laure/Michael et de faire de tous les autres des caricatures du comportement normé, Tomboy refuse de remettre en cause quoi que ce soit. Aucune issue qui pourrait poser problème au statut quo hétérosexuel et à la division des sexes n’est explorée. Ainsi rien n’est dit sur le désir, reflet de notre époque où toute suggestion de sexualité enfantine est devenue taboue. Est-ce que quand Laure/Michael embrasse sa copine, il/elle ressent du plaisir ? Désire-t-elle plus les garçons ou les filles ? Impossible à savoir tant ce personnage est présenté comme passif lors des choix cruciaux du film. Laure dit s’appeler Michael parce qu’une fille lui a demandé "s’il était nouveau", cette décision de se faire passer pour un garçon découlant peut-être de la gêne de devoir démentir cette première question. Quand au premier baiser, ce n’est pas Laure qui le recherchera mais le recevra plutôt par surprise, et l’acceptera sans vraiment montrer le moindre plaisir, ce baiser représentant plutôt une façon de continuer à faire croire qu’elle est bien un garçon. Enfin, je me demande si Céline Sciamma, en plus de reproduire des normes sexuelles sans jamais les perturber, ne fait pas de même dans les questions liées aux différentes origines. Ainsi la seule relation d’amour possible est celle entre une fille blanche et un garçon manqué blanc. L’ensemble des personnes principaux de garçons sont marqués comme d’origine étrangère, que ce soit du Maghreb ou d’autre part. On retrouve ici le préjugé racial qui veut voir dans le maghrébin une personne immédiatement viril, évidemment hors de tout questionnement de genre, ce dernier étant réservé aux enfants de bonne famille et de bonne conscience. Que ceux qui veulent s’en donner une en applaudissant ce film consensuel au possible le fassent, très peu pour moi.


16 mai 2011

Musique hantée vol.2

Illustration: vitfait
Après un premier volet consacré à Salem, oOoOO et Balam Acab, Think Tank, conscient que la musique connaît actuellement un phénomène de spectrarisation croissante, consacre un deuxième article à la musique hantée. Cette fois, c’est au tour du hip hop et du R’N’B d’être ensorcelés sous l’égide du label Tri Angle. Spectre, connais tes disciples : Clams Casino, How To Dress Well et Lil B.

Dans notre premier article, la musique hantée avait été caractérisée par son penchant occulte, marque d’une génération qui n’a plus grand chose de fluo. En effet, la boîte de Pandore est désormais ouverte, et c’est presque partout qu’on croit entendre un esprit, entre dubstep caverneux et romance spectrale. Dans une interview avec le magazine SUPER SUPER, oOoOO confirmait les hasardeuses tentatives d’interprétation politique de ce mouvement : "Les gens semblent savoir qu’ils vivent dans un monde qui est dans un moins bon état qu’il y a vingt ans. L’idée du progrès est en train de mourir, des portables plus cool et des meilleurs lecteurs mp3 ne suffisent pas pour couvrir ce fait. Il y a donc une tendance apocalyptique dans la culture pop qui grandit en ce moment, alors que les gens réalisent à quel point c’est le merdier et le peu de contrôle que nous avons sur ce monde. Cette musique est une sorte de bande-son inconsciente pour cette génération". Raison de plus pour nous pencher à nouveau sur cette tendance apocalyptique. Salem étant au fond une forme de hip hop ralenti sous crack, il semble logique de s’attaquer à la musique hantée aux rayons R’N’B’ et hip hop.


How To Dress Well a sorti en 2010 un album ovni : LOVE REMAINS. Une production qui tout en étant ultra déstructurée, se base sur des lignes mélodiques puisées dans le R’N’B’ le plus mielleux ; un son bizarre comme produit dans un studio construit sur un ancien cimetière indien, sauf que les indiens, ce sont maintenant des chicanos bien lover, sentant encore la gomina et sifflotant du R Kelly. Le son de How To Dress Well comporte cette hybridité incroyablement réussie entre sensualité d’une part et complexité lo-fi de l’autre. Un véritable album fantôme où le sublime se trouve au fond d‘un grenier, après avoir enlevé les toiles d’araignée et évité les vieux clous. Les sensations invoquées, on a l’impression d’être tombé sur une vieille cassette d’où sortirait un son poussiéreux, où une âme en peine chante son amour. Le monde est en ruine, sans signification et c’est peut-être bien à ce moment-là qu’une émotion peut naître, débarrassée de ses apparats putassiers. Un moment, aussi, où la musique lo-fi aux beats crépitants ose exprimer des sentiments sans second degré ou détachement. How To Dress Well prescrit cette potion à tous les titres de LOVE REMAINS, sans aucune exception. La production est toujours presque étouffée, les samples tonnent et le tout est peuplé de bruits et cliquetis indéfinissables. La voix haute assume jusqu’au bout (bon attention c’est quand même pas The Weekend) le côté smoothy lover, se lançant à corps perdu dans des flows digne de LL Cool J. Au fond, LOVE REMAINS est un long manifeste proclamant le besoin d’amour. Cependant, avec une unité stylistique hyper cohérente dans son hétérogénéité, cet album révèle une densité hallucinante d’expérimentations sonores et d’émotions fulgurantes. Les moments forts en deviennent monnaie courante. "Ready for the world" est une lente chute vers un cocon vaudou ; une respiration entre plaisir et sifflement. "Decisions", avec Yuksel Arslan ; un rêve hanté aux beats qui résonnent, comme quand on va au sacrifice, comme quand il faut pleurer dans un moment de bonheur. Le lien entre How To Dress Well et des groupes comme Balam Acab et oOoOO est évident. Au delà de leur son brumeux et spectral, ils constituent les trois premiers EPs du même label, Tri Angle, suite réussie d’une première compilation bluffante, LET ME SHINE ON YOU.


Et d’ailleurs, la prochaine sortie dudit Tri Angle, n’est autre qu’un album instrumental de Clams Casino. Mis à part le fait que ce nom désigne à la base un plat bizarre (en gros des coquillages farcis) c’est un producteur de tout juste 23 ans qui répond à ce doux blase. Au début, on le connaissait sans le savoir ou sans l’avoir rencontré, c’est-à-dire au travers des rappeurs qu’il produisait, tel Lil B. Hyper premier degré, ce petit mec filme des fleurs, poste des vidéos pour apprendre à danser le cooking à base de gestes cuisiniers. Une sorte de Sébastien Tellier du hip hop américain. Peu importe les codes établis du genre, Lil B assume la transparence d’une émotion presque fleur bleue. Ce mépris des conventions lui a même attiré des menaces de mort, suite au choix du titre de son prochain album I’M GAY, alors même qu’il n’est pas homosexuel mais entend plutôt par là un état d’esprit plein de positivité. Déchainé sur twitter, il enchaîne les phrases gnan-gnan sur l’amour qu’il faut partager, sur les drogues qu’il ne faut pas prendre, etc. Mais voilà, ce premier degré est dégainé sur des mixtapes d’une qualité telle qu’on peut souscrire à ce déferlement d’amour sans mauvaise conscience. "Illusion of Grandeur" frise l’excès de sucrerie mais sa basse et son flow font passer la pilule et, avouons-le, flattent notre côté romantique. Mais surtout, Lil B s’est imposé par deux chansons à la production signée Clams Casino. Déjà à la fin 2009, "I’m God" était dans notre top chansons de l’année. Un titre à l’ambiance incroyable. Lent, où chaque mot trouve le temps de se poser. Un brouillard où règne le calme d’un air à peine agité par les mouvements d’ailes de spectres envoûtants. Une impression de transcendance et d’intimité, d’un cœur qui parle à un autre comme dans un rêve. Plus rapide, "Motivation" confirme l’harmonie musicale entre Lil B et Clams Casino. Le flow du premier, proche du spoken word, se colle parfaitement sur une production faite de rythmes profonds et de sons ralentis ; sorte d’hyperdub coulé dans un moule hip hop. Un grand titre, mêlant mélodie et paroles assez gays d’un côté, et sonorités étranges de l’autre. A part Lil B, Clams Casino a remixé plusieurs groupes plus ou moins connus. On compte notamment une autre collaboration suivie avec le beaucoup plus pop Soulja Boy. C’est une preuve de l’extension de plus en plus forte de la dubstep et de la musique hantée que de constater qu’un rappeur habitué aux tubes ose des chansons portées par une telle production. "All I Need" évolue sur fond de pluie et de voix féminine plaintive. Les beats et les tiroirs claquent. "The World Needs a Change" exhume lui aussi une voix ralentie de fantôme et des mélodies de claviers jouant seuls dans de vieilles maisons.


Après tous ces titres mêlant incroyablement musique hantée et hip hop, c’est au tour de l’alchimiste œuvrant à leur production de briller dans la brume : une avalanche de chansons instrumentales de Clams Casino déferlent de partout. En amont de la sortie de l’EP d’inédits chez Tri Angle, des versions instrumentales ont d’ores et déjà été distribuées, soit par Clams Casino lui-même via twitter, soit sur une première compilation des meilleures productions déjà sorties. Dénudées de l’apparat des rappeurs, les chansons apparaissent sous leurs habits de messe noire. Loin de souffrir de l’absence de voix, elles laissent trahir derrière leurs parures des nuées infinies où les oreilles se perdent, sans pourtant perdre de vue le talent de Clams Casino. Il y résonne cet hyperdub de fin du monde, où l’aube, à la fois mélancolie et promesse, annonce une mort à nouveau vaincue. La version instrumentale de "I’m God" fait éclater au grand jour le pourquoi de l’amour voué à cette chanson : son rythme fini de s’imprimer au fond de nos tempes, ses souffles de voix nous dégagent de l’ici et maintenant. Les sonorités planantes rappellent un vieux film bizarre, où chaque personnage est lui-même et son spectre à la fois. "Motivation" devient la longue plainte d’un esprit malade, marqué par des ralentissements épiques et des montées jouissives. "All I Need" prend la forme d’une bande originale d’une fête dans une cave sombre, où les beats font entrer en transe les corps encore debout. On repense alors aux mots de oOoOO, et le lien devient évident entre ce dernier et Clams Casino, dont la première mixtape d’instrumentales laisse de part en part admirateur. On attend donc impatiemment la sortie toute prochaine de son nouvel album, RAINFOREST. Pour patienter, un premier extrait est déjà sorti, il s’appelle "Gorilla" et ça brise des chaines sur fond de flammes comme David Copperfield.


15 mai 2011

MUSIK TANK: DANGER MOUSE & DANIELE LUPPI - ROME

Photo: Sainath
Si tous les chemins mènent à Rome, celui de bon nombres d'artistes (Gorillaz, MF Doom, Gnarls Barkley, les Black Keys, The Shins, Beck) les auront amenés à croiser celui de Brian Burton AKA Danger Mouse, qui n'est plus a présenter. Après les très bons projets DARK NIGHT OF THE SOUL et BROKEN BELLS sortis l'an passé, qui avait unanimement mis la critique d'accord quant à leur qualité, il revient accompagné du compositeur italien Daniele Luppi, de Jack White et de Norah Jones sur un projet hommage à Ennio Morricone, inspiré des bande-originales de western spaghetti. Il s'associe également avec Google pour une expérience interactive exceptionnelle.

ROME est un projet en gestation depuis cinq ans. Passionné par les bandes originales classiques du cinéma italien, Danger Mouse s'associe avec le compositeur Daniele Luppini afin de rendre hommage au tout grand Ennio Morricone. Les deux bigres commencent le projet en 2005 qui se voit retardé parmi des centaines d'autres. Réunissant quelques musiciens et chorales ayant travaillé sur les BO originales mythiques (Il Etait une fois dans l'Ouest, Le Bon, La Brute et le Truand), ils s'offrent également un casting de luxe avec Norah Jones et Jack White des White Stripes en guest stars pour la bande original d'un film imaginaire qu'ils enregistrent dans les mythiques Forum Studios de la capitale italienne, le tout en analogique, comme à l'époque. Vu la somme de talents en présence, il était un peu difficile de se louper et ROME s’avère une fantastique réussite, une collection de chansons et de thèmes que n'aurait pas renié le maître et que Quentin Tarantino doit certainement écouter en boucle.


On trouvera donc une sixaine de morceaux chantés, le reste étant sous la forme de douces interludes ou de morceaux instrumentaux. Dans ce scénario, tout semble se porter sur un film mélancolique tant les morceaux de bravoure semblent inexistants, et tout porterait à croire qu'il s'agit d'un western dramatique comme le suggère sa pochette avec son cœur ensanglanté. Difficile de ne pas s'emporter devant ces arrangements de cordes somptueux, ces percussions classieuses, ces douces notes de xylophones qui apportent tout leur charme aux compositions. Nos personnages sont à la fois acteurs et chanteurs tant cet album semble un film auquel il nous appartient d'imaginer les scènes, interprété par un Jack White n'hésitant pas à sortir ses tripes sur "The Rose With A Broken Neck", accompagné par une chorale de voix fantomatiques, et chantant d'une voix tremblotante sur "Two Against One". Norah Jones, elle qui nous avait habitué à ses petites ballades parfois mièvres, impressionne par sa voix sensuelle et charismatique sur "Black" et "Season’s Tree" aux frontières de la soul et du trip-hop, avec ses cordes romantiques et ses lointaines notes de clochettes, ainsi que sur "Problem Queen", morceau nettement plus pop, apportant une touche d’énergie à la mélancolie ambiante grâce à ses guitares rythmiques et ses claviers. Cette visite de Rome se fait donc les yeux fermés. Un bijou en technicolor pour le cœur et les oreilles qui nous mène à imaginer un film que Sergio Leone lui-même se serait certainement fait une joie de réaliser.


Mais ROME n'est pas qu'un album, c'est également une expérience interactive exceptionnelle en guise de clip à voir sur: ro.me. En effet, il s'agît là d'un film accessible par le biais du navigateur Chrome de Google. Intitulée "3 Dreams of Black" et réalisée par Chris Milk (Arcade Fire, Gnarls Barkley, The Chemical Brothers) et les ingénieurs de Google, il s'agit-là d'une expérience composée d’animations mêlant dessins, animations 2D et séquences 3D interactives qui permettent au spectateur de laisser cours à son imagination avant de pouvoir voyager librement dans une univers ouvert, et c'est tout simplement bluffant. A l’instar d'une autre célèbre vidéo interactive, "The Wilderness Downtown" d'Arcade Fire sortie en septembre dernier, ce clip utilise la technologie WebGL et n’est visible qu’en installant le navigateur Chrome. Bref une belle promotion pour Google, pour les possibilités offertes par l’HTML5 mais aussi pour ce très bon album qu'est ROME et son concept de bande original fictive, qui vient apporter son lot de fraîcheur et d'originalité dans une industrie qui se repose souvent sur ses lauriers. A mon avis, on peut d'ores et déjà parler d'un des albums de l'année. En plus, ils sont super sympas, l'album est intégralement disponible sur Youtube :





Le making of de l'album :





Le making of de l’expérience interactive :



14 mai 2011

TANKINO: WOODY A PARIS / Midnight in Paris

Illustration: Pierre Girardin

Si vous étiez en train de regarder "Midnight in Paris" autour de 20h le mercredi 11 mai dans une salle de cinéma, alors vous aviez un point commun avec le festival de Cannes. Exceptionnellement, le film n’avait pas le droit d’être diffusé en Suisse et en France avant 20h, heure à laquelle il était projeté en ouverture de la 64e édition du festival français. TT n’était pas dans le sud, mais tout de même aux avant-postes pour le dernier film de Woody Allen.

Dans un récent entretien pour un magazine français, Woody Allen disait : «J'ai eu carte blanche pendant vingt-cinq ans et je n'ai jamais réalisé un grand film. Je n'ai tout simplement pas ça en moi. Je n'ai pas la profondeur de vision nécessaire». Modeste ou dépressif, le réalisateur de 76 ans ne revoit jamais ses films, ne lit plus les critiques et préfère jouer de la clarinette avec son orchestre que de se présenter aux tables de la nuit des Oscars. Ayant toujours eu un problème d’intégration avec les Etats-Unis (sauf Manhattan bien sûr), le réalisateur a décidé de s’expatrier en Europe depuis "Match Point" en 2005 et n’a tourné qu’un film à New York depuis. Au rythme effréné d’un film par an depuis les années quatre-vingt, la filmographie d’Allen grandit plus vite qu’une tige de bambou dopée aux hormones de croissance. Parmi ces kilomètres de bobines, il est vrai que ses films et son style peuvent en endormir plus d’un: les comédies se ressemblent et traitent toujours des problèmes de couples, de la création artistique, de l’amour, de la crise de la trentaine, de la quarantaine, de la cinquantaine, etc. La Allen touch existe bel et bien, et c’est vrai que c’est tout de suite moins rock’n’roll que David Fincher ou Xavier Dolan. Son dernier film avait déjà fait froncer les sourcils des critiques in lors de la mise en ligne de la bande-annonce: les Inrocks l’avaient analysé sur une page entière, critiquant le surplus de clichés parisiens et son grain romantico-chiant projetant en diapositive des photos de cartes postales de Montmartre. Woody riait alors discrètement dans son fauteuil.


Le film s’ouvre en effet sur une série de clichés (au sens propre et figuré) de plans "cartes postales" sur fond de musique jazz: la séquence dure plus de deux minutes, ça paraît un peu long. Puis viennent les fameuses lettres blanches sur fond noir du générique, la musique s’arrête, un dialogue commence: le film est lancé vraiment lorsque la voix d’Owen Wilson fait irruption. Une semaine après sa prestation dans le dernier Farrelly, "O" (comme on le surnomme dans le milieu hollywoodien) exulte dans ce qui est aujourd’hui son meilleur rôle. Si Wes Anderson (au passage, les mêmes initiales qu’Allen) l’avait fait connaître au monde en 1996 dans "Bottle Rocket", il aura fallu attendre une dizaine de navets pour qu’on reconnaisse la qualité de cet acteur qui se bonifie au fil des ans. Après une tentative de suicide en 2006, Anderson repêchera son enfant sacré par la manche pour lui offrir un rôle dans le "Darjeeling Limited". Quelques années plus tard, Allen se retrouve totalement en lui: son phrasé, son look, son métier, ses problèmes, ses angoisses… Woody en blond, Woody en beau gosse. Sans en faire trop, Owen Wilson endosse le costume d’un scénariste d’Hollywood découvrant Paris avec sa femme et sa belle-famille. Paris l’impressionne et l’ensorcelle dans sa magie nocturne où il tombera éveillé dans un rêve à côtoyer ses idoles. Après les douze coups de minuit, quelque chose d’étrange se passe.

Comprendre l’œuvre
Woody Allen peint un Paris intemporel et magique voguant entre instants surréels et choix difficiles qu’ordonne la vie. Paris est une ville qui vit sur la culture de son passé et se déploie comme métaphore des problématiques récurrentes chez tout artiste : « c’était mieux avant ». Enfant, il était impossible pour Woody de se rendre à Paris et il a donc découvert cette ville par le cinéma et des films comme "Un Américain à Paris" de Minelli qui montrait « un monde radieux et romantique, inondé de musique et de chansons d’amour » souligne-t-il dans son interview à Télérama. Woody Allen ne veut pas nous montrer un Paris réel, il nous montre simplement le Paris fantasmé qu’il a connu dans les films des années quarante. Car il n’aime pas la réalité qu’il trouve triste et pesante, il aime le rêve et la fiction, donc le cinéma. Même s’il préfère Paris sous la pluie (comme son double Gil), les villes chez Allen sont autant de parties dissociées qui représentent l’évasion. Même quand il filme Manhattan ou Londres, Allen ne nous montre pas une ville exacte, mais des endroits qu’il aurait aimé voir ainsi. Comme dans "La Rose Pourpre Du Caire" où un acteur sort de l’écran pour y découvrir la vie réelle, Owen Wilson pénètre dans un passé fantasmé dans lequel il se sent vivre mieux et (enfin) apprécié de tous (seule la France a toujours applaudi les œuvres de W. A.). Le film joue enfin la réflexivité et finit par se moquer des clichés qu’il présente tout au long de l’histoire, comme le confirme Gil en conclusion, découvrant que le présent offre aussi ses avantages.


Alors oui, "Midnight in Paris" est un film sans scénario grandiose, sans originalité et rebondissements flagrants et reste classiquement dans la norme du grand admirateur de Bergman et Lubitsch. «Je n’ai jamais réalisé de grands films» répète-t-il. Mais est-ce vraiment ce que le public amateur de son cinéma lui demande ? Évidemment qu’il y en a eu, des chefs d’œuvre : "Hannie Hall", "Stardust Memories", "Match Point" ou "Crimes and Misdemeanors" pour ne citer qu’eux. Et parmi ces joyaux, traînent de petites histoires plus simples et sans prétention ("Anything Else", "Scoop" ou le sous-estimé "Hollywood Ending") qui rendent son cinéma encore plus passionnant. Le film allenien le plus proche de "Midnight in Paris" est sans nul doute "La Rose pourpre du Caire", qui est le préféré du réalisateur (avec "Match Point") et le mélange rêve/réalité lui réussit bien; et encore plus quand il invoque Hemingway, Dali ou Buñuel. Car à la manière d’un Truffaut, le cinéma de Woody Allen n’est pas à concevoir comme plusieurs pièces éparpillées et dissociables (comme un Kubrick), mais plutôt comme un tout, comme un œuvre complète, intelligente et émouvante qui vous accompagne durant toute une vie. "Midnight in Paris" poursuit donc le voyage de l’enfant juif de 76 ans dans les capitales européennes d’une façon romantique et convenue, sans éclats mais sans faiblesse non plus. Il n’est de loin pas le meilleur film européen de sa carrière, mais obsédé par le rêve, Woody Allen en a finalement réalisé un: celui de tourner à Paris.


En attendant Rome.

11 mai 2011

TANKART: Douglas Gordon à Paris

Photo: Robert McKeever, "Blind Star Series: Mirror Blind Greta", Douglas Gordon, 2002
Toujours dans notre série "artistes vidéos" (Philippe Parreno, Pierre Huygues ou encore Tony Oursler),  Douglas Gordon expose pour la sixième fois à la galerie Yvon Lambert. "Phantom", visible jusqu'au 3 juin, présente de nouvelles œuvres de l'Ecossais, dont un néon, et deux installations. On y a vite fait un saut.

De la temporalité, ou la décélération: né peu avant la reconnaissance de la pratique vidéo comme véritable art – via notamment l'exposition en 1969 "TV as a Creative Medium" à la galerie new–yorkaise Howard Wise – Douglas Gordon fait ainsi partie de la seconde génération d'artistes vidéo. Si, dans les médias de masse, on réfère régulièrement son patronyme à son long–métrage co–réalisé avec le français Philippe Parreno, "Zidane, un portrait du XXIème Siècle", son empreinte dépasse le cadre de cet exercice de style, aussi honorable fut–il. De Glasgow, lieu de naissance, Gordon en retire son foisonnement culturel, son contre–poids au centrisme londonien, ainsi que son large héritage cinématographique. Et pourtant: il est de ces jeunes préférant s'enfermer dans sa chambre, fuir la grisaille glaswegian pour ainsi trouver ses modèles, via notamment la chaîne Channel 4, proposant alors les classiques du film noir. "La plupart des films que j'ai vus, les ai vus au lit plutôt qu'au cinéma… C'est donc moins le contexte social du regard que son contexte physique, qui a tissé la trame de toutes mes expériences". Gordon déploiera sa pratique télévisuelle dans une oeuvre largement reconnue, avec des thèmes récurrents: la latence de la mémoire et ses incohérences, une sémiologie émotionnelle de même qu'une interrogation des normes et des formes propres au cinéma. Ces champs d'explorations sont isolés voire corrigés; ainsi, dans "Twenty Four Hour Psycho" (1993), l'artiste britannique reprend intégralement l'histoire du film d'Alfred Hitchcock "Psycho" (1960) et sa succession de plans iconiques pour la déployer en très longue durée, sous forme de projection sur écran de 24 heures. Le langage cinématographique se voit remanié sinon transcendé, Gordon introduisant de fait les notions de passé, de présent et d'avenir dans cette expérience amplifiée du temps permise par notre familiarité au film, tout autant que celles d'authenticité et de paternité d'une oeuvre. On y lit aussi cette reproduction d'un espace–temps presque absent, d'une éternité bienheureuse, cloîtré dans sa chambre entouré de ses héros.


"Je suis le nombril du monde": un néon fait de typographie blanche, déglingué, ("Unfinished") sert d'accueil. On n'est assurément pas à une expo de Jeff Koons. La pièce de cette sixième présence parisienne de Gordon étant par ailleurs l'éponyme "Phantom", sous les voûtes, dans le noir, un piano à queue et des yeux géants projetés. Ces yeux sont ceux de Rufus Wainwright qu'on connait bien, chantre d'une folk baroque, néo–classique et vernie. C'est assez imposant, la galerie parle elle d'"expérience mentale et physique presque mystique", les miroirs disposés au fond de l'espace y jouant sans doute pour quelque chose. Ce que nous avons préféré fut toutefois "I am also Hyde", gros trip d'accrochage, réunissant 400 photographies de formats divers, des illustrations et des objets personnels façon salon style, à en donner le tournis à Wolfgang Tillmans, pourtant pimpant en terme d'accrochage. Dans cette thématique omniprésente des fonctionnements et dysfonctionnements de la mémoire à travers l’image et le langage, Gordon fait pourtant une exception cette fois–ci: où, pour la première fois, le britannique ne s’approprie pas des éléments de la culture populaire, mais livre sa propre histoire, via un journal intime géant. A tellement s'exposer, on retrouve moins une introspection qu'une certaine pudeur, totalement envahit par le poids des images jusqu'à ne plus savoir que faire d'elles. Lost but found: à l'instar du nom de son site internet, un foisonnement, un patchwork de cent milles choses, associées, calquées et fusionnées, Douglas Gordon est un de ces artistes qu'on voit comme l'enfant parfait des post–modernistes, passant outre le concept de plagiat pour travailler les références au corps, comme une sorte d'union joviale et foutraque. Ci–dessous, un petit documentaire home made sur l'Ecossais.


10 mai 2011

LP: PANDA BEAR – TOMBOY

Illustration: burn
Le membre d’Animal Collective fait sa quatrième sortie en solo. On attend beaucoup de celui qui transforme tout ce qu’il touche en or et une fois de plus ce sont les sommets qui sont atteints. Un album éthéré à la lumière d’aube qui prouve une fois de plus que Panda Bear est au dessus du lot pour ce qui est de la création de mélodies faussement répétitives.

Difficile de ne pas voir en Noah Lennox un génie musical des années 2000. En avance sur tout le monde avec Animal Collective, chacune de ses collaborations avec d’autres formations n’est pas loin d’être à chaque fois la meilleure chanson de l’album, alors même que celui-ci est en l’occurrence loin d’être mauvais. J’en veux pour preuve "Stick To My Side" chez Pantha du Prince et "Walkabout" avec Atlas Sound. Les albums de son projet solo, Panda Bear, sont tout aussi bons, voire meilleurs. Un premier album éponyme sort déjà en 1998 et reste confidentiel, même si on y retrouve l’expérimentation propre aux premiers Animal Collective. Le deuxième, YOUNG PRAYER, composé alors que le père de Noah Lennox est en train de mourir d’un cancer du cerveau, reste un album difficile d’accès, presque acoustique, tressaillant de mélodies fulgurantes et de cris de tristesse. C’est en 2007 que sort sûrement un des chefs d’œuvre des années 2000: PERSON PITCH. Cet album pousse la maitrise du sample au niveau de l’orfèvrerie et le rythme du train sur les rails est à jamais changé pour nous. Deux chansons de plus de douze minutes, "Bros" et "Good Girls/ Carrots" restent parmi ce qui nous a été donné d’entendre de plus beau et de plus grandiose. Quatre ans après, maintenant qu’Animal Collective sont de plus en plus connus, ont sorti un album presque mainstream et s’apprêtent à déverser leurs bonnes paroles à Kilbi, où on est Panda Bear ?


La pochette de l’album et ses dessins de femme en pleur, du fils de Noah Lennox sur ses épaules, sentent l’intimité blanche de mélancolie de Lisbonne. A vrai dire, il n’est pas aisé de parler d’un album qu’on aime beaucoup, tant ce sentiment tient à ce presque-rien indéfinissable, ce surplus qui fait que l’émotion est instantanée et évidemment irraisonnée. TOMBOY est moins complexe que son prédécesseur et atteint peut-être des sommets de composition moins élevés mais le paysage vallonné n’en est pas moins beau. Le beat respire, l’esprit se saccade dans une lente transe d’embruns. Avec des samples, cette fois aidés de guitares, Panda Bear réussit de nouveau à construire des chansons belles à pleurer, avec son talent inné pour le rythme et les mélodies. Il faut dire aussi quelque chose d’un élément qu’on oublie souvent et qui pourtant est une des valeurs indéniables des albums de Panda Bear et d’Animal Collective : le chant de Noah Lennox. Il y a dans ce chant une profondeur et un battement qu’on a parfois qualifié de chamanique ou de tribal. Hors de ces qualifications occidentales, aux relents de colonialisme, il faut reconnaître qu’il y a dans son chant quelque chose d’immédiatement enivrant qui fait se fermer les yeux et se secouer la nuque, qui fait que Panda Bear peut bien chanter à l’infini les mêmes paroles, on ne ressent jamais une répétition froide mais bien plutôt un tourbillon rythmique où n’existe plus ni le haut ni le bas. Le tout est produit par Sonic Boom de feu Spacemen 3, qui signe donc un deuxième album au top de la composition baroque après CONGRATULATIONS de MGMT. Comme quoi prendre des drogues pour faire de la musique pour prendre des drogues dessus ne conduit pas forcément au stade de purée de légumes une fois la trentaine passée.


Pour décrire ce que l’on ressent dans certaines chansons de TOMBOY, il faudrait écrire un poème, faire une illustration, une vidéo, ou ne sais-je. Chacune a une densité émotionnelle, qui tel un travelling explore le temps et l’espace entre densité fixée et ouverture infinie. Par rapport à PERSON PITCH, il y a bien un retour à un son plus simple, avec des chansons s’aventurant rarement au delà des quatre minutes, mais la qualité mélodique des compositions de Panda Bear n’en ressort pas moins puissamment. Avec des chansons toutes aussi belles, tout ce qu’on peut faire, c’est souligner celles qui nous ont le plus touché. Un des singles "Last Night At The Jetty" transforme en musique ce que son titre laissait présager : un battement qui jette dans une soirée mélancolique pleine d’au revoir. C’est peut-être le dernier moment mais aussi sûrement le plus poignant: « Didn’t I have a good time/ I know I had a real time ». "Slow Motion » transperce le cerveau d’une ritournelle lancinante et obsédante. Sur "Alsatian Darn", Panda Bear explore une fin des chansons où les clapotements finissent en apothéose sur un chant stupéfiant de beauté, que "Afterbunner" atteindra une fois de plus, avec une apparence de facilité déconcertante. TOMBOY se finit par "Benfica", psaume qui se fera s’agenouiller même les âmes les plus désabusées. Une fois de plus, Panda Bear aura réussi à nous faire sentir l’existence tangible du beau.

7 mai 2011

KINO KLUB: Dan Deacon – Surprise Stefani (USA)



Pour ce nouvel épisode du Kino Klub, nous sommes heureux de donner suite à nos deux articles relatifs aux récents concerts du Nord–Américain Dan Deacon, à Paris et à Milan. "Surprise Stefani", tiré de BROMST, vient d'être clippé par Andrew de Freitas et Mathieu Arsenault et produit par Newfoundland Track (Morning Sun ou The War on Drugs à leur actif). Aucune technique révolutionnaire ici, et pourtant: alors que se tient l'exposition Fotoskulptur au Kunsthaus de Zürich, nous tenons avec ce clip un superbe exemple de représentation de l'image en tant qu'objet, troué, plié, superposé. De quoi redonner courage aux plus démunis et s'étonner devant la beauté de ces images. En point d'orgue: la descente en rappel. Super!

6 mai 2011

LP: TUNE–YARDS – W H O K I L L

Photo: Julien Gremaud
Quelle époque vit–on! De tUnE-tOwN, tUnE–yArDs signe un album intitulé W H O K I L L  avec des titres comme "Es–so", "Gangsta" ou "Powa". Voici les rois du blaze?

Alors que d'autres compilent du Joy Division et du Joy Division pour sonner comme du Joy Division, certains semblent avoir signé un pact de non–agression anti–daté, postulant une liberté créative totale, diktat humble autorisant mais alors tout instrument, toute couleur, tout effet. On bannit aujourd'hui le saxophone? Parfait, on en place dans chaque morceau! On reprend Fela Kuti à toutes les sauces? Créons donc notre comédie musicale créole! Pas sûr qu'avec un tel pédigré tUnE–yArDs soit en mesure de prouver l'authenticité de son certificat de naissance sur sol américain. Et pourtant: de Nouvelle–Angleterre, Merrill Garbus fait partie de cette génération fourre–tout, enfants des posts–modernistes et élevés aux banquets de Wu–Tang, Violent Femmes, Moldy Peaches, Outsider Art, World Music et cover songs. Brièvement, un tas de sonorités peuvent se rapprocher des productions de Vampire Weekend; en porte–à–faux, tUne–yArDs s'extrait du format FM et opte pour les morceaux à tiroirs multiples, totalement libres, tenant par magie, ou par talent. Dans une excellente interview donnée à Magic, elle s'étonne carrément qu'un label ait bien pu s'intéresser à son cas: "le premier album (BiRd-BrAiNs ndlr.) était tellement brut, si lo-fi, et pourtant il nous a permis de tourner et de signer sur un label comme 4AD, c'est fou!". Avec le bassiste Nate Brenner, Garbus a un peu revu son matériel de base, garde ses petits confettis mabouls mais gagne en puissance par une production soignée, que certains regretteront comme ils l'ont fait avec le dernier LP d'Ariel Pink.


"Ladies and gentlemen, Merrill is playing at the...". "My Country" sonne, résonne, et ça détonne au son de percussions, de loops chantés ou l'inverse, il n'y a pas vraiment de rocher auquel se rattacher, le fleuve nous projette sur une Terre Neuve, celle des héritiers de Talking Heads et compagnons de jeu de Gruff Rhys (Super Furry Animals). Il y a du futé, on a vraiment envie de sortir le parasol et de se marrer quand entre en jeu le xylophone. Ça va vite ce tour du Monde en 210 secondes. Et on n'a encore rien vu, "Es–so" prend des bases jazz avec un contre–bassiste et se fait en réminiscences, guitares en mute, écœurées. On embarque sur une pirogue du tonnerre tunnée sans doute par Terry Gilliam. "Gansta" ne porte pas son nom pour rien, c'est un hip–hop de cocotiers nains interprété par Nate Brenner. Une drôle de performance, du reggae cubiste, dans un dédale de trompettes écarlates. Là, on sent que pas mal d'amateurs vont mettre la flèche à droite, ou appeler au secours.  tUne–yArDs sait heureusement creuser plus loin que son math–lo–fi, via le brillant "RiotRiot", où même si la cassure survient, c'est pour terminer sur un ska de bon aloi, accueillant, ou encore sur "Powa", rappelant du Paul Simon accompagné par les Breeders. Et puis, bon, mon morceau préféré, qui fout les jetons en plein après–midi caniculaire, c'est "Wooly Wooly Gong", épuré comme un CocoRosie sans les artifices plastiques, introduisant une chanteuse–conteuse de grande envergure, imaginative comme St–Vincent et détachée comme Florence Welch.


Nous avions récemment introduit le single du LP (distribué par Musikvertrieb), "Bizness", que d'aucun décrivent comme véritable tube. On y retrouve ce sens perturbé de la mélodie, cette rythmique faite de bouts de bois ainsi qu'une multitude de trouvailles sonores, ramassées sur le bord des routes tropicales pour mieux terroriser le concept de chanson. On y termine par de l'Auto–Tune raclant une forêt de trompettes. Ça y est, on tient ici un exemple d'excellente World Music! Les recettes de tUne–yArDs sont malgré tout hyper simples, relevant d'un amour pour les choses banales, traduites par lo–fi mais pas seulement. Pas de révolution de production, au contraire, si ce n'est quelques effets stéréo amusants, quelques coups de mute ou des constitutions bancales de loops, que Merrill Garbus avouait monter sur Audacity il y a encore peu. Cette jeune fille nous ravit dans cette attitude candide, face aux observateurs prostrés, se ravissant de l'éthique punk consistant à ne pas savoir jouer d'instrument. Elle s'inscrit plutôt dans une position bricole, connaissant bien plus que les bases techniques – quelle voix surtout! – mais composant toutes ses perles au ukulélé (le tribalol "Killa"), usant des nouvelles technologies pour en retirer sa simplicité même, à l'instar d'artistes vidéos incultes de la caméra et pourtant brillants. C'est un peu cela le nerf de la guerre chez tUne–yArDs, bien plus que ses explications casse–gueules sur l'orthographe de son vocabulaire (sa référence à M.I.A.) ou son lien évident avec l'afrobeat. Un métissage réussi version XXIème Siècle. On aimerait bien que ce LP puisse dériver jusqu'à Kinshasa, histoire de connaître leur avis sur la question. En tout cas, vu d'ici, c'est un grand succès. A retrouver dans tous les bons best-of 2011. Ou pas.

3 mai 2011

TANKINO: Bon à Tirer, frères Farrelly

Illustration: Giom
Il y a une semaine est sortie en Suisse la dernière comédie des désormais célèbres frères Farrelly : Hall Pass ou Bon à Tirer (B.A.T.). En français, un B.A.T. est l’autorisation de coucher avec n’importe qui et de faire n’importe quoi pendant une semaine sans aucune conséquence sur le couple. Les cinéastes agités de Rhode Island reviennent donc avec leur nouvelle comédie (la dernière remonte à  2007) au scénario pas très alléchant mais avec Owen Wilson au cast. Les Farrelly sont-ils toujours aussi percutants dans leur (cré)débilité ?

Car rappelons-le, ces deux zouaves avaient réussi à retourner la planète de rire en 1994 avec leur road-movie Dumb & Dumber créant deux rôles parfaitement taillés pour deux acteurs, dont l’un fit même carrière dans le genre de la comédie déjantée (la même année, Jim Carrey apparaît dans Ace Ventura et The Mask – rien que ça !). Hollywood avait donc un nouveau Buster Keaton ; et Hollywood avait aussi de nouveaux frères Marx. Ce qui semblait alors être un hasard réussi de deux nouveaux loufoques débarqués par erreur dans le métier, devint un film culte multipliant farces débiles et blagues scato: la scène des toilettes, la voiture-chien, les piments dans le hamburger, le merveilleux rêve de Lloyd Christmas, le policier qui boit les bouteilles d’urine… Un flop après (Kingpin en 1996), les frangins en remettent une couche avec l’une de leurs meilleures comédies: Mary à Tout Prix. Ben Stiller est merveilleux, Cameroun Diaz dans son meilleur rôle et Matt Dillon métamorphosé en ce qui est peut-être le plus drôle et pathétique détective du monde (juste derrière Ace disons). Le triptyque « le meilleur des Farrelly » se clôt avec Fou d'Irène en 2000. Se suivent alors dans les années 00 du bon (L'Amour Extra–Large, 2001), du franchement mauvais (Terrain d'Entente, 2005) et quelques scènes rigolotes dans Deux en Un (2003) et les quinze premières minutes réussies de La Femme de Mes Rêves (2007). Les années 90 furent paradisiaques pour les Farrelly, les 2000 un peu sur la retombée. Bon à Tirer ouvre donc la troisième décennie des comédies farrelliennes.


D’entrée, il est vrai, Owen Wilson est touchant. Les charmantes ballades du groupe Deer Tick le sont aussi (groupe d’ailleurs originaire de la même ville que les Farrelly). La première scène où l’on voit Owen regarder un album de photos de famille avec ses deux enfants est émouvante et quelques gags bien glissés plus tard, on s’aperçoit que les Farrelly ont vieilli; comme leur public en fait. Mais n’y voyez rien de péjoratif! Car on rigole, mais c’est un rire tendre, amusé et facile: un rire de quadragénaire quoi… Owen est un père de famille marié depuis vingt ans avec une belle et gentille femme, mais il ne cesse de reluquer les postérieurs des autres filles. Son pote (interprété par Jason Sudeikis) est pareil. Sauf que lui a ses techniques pour ne pas se faire coincer. Du moins c’est ce qu’il croit. Les deux pauvres épouses n’en peuvent plus et proposent alors un "bon à tirer" à leur mari respectif. Les deux amis se remettent alors en selle pour draguer comme au bon vieux temps. Mais le monde a bien changé en vingt ans et entre flirt avec la belle blonde qui vend des cafés au take-away du coin et resto-dancings craignos, la tâche s’annonce plus difficile que promise.


D’un certain point de vue, il est plaisant de voir comment se débrouillent ces deux soi–disant chasseurs de jupons dans cette petite ville de Rhode Island (point de départ de chaque film des réalisateurs) et le style n’a pas beaucoup changé: on prend une situation, on l’exagère, on ridiculise au maximum les deux protagonistes et le tour est joué. B.A.T. reste une comédie facile et peut-être un peu trop convenue : une fois la balle lancée, on sait où elle va atterrir. C’est ce qui la différencie  d’autres films des mêmes réalisateurs comme Mary à Tout Prix par exemple où l’on va de surprise en surprise sur un rythme assuré et crescendo, variant grosses blagues et comique de situation. Dans B.A.T., le rythme, justement, manque un peu. Malgré le clin d’œil référentiel à Shining dans le comptage des jours de la semaine, la répétition des gags du même genre (râteaux sur râteaux) se fait sentir et surtout il manque un acteur véritablement meneur. Certes Owen Wilson et Jason Sudeikis sont de (très) bons comédiens, mais pour un Farrelly-métrage, il manque une bonne tête de con. Il manque un Jim, il manque un Ben, il manque un héros. En choisissant le joli blondinet, le film reste cloîtré dans une comédie sympathique mais sans dérapage. B.A.T. conserve tout de même quelques ingrédients de l’humour trash des Farrelly qui ont fait leur réussite autrefois, et il est vrai que la séquence du jacuzzi sent déjà la scène culte. Une scène franchement osée… Et puis la BO est toujours aussi cool ; avec ses chansons légères qui font mouches à chaque fois (avec même deux excellents titres de Black Mountain!). Mais à part ça, il manque fondamentalement quelque chose – un scénario peut-être? Si les Farrelly avaient réussi à mélanger cet humour crade et scato avec de véritables scènes comiques (la cérémonie du mariage au début de La Femme de Mes Rêves ou les enfants de Jim Carrey qui grandissent dans Fou d'Irène), B.A.T ne semblent surprendre que par ces rares moments vraiment trashs et ultra-ridicules. On les aime ces moments, mais les Farrelly nous ont habitué à mieux.

2 mai 2011

KINO KLUB: tUnE-yArDs – Bizness (USA)



W H O K I L L (sic) arrive juste à temps avec la sécheresse. Compilée en ces termes avec l'esprit barré piloté par Merrill Garbus, on se retrouve face à un sacré truc, l'orthographe kikoulol du nom du groupe et des albums n'étant qu'un bref aperçu. "Bizness" est sorti peu avant ce deuxième album du natif de la Nouvelle Angleterre, capiston de tUnE yArDs, aux côtés de Nate Brenner et d'autres joueurs de saxophones. Peu avant une rubrique spéciale dans TT, hors–d’œuvre avec ce clip tocard et ingénu pour un morceau représentant bien ce qu'est ce groupe: une gifle bâtarde, reprenant le métissage de David Byrne (Talking Heads), les gabarits élancés des Fiery Furnaces et sonnant aussi cool qu'un Deerhoof. Ça valait bien un Kino Klub!