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31 oct. 2013

GIFTT: John Parish, Le Romandie

Illustration: Club Superette
John Parish fait partie de ces rares producteurs à la renommée dépassant littéralement celle des artistes avec lesquels ils collaborent, au point de pouvoir donner crédit à tout artiste ayant travaillé avec le Britannique. Ses participations sont nombreuses et relèvent quasiment de l'histoire contemporaine du rock – on ne va pas vous dresser la liste, Discogs le très bien. Ses apparitions en tant qu'interprètent sont elles bien plus rares; sa venue au Romandie demain soir – vendredi 1er novembre – et apparaît ainsi comme une étape incontournable de cette fin d'année. Il sera pour ce faire accompagné de Marta Collica, chanteuse italienne et membre du band de Parish depuis 2004. Pour célébrer cette belle affaire, Think Tank vous offre, en collaboration avec le Romandie, 2x2 billets. Il suffit d'écrire ici-même!

25 oct. 2013

Sensuelle séduction : un fantasme américain

Illustration: Sebastian Vargas
Conjurer le froid en rallumant l’été. La bouche entrouverte, on se prélasse, les pensées dans un monde onirique où mainstream et underground sont dans coït ininterrompu et jouissif. La tête pleine du continent américain avec Drake, Solange et Kelela. 

La musique américaine reste, quoiqu’on en pense, le berceau de tous nos fantasmes. Un continent où la pop semble la plus démesurée, la plus marchandisée, la scène underground la plus brouillonne, la plus inventive, la plus connue aussi. Et en même temps, le continent où la pop semble avoir réussi à garder son innocence, et celui où les règles du marché, ne connaissant plus de contrainte, ont fini par détruire toutes les frontières stylistiques. Pour mieux plonger dans cette partouse sublime et passer la porte de ce bordel enchanteur, focus sur trois bêtes de sensualité.


Première position
Le mainstream se tient droit, bande les muscles de puissance jusqu'à perdre l'équilibre, avec ce qu’il faut de tendresse ego-centrée, de manière à ne plus percevoir l’underground que comme un visage rétro de lui-même. Souvent présenté comme le gendre idéal, précurseur du retour des garçons sensibles, Drake a sorti NOTHING WAS THE SAME en grandes pompes. Celui, qui est devenu l'invité indispensable de tout album hip hop mainstream qui se respecte, vient sur son nouvel album faire étalage de toute la qualité de son style. Moins gémissant, plus rappé, plus réfléchi car ayant trouvé un objet de réflexion digne d'intérêt: lui-même. NOTHING WAS THE SAME est un album hyper auto-référencé, de l'expérience personnelle de Drake à la chanson d'intro "Tuscan Leather" qui parle du fait de laisser trainer une intro. Dans cette dernière, Drake promet un album sans titre pour la radio. C'est presque vrai et c'est ce qui lui a notamment été reproché par Future. Les tubes commerciaux sont laissés aux faussaires, du genre Macklemore et Ryan Lewis. Le premier single "Started from the bottom" exprime ce paradoxe. Autant ce titre a été passé sans cesse dans les clubs et par les radios aux Etats-Unis cet été, autant sa production et son rythme sont marqués par une répétition et une sobriété confinant à l'austérité. Le second single, "Hold on, we're going home", s'approche de la perfection: d'une pureté telle qu'il semble difficilement concevable de la passer sur le moindre dancefloor malgré toute sa parure jouissive; une impression de refrain permanent bercé par la voix la plus lascive de Drake, le backing vocal des "oh oh" et une production vintage, assumant le kitsch exubérant hérité de Miami Vice. Cette impression est renforcée dans un clip qui se réfère de plus aux vidéos de la grande époque r'n'b: premier plan sur l'océan + clip narratif + costumes + petite copine en lingerie qu'il faut sauver. Un des titres de cette année. Abstraction faite des quelques petits moments de moins bien, tout l'album regorge de qualité. Pas de tubes mais des grandes chansons, avec une production lumineuse et une écriture soignée, aussi bien dans le registre sensible ("Furthest Sing","Too Much") que dans des titres plus durs ("The Language"); autre mention spéciale à "Connect" pour sa production co-signée par Hudson Mohawke, décidément partout en ce moment, qui permet ici à Drake de poser un flow tout en douceur sur une production comme d'un Kavinski sussuré.


Deuxième position
Le mainstream se retourne, ses cuisses ne pouvant tenir la comparaison, l’underground se penche pour servir de pivot à ce mouvement de réinvention et exulte de plaisir. Soeur de, Solange Knowles peut difficilement prétendre à jouer sur le même tableau. Ceci malgré deux premiers albums, dont un à à peine 16 ans, passés totalement inaperçus hors du continent américain. Cinq ans après, Solange se réinvente sur un EP en s'acoquinant avec la scène indé, signant sur le label d'un membre de Grizzly Bear. L'accoucheuse n'est autre que le producteur dont l'impact est reconnu ici au point que son nom figure sur l'album: Blood Orange. Ce dernier signe un parcours débridé et peut-être pas si atypique que ça: parti d'un groupe punk britannique, il se lance dans le songwriting anti-folk sous le nom de Lightspeed Champion, avant donc de devenir Blood Orange, avec un album passé quelque peu inaperçu malgré quelques bons titres comme "Sutphin Boulevard" déjà bien love eighties, mais surtout en tant que producteur et compositeur à succès, d'abord avec Florence and the Machine, puis le tube mi sensusel mi musique hantée de Sky Fereira, "Everything is embarassing". Cette nouvelle identité de Blood Orange finit même par s'incarner dans le clip de "Chamakay" qui pousse l'adoration r'n'b' nineties jusqu'à faire presque référence à Rasta Rockett. Ensemble avec Solange, ils signent donc le très bon TRUE EP. Ce dernier est porté par ce qui est bien parti pour être le tube de l'année, "Losing You". Le parfait mélange entre une rythmique guillerette à la Tom Tom Club et la sensualité du r'n'b. Bref, le "Fantasy" de Mariah Carey réinventé. L'intro est directement entrainante, la production et la voix irréprochables. A l'inverse de la machine à tube Beyonce, Solange parvient à se donner une âme. Il y a dans le son de TRUE quelque chose d'ultra-frais, qui donne à entendre une sincérité. Le reste de l'EP ne parvient pas à rester sur ces sommets. On trouve bien de bonnes séquences (notamment "Locked In Closets"), la voix de Solange restant toujours superbe. Ce qui donne 7 titres pop de qualité, sans pour autant être bouleversant, qui font rêver d'un futur vrai album qui tienne la distance.


Troisième position
L’underground monte sur le mainstream, s’appuie sur ses genoux à l’aide de l’ensemble de ses plus beaux attributs pour jouir. Cela fait maintentant plusieurs années que producteurs électro et r'n'b se font de l'oeil, les premiers vouant un culte sans borne au second, tandis que ces derniers profitent des autres pour se donner un coup de jeune et d'expérimental. Cette fois, on se donne les moyens pour que le mariage soit véritablement consommé. Deux des labels les plus excitants du moment, proches l'un de l'autre, Nigth Slugs et Fade To Mind (sur lequel sort la mixtape), s'associent pour faire défiler devant la chanteuse Kelela, une véritable dream team de la production: Ngunzunguzu, Jam City, NA, Kingdom, Girl Unit, Bok Bok. Rien qu'à l'énoncer, le projet fait saliver. On pense au WARM LEATHERETTE de Grace Jones, osmose enfin trouvée entre la pop disco et l'expérimentation New Wave. Ici, pour CUT 4 ME, c'est la rencontre fantasmée entre une vraie voix r'n'b' avec Kelela (et non pas un mec qui se prend pour tel, à l'instar de How To Dress Well) et des productions exigeantes de deux labels cherchant à reconstruire la musique club pour lui rendre son intelligence. Les deux labels réalisent ainsi leur fantasme d'un r'n'b' repensant l'idée de sensualité dans son ensemble et sans oublier de l'incarner dans le même temps. Parmi les treize tableaux érotico-réflexifs, ce serait faire des jaloux que de choisir ses préférés. Néanmoins, les morceaux les plus aboutis sont ceux sur lesquels les producteurs ont su se faire plus discrets, mettant leur son au service de la voix de la Kelela. En effet, des titres comme "Enemy" ou "Bank Head" restent d'excellents titres mais constituent des tracks très marquées respectivement par Ngunzunguzu et Kingdom, et Kelela n'y fait figure que de featuring, de qualité certes. Par contre, l'intelligence de faire passer tout en discrétion une production futuriste touche au sublime sur les gouttes brillantes de "Do It Again" signée de NA, les bulles pétillantes de "Cut 4 Me" de Kingdom et surtout le bricolage sexy de "Keep It Cool". Merde, Jam City a produit et réussit un titre r'n'b' avec Kelela, elle est plutôt pas mal cette année 2013.








 

13 oct. 2013

Kino Klub: Apes & Horses – The Fields (FRA)



Un groupe indé qui joue ses propres cartes, à l'écart, ou presque, prenant son temps, auto-éditant à merveille chacune de ses publications? Si, ça existe encore, peu importe notre pessimisme en la matière. De Paris, Apes & Horses n'en disent pas trop, taclent la hype pour mieux préserver une identité clippée par le membre caché du groupe, le photographe Olivier Bemer, illustrateur d'une fois pour Think Tank. « Dans la nuit bleue, nous sommes partis en moto à travers les palmiers, dans les rues de Paris » (et d'Espagne): un modèle de métrage musical DIY taillant la route, contrastant avec le cool d'usage, affrontant les clichés (la Tour Eiffel au top), fondant excellemment des plans sidérants. Malin et limpide.

1 oct. 2013

MGMT : la galaxie revisitée

Illustration : Giom et Lucie Sgalmuzzo
Mi-septembre, MGMT sort son troisième album. Un rendu entouré de questions qui vont de la nostalgie du temps des extra-terrestres au mensonge de la vie. Restée très mystérieux sur son évolution, la bande emmenée par le duo à consonances hollandaises Andrew Vanwyngarden et Benjamin Nicholas Huner Goldwasser (si si, on oublie rien) a entamé une tournée US avant même la sortie de son nouveau disque. Comme si l’album devait passer avant tout par la scène. Retour sur un disque Fridmannien avant leur concert à Zürich le 6 octobre.

Du tubesque Kids au délirant Astro-Mancy, le groupe de Brooklyn a voyagé. A travers le monde d’abord, mais aussi à travers les âges. Leur dernier opus est un livre ouvert sur la musique psychédélique, celle qui a toujours influencée le duo depuis leur début. Déjà au commencement, on pouvait reconnaître ses envies là (Future Reflections, Of Moons…) sans pour autant tomber dans des labyrinthes expérimentaux très hermétiques à leur première écoute (Astro-Mancy, I Love You Too Death). Cet album est donc une carte ouverte sur leur imaginaire, une sorte d’introspection qui les libère d’une pression qu’ils ne veulent pas porter sur leurs épaules. Cette pression, c’est celles des tubes, des singles FM qu’ils avaient alors alignés sur le redoutable Oracular Spectacular. A l’époque, on ne savait plus trop où donner de la tête avec un disque si rempli et si réussi. Peut-être même trop diront certains avec le recul, et c’est peut-être pour s’en excuser que le groupe livre par la suite Congratulations, en forme de pardon ironique à leurs dieux, Barrett, T-Rex et cie. Quelques années plus tard sort le single  anti-FM Flash Delirium qui pose alors les bases d’un album à moitié excellent, mais à moitié vide aussi, afin d’initier les fans à piger vers quelles horizons le groupe avait alors décider de s’envoler.


Chanson cool, numéro 2

MGMT est donc le nom de leur troisième bébé. Pourquoi éponyme ? MGMT est un groupe qui pourtant aime les noms loufoques, les clips incompréhensibles (l’ignoble It’s Working qui coule le morceau à lui seul), les pochettes loufoques – désolé pour la répétition, mais c’est l’adjectif qui leur correspond le mieux. Force est de constater que ce choix (et aussi celui de la pochette) aurait pu permettre de se demander si l’album serait dès plus classique. L’ouverture peut confirmer ses propos. Le très beau Alien Days démarre en trombes, avec une voix d’enfant, une partie solo de keyboard grandiose et un son de batterie qui n’annoncent que du bon. L’une des chansons les plus appréciables du disque si l’on oublie sa fin, longue, inutile et sans idée. C’est con pour une plage inaugurale. Ce triste concept, on va d’ailleurs le retrouver tout au long de l’album, entre moments franchement renversants (Cool Song N°2, les premiers refrains de Introspection, le single Your Life is a Lie ou la ballade psyché I Love You Too Death) et balles tirées dans le pied (les deux horreurs que sont Mystery Disease, An Orphan of Fortune). D’ailleurs, si l’on veut être méchant, il suffirait de faire entendre à tout le monde la version originale de Introspection pour se rendre compte qu’ils n’ont pas fait grand chose ; sauf leur producteur Dave Fridmann qui a du morfler. En fait, ce qui est amusant, c'est que la version de Faine Jade a vraiment l'air d'être la démo de celle de MGMT. Après, tout est à leur avantage d’avoir dégotté cette pépite et de lui donner une seconde vie. La Face A se termine sur le très bon Your Life is a Life, morceau court, super efficace et bien tourné, avec une structure ultra-simple qui sonne compliquée. Pas facile.


Je t’aime aussi, la Mort

Paradoxale, plus aérée, plus osée, moins cadrée, difficile à démarrer, la seconde face du disque est plus sombre. Une première écoute ne suffit pas. Au départ, on a l’impression d’entendre à chaque fois le même morceau – à l’exception de Plenty of Girls into the Sea. Le groupe devient clairement un duo (ce que MGMT avait démenti pourtant en 2008) : la batterie disparaît pour laisser place à des "beats" électroniques, les guitares se font rares et discrètes. On est dans un disque pas loin du Feels d’Animal Collective – en moins bon. Astro-Mancy en est l’exemple parfait : un ovni inclassable, ou la voix d’Andrew est au même volume que les boucles electro de son acolyte, où tout se noie dans un tourbillon vaste, coloré, excitant. Pieces of What semble très loin pour les fans de la première heure. Comme si MGMT était posé sur la lune et regardait la Terre avec un sourire ironique. D’ailleurs, cette présence de l’alien, du monde surveillé et des galaxies sont au centre de ce disque et de leurs clips et trailers. Astro-Mancy prépare l’auditeur pour le titre suivant et forme avec lui un couple circulaire. I Love You, Death est un titre éclairé et qui semble faire revivre les fantômes du Pipers de Pink Floyd : les petits trains qui passent, les jouets mécaniques, les souvenirs d’enfance, ce moment où l’on rit de la Mort. Cette cantine est, après plusieurs écoutes du disque, le morceau le plus intéressant. Sa progression fait froid dans le dos : la voix démarre avant la mélodie, comme si la chanson n’existait pas et qu’elle se développait au fil des minutes. Le retour sur terre avec Plenty of Girls in the Sea est donc très douloureux (sympa hein, mais minable). On dirait du mauvais Why (ou du Why tout court en fait). Et là se termine le disque. Ah non, pardon, il reste une plage : mais alors franchement, je préfère ne pas en parler. 

Donc voici MGMT : un disque qui confirme que le groupe n’arrive plus à tenir sur la durée et qui se contente de quelques mélodies bien placées, d'un refrain à répéter à l'oreille d'une fille, d'une intro bien arrangée. Paradoxalement, MGMT semble vouloir refuser d'écrire un disque plein depuis Oracular Spectacular. En 2013, ils livrent clairement un meilleur disque que Congratulations, préférant apporter de la magie sur un ensemble, désireux de faire résonner les morceaux les uns contre les autres. Et le vide que contenait leur précédent opus, est comblé ici par un peu plus de cohésion et de volonté. Une chose est sûre, ils restent un groupe très intéressant, capable du "pas terrible", et du très très bon. Une expérience à vivre en live, le 6 octobre à Zürich. Parce que de toute manière, avec désormais trois albums, il y a suffisamment de bons titres pour tenir sur un concert.