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31 juil. 2012

10 trucs à faire au Festival du film de Locarno

Ancienne gare, entrée du Grand Hôtel, Locarno 1947
Cette semaine débute la 65eédition du Festival de Locarno. Durant onze jours, la petite ville du Tessin se transforme en capitale culturelle européenne attirant les stars, un public toujours plus nombreux, et proposant à celui-ci des films de qualité venus des quatre coins du monde. En avant-goût, nous vous proposons quelques conseils pour ne pas se perdre dans cet amas de geeks en short et de suisse-allemands en sandales.

Comme le directeur artistique le désire, le Festival de Locarno se veut d’offrir « tout le cinéma et rien que le cinéma » ; et il est vrai que même si cette déclaration semble manquer de folie, la programmation du festival reste le point fort de cette manifestation. Voici donc les dix « trucs » à ne pas manquer si vous vous rendez à Locarno début août :

- Faire un high five à Roger Avary, membre du jury du Concorso internazionale qui sera on da place et peut-être l’un des mecs à essayer de croiser à tout prix pour lui payer une bière et le féliciter pour son adaptation du roman d'Easton Ellis (Les lois de l'attraction, 2003) et lui demander des anecdotes de ses années folles avec Tarantino, pote de vidéo-clubs. Avary est tout de même celui qui a permis à Tarantino de croire en ses films, notamment son premier, Reservoir Dogs. Par la suite, le Canadien s'est préféré un rôle plus rattaché au métier de scénariste.

- Wrong, le nouveau film de Quentin Dupieux sera projeté en avant-première sur la Piazza Grande le 4 août. Son précédent film (Rubber), l’histoire d’un sale pneu qui dégomme des mecs dans le désert US nous avait conquis. Nous attendons de Wrong qu’il soit juste.

- Première européenne pour Motorway, de Soi Cheang, cinéaste d’Hong Kong ainsi que The Sweeney de Nick Love, While we were here de Kat Coiro et le film suisse de Michael Steiner, Das Missen Massaker à voir sur la Piazza Grande.

- Tous les films de Leos Carax seront projetés à Locarno. Le réalisateur français du récent et étrange Holy Motors se verra attribué un prix le vendredi 3 août à 21h30. A voir parmi ces films, Les Amants du Pont-Neuf ainsi et (surtout) son premier long-métrage, Boy Meets Girl.

- Le concours international des courts-métrages. A éviter le jour de votre arrivée pour ne pas vous endormir lors de votre projection dans les salles de cinémas climatisés. Un niveau élevé contenant des films de tous les genres, à la durée flexible.

- Le Premio Raimondo Rezzonico est un prix attribué chaque année à un producteur indépendant dans le but de mettre en évidence un personnage clé de l’industrie cinématographique. Cette année, c’est à l’américain Arnon Milchanque le prix revient. Sans lui, certains grandes œuvres du cinéma n’auraient jamais vu le jour telles The King of Comedy (Martin Scorsese, 1983), Brazil (Terry Gilliam, 1985) et surtout le chef d’œuvre de Segio Leone qui sera projeté au festival, Il était une fois en Amérique (1984). Olivier Père animera une rencontre avec le producteur au Spazio Cinema (Forum) le mercredi 8 août.

- La rétrospective Otto Preminger présente l’intégralité de son œuvre en invitant entre autre Harry Belafonte (Carmen Jones, 1954) ou encore le compositeur de musique de film Paul Glass (Bunny Lake a disparu, 1965). Ces intervenants seront présents pour répondre aux questions du public après les projections.

- L’acteur mexicain Gael Garcìa Bernal sera présent pour briser les cordes vocales de ses groupies. Le 8 août à 21h30 sera projeté Node Pablo Larraìn, le dernier film dans lequel l’acteur a joué et qui sort cette année. Charlotte Rampling sera elle aussi récompensée par un prix pour l’ensemble de sa carrière le soir de l’ouverture du festival le 1er août. Le thriller anglais The Sweeney sera projeté en avant-première mondiale en présence du jeune réalisateur Nick Love.

 - Niveau paillettes, Alain Delon sera présent pour recevoir un prix honorifique. Le classique Rocco et ses frères de Visconti sera projeté. Imaginer Delon dans la salle durant la projection de ce film de 1960 dans lequel l’acteur n’a pas 20 ans est quelque chose d’unique. Il s’agit d’ailleurs pour beaucoup d’un de ses meilleurs rôles. Autre hommage, à Ornella Muti, l’actrice italo-française figure notamment dans les films de Dino Risi (Primo Amore, 1978) ou de Marco Ferreri (Conte de la folie ordinaire, 1981).

- Finir la soirée à boire des coups sur les bars de la plage avec des personnalités du cinéma portant de grosses lunettes noires et des chemises en jean’s avant de se jeter dans le lac de Locarno.

Bon festival à tous et à dans 15 jours pour parler des films qui nous ont touchés !

29 juil. 2012

Palp festival: valove

Photo: Louis Bernard
Sur Think Tank, on a déjà fait le tour des festivals mastodontes et de nos petits chouchou comme la Kilbi, mais l'été doit aussi permettre les découvertes et les excursions. Gros plan sur le Palp Festival qui débute le 30 juillet et se termine le 18 août. Sous le soleil de Martigny exactement.

Le canton du Valais rime pour beaucoup avec soleil et montagne. Cerise sur le Sérac, il y est organisé un festival coup de coeur de cet été: le Palp Festival, dont c'est la seconde édition. Dans une opération fructueuse, le festival occupe la ville de Martigny, assurant le service animation d'été tout en se faisant plaisir. La vérité, on a presque eu envie d'aller emménager trois semaines dans la ville des Caves du Manoir. Tout commence évidemment par la Fête nationale avec des groupes locaux et la bonne idée déconstructiviste d'une présentation de comment ça marche par un artificier. Ca fait rêver. Niveau ludique, il y aura du foot à jumelle (fun made in Japan) et le désormais inévitable vide dressing. La musique sera également abordée en partie sous l'angle du fun offrant des formes d'écoutes alternatives plus ou moins originales. On retrouve ainsi les habituelles et parfois décevantes silent disco et autre sieste musicale. Par contre, confier la disco pour enfant pour Luluxpo relève de l'excellente initiative tandis que les concerts sur les balcons s'essaient à une question centrale pour  changer la vie: faire la fête (y compris écouter des concerts) différemment. Neuf formations dont notamment Oy joueront ainsi au milieu de la ville, perchés sur des balcons ou des arrêts de bus dans une sorte de calendrier de l'avant musicale. Après, reste à savoir si la qualité du son sera au rendez-vous. 


J'ai gardé le meilleur pour la fin avec l'Electroclette qui aura lieu le samedi 4 août. Encore mieux que le barbetech, le concept fait rêver de lui-même: écouter de l'électro tout en enchaînant les raclettes. La question décisive sera de savoir si les corps arriveront à coordonner ces deux activités, d'autant plus au vu de l'heure étonnamment peu tardive à laquelle sont prévus les set. Niveau groupes en présence, c'est vraiment du lourd. A commencer par Chloé. La DJ française, fondatrice du label Kill The DJ, a dans son CV un excellent album de minimal, ONE IN OTHER. Si ce dernier brillait par sa noirceur et son côté planant, pour le Palp, on ignore si elle restera dans ce registre ou si, à son habitude, elle livrera un set beaucoup plus techno pour s'adapter aux conditions club. Dans une interview, Chloé disait qu'elle aimait, lorsqu'elle faisait danser les gens, les troubler en variant les rythmes, en ralentissant un maximum. On ne demande que ça. Pour compléter la soirée, il y aura surtout le très attendu Nathan Fake. L'anglais du label Border Community se place aussi dans une lignée club  anti-club. Fait pour le dancefloor, les sets de Nathan Fake lorgnent généralement souvent dans des directions barrées, osant autant les guitares que les synthés planant, forgeant une disco qui tape dur. Tout est bon dans le Palp festival, un projet où une ville a l'intelligence de confier son programme culturel estival à une structure inventive et originale. Cette dernière en retour réussit parfaitement à lier divertissements tout public qui ne tombent dans le rébarbatif et une soirée de grand plaisir avec des musiciens pointus. Résultat: un coup de fraicheur sur l'offre générale et la qualité se partage. Alors peut-être que la réalité décevra un peu l'engouement, que le son ne sera pas au niveau ou l'ambiance trop fête à la saucisse, il n'empêche qu'on a envie d'y croire à ce Palp festival. Valove

24 juil. 2012

The Dark Knight Rises : comment tuer Batman ?

Photo : Louis Bernard
J’avais comme première idée de parler des deux blockbusterssortis cet été, de les comparer et de les opposer dans un unique article : prendre les deux plus célèbres super-héros américains (Superman attendra 2013) et de voir la transposition qu'Hollywood en fait en 2012. A l’ébauche de mon article, un avis sur The Amazing Spider-Man, sur ses nombreuses faiblesses et sur le résultat, produit mièvre et pénible qui n’arrive pas à la cheville de la trilogie de Sam Raimi. Un compte-rendu raté d’une industrie en crise. Et vint ce jour sombre, où un étudiant américain écervelé entra dans une salle de cinéma et tua 12 personnes.


Ce n’est plus du cinéma.

Mais cette tuerie aurait-elle pu arriver lors de la projection du nouveau Pixar ou du dernier Woody Allen ? La réponse fait peur, le constat aussi, et ce drame terrorise d’autant plus lorsqu’on a vu The Dark Knight Rises, troisième et ultime volet de la trilogie de Batman labellisée Nolan – un film construit sur la douleur physique et qui, ironiquement, essaye de faire passer un message sur les armes à feu et leur inutilité. Provocation indirecte pour foutre à la poubelle cette loi qui autorise le port d’arme aux Etats-Unis ? Tragique en tout cas. Mais revenons au cinéma et à cette histoire de chauve-souris.


Redorer le cuir

Batman est devenu l’événement culturel le plus attendu de la semaine après avoir été le film le plus attendu de l’année. Et cela pour deux raisons. Primo le film marque la fin de la trilogie entamée en 2005 par Nolan avec sa fidèle chauve-souris humaine Christian Bale, et secondo parce que certains disent que la fin de la trilogie rime avec une mort prématurée de Bruce Wayne. Il est vrai que les deux premiers opus avait prédit le pire (dans le bon sens !) : Batman n’est plus un simple justicier de la nuit qui se bat contre une poignée de bandits venus semer le trouble à Gotham City. Il est un héros qui doit se battre contre lui-même, contre ses peurs, contre les habitants de la ville en qui son père a cru bon d’investir. Le Batman de Nolan n’est pas le même que celui des 90s. Alors que les deux premiers rendus de Tim Burton (1989 et 1992) avait été de véritables mines d’or pour le box-office et qu’avec le recul Batman : Le Défi est clairement un des meilleurs films du créateur d’Edward aux mains d’argent, la suite des aventures de Batman est à comparer avec les suites des Dents de la Mer : rien de bon, et, surtout, une tâche sur le CV pour certains de ces représentants, Clooney en tête.

La mission principale qu’a chargée la Warner pour Christopher Nolan était simple : redonner une seconde vie au justicier de la nuit. Après un excellent Batman Begins, Nolan peaufine son héros avec The Dark Knight : une intrigue géniale, des idées de mise en scène lumineuses, un méchant hors catégorie avec un Joker génialissime qui fait oublier la pourtant excellente prestation de Jack Nicholson de 89. Pour faire patienter ses fans (autant ceux de Batman que de Nolan), Inception est venu calmer les ardeurs. La critique fut positive et les deux années à venir encore plus douloureuse.


Cicatrices et aviation

Résumer le film est inutile pour deux raisons : les spoilersseraient difficile à éviter et, surtout, ce n’est pas vraiment le scénario qui compte mais plutôt la manière dont celui-ci est mis à exécution. Attention ! Je ne dis pas que le scénario est secondaire dans cet opus final, mais l’exhiber par écrit dans une chronique me semble dérisoire. Finalement que racontent les histoires de Batman ? Un méchant contre un gentil, des symboles qui s’opposent, un Homme chargé de combattre la criminalité dans une mégapole de douze millions d’habitants devenue ingérable ? Plus que ça depuis Nolan. La majeure partie du film repose sur comment faire éclater la vérité à la surface, et comment Batman réussira-t-il à regagner le cœur des habitants de Gotham City alors qu’il a pris sur lui les crimes commis par celui qui devait montrer le chemin, Harvey Dent. Si le film prolonge cette intrigue (à la base, Nolan voulait jouer sur le procés du Joker… imaginez le truc !), The Dark Knight Rises ressemble à bien des égards au premier volet de la trilogie : hésitation sur le retour, les choix à prendre, l’attente insoutenable. Le film est donc bel et bien basé sur l’attente : attente du héros, attente d’une explosion, attente d’une reconversion et d’une cicatrice à soigner pendant qu’une terrible catastrophe se prépare à l’autre bout du monde. Cette attente a ses défauts – qui pour d’autres sont des qualités. Batman, en cuir et en os, ne se montrera pas autant que dans le précédent film. Et par moment, on se demande pourquoi on reste figé sur l’histoire d’un jeune flic qui cherche à protéger 15 gamins alors qu’on vient de payer 16 balles pour une seule raison : voir Batman.

Mais coupons net. Cette légère faiblesse a de grandes conséquences. Et quand surgit Batman, l’électricité s’éteint, les voitures de copss’emboutissent, Gotham n’a plus le même visage. Construit sur de nombreuses métaphores, The Dark Knight Risesemploie le plus possible les signes et les symboles. Gotham City c’est New York, mais c’est aussi Londres, Chicago, Hong Kong et Shangai. C’est la ville de maintenant. La cité où tout le monde meurt et vit, où la modernité et l’importance du monde financier ne fait qu’une bouchée de pain des petites gens comme le démontre par exemple la séquence à la Bourse ou celle colossale dans le stade de football américain. Plus fort encore, la séquence inaugurale est l’une des plus impressionnantes jamais vues au cinéma. Elle propose un combat situé dans les airs entre deux avions, en campagne montagneuse alors que l’environnement privilégié du film est urbain et métallique – préfiguration du chaos à venir sur la ville.


Un film physique

Nolan, réalisateur du premier degrés et du concret n’aime pas la 3D ni les effets numériques. Il filme la réalité pure (le plus souvent avec une seule caméra par scène), le contact physique brut, la puissance des corps sans artifice ni obstacle. Comme évoqué en prémices, l'arme à feu n'est pas une solution pour Batman et les combats sont uniquement mano a mano, dégageant la dominante physique du long-métrage. C’est là que la patte Nolan fait tout son effet (non pas dans ces séquences exorbitantes d’immeubles qui s’écroulent comme dans Inception). Nolan fait vivre son méchant, un masque à oxygène fixé au visage. Bane, qui à côté du Joker pouvait paraître insipide, impose par sa masse musculaire et la déformation vocale du masque rend chacune de ses phrases plus tranchantes : chaque syllabe sonne comme un rugissement de colère hérissant les poils de sa victime – et du spectateur – jusqu’au pubis. Le rythme du film est infatigable, impossible, emmené à tambours battants par une bande originale plus noire que les cheveux de Cotillard et plus sombre que le cœur de Wayne. C’est 2h40 de pulsations extrêmes qui touche droit à la cage thoracique ; non le cœur, mais les os, la chair et la tête. Un film physique, le plus physique jamais vu.

Un point de comparaison avec les autres opus permettrait de discerner la qualité de The Dark Knight Rises : plus fort que Batman Begins mais moins percutant et intelligent que The Dark Knight. La troupe d'acteurs fait son job, et Tom Hardy en Bane est très fort ; mais peut-on faire mieux que Heath Ledger ? Le film regorge de faits inattendus, de personnages ambivalents et de surprises. La nouvelle Catwoman confirme qu’il est possible de faire du nouveau avec du remake en élaborant un rôle frais et réjouissant même si elle n'est pas aussi sensuelle et ténébreuse que Michelle Pfeiffer. Mais Nolan réussit parfaitement son coup, bouclant un triptyque moderne, puissant, énigmatique et lumineux dans sa noirceur sans jamais se trahir et jamais nous déplaire. Comme pour se redonner justice, la fin de la trilogie dessine l’exil dans le lointain. Une image finale extrême qui marque une césure géographique dans l’Océan, synonyme d’un retrait vers l’Europe. Nolan mérite ainsi ses vacances. Le petit malin ne nous laisse cependant pas orphelin en nous offrant la bande-annonce du prochain monument de super-héros, Man of Steel, film dont il est le producteur et qui verra le jour en 2013. Le trailer confirme déjà l'impact qu'aura eu la trilogie de Nolan sur les prochaines générations de super-héros au cinéma.

The Dark Knight Rises de Christopher Nolan (USA, 2012)
*****


21 juil. 2012

Summertime: 3X3 albums pour l'été

Photo: Vincent Tille
C'est l'été, on relâche la pression. Plutôt que le Speaches mensuel, nos chroniqueurs vous proposent une sélection de 3x3 albums. Pour rouler vers le sud. Pour chiller sur un linge. Pour danser toute la nuit. Pour s'enjailler sensuellement. A vous de choisir.

Pierre: Ce dont on rêve souvent en été, c'est de pouvoir écouter du R'N'B de qualité, rêve souvent illusoire. Mais cette année, un album fraichement sorti viens directement se glisser dans notre discothèque idéal de la saison: PLAYIN' ME de Cooly G. Le label hyperdub semble ainsi très bien réagir à la concurrence de Tri Angle. Du nom de la chanteuse à la couverture de la pochette, cet album ressemble presque à ce qu'on appelait une oeuvre de commande tant elle répond parfaitement à nos désirs: du R'N'B hanté, porté par la voix suave de Cooly G, rendue hybride par les synthés distordus et animée par des rythmes cadencées, véritable signature stylistique du label, réalisés à coup de basses syncopées et de voix ralenties. Ce n'est pas véritablement dansant mais terriblement prenant. Ca sent les caves de Londres à plein nez. Comme l'été, cette musique plait par un plaisir presque kitsch rehaussé par les vertiges de sensualité et les montées psychotiques. Spicy and spacy summer. PLAYIN' ME place la barre très haut avec des vrais tubes de saison comme le titre d'ouverture "He said I said", trémolant tant dans la voix que dans le sample, où l'hypersuavité de "Come Into My Room". Mais Cooly G maintient le même niveau dans les titres qui transpirent plus le dub et la musique hantée comme dans le génial "Good Times" ou "Playin Me", ce dernier lorgnant presque du côté de Salem. L'album contient même une curiosité avec une reprise hyperdub de "Trouble" de Coldplay. Sur le papier, l'idée a l'air horrible mais le résultat réjouit presque par la rencontre improbable de ces paroles qu'on croyait avoir oubliées et cette production barrée.




Pierre: L'été, ça scintille. Les ondées, les lumières le long de la route, le sucre glacé le bord des verres et la nuit qui tombe sur les villes et les plaines. Dans A COLLECTION OF RARITIES AND PREVIOUSLY UNRELEASED MATERIAL, John Maus enchaîne les pépites scintillantes avec une facilité déconcertante. L'ancien clavier de Panda Bear et Ariel Pink jouit désormais d'une renommée acquise à raison depuis WE MUST BECOME THE PITILESS JUDGE OF OURSELVES. Au point donc de sortir déjà une compilation de raretés produites par cet ancien étudiant de philosophie politique à l'université de Saas Fee (en Suisse sisi). Au menu 16 titres s'étalant entre 1999 et 2010. Si le titre de l'album fait très "on a ressorti les vieux bidules qui trainaient dans le grenier", il ne faut pas s'arrêter à cette fausse impression. En effet, même ceux et celles qui ne connaissent pas déjà John Maus pourraient bien être enfin convaincus par cette compilation d'inédits. En effet, John Maus s'y permet beaucoup de chose et cela le mène plus souvent sur des sentiers pop que vers des expérimentations soporifiques qu'on aurait pu redouter. Ainsi le premier titre, "North Star" représente presque une version lo-fi de "It's my life" version No Doubt. "The Law" met encore plus de bravoure dans ce laisser-aller pop aux sons de synthé pétillants. Rares sont les titres parmi ces inédits à ne pas jouir du talent mélodique de John Maus et de sa voix, perchée quelque part entre Koudlam et Elvis. En fait, on se demande souvent comment des titres aussi superbes que "Bennington" ou "I Don't Eat Human Beings" ont pu rester cacher aussi longtemps. Une compilation parfaite pour cet été, où les moments magnifiques côtoient une légèreté qui prend parfois même des airs de délire.




Pierre: La vérité fondamentale de notre été, c'est qu'au fond on aimerait pouvoir aller à des raves chaque semaine dans la forêt en écoutant de la House toute la nuit. Malheureusement, on attend encore le vrai retour des free party et les raves se font toujours aussi rares. Pour nous consoler musicalement, le label Strut a eu l'excellente idée de sortir une compilation au doux titre THIS AIN'T CHICAGO: THE UNDERGROUND SOUND OF UK HOUSE & ACID 1987-1991, mis en place par le DJ Richard Sen. On reste admiratif devant 24 titres faits pour danser, tout en restant très agréables à l'écoute à froid. Tous les titres représentent leur genre musical au tout au niveau et un néophyte comme moi ne va pas pouvoir rentrer les détails sonores. Néanmoins, le ressenti est qu'on a l'impression de trouver entre nos mains ou dans notre liste de lecture les 24 titres qu'on a entendu lors des meilleures fêtes de notre vie, dont on a jamais su le nom faute d'avoir pu atteindre le DJ ou enclencher Shazam. Une house plus ou moins acid qui malgré son aspect répétitif se révèle immédiatement jouissive et épique. La formule magique consiste à mêler un appel à la communion dansante à une production sans strass qui fait briller la notion fourvoyée d'underground et les facettes au milieu d'entrepôts déserts. Vous l'aurez compris, cette compilation est juste indispensable si vous voulez mener à bien votre été.




Raphaël: L'été lascif et un peu salace avec Gel Set : agréablement crade, le nouvel EP de la discrète entité originaire de Chicago, intitulé 'CELL JETS ' est au moins aussi laconique qu'on aurait pu l'espérer. Les morceaux sont bons et suintent le sexe, coincés quelque part entre synthwave désolée et électronique indifférente. De vagues rengaines pop émergent parfois de la nébuleuse dont l'étrange informité est pourtant porteuse d'une identité entière et puissante. Percussions fantomatiques et nappes brouillardeuses constituent l'essentiel d'un disque assez difficile à saisir et qui appelle sans conteste à la transpiration. Les textes, eux aussi, contribuent à l'ambivalence de Gel Set : de '' Can't Stop Hating You'' à ''Paradise for the Wicked'', le le registre reste désabusé mais évite les lourdeurs. L'étrange énergie de CELL JETS, figée, possède dans le minimaliste formel ultime une capacité à entamer des mutations assez fascinantes vers le dub, relâchant ainsi la sensualité d'un disque à la tension contenue. Pour rester froid dans l'âme tout l'été.




Raphaël: Ton été kraut avec CAN et l'ultime compilation d'inédits ''The Lost Tapes'', si touffue (3 disques) qu'on croirait presque au coup marketing. 30 morceaux, donc, plusieurs dizaines d'années plus tard, réapparaissent par miracle. Et c'est bien d'un miracle qu'il s'agit : loin de la manie fouineuse qui mène souvent à des sorties d'esquisses, de jams sans vraie cohérence, il s'agit ici de pièces d'une rare consistance qui auraient sans aucun doute pu former des albums à part entière et apportent un regard essentiel sur l'oeuvre de CAN. On découvre alors quelques-uns des meilleurs titres du groupe dont les ahurissants ''Abra Cada Braxas'', ''Millionspiel'', ''Bubble Rap'' ou encore ''Messer Scissors Fork & Light'', tous décidément caractéristiques d'un laboratoire d'expérimentations magiques autour duquel ont gravité des Bowie, Eno et autres monstres dont la sacralisation a, pour le coup, été plus immédiate et plus large que celle des teutons grinçants. Trente, voire quarante ans après les enregistrements, mais peut-être est-ce finalement le bon moment, peut-être sommes-nous prêts : l'évolution que la musique undergound a suivie n'a fait que confirmer les ramifications infinies qu'un groupe comme CAN a développé et les approches fondamentales qui en sont nées. Au-delà, c'est que du fun.



Raphaël: Les synthés dégoulinants de Com Truise pour les (éventuelles) soirées torrides, ça peut le faire aussi. Un nouveau disque tout aussi 80's qu'à son habitude, un peu porn sur les bords, des plages explosées et béates, pleines de modulations fun et tordues, intitulé ''IN DECAY'', qui se risque même à quelques titres un peu club (''84' Dreamin''' ou ''Klymaxx '') au milieu des élucubrations analogiques. Plus kitsch tu crèves, pourtant ça marche, les boîtes à rythme new-wave, les guitares discrètes, les volutes quasi chillwave et les basses granuleuses. Ce deuxième album de Com Truise entr'ouvre parfois la porte à des univers vaguement plus sombres, frôlant l'épique, et se révèle à l'écoute prolongée, si indigeste qu'il soit, assez immersif. De la disco-cul de ''Controlpop'' à l'agressivité plus palpable de ''Yxes'', c'est enveloppant et ça donne envie de danser gentiment, un petit sourire en coin, parce qu'on a l'impression que Com Truise, lui aussi se marre un peu tout de même. 



Julien: L'été est fun pour certains, exigeant pour d'autres; le radar mis en berne, on s'accroche à quelques sorties "essentielles", vues et entendues entre deux courses. Apprécier le nouvel album de Dirty Projectors relève ainsi du défi estival, à mesure que le disque flambant neuf – SWING LO MAGELLAN – file. Haters will hate hein, premièrement: l'archétypique groupe de Brooklin, guitares aigrelettes et références bien emballées, voilà, tout y est, Dirty Projectors n'enflammera pas les beaux jours d'un hédonisme des plus sidérants, d'un positionnement des plus originaux, et de titres sensationnels. C'est soft, plaisant, suffisamment arty pour se donner bonne confiance. Sinon, la formation s'est toutefois imposée comme une étape majeure pour sillonner le paysage indé du nouveau millénaire, en montrant l'exemple: tout bien compté, ce sont 11 disques tous confondus qui furent publié depuis 2003, pour deux fois plus de membres ayant côtoyé le projet de David Longstreth. Quelques titres du nouveau LP se détachent immédiatement – "Maybe That Was It" ou "Gun Has no Trigger". On attend sagement que tout se calme pour se plonger dans ce disque d'érudits, trop souvent simplement comparés à David Byrne, à la carrière impeccablement sobre. 




Julien: BEAK> noircira les bords de ton magazine d'été et mettra une chape de plombs sur des tendances comportementales quelque peu irréfléchies. Sorti le 29 juin, >> confirme l'aptitude du super groupe et son choix plus que radical (les pistes sont mixées telles quelles) – sorti chez Invada Records, label maison, ayant aussi publié la BO de Drive, que nous avions commentée ici. Cette direction sans lustre ni rayons de soleil ne va pas arranger le bilan séduction de ma sélection, d'autant plus que BEAK> se plaît à plonger bravement dans la radicalité, entre kraut et drone. Un disque de reclus sorti en pleine chaleur, difficile d'imaginer meilleure carte postale pour un cramé du travail. Patron de Portishead, Geoff Barrow ne rompt pas avec les préceptes d'une formation plus qu'admirée, et elle aussi trop souvent simplement assimilée à un style musical, bâtard qui plus est (le Trip-Hop). De fait, ce second LP du trio Londonien n'est pas à considérer vite fait, les pieds en éventails. Cela dit, il s'intègre parfaitement dans cet article Summertime, entre CAN, John Maus et Com Truise. On chopera pas forcément, mais on ressortira moins bête que d'autres de cet été.

Julien: Enfermé, fatigué et désorienté, on s'imagine un été comme le décrit si bien Pierre. On aimerait s'enjailler, mais on préfère finir nos tâches. Alors, au fond, CHANNEL ORANGE de Frank Ocean nous fait prendre conscience qu'on est en train de rater quelque chose, et que la jeunesse n'est là qu'une fois. Membre des Odd Future Wolf Gang Kill Them All, Ocean est la nouvelle preuve de la crédibilité artistique du collectif californien, avec une bonne dizaine de membres pour autant de directions musicales différentes. La pochette n'attirera pas une attention directe, mais Frank Ocean pourrait bien s'imposer comme un nouveau pion de la catégorie Sensuelle Séduction (et thématique à part entière de Think Tank) et en vendre des tonnes. "Thinking About You"pourrait bien compenser quelques mois d'austérité en une liaison assurée. "Sweet Life" nous fera tomber le peignoir pour bien s'habiller cette fois-ci, quitte à penser nous aussi à un nouveau nom. On a envie de se faire réconforter et de se synchroniser à "Super Rich Kids", puis reprendre son souffle quand intervient son compère Earl Sweatshirt. D'autres invités sont présents – Andre 3000 d'Outkast, John Mayer aussi, pour un LP massif mais pourtant si lascif qu'on se demande comment "The Orange Album" ne se retrouvera pas dans les classements de fin d'année. En attendant, on profite. Avec Frank Ocean, on est bien, et on compte bien le faire savoir.




5 juil. 2012

Sensuelle séduction: soul affair

Illustration: burn
Pour ce nouveau volet de sensuelle séduction, le registre se fera moins porno pour plonger dans des musiques toujours aussi érotiques, mais dans cette fois romantique au possible. Une affaire d’âme avec les magnifiques albums de Paco Sala, Dean Blunt & Inga Copeland et la très belle compilation Soul Space. It’s time for perfect love. 

Au delà du coït, règne en toi un penchant fleur bleue, des mains qui se frôlent, une goutte qui glisse le long d’une vitre, de la sueur le long d’une cuisse. Un amour parfait autant charnel que spirituel où ton âme pénètre la mienne. Cet amour sur la plage qui hante le cinéma, presque défini par Bergman dans Monika avant d’être repris par Godard dans Pierrot le Fou et plus récemment dans Moonrise Kingdom de Wes Anderson. Le temps de la cuillère. Cuisses contre cuisses, souffle contre nuque et cheveux contre bouche. Quoi de mieux qu’un duo pour célébrer ce genre d’émotion. Dean Blunt et Inga Copeland, derniers noms sous lesquels apparaît le projet Hype Williams, signent avec BLACK IS BEAUTIFUL ou EBONY, on ne sait plus très bien, un album magnifique, d’un amour plein de résine et de sueur. La bande originale d’un couple enfermé dans un appartement en pleine canicule, les stores sont baissés et la fumée trainasse sur les abat-jours. Une ambiance de bordel féérique et romancé. Il n’y plus aucune perception du temps qui passe. Ainsi sur BLACK IS BEAUTIFUL, seul le premier titre a un nom puis c’est parti pour une rêverie de 15 titres dont seuls trois font plus de trois minutes, mais parmi lesquels un de plus de neuf. Cette musique de dub hanté fait se rencontrer par magie la soul la plus droguée, les synthétiseurs les plus crasseux, dans une alchimie et une diversité qui ne peut être l’œuvre que d’un producteur de talent. Et la voix d’Inga Copeland varie parfaitement avec les différents registres, leur donnant une touche spectrale. BLACK IS BEAUTIFUL réussit tout ce qu’il entreprend, aussi bien la grande ballade pop avec "2", les délires vocales ("9") que les trente secondes incisives avec sample andin ("6"). On ne sait plus où donner de la tête, on trouve aussi une chanson en langue mystérieuse et la fin est tout simplement magnifique. Un album dont on ne cesse de découvrir les milles recoins. 


Après tant de splendeur, il est temps de redevenir un peu lubrique. Tu entrouvres ta chemise, tu secoues tes cheveux et œil contre œil tu es prêt à déclarer ta flemme et ouvrir ton lit, un martini à la main avec un petit parasol dedans. Ou alors au bord d’un lac qui scintille, des cerises sur les oreilles. Ou encore, dans une ruelle nocturne, titubant-e mais énamouré-e. Tu commences à le sentir, on va parler de soul. L’art de la compilation regorge de mille complexités et pièges, mais quand c’est réussi, qu’est-ce que c’est bon ! Un plaisir que nous donne PERSONAL SPACE, sorti sur Chocolates Industries. Le titre de l’album joue sur un double sens. Concrètement, les enregistrements datent de 1974 à 1984, période à laquelle les studio DIY deviennent financièrement accessibles, plus de gens ayant donc accès à un espace personnel pour inventer leurs propres sons. Ensuite, la couverture pleine d’étoiles l’indique, il s’agit de la conséquence de cette donnée concrète : l’expression de galaxies musicales entre soul et électro, entre bizarres et originaux. PERSONAL SPACE contient en quelques sortes 17 façons de déclarer sa flamme, toute plus singulières les unes que les autres. Aucune célébrité pour faire vendre la compilation, que des trésors injustement enfouis. On y trouve aussi bien des comptines facétieuses instrumentales avec Jeff Phelps, que des tubes aux muscles saillants (Jerry Green) en passant par de la disco lubrique (Cotillon), comme le nom l’indique c’est hyper gay. PERSONAL SPACE vient remplir une place vacante dans notre discothèque idéale avec ces 17 titres sexy, hyper love et en même temps expérimentaux avec des productions bricolées et des synthés qui éclaboussent comme des bulles de savon, à un point qu’ils en sonnent souvent très actuels comme "Master Ship" de Starship Commander Woo Woo. Impossible de se lasser tant le contenu varie, on retrouve ainsi (déjà !) des tentations orientales chez The New Year et The Makers. Le titre final donne juste envie de pleurer, alors quand un peu plus tôt Steve Elliot chante "Let’s make love one more time", tu as très envie de crier oui oui oui ! Quel pied. Un disque indispensable. 


Une chanson dont tu as oublié l’auteur affirmait "Après l’amour comme c’est triste, les mots d’amour et les habits trainent par terre". Au delà de cette métaphore quelque peu prosaïque, brille en effet ce sentiment où se mêlent tristesse et beauté tant dans le souvenir de l’amour que dans la conscience de la mort comme destinée de tout amour. Tu passes donc dans un registre beaucoup moins lubrique où les caresses persistent mais sous forme de réminiscences sensuelles. Comme dans un film romantique des années 80 ou un roman du XVIIIème siècle où les être aimés et désirés sont des fantômes frôlés dans la brume ou auprès d’un lac en pleine forêt. Réussir à exprimer musicalement ces émotions sans tomber dans un kitsch pompeux relève de l’exploit. C’est pourtant ce à quoi parvient Paco Sala avec RO-ME-RO, un album magnifique et bouleversant. Une pop rêvée bien au delà de la Dream Pop, une forme de R&B en beaucoup plus intime, où la sensualité n’est pas démonstrative mais intériorisée, cachée comme un secret. La production construit à partir de sons lo-fi une ambiance cristalline, romantique dans le sens artistique du terme. RO-ME-RO mérite véritablement un qualificatif employé souvent à la légère. Il est beau. Les dix titres qui le composent coagulent dans un espace onirique, enivrant d’érotisme. La langueur splendide prend encore plus quand le souffle spectral de la chanteuse Leyli habite les chansons. Avec un chant mélancolique au possible, les paroles ne se font que difficilement comprendre passant de l’anglais au français. Résonnent alors des mots épars dont tu te demande s’ils ne sont pas plutôt le fait de ton imagination : "cœur nocturne, embrasse", "la folie". RO-ME-RO donne presque envie de relire Mme de Stael et donne à la tristesse toute sa magnificence musicale. Si tu souhaites pleurer à nouveau en pensant à tes amours passés, "Spiral" ouvrira même les peines les mieux cicatrisées.



1 juil. 2012

Programmer un festival

Photo: Baker Wardlaw
Difficile d'échapper aux festivals de l'été avec leurs marées d'artistes, de stands bouffes et de cocktails exotiques. Plutôt que de rentrer dans une critique facile ou dans une simple sélection des must, Think Tank s'efforce de réfléchir à ce que représentent les différents gros festivals suisses, à qui ils s'adressent et ce qu'ils ont à nous dire sur le business du concert actuellement.

Julien: Lu ici et là, alors que nous préparions cet article: « les festivals sont-ils en péril? », ou, mieux:  « Victime de leur succès, les festivals jouent leur avenir ». Que nous apprend-on? Que, toujours plus nombreux et plus chers, les rassemblements musicaux pourraient voir le ciel s'"assombrir" sur leur avenir en Suisse. En prenant soin de relever des cas de faillites anglaises pour bien marquer les esprits. Outre le ton racoleur de ces quelques articles helvétiques semblant découvrir qu'on n'est plus à l'heure des fleurs et du LSD dans les champs, on note quelques pistes non négligeables, en dehors des traditionnelles théories pas toujours exactes sur les surenchères budgétaires, ou sur la concurrence, permettant de faire avancer le débat: multiplication des intermédiaires, tare attaquant tous les domaines culturels, infiltration des 4 Majors du disque dans la production. Et l'on ne parlera pas du cas exceptionnel de Glastonbury, exemple de festival bordélique n'arrivant pas à se redéployer chaque été, pour de nombreuses causes diverses et souvent indépendantes du marché musical (la lecture de l'historique du festival est assez cocasse). 


Pierre: Programmer un festival en Suisse, c'est faire face à autant d'avantages que de difficultés. Pour ces dernières, il y a bien évidemment la concurrence et les cachets exorbitants d'artistes qui ne vendent plus de disques. Il n'y a qu'à regarder les têtes d'affiches des différents festivals pour voir qu'on y trouve presque aucun groupe ayant sortir un album digne de ce nom récemment.


Julien: Propos que le toujours très pertinent Sébastien Vuiginer, indépendant avec TAKK Production, pourra en partie contredire: « Il est faux de donner la chute des ventes de CDs comme argument essentiel à l'explosion des cachets (…) Je n'ai jamais entendu un artiste demander 20% de cachet en plus parce que son dernier disque a vendu 20% de moins » (24Heures, 22 juin). Toutefois, on observe avec pas mal d'étonnement ce réveil soudain, révélant ce manque de repères dans un marché pourtant ronronnant depuis des lustres. Pas besoin de faire HEC pour constater que multiplication+chèrté+petit pays égal problèmes en perspective (nonobstant le pouvoir d'achat suisse). En filigrane s'est développé de drôles de stratégies de part et d'autres: évolution des prétentions des musiciens, détérioration artistique de certains festivals, appropriations de scènes par des marques (clairement visible comme à la Primavera, de façon déguisée en Suisse), décloisonnement de la musique appelée jusque dans les années 90 underground, ou arrivée de (vrais) professionels de la communication dans la bataille.


Raphael: En effet, les stratégies quasi-palliatives prennent un essor hallucinant au travers de démarches de sponsoring nettement plus criardes qu'auparavant, les marques s'invitant non seulement sur les scènes en tant que sponsors de plus en plus visibles mais aussi en s'approchant de plus en plus de la programmation. Le meilleur exemple actuel est sans doute Red Bull et sa Music Academy: bien au-delà du simple partenariat, la marque a développé une véritable méga-plateforme proposant mixes, interviews, séminaires, enregistrements live et même soirées. Dans le cas du Montreux Jazz, la RBMA a pignon sur rue les jeudis au Café avec notamment Four Tet et le Brandt Brauer Frick Ensemble ou Pantha du Prince l'année passée et soutient, dans toute l'Europe des évènements à la crédibilité incontestable comme les nuits sonores de Lyon. Ainsi, la marque a su s'imposer dans le monde de la musique électronique. Du côté de la direction des festivals, on rechigne et tente bien souvent de limiter autant que possible les enseignes lumineuses et autres manifestations envahissantes du taureau sur les scènes tout en acceptant les soutiens considérables qui en proviennent. Ou fixer une limite? Quel regard porter sur cette ominprésence? Ces endorsements sont-ils générateurs d'une plus grande diversité musicale ou représentent-ils un danger (à part visuellement) pour les festivals? Difficile de se positionner sans passer pour le râleur.


Pierre: Les avantages sont que les gros festivals ont réussi à devenir des moments incontournables, certains étant presque sûrs d'afficher complet après seulement quelques jours, ceci s'expliquant en partie par la faiblesse de l'offre en concerts en Suisse le reste de l'année. Face à ces pressions positives et ces courants contraires, programmer un festival, c'est avant tout un choix. Décider de donner telle part de son budget à telle catégorie de festival revient à définir l'identité d'un festival. Une identité extrêmement ancrée par un être incontournable: le festivalier. En effet, à l'inverse des milieux de l'art contemporain ou du festival de cinéma, le festival s'avère avant tout être le lieu du divertissement et non plus la sacralisation d'une création artistique. Regardons donc quelles sont ces identités proposées par différents festivals. Le Paléo constitue la véritable incarnation du festival suisse romand. Avec son offre dithyrambique en stand nourriture et boissons, la diversité de son public, le Paléo devient incontournable chaque été, ceux qui ne s'y rendent pas se sentant obliger de le dire, comme pour expier une faute ou oser un sacrilège. Quand on se penche sur la programmation, difficile de se faire un avis. Dans cette vision quasi-totalitaire, personne ne doit être oublié. Les amateurs avisés de musique orientale pourront danser sur le génial Omar Souleyman, les rockeurs se tâteront pour savoir s'ils iront voir M83, Kurt Vile, Bon Iver ou Warpaint. Ici on accorde même une place à ceux qui écoutent du hip-hop en leur accordant une soirée avec 1995, Orelsan et Theophilius London. Les deux publics cibles sont bien sûr eux aussi gâtés, les familles mangeront leurs plats chinois en écoutant Stephan EIcher (au mieux) ou Manu Chao (au pire). Et pour les ado, le Paléo sait y faire en programmant des groupes que je connais pas (Chinese Man) ou certains dont j'ignorais qu'ils étaient encore écoutés et encore moins par des jeunes (Kooks, Franz Ferdinand). Avec pour finir et pour accompagner le feu d'artifice, David Guetta en symbole d'un festival souvent mérpisé par certains mais avant tout suivi par presque tous.


Julien: La place des artistes suisses étant marginale mais pas du tout dérisoire: entre les très cotés Boy, La Gale, Honey for Petzi, possédant depuis un moment un format international, on note d'autres invités réjouissants comme Monoski, mmmh! ou Peter Kernel. Sur ce point-là, le festival nyonnais est exempt de tout reproche (presque tous les groupes de moyenne importance nationale, c'est-à-dire sachant écrire des morceaux qui tiennent, répétant deux fois par semaine et ayant déjà joué au moins dix fois dans leur propre ville auront déjà foulé une scène du Paléo). Chose que l'on ne peut pas dire pour le Montreux Jazz Festival, malgré un bataillon de communicateurs hors pairs (seuls Buvette et Kadebostan - en formation - jouent au Jazz Café, tous deux qui plus est sans attaches fortes au pays). Sinon, c'est le gouffre sidéral: Bastian Baker, Philipp Fankhauser (plus Nord-Américain que réellement Suisse lui aussi), et qui d'autre? dans une une programmation plus qu'inégale.


Pierre: Montreux possède deux visages. Le premier se repose sur une gloire passée et un prestige associé sans complexe aux milieux financiers (UBS ou Harrods où un café labellisé MJF va s'ouvrir). De ce coté, tout est cher, les vieilles gloires se croisent. Le hip-hop, qui jouissait avec le festival d'un rare lieu de concert à qualité sonore, a bien failli se faire virer du cercle pour cause de mauvaise conduite, le style musical se voyant associé aux préjugés les plus stupides du genre rap=voyou. Sans parler de l'électro qui ne serait pas de la "vraie" musique. A côté de vieux messieurs tout-à-fait recommandables (Bob Dylan; Gilberto Gil), on tombe sur un panthéon du ringard (Alanis Morisette, Nada Surf, Ting Tings) et des trucs incompréhensibles (Pitbull, Anastacia). Pour sauver la mise, il reste M.I.A. et le gros coup Lana Del Rey. L'autre visage du festival se donne des airs fringuants, jeunes et un peu bordeliques. Tout y est offert et cela part de tous les côtés. Chaque année, la line up du off nous excite plus que celle du in. Sur le papier sûrement un des meilleurs festivals gratuits au monde. Malheureusement, les qualités du in font défaut ici, la qualité du son étant rarement au rendez-vous. Malgré ceci, nombreuses sont les soirées alléchantes: Sebastien Tellier, Django Django, La Femme, Breton, Buvette, Active Child, Four Tet, la bande son de Drive (College, Kavinski) et d'autres encore. Impressionnant.


Julien: First Aid Kit avec leur excellent second album, disque du mois dans nos collones Speaches cet hiver, Matias Aguayo ou XXXY sont aussi à relever dans le très industriel (d'apparence) Café. De même, je rajouterai le très influent Robag Wruhme, Soul Clap, Wolf+Lamb ou encore Gesaffelstein parmi les offres séductrices du Studio. Sinon, au Park, on y joue à plusieurs sur scène, pendant très longtemps, sous le soleil avec vue sur un monde en soi. Tout ceci sauve un peu une programmation payante plus que douteuse. Reste cette impression d'incohérence artistique, démontrant bien que Montreux joue la carte du mythe quand bon lui semble et profite de son offre gratuite pour se donner une image de festival généreux (peut-on réellement critiquer ce qui est "offert"? - même si l'on sait que rien n'est gratuit). Pour éviter que le  ciel ne  s'assombrisse aussi chez lui, Montreux s'est radicalement  positionné dans un offre musicale totale, boutique, multimédia, café, TV, blog. Une identité réaffirmée dans un paysage toujours plus exigeant: voici beaucoup d'énergie déployée, mais est-ce que cela sera suffisant? Et est-ce que l'on parle encore sérieusement de musique? 


Raphael: Difficile de savoir si cela sera suffisant: Montreux semble, cette année aussi, hésiter dangereusement. D'un côté, la programmation exceptionnellement mauvaise du payant, de l'autre celle du gratuit qui, à mon avis, même si elle se veut plus "jeune", peine à susciter un véritable intérêt, ceci pour diverses raisons. Le gratuit, type de fonctionnement que je soutiens fondamentalement, semble à Montreux avoir atteint une forme de limite qui transparaît dans la programmation un peu timide du Off: la forte affluence qui découle de la gratuité tronque quelque part, en l'absence de véritable direction artistique, la situation. Au vu des conditions techniques, logistiques et du public, difficile évidemment de créer un lieu qui se prête véritablement à l'écoute; le public ne paie pas et veut s'amuser. Il devient difficile, voire impossible d'imposer une musique exigeante. Malgré tout, peut-être que la programmation d'artistes comme Four Tet permettra peut-être de faire le lien entre fun et crédibilité musicale car le reste de la programmation gratuite, tendant vers l'originalité, reste malgré tout très convenue et proprette. On reste toutefois quelque part dans un entre-deux un peu sage, mais qui sait, peut-être est-ce là un moyen d'amener petit-à-petit un plus grand nombre vers une musique plus exigeante.


Pierre: Sinon un festival qui par contre a défini son identité de façon extrêmement claire et rigide, c'est le Frauenfeld, grande messe hip-hop suisse-allémanique. Même, le reggae, pourtant assez proche, n'a le droit de cité que sur une scène à part. Pour le reste, on trouve une affiche avec de grosses super star internationales comme Drake, 50 Cent, Wiz Khalifa, Rick Ross, Nas ou Sean Paul. Du bien mainstream donc mais ce qui me ferait presque hésiter à m'y rendre, c'est le fait que le festival ne rate jamais le coche des nouveaux immanquable. L'an dernier, c'était ODD Future; cette année, on pourra voir ASAP Rocky. Entre 13h40 et 14h40 quand même.


Julien: Il faut relever que Frauenfeld a commencé dès le départ avec un positionnement artistique fort: Lee Perry, Jimmy Cliff ou Kid Creole étaient présents pour les premières éditions, il y a 25 ans - en aparté, on soulignera la présence courageuse des Beach Boys, Toto, Bo Diddley ou Elton John dans les années 1990. Une autre époque à tout point de vue. Frauenfeld fait pour moi sens parce qu'il ne vient pas s'ajouter au calendrier en s'alignant sur les programmations d'autres festivals, chipant ici et là quelques artistes à coup d'argent ou de coups fumants, copiant allègrement les programmations du reste de l'année des clubs. Frauenfeld, c'est trois jours de hip hop qu'on ne verra (presque) jamais ailleurs le reste de l'année. 


Julien: Cet article s'est aussi construit en réaction à quelques observations: premièrement, celle de  critiques de plus en plus  systématisées lors de la sortie  de chaque programmation de  festivals, les réseaux  sociaux amplifiant ce phénomène avec cette facilité de se prononcer dans une quasi-invulnérabilité. Deuxièmement, des cas d'ignorances ou de gros clichés lâchés comme des bombes, plus que navrantes en 2012 sur le hip hop ou la musique électronique - Claude Nobs a rappelé que cette dernière n'avait pas sa place dans le programme payant de Montreux parce qu' « (elle) n'est pas de la vraie musique ». Rappelons juste à ce dernier à quel point des formations allemandes comme Kraftwerk ou Can sont infiniment plus influentes au XXIème Siècle que ses chers amis du Blues. De plus, s'extasiant mois après mois sur des artistes "au-dessus", dans un style précurseur et affranchis de toute forme racoleuse, nous nous étonnons du conservatisme des choix artistiques des principaux festivals de notre pays. En marge mais bien ancrés avec un public cible fidèle, des festivals comme le For Noise, la Kilbi du Bad Bonn, le B-Sides de Lucerne tentent eux toujours de surprendre, d'évoluer artistiquement et de ne pas se réfugier sous ces concepts de concurrences et de cachets mirobolants excusant une programmation bordélique. Presque une autre époque: à Montreux, en 2004, PJ Harvey prenait place sur la scène du Miles Davis Hall après deux ouvertures de sang et de feux par 80's Matchbox B-Line Disaster et Black Rebel Motorcycle Club. Est-ce que cela serait encore possible? La disparition annoncée des festivals n'est-elle finalement pas la cause de ces incohérences artistiques? La culture pop s’est internationalisée il n’y a même pas un demi-siècle; elle se trouve à un tournant, l’exemple de Montreux étant révélatrice: les grands artistes historiques meurent, et dans quinze ans tout ce mythe né entre les années 50 et 60 sera du passé. Au contraire de l'art ou de la musique classique, la pop music n'a pas encore de fondations solides, assumées au fil des décennies.