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29 sept. 2013

Julia Holter, Gigi et la Hi-Fi

Illustration: Charlotte Stuby & Arthur Raby







Dans un dédale chic et précaire, Julia Holter édifie une musique hors-norme, lente, et pourtant si contemporaine. Balancez Musique Hantée, Vaporwave et Trash Love: la Californienne sort de sa chambre en 2013 pour signer son premier classique. On plonge à corps perdu dans les sons et les références.

Elle insiste pour garder son nom d'usage – Julia Shammas Holter – un patronyme en hommage à son éminente universitaire de mère; elle convoque les grands axes de la tragédie grecque dans ses deux premiers albums; elle appelle aux fantômes ("Whispers through windows everyday for you / Whether you can hear them or not?"), cite ses influences plus que de raison (Monteverdi, Colette, Euripide, Paolo Conte), quitte à ne pas écrire une seule ligne de certains disques. Servi sur un plateau par un ensemble de musiciens, LOUD CITY SONG est la suite logique d'une progression artistique, d'un parcours indé trouvant son public, d'une carrière ratifiée par les critiques et de la consécration d'une artiste alliant l'utile à l'agréable – quelle grâce. Julia Holter réunit tous les arguments pour lasser, s'effacer derrière l'aura d'une Kate Bush, se confondre face à Regina Spektor ou Zola Jesus voire carrément se présenter comme une nouvelle musicienne… de galerie. Une bonhomie artistique bien trop conceptuelle, osant se revendiquer de la Pop Music. On pensait en avoir terminé avec Laurie Anderson. Une écoute furtive, une lecture en diagonal et le réveil est brutal.


La position artistique, honnie des circuits habituels, pas forcément acceptée par le champ de l'art contemporain, a souvent été un fourre-tout commode pour y caser les Songwriters féminines. Bush, forcément, mais aussi les contemporaines Soap&Skin, Julianna Barwick, Grouper (Liz Harris), Fiona Apple, Fatima Al Qadiri, Nite Jewel (Ramona Gonzalez) ou encore notre compatriote Aïsha Devi (anciennement Kate Wax). Des intentions qui détonnent dans un paysage sonore alternatif ronronnant et, on le regrette continuellement, répétant avec zèle clivages et hiérarchisations pourtant dépassées. En dehors des White Cubes, point de salut? Dans le Money Time estival, Julia Holter répond non. Avec ambition et… humilité. Ses deux premiers albums étaient des petites perfections folk, expérimentales et ambiant. TRAGEDY en 2011, EKSTASIS en 2012, beaucoup d'influences disions-nous, peu d'écriture, un décor glacial, des textures hantées, de belles promesses pour cette multi-instrumentaliste de 29 ans. Quelques grandes mélodies pop – "In The Same Room", des incursions dans le synthétique – "So Lillies", "Goddess Eyes" – et beaucoup, énormément de baroque – "Marienbad". Tout cela était merveilleux, érudit, soigné, mais on aurait pu finir par s'en détourner. Au danger de la folk synthétique de chambre, de l'excellence comme modus operandi, la Californienne y a répondu par l'ouverture. Une ouverture logique donc, au vu d'un parcours impeccable. La tentation Hi-Fi comme parade à l'application harmonique, neuf titre, seulement, mais un vrai album, minutieusement agencé, variant les approches, osant les limites du pompier ("Horns Surrounding Me") ou de l'accessoire ("Hello Stranger").


Julia Holter a toujours excellé dans les introductions, ce qui, mine de rien, n'est pas des plus banals. "World" la dévoile nue, à peine entouré de voix féminines en écho, illustrant a capella la thématique générale de l'album: la "désillusion croissante vis à vis de la société de la société urbaine et de sa superficialité" (Magic n°174, juillet 2013). Une économie de l'instrumentation alors même qu'on annonce un disque Hi-Fi. 300 secondes de silences, et de références, qui, laissent la place à "Maxim's 1" et son appropriation de la nouvelle de Colette, "Gigi" – le syndrome érudition-ambition, couplé à des visions conceptuelles sont ici remarquables car subtiles (quasi-imperceptibles), au contraire du très démonstratif, tendance limite pédant, Nicolas Jaar. LOUD CITY SONG montre une artiste au top, à maturité, s'affranchissant des structures usuelles et ouvrant des spectres quasi-inconnus – le teigneux "In The Green Wild", splendide, les écarts jazz sensuels de "This Is a True Heart", les multiples incursions de saxophone,  ou le sidérant "He's Running Through My Eyes", proche de certains titres de WHITE CHALK de PJ Harvey (2007). Le LP cultive d'autres paradoxes: plus produit (toujours par Cole M. Greif-Neill, producteur et ancien membre de Ariel Pink's Haunted Graffiti), il paraît moins épique qu'EKSTASIS, plus léger que TRAGEDY, alors que la tendance serait de vouloir se mettre au niveau des artistes de grandes scènes. La grandiloquence ainsi est évoquée symboliquement, où la violence est elle cérébrale, presque abstraite et la musique spectrale, panoramique. La Californienne semble procéder à l'inverse des tendances, avec un recul assez étonnant pour une artiste si jeune – qui plus est produisant un album par an. Hors de sa chambre, dans la grande ville: un baptême brûlant plus qu'un nouvel ordre.

Concert en Suisse:
27 octobre 2013: Salzhaus Winterthur

2 novembre 2013: Palace, Saint Gall




 

23 sept. 2013

Heartland: noirceur magnifique

Illustration: Mathias Forbach
On ne l’avait pas vu venir. Sur une affiche et un site des plus sobres, soudain la cascade de noms précieux. C’est peu dire que l’affiche du Heartland de cette année a conquis Think Tank. Du 23 au 28 septembre, il y aura en une semaine presque autant de bons concerts que sur le reste de l’année. Merci Heartland. Tour de table interne, opinions et notes sur l'affiche.

Julien : Quatrième édition pour ce festival itinérant, entre les continents, de Toronto à Vevey, en passant par Berne et Lausanne cette année. L'exploit étant d'avoir su s'ancrer dans le paysage culturel helvétique avec un tel mode opératoire. Hors norme Heartland? La première édition qui s'était tenue dans la vétuste salle Del Castillo de Vevey en 2010 fut émouvante pour le cadre et l'atmosphère qui s'en dégageait, avec l'impression d'assister à une drôle de résidence artistique plutôt qu'un énième festival. Les valeurs sûres Timber Timbre et Destroyer livrèrent des concerts de haute tenue; déjà embarqué dans l'aventure, Owen Pallett y présentait son projet Final Fantasy, alors que des groupes comme Broken Social Scene, Do Make Say Think, The Acorn ou encore les artistes Buck 65 et Eric Chenaux se succédaient dans cette Embassade éphémère du Canada. En 2010, j'interviewais le fondateur du Heartland, Pascal Roth, qui m'avouait: « On a fonctionné à l’inverse des grands festivals: on a passé trois mois entièrement sur le line-up. On n’a jamais pensé sponsors et même espaces de production scénique. Tout c’est joué sur les dates de tournées nord américaines. On n’a travaillé que sur la disponibilité des groupes, en cherchant le meilleur week-end possible pour réunir le maximum d’artistes ». Cette exigence artistique s'est perpétuée d'éditions en éditions, en passant par Berne et le Dachstock, pour une édition 2012 estampillée 15ème anniversaire du label Constellation Records. Lausanne accueille donc un Heartland Festival qui prend cette année des allures synthétiques et avant-gardistes.


Pierre : Il faut dire la vérité. Les précédentes éditions du festival nous avait moyennement conquis. L’option folk et rock canadien avait beau trouver son public, la ligne nous semblait à nous trop monochorde et  un peu trop senteur cheminée. Pour cette édition, Heartland s’éparpille pour notre plus grand plaisir dans plusieurs lieux de Lausanne (le Métropole, le Romandie, le Bourg et même la salle Paderewski) et dans des styles plus variés. S’il fallait trouver une colonne vertébrale à cette programmation vertigineuse, ce serait une forme de noirceur magnifique. Reste par rapport aux anciennes éditions un air de société du bon goût musical. On se frotte les yeux devant une programmation avec autant de groupes aussi rares qu’excellents. En plus, le festival évite le piège de la trop forte concentration en le tout étalant sur plusieurs soirs. Retour sur les coups de cœurs de la rédaction.


Julien :  Je parlais plus haut de la présence d'Owen Pallett et de son ombre qui a toujours plané sur le festival. A Lausanne, il sera le curateur exclusif de cette édition protéiforme, à fortes tendances électroniques comme l'annonçait le communiqué de presse: « Après avoir travaillé avec des groupes aussi célèbres que arcade Fire, Pet Shop Boys ou Grizzly Bear (…) il a sorti une série d’albums et de EP ambitieux et classieux, qui ont séduit l’aristocratie rock autant que les pontes du classique ». Plus qu'un musicien exigeant, Pallett est en train de s'imposer comme un directeur artistique érudit et parmi les plus intéressants de son époque, s'affranchissant des genres musicaux et de l'ordre établi: en réunissant Fuck Buttons, Clark et Diamanda Galas sur une même affiche, le Canadien ouvre des horizons rarement vus dans notre pays, tout en participant de l'actualité musicale en programmant Demdike Stare, Prince Nifty, Micachu et de la consécration de These New Puritans, groupe de Southend-on-Sea que l'on n'attendait plus à pareil fait.


Pierre : Malgré des débuts très mode, These New Puritans ont su utiliser chacun de leurs albums comme des étapes pour toujours se réinventer. Cela donne en 3 temps: un premier concert lausannois dans le tout récent nouveau Romandie, avec un set aux faux airs de pop rock en pleine vague avec un tube qui parle d’Elvis ; ensuite, un concert martial dans le cadre de l’électron où les percussions et la violence de HIDDEN balayèrent une salle à moitié vide. Pour Heartland, These New Puritans viendront déployer la beauté de FIELD OF REEDS dans un Métropole apparemment assis. Les cuivres, les cœurs et les pianos devront assurer en live ce que l’album avait montré: le statut de nouveaux Divine Comedy, portant l’écriture jusqu’à des sommets bouleversants.


Julien : Quelle transformation en cinq ans pour cette formation! Il est vrai que leur venue au Heartland tombe à pic. On passe à l'autre excellente nouvelle de la programmation, auteur cet été un album malade, impérieux et sacrément radical, sorte d'électronique industrielle nouvelle génération, délestée de tout le décorum de ses prédécesseurs, entre Jon Hopkins et A Place to Bury Strangers:


Pierre : Fuck Buttons fait en effet partie des groupes que je souhaite voir depuis de nombreuses années, ayant raté leur passage presque clandestin au Bad Bonn. Leurs trois albums sont sans fausse note. Avec le récent SLOW FOCUS, le duo prouve que le délire procuré par la diffusion de leurs titres lors de la cérémonie d’ouverture des Jeux Olympiques de Londres ne les a pas fait dévier de leur radicalité sonore. Ce concert s’annonce comme une rare occasion d’écouter en Suisse un live électronique d’un psychédélisme vivace, loin des clubs.


Pierre : Pour certains, la musique indu et Throbbing Gristle font office de religion. Sleazy décédé, Genesis P Orridge totalement barré, Chris and Cosey restent seuls à perpétuer la face carrée de cette musique industrielle. Peut-être moins fou et sentimental que Genesis, Chris and Cosey n’ont pourtant jamais failli et continuent de délivrer une musique ultra expérimentale tout en ayant une influence extrêmement large. PlanningToRock reste pour sa part un projet musical des plus mystérieux. Malgré des titres en prise féroce avec le son actuel comme "Doorway", elle reste confidentielle. On ne comprend toujours rien à son nez mais impossible de l’oublier car régulièrement des piques viennent nous rappeler son existence, que ce soit une reprise de Guided By Voices, un rework de The Knife ou un titre récent pour le moins étrange.

Raphaël :Si Chris & Cosey sont les survivants magnifiques d'une scène industrielle qui, aujourd'hui encore, conserve toute sa pertinence, ils sont aussi parmi ceux qui ont entrebâillé la porte de la techno voici plus de trois décennies. Une formation dont le statut presque mythique n'a d'égal que l'impact massif de leur musique. Une édition de Heartland étonnement bien fournie en grincements, avec également Demdike Stare, penchant plus technoïde de l'approche industrielle. Miles Witthaker et Sean Canty délivrent, depuis quelques années, des disques abyssaux, foisonnants de références païennes et ésotériques. Leurs multiples projets communs ou solo, notamment associés au label MODERN LOVE (Andy Stott, Claro Intelecto, etc.), semblent dans la continuité d'artistes comme Coil, radicales et exigeantes.

Pierre : On se plaint souvent du manque de soirée avec dj hip hop et R&B en Suisse. Bonheur car Heartland se terminera au Romandie avec Total Freedom. Le DJ de Los Angeles représente un des producteurs les plus créatifs de sa catégorie. Actif au sein du génial label Night Slugs (Fatima Al Qadiri, Ngunzunguzu, Kingdom, la crème quoi), son récent mix pour Dummy ou sa prestation au Boiler Room font saliver les oreilles d’avance.

Raphaël :  C'est d'ailleurs un rayon qu'on pourrait retrouver durant le dj set de Micachu, géniale allumée londonienne au CV (presque) trop imposant pour espérer un peu de fraîcheur: soutien de Björk, sorties sur le label de Matthew Herbert, etc. Pourtant, encore une fois on citera Boiler Room, le sien, 100% fait de son propre matériel, pour référence: productions hip-hop lo-fi baveuses, beats boiteux et abrasifs risquent bien faire mal là où ça fait du bien.



Sounds Quixotic & Owen Pallett Present Heartland 2013: Gotham
Salle Métropole, Lausanne. Du 24 au 28 septembre 2013
http://www.heartland.ch

 

20 sept. 2013

Kino Klub: Co La - Make It Slay (US)



Quel clip! L'artiste new-yorkais Andrew Strasser s'associe à Matt Papich (Co La) pour un tour de force visuel en forme d'hommage indirect à Storm Thorgerson, graphiste récemment décédé, à jamais lié à Pink Floyd pour ses pochettes d'album proto-surréalistes. Discrètement mis en ligne cet été, le titre "Make It Slay" devient ici un un tout, un objet d'une rare cohésion, une pièce à insérer dans la lignée éditoriale du magazine DIS. Très peu connu, Matt Papich est un producteur de Baltimore qui vient de sortir le second album de son projet Co La initié au Maryland Institute College of Art. Entre Black Dice, Chet Baker et Oneohtrix Point Never,  MOODY COUP est entièrement samplé, sorte de mosaïque sonore explorant comment la musique populaire se diffuse dans notre société. "Make It Slay (Barbershop Solo)" clôture ce LP atmosphérique, sensuel, aux portes de la musique expérimentale. Co La plonge lui aussi au cœur de la matrice…

11 sept. 2013

TT Trip : USA au cœur de la matrice

Photo: Louis Morisod
Pendant un mois, je suis parti en voyage au cœur de la matrice culturelle. La source autant des show country à Conthey que des soirées expérimentales ou du hip hop. Cette forte influence du modèle américain semble devoir impliquer l’impossibilité du dépaysement. Et pourtant, cette découverte du déjà connu et ce retour à une racine ignorée ne peuvent que surprendre.

Trop souvent, surtout dans le monde francophone, les Etats-Unis ont été appréhendés sous l’angle de l’hégémonie culturelle. Cette dernière s’exprimerait, de façon contradictoire dans un pays ressemblant prétendument à un désert culturel (sauf New York), à travers une industrie du divertissement, envahissant le monde entier à coup de hamburgers et de blockbusters. Cette vision s’avère réductrice : la dimension digitale et mondialisée de la culture fait bien qu’il y ait un partage de rites et de modèles à l’échelle du globe. Néanmoins, ces derniers sont souvent réappropriés en fonction des particularités locales. Pour ne prendre qu’un exemple, le "Harlem Shake" ne revêt pas la même signification dans un happening s’il se passe en France ou en Egypte. On ne peut pour autant nier que dans ce monde partagé, il existe des puissances nationales et que les Etats-Unis en sont une des plus fortes. Plus que les produits à distribution massive, ce qui impressionne le plus dans ce pays, c’est la capacité à combiner blockbuster et son exact contraire. Pour un même genre, il arrive souvent que proviennent des Etats-Unis autant la star commerciale que la formation underground et subversive. 


Bien décidé à explorer l’ensemble de ce spectre, l’équipe du voyage a donné de sa personne pour tout expérimenter, avec pour extrêmes opposés, s’il fallait en choisir deux, une rave transe à Brooklyn face à d’énormes ventilateurs sous le mix de Pictureplane, et un pub de Las Vegas entre twerk et chemises sous les danses de cowgirls endiablées. Le périple nous mena vers des mecques (le magasin de disque Amoeba) et on dut parfois payer son rythme effréné (se faire chasser d’un fast food à 2h du matin sous des jets de sprite ; grelotter sa gueule de bois dans la clime de Vegas, …). J’en ramène 3 grandes impressions. 


Pop partout 
La première chose qui frappe quand on sort aux Etats-Unis, c’est l’omniprésence de la pop. Loin des clivages européens, souvent obsolètes, entre mainstream et indé, la musique dite commerciale et ses gros tubes se retrouvent presque partout. Il y a bien une absence de snobisme ou de gêne à se laisser danser sur du hit. A froid, quelques semaines après le retour, il y a quelque chose de bizarre et de difficilement communicable quant au souvenir ému de chansons comme "I don’t care" de Icona Pop ou "Thrift Store" de Macklemore et Ryan Lewis. Ce dernier titre concerne un autre mini-choc culturel pour le voyageur européen : le caractère transversal du hip hop. Ici, surtout sur la côte ouest, difficile de trouver quelqu’un qui n’écoute pas de hip hop. "Started from the bottom" est peut-être la chanson qu’on a le plus entendu en boîte. On a vu du twerk de folie (en vrai, c’est pas facile à gérer) et dès le premier soir, on s’est retrouvé dans une soirée du genre au milieu du quartier mexicain de San Francisco. Et leurs radios consacrées à ce style sont juste démentes. Le sentiment pop à la fois naïf et grandiloquent se retrouve dans de très nombreuses dimensions de la vie américaine. Que ce soit dans la façon d’organiser les musées avec des jeux permanents, de calmer les files d’attente avec une fun squad, de présenter le fonctionnement du parlement sur fond de musique épique, comme s’il s’agissait d’un trailer, c’est comme s’il y avait un contrat social instituant que chacun doit vivre en jouant le rêve national, où le quotidien ne diffère plus d’un film ou d’une série. Ce versant pop s’obverse aussi dans les musées. Malgré tous leurs efforts pour tenter de les exposer, aucun artiste américain ne rivalise avec ses collèges européens pour ce qui concerne l’âge pré-pop de l’histoire de l’art. Les impressionnistes sont là pour le rappeler presque dans chaque musée. Par contre, dès l’après Seconde Guerre mondiale, Andy Warhol est passé par là, et les américains peuvent régner sur un art pop, les sérigraphies de ce dernier étant érigées en idoles. Au delà, on peut noter aussi des collections contemporaines plus ouvertes et moins discursives que ce qu’on trouve en Europe. Pour ne retenir que quelques œuvres cool, on peut citer les Blumen de l’allemand Gerhard Richter (il a beau ne pas être américain, sa salle au Art Institute Chicago est juste magnifique), City de Ed Rushka et surtout Officer of the Hussars de Kehinde Wiley réinterprétant le tableau napoléonien à la sauce swag. 


Musique identitaire 
Au delà de cette musique pop prête à envahir le monde, un autre aspect contradictoire et pourtant voisin touche au caractère identitaire de certaines musiques, dans une affirmation de l’exceptionnalité du peuple américain, que ce soit au niveau international ou local. Ainsi, de façon récurrente, au milieu d’une soirée en boîte, la chanson "Don’t stop believing" du groupe ringard Journey retentit. Tout le monde se met à chanter sans arrêter de danser. On n’y comprend pas grand-chose. C’est peut-être parce que cela parle de rêve américain, de "small town girl", de "city boy, born and raised in South Detroit". Evidemment, la chanson qui incarne ce style reste l’hymne américain. Et c’est finalement dans ces moments les plus identitaires, situés dans des petites villes de l’Utah que les Etats-Unis se conforment le plus aux clichés : lors d'une soirée rodéo, une adolescente obèse de 15 ans entonne "The Star-Splangled Banner", pendant qu’une blonde traverse le champ sur un cheval en portant un drapeau américain et que tout le monde se lève et met sa main sur son cœur. Ce sentiment de vivre et d’être à part du reste du monde rejoint finalement la candeur pop et s’exprime peut-être le mieux dans la notion de folk art. Loin du regard légitimant du concept d’art brut, reprenant en fait la notion même de génie chère au romantisme, le folk art se présente comme un art du peuple, d’individus restés loin de l’agitation, dans un monde où artisanat et art se confondent. Ainsi, se trouvent rassemblées autant des œuvres délirantes d’esprits agités que de simples ouvrages de porcelaine ou de décoration. 


Le son atmosphérique 
Enfin, les Etats-Unis possèdent actuellement la plupart des musiciens liés au genre novateur qu’on ne sait encore comment nommer (vaporwave?) avec James Ferraro, Fatima Al Qadiri ou encore Physical Therapy. Cette musique se base sur des ambiances proches des spots publicitaires des années 90, de sons corporate. Or, si cette musique ou ses influences peuvent sonner irréelles pour nous, on les rencontre fréquemment aux Etats-Unis. Il faut dire que, dans certains endroits, il y a de la musique constamment. Ainsi musées, magasins remplissent à ras bord l’espace sonore à coup de nappes atmosphériques. On retiendra notamment la musique de l’aquarium de Monterey qui plonge le visiteur dans un son en pleine harmonie avec le décor, liquide et pleine de bulles. Pour l’auditeur non habitué, ce type de musique s’avère totalement déstabilisante, entre fascination, psychédélisme, somnolence et nausée. Difficile à comprendre où réside l’efficience de ces musiques en prise directe avec le capital : le maintien des clients dans le lieu, rendre l’ambiance irréelle afin de permettre l’achat compulsif, détendre les nerfs pour rendre le cerveau plus disponible à l’offre de produits ? Ce type de liens entre corps et marketing pour une espèce humaine digitalisée fut passionnément exploré par l’exposition ProBio au PS1, curatée par Josh Kline avec notamment la collaboration de l’excellent magazine DIS. Visions d’une espèce humaine entièrement technifiée, où la vie se résume à des transferts de données et d’images virtuelles, et d’un monde où dans la gouille d’un écran ne survivent plus que quelques câbles, une fourre d’Iphone et quelques poils pubiens.




4 sept. 2013

Kino Klub: Danny Brown – ODB (US)



Au top des commentaires, un abrégé de ce clip en forme de couplet halluciné et métaphorique: "One of the weirdest beats I've ever heard" / "I think he woke us up just fine". En moins de trois minutes, le producteur Londonien Paul White fait sonner Danny Brown comme personne. Phrasé rapide, flippé, la teigne de Detroit excelle quand le beat est réputé comme impraticable. Un anti-single intense qui annonce le nouveau LP de Brown pour fin septembre qui sonnera les cloches de toute une scène Hip Hop en pleine forme (voir notre dernier article à ce sujet). Sorti la semaine passée, "ODB" est interprété ici par l'artiste Ruff Mercy qui a déjà collaboré avec Schoolboy Q, Wiley ou Blue Daisy. Think Tank suivra l'affaire Brown tout en élaborant parallèlement sa nouvelle structure agendée pour cet automne.