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30 mars 2011

TT SPEACHES / MARS 2011

Illustration: vitfait
TT Speaches: à chaque début de mois, l'écurie de Think Tank ouvre un post commun et le publie 30 jours plus tard. TT Speaches, c'est notre façon de vous faire part de tout ce qui est sorti en musique durant le mois écoulé, et surtout le constat que, finalement, on ne fait qu'oublier beaucoup d'albums.


Julien: Voilà, bon. Hum, on en a loupé des belles tout de même le mois passé. Pandit tout d'abord. Enfin, il fallait le trouver ce groupe. L'album s'appelle ETERNITY SPIN. Nos collègues de Magic eurent ces mots flatteurs à son encontre: "Pandit pourrait être l’une des révélations inattendues de l’année". Si si. Vraiment inattendu: pas de sortie internationale, pas de plan marketing, des micro-labels s'en occuppant (Waaga entre autres) ainsi qu'une identité assez trouble. Seul aux commandes, Lance Smith vient de Lumberton et a enregistré ce premier LP seul dans sa chambre, un LP à caser entre la classe intemporelle d'un Neil Young ou ses héritiers Bradford Cox / Panda Bear. On temporise, voire on tire le frein à main jusqu'au final European Dance Theme (feat. Foxes In Fiction), pas loin d'un Brian Eno. Question: pourra-t-il s'exporter? Par ailleurs, on nous a reproché avoir passé sous silence tant Radiohead que Toro Y Moi. C'est chose réparée, via des longs articles trouvables sur TT, avec plus ou moins de gentillesse suvant les cas. J'ai entendu dire que tu avais pas mal de trucs à dire ce mois Pierre n'est–ce pas? Déjà, Pandit, comment?

Pierre:  Ouais, il y a des choses assez biens mais certains chansons sont un peu trop folk pour moi et ceux qui me connaissent savent la relation délicate que j'entretiens avec tout ce qui se rapproche de genre ou du songwriting américain. Mais avec Kurt Vile, je suis prêt à faire une exception. Overnite religion m'avait déjà séduit mais j'attendais encore un album réussi. C'est désormais chose faite avec  le nouveau SMOKE RING FOR MY HALO. On aura beau chercher, difficile de trouver quelque chose à reprocher à cet album. La qualité d'écriture et de mélodies est bien là. Loin des poses surjouées d'une Amérique profonde, Kurt Vile déploie une grâce de poète urbain, chantant sous les ponts. A voir les très bonnes vidéo et chansons de la série "Don't Look Down" de Pitchfork.























Julien: on devrait sans doute le voir tourner cet été en Europe. Enfin, il fait déjà le Primavera ce printemps en Espagne. Sans doute l'artiste qu'on aurait voulu voir à la Kilbi, mais n'en demandons pas trop et  attendons de voir comment se comporte ce membre des War on Drugs dans le futur, une fois la hype passée. Sans transition, j'en profite pour annoncer mon album du mois, sans conteste: Robag Wruhme, THORA VUKK (cover ci–dessus), importé par Namskeio, à paraître le mois prochain suivant certains pays. Pas de shoegaze ici, mais une électronica admirable, pensée et construite en 12 morceaux, à rapprocher de Sascha Funke. Beaucoup d'espaces dans les compositions, de hiatus d'humeurs et de ponts entre une folk futuriste et une minimale lustrée sans luxure. Membre des anciens Wighnomy Brothers (avec son associé Monkey Maffia), Gabor Schablitzki fait selon moi énormément de bien à cette culture électro, sachant clubber avec corps et surtout pas mal d'âme. Cette fois–ci, sa nouvelle production n'est ni signée chez le géant Kompakt ou les enfants de Jena, Freude–Am–Tanzen, mais chez le petit Pampa Records, aux dents de plus en plus longues (le nouveau Isolée, des titres de Nathan Fake, Axel Boman ou encore DJ Koze). Dans THORA VUKK, on retrouve une belle collection de samples, de voix, de clavecins défoncés ("Brücke Eins"), et de quoi vraiment rendre jaloux des grands noms de l'électro (l'éponyme "Thora Vukk", ou ""Bommsen Böff" est vraiment taillé pour le succès).

Julien: on reprend son souffle, toujours dans le registre électronique, DUST REMIXES de Ellen Allien (distribué aussi par Namskeio), la diva berlinoise qu'on ne présente plus, omniprésente (trop?), sachant faire tourner le commerce et fructifier son dernier LP, DUST donc. Une série de remixes par certains DJs over the top, Nicolas Jaar ou Tim Hecker. Des choses très bien dans le disque, le tribal et tonique "My Tree" par Ripperton's Backlash, le deep "Dream" par Bodycode, mais aussi un peu d'opportunisme avec l'excellent "Flashy Flashy" remixé ici par Nicolas Jaar en une bouillie à la Ibiza ou le vain "Searching" de Shonky. Sans surprise, "Schlumi", par Camea, est vraiment très accrocheur alors que le meilleur titre de DUST, "Our Utopie", est ici remixé par Kassem Mosse, en gardant ce gimmick saillant en version club. Sinon, c'est quand même assez passable malheureusement. On reste à Berlin avec Mike Dehnert et son premier album, FRAMEWORK (label Delsin). De la raw techno propre en ordre pour cet habitué du Berghain. Pas de grosse surprise dans le registre (on relève toutefois deux inédits si vous achetez le LP en vinyle) mais de quoi casser quelques noisettes sous des néons, avec notamment le flinguant "Quattro", sa ritournelle et son synthé bien trouvé ou encore "Beatmatching" que Boomkat décrit comme un futur classique. A écouter en 5:1, voire plus si possible.























Pierre: Comme tu as lancé ton album du mois, je vais aussi me jeter à l'eau. Pour moi, c'est  la mixtape de The Weeknd: HOUSE OF BALLOONS, disponible ici (cover ci–dessus). Pas que j'adore tout dans cet album mais je trouve vraiment que c'est le plus marquant de ce mois de mars. Certains s'étonneront qu'un disque de R'n'B ait sa place sur Think Tank. Mais ce disque est à la fois un ovni musical et symptomatique de mouvements musicaux actuels. Ovni parce que tout en étant dans un style directement défini comme R'n'B, style que l'on croyait trop kitch ou mort, il se retrouve sur les différents blogs d'avant-garde, sa production détonne fortement avec les classiques du genre et il sample des groupes raffinés. Symptomatique parce qu'il représente justement ce que différents articles sur TT affirmaient. D'une part, le brouillage des distinctions mainstream et underground. Weeknd appartient tout autant à l'un et à l'autre. Les mélodies sont faciles, la voix mielleuse mais les sons sont bizarres, heurtés, parfois sombres. C'est là qu'on arrive au d'autre part: la diffusion extrêmement large du dubstep et des sons fantômatiques. Weeknd, c'est finalement une version américaine de James Blake, moins blanche, plus assumée. On y retrouve cette même alliance de deux éléments en apparence opposés: un son parfois crasseux et une mélodie à la limite du kitch. Cet alliage reprend finalement deux composantes importantes de la musique de ces dernières années, tant mainstream qu'underground. Le dubstep donc, et la fin des mélodies déconstruites au profit d'un retour au chant clair et débordant d'émotion, que ce soit dans l'autotune de Kanye West ou la dream pop de Beach House. Ces derniers sont d'ailleurs samplés sur HOUSE OF BALLOONS pour deux chansons au top de la mixtape: "The Party After the Party" et "Loft Music". T'en penses quoi, Julien?

Julien: récemment, un ami habitant dans la capitale allemande et connaissant mes goûts quant il s'agit de rythmes électroniques s'est étonné après m'avoir vu faire passer le lien pour télécharger l'album. En effet Pierre, on peut tout à fait lire ce disque au premier degré, voire au premier morceau (le terme ne dit que mon pote n'ait pas écouté l'album avec précaution); une voix perchée, sucrée (oui je n'ai pas trouvé mieux), du presque mainstream, mais une déglingue sous-jacente. Je crois que c'est cette lecture à plusieurs niveaux qui est intéressante dans ce disque, comme pour celui de James Blake d'ailleurs tu as raison, ou même des XX (n'allons pas plus loin). The Weeknd apportent quelques pistes non pas nouvelles mais récentes, suffisamment soignées pour être retenues par une poignée d'artistes à moyen–terme.  Si je résume: deux albums du mois entre électronica, dubstep et minimale, sélectionnés par des enfants du rock, pas pour faire semblant, mais vraiment parce que cela nous plaît. 2011, nouveau débat: le rock est–il de nouveau mort, sacrifié ou tout simplement, encore une fois, épuisé? A suivre…























 Pierre: J'ai reçu tout récemment le nouvel EP de Mi Ami: DOLPHINS (cover ci–dessus). C'est un groupe que j'aime beaucoup et qui a sorti deux très bons premiers albums. A ce que j'ai compris, un des membres du groupe (qui est à la base un trio) s'est barré et les deux musiciens restant en ont profité pour faire prendre un  virage… électronique à Mi Ami, à grands coups de sampler et de synthés. Si cette nouvelle formule est parfois un peu maladroite ou trop facile, DOLPHINS déploie quand même 4 titres au dessus du lot. On retrouve les éléments qui font le style de Mi Ami, cette voix en forme de gémissement agressif, ces rythmes déments,  les longues plages répétitives et intenses. Mais tout ça est passé au tamis électro. Attention, ici pas question de sons clairs ou froids. On a plutôt l'impression d'entendre un groupe underground se servant d'appareils trouvés dans la rue et rafistoler vite fait. Hard Up en est l'exemple parfait. Une tuerie que Mi Ami auraient presque dû raccourcir pour en faire Le tube du genre. Les trois autres titres lorgnent du côté des dix minutes et sont plus proches du travail passé du groupe, c'est-à-dire toujours aussi bons. Dolphins part sur des rythmiques en vrille aux sons de synthés malades ("Wild Child"), tandis que Echo se repose sur un beat simple, qui sera prétexte à toute les explorations possibles sous les auspices d'un chant tout bonnement incroyable d'intensité.

Julien: je retiens vraiment "Sunrise" sur ce EP, avec aussi pour ma part une grande surprise de retrouver ce groupe sous ce jour. "Hard Up" est pas franchement éloingé de PiL ou de l'esprit des Happy Mondays, là aussi un groupe qui jouait en longueur(s), morceau à remixer au plus vite pour vraiment faire vrombir les pistes de danses. Pierre, je sais pas, ces 5 minutes tiennent la route, la basse y prend son pieds, nos pattes aussi. A suivre pour un nouveau LP?
























Julien: dans le registre grand pop, il ne faut pas louper la sortie du nouveau Lykke Li, WOUNDED RHYMES, sorti sur son propre label, LL Recordings (cover ci–desus). Li Lykke Timotej Zachrisson avait quasi tout rafflé en 2008 avec YOUTH NOVELS; c'était pas mal, un peu trop rose–bonbon (re: oui je n'ai pas trouvé mieux), mais franchement meilleur que la soupe normale, c'est–à–dire beaucoup de monde, Kate Nash en tête. Deuxième LP donc, qu'on dit plus tribal parce qu'il y a quelques percus du sud. Et elle a appris à paufiner ses ballades, à l'instar de "Love Out of Lust", pas si loin de Fever Ray, l'ecclésiastique en moins, ou du très folk cul–terreux "Unrequited Love" (il fallait oser les chœurs, la dame a presque combiné du Fleet Foxes avec du Supremes). Sweden is better peut–on lire parfois chez les critiques musicaux. Pas faux (facile aussi: la pratique d'un instrument étant intégrée au programme primaire à l'école, ça aide). "Get Some" lancera le débat sur ce fameux terme tribal, on se contentera pour notre part de brancher nos lumières sur courant alternatif. Brillant (cette basse!).

Pierre: Beaucoup moins tribal mais peut-être tout aussi grand pop, le premier album de Micachu and the Shapes, sorti en 2009, m'avait bluffé. En cette fin du mois de mars, sort de façon assez inattendue un second LP: CHOPPED AND SCREWED. L'espoir de retrouver la pop aussi raffinée que d'apparence simple est d'amblée déçue. Ce second album est en effet tiré d'un live réalisé avec la London Sinfonietta, orchestre de musique contemporaine. Le résultat est tout sauf mauvais mais la vérité, c'est qu'on s'y ennuie un peu. Bien sûr, dans ce plat pays, les rares sommets touchent au grandiose, notamment la très réussie "Everything". Il n'empêche qu'on regrette que Micachu and the Shapes soit passé aussi vite du petit con génial de "Golden Phone" aux vieux con talentueux mais un peu rasoir de CHOPPED AND SCREWED. Mais ce projet n'est qu'anecdotique, un véritable nouvel album de Micachu étant attendu pour la fin de l'année. Vivement.

Julien:  l'importateur Musikvertrieb nous a récemment envoyé l'album de The Pains of Being Pure at Heart, BELONGS. Chose curieuse, j'ai toujours vu ce groupe comme une de ces fameuses curiosités à ne pouvoir cartonner que dans un pays (ici, l'Allemagne). Peut–être cartonnent–ils tout simplement, surtout auprès de la catégorie éternels ados, ou plutôt éternels emos. L'éponyme "Belong" tourne sur notre platine et, effectivement, on a notre lyrisme, nos grosses guitares, nos chœurs, le tout dans un maxi–pack pas franchement déplaisant. Avec "Heaven's Gonna Happen Now", on les signe direct en première partie de Teenage Fanclub ou des Pastels. Ya de l'idée et de la belle finition. Après, on s'amuse un peu plus sur n'importe quel tube pop des Cure / Smiths. A noter aussi le très Modern Lovers "The Body" ou le luxuriant "My Terrible Friend", vraiment terrifiant. Donc, du moyennement très bon, du très bien appliqué, de la légèreté, de la bonne volonté, mais franchement, bon, oui, n'a–t–on pas mieux avec un bon best–of des années 80, registre new–cold–post–punk–noise–wave? A voir… Attention, je dis cela en ayant sous les yeux le nouvel album des Wild Beasts (à paraître mi–mai), écouté une bonne vingtaine de fois, une véritable bombe. Oui, ce groupe est merveilleux et va nous faire une belle leçon d'optimisation de pop des années…80. Si si.

Disques du mois
Pierre: The Weeknd, HOUSE OF BALLOONS
Julien: Robag Wruhme, THORA VUKK

Singles du mois
Pierre: Mi Ami, "Hard Up"
           The Strokes, "Machu Picchu"
Julien: Lykke Li, "Get Some"


Et ce dont on n'a pas pu parler ce mois:

R.E.M., Collapse Into Now [Warner Bros.]
Elbow, Build a Rocket Boys! [Polydor]
Wye Oak, Civilian [Merge]
J Mascis, Several Shades of Why [Sub Pop]
The Joy Formidable, The Big Roar [Canvasback/Atlantic]
Keren Ann, 101 [Blue Note]

Obits, Moody, Standard and Poor [Sub Pop]
Peter Bjorn and John, Gimme Some [StarTime International]
Wolf + Lamb vs. Soul Clap, DJ-Kicks [!K7]
The Dø, Both Ways Open Jaws [Cinq 7]
Howe Gelb, Alegrías [Fire/Konkurrent]
Noah and The Whale, Last Night On Earth [Coop/V2]


A dans 30 jours donc! 
























A venir le mois prochain: 

King Creosote & Jon Hopkins, Diamond Mine [Domino]
Surfer Blood: I'm Not Ready EP [Kanine]
Jeremy Jay: Dream Diary [K]

Lake: Giving & Receiving [K]
Kode9 & the Spaceape: Black Sun [Hyperdub]
Fleet Foxes: TBA [Sub Pop]
The Kills, Blood Pressures [Pias]
TV On the Radio, Nine Types of Light [Interscope]
Panda Bear, Tomboy [Paw Tracks]
Alela Diane, Alela Diane & Wild Divine [Rough Trade/Konkurrent]


La vidéo du mois: Woodkid, "Iron"

26 mars 2011

MUSIK TANK : The Strokes et Angles

Illustration: Pierre Girardin


























  




Le dernier album des Strokes porte bien son nom : ANGLES. C’est une pierre angulaire décousue, fragmentée, aux faces imparfaites, qui n’a pas de début ni de fin, qui heurte les fans, met en conflit les potes, inquiète les plus fidèles, fait pleurer sa copine. Cinq ans après l’insolite FIRST IMPRESSIONS OF EARTH et plusieurs albums solo dispersés plus tard, qu’est devenu le groupe de rock le plus important des années 2000 ?

Plus besoin de se faire des amis

En 2001, IS THIS IT est arrivé comme un ovni sur la planète rock. Des chansons construites simplement, aux refrains bénis, des solos intelligents anti-branlette-intellectuelle comme on n’en faisait plus depuis Television, une voix classe, saturée mais vivante, et puis, évidemment, un son. Un son caractérisant l’atmosphère d’un disque qui très vite s’est vu titiller ses propres idoles, et les journalistes du monde entier n’ont pas hésité de le classer entre le premier Velvet et les deux Stooges, entre Talking Heads et ALIEN LANES, le meilleur Guided By Voices – comme un moment unique, intemporel et universel dans l’anthologie du rock’n’roll. « Je voulais juste écrire de la musique qui toucherait les gens. Et j’aimerais pouvoir écrire une chanson où toutes les parties marchent. Quand tu écoutes une chanson comme ça, c’est comme trouver un nouvel ami » glissait alors Julian Casablancas en 2002 pour le magazine Rolling Stone. Aujourd’hui, au lendemain de la sortie du quatrième Strokes, on se demande si Julian cherche encore à se faire de nouveaux amis.

Rappelons que les Strokes étaient les fers de lance de ce renouveau du rock qui a surgi au début des années 2000. À l’époque, je me rappelle avoir lu dans le Q Magazine : « De tous ces groupes, trois seulement sont intéressants et perdureront : The Strokes, The White Stripes et Black Rebel Motorcycle Club ». Bilan en 2011 : les White Stripes ont splitté et BRMC est tombé de haut après HOWL. Ils sembleraient que Meg et Jack aient trouvé la porte de sortie la moins compliquée. Le quatrième opus des Stripes était ELEPHANT et la comparaison est méchante avec le quatrième Strokes : ELEPHANT regorge d’idées, d’innovations et de classe, alors que ANGLES sent le brûlé. À suivre le chemin des colosses emblématiques des années 2000, on arrive au constat difficile mais réaliste: une ère est révolue.


Fragmenté

De l’eau a coulé sous les ponts, et c’est un fait important à rappeler pour comprendre (ou excuser) ANGLES. Chacun des membres du groupe a vécu son expérience solo et surtout, Julian a écrit son album à lui. Une semi-réussite. Mais cet album a permis de comprendre qui se cachait derrière le chanteur des Strokes, et le booklet et les chansons confirmaient alors qui était vraiment celui qui décidait tout chez les Strokes. Les quatre autres, de leur côté, ont passé du temps loin de l’aîné surdoué: ils ont écrit pour eux, ont joué au base-ball, sont devenus papa, se sont mariés, se sont reposés. Eté 2010, réunion de crise: il faut enregistrer un disque les mecs. Est-ce un appel de leur boîte de production, de leur manager, du destin? Est-ce une tentative pour reformer une plaie entr’ouverte en 2006 ou pour excuser les comportements douteux du chanteur lors de passages calamiteux sur les scènes européennes? Un besoin de fric ou un besoin artistique? À lire les quelques interviews du groupe durant et suivant l’enregistrement de ANGLES, Nick Valensi nous apprend que le groupe s’est plus croisé que retrouvé en studio: « Je ne ferai pas le prochain album comme ça. Hors de question. C'était horrible. Juste horrible. Travailler de façon fragmentée, sans chanteur… Certains jours, je me pointais au studio et enregistrais mes guitares seul avec l'ingé son ».

Les deux premiers albums des Strokes étaient du 100% bio-vitaminé, unifié et certifié qualité. Pas une erreur, ou alors quelques petites égratignures qui apportaient même un charme particulier. ANGLES est comparable sur un point avec son prédécesseur :  tout deux contiennent du bon et du mauvais. La différence est que FIRST… avait dans ses rangs de très grandes chansons. En enlevant le moins bon, on se retrouvait alors avec un très bon disque de 8-9 chansons. Au même régime, il ne resterait plus grand chose de ANGLES.

Le bon est dans l’ouverture et la clôture de l’opus : "Machu Picchu" (meilleure chanson du disque, et de loin !) est suivi du single "Under Cover of Darkness qui contient" l’un des pires refrains du groupe mais qui sauve les meubles avec des guitares et un pré-refrain attachants. Puis c’est le gouffre. Entre des couplets à la Peter Gabriel flirtant avec George Michael ("Two Kinds Of Happiness", qui contient un refrain bien semblable à "Left & Right in the Dark": « Oh wake up wake up, wake up… » ) et des grosses B-side farce ("Gratisfaction"), on se dit petit à petit que les Strokes peuvent aujourd’hui faire ce qu’ils veulent et que le monde les suivra, assurance tout-risques acquise grâce à leur deux premiers LPs. Les Strokes s’amusent et nous font écouter ce qui leur chantent. Dans ce grand panier de fruits pas mûrs, on retrouve parfois de l’espoir, avec "Games" où le groupe pratique une sorte d’electro-80s où boîtes à rythmes et synthés dominent. Oui! c’est à des années lumières de IS THIS IT, mais la composition est à contre-sens, nostalgique et révolue: nous sommes les Strokes et nous faisons  dorénavant ce qu’on veut. "Call Me Back" est dans la même catégorie. Qui aurait cru qu’un jour les Strokes s’amuseraient à faire une partie à plusieurs voix à capella ? Mais le problème, c’est qu’au niveau de la composition, on est à des années lumières d’un "Soma" ou d’un "What Ever Happened".


Mutinerie loupée

La bande new yorkaise a donc changé et c’est à nous de nous acclimater ou non. J’ai toujours cru en leur spécificité qui avait tant marché sur leurs deux premiers disques: s’enfermer dans les limites de leur formation – soit deux guitares, une basse, une batterie, un chant – et tenter d’en extraire le meilleur et la perfection, sans tricher. Aujourd’hui, le groupe triche et nous sort des chansons que n’importe quel autre groupe actuel pourrait produire. Les Strokes, en 2001, étaient nés pour offrir de la musique mainstream de qualité à ceux qui ne voulaient pas écouter des groupes comme Muse. Alors, quand on entend "Metabolism", on se demande pourquoi ils écrivent des chansons qui ne ressemblent à rien, sauf à du Muse.

ANGLES est donc un disque de tricheurs. Mais le tricheur est quelqu’un de rusé. D’ailleurs, le groupe réussit à nous placer en fin de disque une chanson qui nous renvoie tous aux remerciements obligés (tactique semblable dans le dernier MGMT). Le refrain de "Life is Simple in the Moonlight" fait rêver et ne demande qu’à être inclus dans la BO de votre vie. Par instants, le groupe gère son truc ("You’re so Right" comporte des parties bien trouvées, made in Fraiture) mais cela n’empêche pas de faire couleur l’album. Le génie de J.C. est-il épuisé ? « Je me suis absenté des séances d’enregistrements pour laisser les autres déployer leurs ailes » insiste-t-il. Le pire album des Strokes s’explique donc par cette mutinerie qui hante l’album. Le groupe essaye de devenir un groupe sans leader ; une image que Julian lui-même s’efforçait de répandre en 2002. Mais à en voir le résultat, il est évident et un peu triste de constater qu’il serait nécessaire aujourd’hui que chacun retrouve sa place au sein des Strokes. Une évidente histoire de hiérarchie qui a vu un régime monarchique faire ses preuves jusqu’en 2005. Alors Julian a laissé le pouvoir à ses pions, et le navire a commencé à couler.

25 mars 2011

TT TV: BAD BONN KILBI 2011



On en connaît plus d'un à avoir pesté, à choix, contre son ordinateur, contre la billeterie online, contre leur réveil qui n'a pas sonné ou, pire, contre le Bad Bonn lui-même. Voici le festival qui montre l'exemple, alors qu'on s'étonne encore de l'incapacité à étonner de la majorité des sauteries estivales. Voici le festival qui sait tisser de la soie avec des bouts de ficelles alors que la Primavera ne serait rien sans un industriel de houblon et les fantaisies du média web numéro 1. Voici la Kilbi, joviale et loyale foire (Chilbi en V.O.) du club le Bad Bonn, voici l'interview de son co–fondateur, programmateur – simplifions: le chef – Daniel Fontana, Duex, s'exprimant sur cette 21ème Kilbi, son line–up (énorme), ses problèmes de luxe, mais aussi sur l'avenir de la meilleure salle de concert de Bonn/Guin.
 Pour tout savoir:

Site de la Kilbi
Site du Bad Bonn
Billeterie
Les petites annonces du Bad Bonn

24 mars 2011

MAINGROUND ET UNDERSTREAM

Photo: Julien Gremaud
Difficile de parler de culture sans utiliser les mots de mainstream et underground. Pourtant, avec la mort du disque, les triomphes de groupes dits "indé" ou encore la fin des chapelles musicales, on sent bien qu’on ne sait plus vraiment ce que ces mots veulent dire. Penchons-nous un peu sur les lisières, ces lieux de rencontre de ces prétendus mainstream et underground.

Est-ce que Britney Spears, c’est du mainstream, alors que presque plus personne ne l’écoute ? Est-ce que Animal Collective est underground, alors qu’ils remplissent les salles et qu’il est de bon ton de l’avoir sur son iPod ? Vampire Weekend est censé être un groupe indé, mais ils atteignent facilement la place numéro n°1 des charts américains, ce que nombre de groupes immenses du début des années 2000 n’ont jamais réussi. Je pense notamment aux Strokes et autres White Stripes. Bref entre l’état de décomposition de plus en plus avancé de l’industrie du disque et la place de plus en plus importante de groupes encore confidentiels quelques années auparavant, la séparation stricte entre mainstream et underground a fini par se fissurer. Et c’est tant mieux. Quand des chapelles s’effondrent, on ne peut que s’en réjouir. Aujourd’hui, ils sont de moins en moins nombreux les puristes snobinards qui n’écoutent que des groupes secrets sans jamais succomber aux sirènes de la pop, et la bonne musique a un public de plus en plus large. Au fond, cette séparation n’a jamais été totale, mainstream et underground se nourrissant réciproquement l’un de l’autre. Que ce soit Marx ou Negri, de nombreux penseurs ont montré comment le capital ne peut engendrer de lui-même des nouveautés révolutionnaires, cette créativité est toujours le fait de relations humaines hors du circuit de l’accumulation du capital. Le capital doit donc aller se nourrir dans ces laboratoires de créativités que représente au niveau musical l’underground. Le nombre d’exemples est ici sans fin et s’inscrit dans le mouvement incessant du monde musical qui voit des sous-genres passés du confidentiel branché à la hype mainstream pour finir dans une beaufitude désespérante. Le dernier exemple en date est bien évidemment le single de Britney Spears et sa production Dubstep (genre d’ailleurs décrit comme mainstream par James Yuill lors d’une récente interview à Think Tank). Voir un style musical passer aussi vite du sud crasseux de Londres à un clip plein de marques dans une version au mieux édulcorée, voir carrément nulle, a quelque chose de fascinant et reste un moteur constant de l’évolution musicale. Les milieux alternatifs voyant leurs créations récupérées par la soupe mainstream sont bien obligés de trouver quelque chose de nouveau. Le sujet est loin d’être clos et d’autres pistes sont évidemment à traiter.


Le mouvement en sens inverse est celui qui voit des artistes underground utiliser le son mainstream dans leur musique. Parfois, cette stratégie peut mener au succès, les exemples les plus connus étant la transformation disco réussie de Blondie ou ZZ Top. D’autres fois, on assiste à des reprises de tube par des groupes moins connus dans des versions pince sans rire à vrai dire sans assez d’intérêt pour qu’on en donne un exemple ici. Et il y a enfin les remixes raffinés, déstructurés, malades ou monstrueux. Aujourd’hui, plein de petits malins s’y collent de façon plus ou moins réussie. Non pas des remixes pour des faces B de single officiel, mais du véritable vol à l’étalage, du sabotage, suçant l’énergie mainstream pour la recracher sous une forme pour le moins non commercial. En voici 4 exemples actuels, les faire connaître étant au fond le véritable but de cet article. Commençons par les très prolifiques Elite Gymnastics, qui ont réussi successivement à sortir un très bon album de chillwave (REAL FRIENDS), deux titres de dance délurée (PARACHUTE) et un improbable EP de chillslow entre the Cure et Blackbird Blackbird. Sur leur joli site, au milieu des pixels et des compils super, on trouve désormais leur dernier EP (GIZZARD GREENS VOL.2) avec deux bombes. D’abord, "GΛGΛ", qui sample donc Lady Gaga, pour en faire une chanson brumeuse et c’est à travers ce voile qu’on décerne finalement de l’émotion dans la voix de la chanteuse. Mais là, où Elite Gymnastics envoient du lourd, c’est dans leur vampirisation de Waka Floka Flame sur "WΛKΛ". Au flot profond et claquant du rappeur américain, ils osent ajouter un sample de dance bien nineties. Le résultat, un missile jouissif au possible, taillé pour le dancefloor, une sorte de cocktail parfait de tous les plaisirs coupables sur lesquels il est impossible de ne pas danser. Attention, ça gicle !


Dans un genre plus raffiné et moins dancefloor, il y a Die Neue Mythologen. A leur tableau de chasse, encore peu de prise, mais déjà de quoi se rassasier. A toute seigneure, tout honneur, tout a commencé avec Beyonce. Du tube sucré "Sweet Dreams", ces nouveaux mythologues font une magnifique chanson planante, florissante, et aux battements profonds. Ici encore, les remixeurs s’appuient sur la puissance pop de la voix pour produire une chanson reconstruite où l’émotion devient encore plus forte par son côté furtif. R. Kelly subit un ralentissement et son "Number One" perd son côté guimauve pour se retrouver tout retourné quelque part entre l’hyperdub et le r’n’b voicodé. Sur le site de la formation, on trouve également un remix plus dansant de Missy Elliott mais aussi du plus pointu avec Spiritualized et Deutsch-Afrikanische Freundschat. Que du bon. Ah ouais et tout ça c’est gratuit, comme chez Elite Gymnastics d’ailleurs.


Pour finir, je citerai deux titres, certes bien moins talentueux que les deux projets précédents. D’abord la reprise par Blissed Out, qu’on a connu meilleur, du titre pas si mal mais qui a fini par bien nous gaver, "Empire State of Mind" de Jay Z et Alicia Keys. La seule fois, où j’ai fait écouter cette version à quelqu’un, on m’a répondu que c’était horrible. Et la vérité, c’est que c’est assez juste. Mais, au fond, c’est ce côté horrible qui est jubilatoire. Voir passer un tel tube léché à travers un filtre pour le moins barré, mêlant transe, sons lugubres et voix grésillantes, ça procure un certain plaisir. Dans un style moins horrible, Cop Magnet reprend "No Scrubs" de TLC. Ici, ça sature, le tempo tape et la voix ralentie fait bien sûr penser à de là de Witch House de club. Difficile de savoir si c’est le souvenir de la chanson originale qui procure cet effet, mais là encore, il y a un sentiment fascinant de reconnaître un tube pop au possible mais sous une forme défigurée, monstrueuse mais où demeure encore la naïveté de la chanson de base. En bonus, un titre présent sur la compil' de Footwork, BANGS AND WORKS, "All The Things" de Tha Pope, où en à peine plus de une minute trente, on retrouve ce mélange de sons malades citant des voix les plus pop du R’n’B américain. Enjoy !


20 mars 2011

KINO KLUB: Consor – The Windtalker (CH)




En avant–première, voici le clip célébrant la sortie du nouvel EP de Consor, alias Samuel Vaney, THE WINDTALKER, illustrant le morceau éponyme. Clippé par Nicolas Chevailler, "The Windtalker" est un appel d'air brillant et sans revendication écologique. 

Membre du groupe dégomme Cortez et des sinueux Ventura, Consor est signé chez le prolifique label lausannois Creaked Records (Opak, Larytta ou encore Oy). THE WINDTALKER met fin à une attente de cinq ans du côté du producteur romand, qui avait sorti son seul et unique album – MESANTROPIA – en 2006 déjà. Une discrétion étonnante pour tant de talent mais forcément à saluer alors que le job de DJ / producteur électro s'apparente de plus en plus à un grand cirque bordélique et pathétique. Comme on fait bien les choses chez Creaked, ce EP n'est pas qu'un simple prétexte présentant le titre éponyme, qui ne se suffirait pas nécessairement à lui–même dans son électronica–ambiant très belle mais sans véritable argument tranchant pour siéger à la table des faiseurs de l'actualité électronique. On laisse donc tourner les morceaux pour ainsi découvrir un presque album long de huit bons titres (relevons–le). Par ailleurs, Consor n'y voit pas ainsi un contentement certain car il annonce pour la fin du mois de mai un vrai deuxième album. De quoi voir venir, et aussi, peut-être, espérer le retrouver  sur scène. 


Si vous ne savez que faire des sorties de Nicolas Jaar ou de James Blake ou si vous désespérez devant le flot de sorties électroniques, on tentera de vous conseiller ce EP riche et à la belle direction musicale, où, outre "The Windtalker", on trouvera des choses percutantes, toujours dans un IDM soyeux, comme "Codex" ou le coriace "Corpus". Au clavier, "Liquid" est admirable mais pas niais, alors que le final "Octobombric" s'étend dans un post–rock électronisé (quelle réverbe!). De LA, Asura reprend le titre éponyme en le survitaminant avec des percussions et des voix que n'importe quel groupe chillwave actuel jalouserait. Dans l'état d'esprit, on n'est vraiment pas loin de la production du duo Mount Kimbie, ce qui est très bon signe figurez–vous. Dernière (belle) surprise, le britannique Joe Galen remixe lui de même ce titre avec pas mal d'aplomb. Le Mancunien signé lui aussi chez Creaked le transcende en un morceau de fin de set idéal, proche du récent album de Robag Wruhme. Pas mal pour un artiste plutôt étiqueté pop–folk. Pas mal non plus pour un avant–goût du nouveau LP de Consor. Ci–dessous, l'écoute intégrale du EP. En passant, faites un tour sur le Soundcloud de Consor, avec deux excellentes mixtapes témoignant de la largeur d'esprit de l'artiste: Grauzone, Belle Orchestre, Sufjan Stevens ou encore Pussy Galhore.





Tout ce qu'il faut pour trouver Consor:
http://itunes.apple.com/us/album/the-windtalker-ep/id422583395
http://creaked.bandcamp.com/album/the-windtalker-ep
http://creakedrecords.greedbag.com/buy/the-windtalker-ep-0/

16 mars 2011

TANKINO: THE FIGHTER

Photo: Julien Gremaud

Partagée. C’est l’impression que donne le dernier film de David O. Russell, The Fighter, qui met en scène deux frères boxeurs, l’aîné (Christian Bale), devenu l’entraîneur du cadet (Mark Wahlberg), entourés d’une famille de sept sœurs, d’une mère autoproclamée manager et de deux pères coach-entraîneurs soumis. Une histoire de famille en somme. Tiré d’une histoire vraie (soupir…), The Fighter est un long-métrage difficile à cerner : dernier des « films à Oscars » à sortir, le film balance entre réalisme tendu et farce grinçante destinée à plaire et réunir les grandes familles. Un film à problèmes; dissection.

La genèse du film est amusante à rappeler. En 2007, Mark Wahlberg approche Scorsese qui refuse de tourner un second film de boxe (pour ceux qui ne l'ont pas vu, le magnifique Raging Bull de 1980). La boîte de production demande alors à Darren Aronofsky de réaliser l’objet et en 2008, Christian Bale remplace Brad Pitt dans le rôle de l’aîné de deux frères. Mais Aronofsky s’intéresse au remake de Robocop et délaisse le projet pour réaliser Black Swan. Alors, à la manière de leur recherche d’un manager dans le film, les deux acteurs (Wahlberg étant devenu producteur du film) se tournent vers David O. Russell pour la réalisation. Celui-ci accepte, mais Aronofsky tient à rester proche du projet en tant que réalisateur exécutif.


D’ailleurs, la patte Aronofsky est saisissable dès les premiers plans du film : caméra à l’épaule, on suit l’acteur sans jamais lui passer devant, on maintient un réalisme brut et esthétique. Car le film débute sur les chapeaux de roue (le générique d’ouverture est un des meilleurs depuis longtemps) et les quarante-cinq premières minutes sont franchement excellentes, guidées par un très grand Christian Bale, transformé ici en boxeur qui « a connu des hauts spectaculaires et des bas dramatiques » selon ses propres termes. Dans ce rôle, on ne peut s’empêcher d’y voir encore le spectre du magnifique The Machinist (2005) où l’acteur avait perdu vingt-huit kilos pour jouer le rôle, avant de se transformer en chauve-souris volante pour le Batman de Nolan la même année. Bale interprète donc un gars attiré par les extrêmes – la boxe, la gloire, le crack. Et le film nous le montre très bien : après une nuit passée dans une maison de junkies, la mère de Dicky vient le chercher pour qu’il aille entraîner son petit frère. Dicky angoisse, se ressaisit, complètement shooté, saute de la chambre du troisième, atterrit dans une benne à ordures, et se met à courir à toute vitesse dans cette pauvre et industrielle ville de Lowell pour rejoindre la salle de sport. Le rythme est soutenu, entre cool attitude et tension petit à petit mises en place : Micky perd un nouveau combat, il a la possibilité d’aller s’entraîner à Vegas, il rencontre une fille au pub du coin, sa vie peut basculer et il peut s’entourer de personnes vraiment sérieuses pour tenter de percer. Alors le film s’emBale : la famille et ses sept sœurs se hissent contre Charlene, la nouvelle copine de Micky, Dicky va un peu trop loin dans ses dérapages et se fait coffrer, son petit frère veut le défendre, les flics lui cassent la main, une scission naît, le chaos s’installe et le film bascule.


Alors qu’on aurait espéré qu’un combat fraternel prenne le relais pour la seconde moitié du film, qu’une sorte de Caïn et Abel des temps modernes nous surprenne, c’est une suite conventionnelle que le spectateur subit. Le film se coince dans une normalisation sécurisante et amorphe, où on ne sait plus si c’est la dure réalité du début qui tient le fil rouge, ou si c’est la performance de Christian Bale dans un rôle mi-gros loufoque cracké, mi-génie de la boxe   je-m’en-foutiste. Les clichés sont très présents. Tantôt pour le bon (les sept sœurs, l’indéfinissable Dicky) tantôt pour le mauvais : le frère qui revient et qui rassemble la famille, la boxe contre le crack, la victoire au bout du compte. Tout semble si simple. Mais ne l’oubliez pas, c’est basé sur une histoire vraie, ce qui est bien rappelé deux fois dans le film : au début et au générique de fin avec la présence des deux protagonistes en personne accoudés au bar, qui remercient Hollywood, d’avoir tourné un film sur leur histoire.


Ces deux frères habitent toujours à Lowell et ont, paraît-il, bien aidé à l’élaboration du film. En les voyant au générique de fin, on comprend peut-être mieux le côté parfois déraillé du film, burlesque, et à la cool. Mais ça n’excuse pas tout. The Wrestler avait réussi à nous faire croire à une réalité fausse, mais The Fighter échoue à nous faire croire à une histoire vraie. Tout est là, tout est dans la volonté d’utiliser désespérément des faits réels. Mais le rêve est bien plus beau que la réalité. The Fighter est un bon film de performances (Bale fait penser à un Jim Carey malade et grave par moments, c’est assez frappant), et le jeu de Mark Wahlberg permet de réévaluer cet acteur. Scorsese aussi, avec Raging Bull, avait pris le pari de raconter des faits réels au cinéma, sous le masque de la biographie. La différence ? Raging Bull est dirigé vers la défaite alors que The Fighter se conclut vers la victoire. C’est peut-être ce qui a déterminé le refus de Scorsese à tourner The Fighter : faire un bon film d’une victoire n’est pas très difficile, mais réussir à faire un chef d’œuvre d’une défaite est bien plus surprenant.

15 mars 2011

TT TRIP : THE STROKES A LAS VEGAS

Illustration : Le Piète
Samedi soir, 12 mars 2011. Pour défendre leur dernier album, le groupe de rock le plus important de la première décennie du XXIe siècle faisaient son grand retour sur la scène du Chelsea au Cosmopolitan de Las Vegas. Vous n'y croyez pas ? Hé oui, Think Tank y était ! Pour son anniversaire, mon meilleur pote s'est rendu accompagné de sa copine au premier concert des Strokes de 2011. Impressions forcément subjectives d'un fan de la première heure, comme si vous y étiez.

Le cadre est extraordinaire (dans le sens premier du terme) : un complexe hôtel-casino grand luxe en plein centre du Strip (artère principale) de Las Vegas, entre la tour Eiffel miniature de l’hôtel Paris, les fontaines impressionnantes du Bellagio et le grand huit qui entoure le New York-New York et sa statue de la liberté. Autant dire que dans ce tableau de démesure luxueuse et superficielle, les Strokes semblent autant à leur place qu’un vendeur de saucisses dans une manifestation végétarienne. Et pour preuve, une fois sur cette grande avenue, impossible de rater les écriteaux géants annonçant, parfois plusieurs jours à l’avance, les spectacles de Céline Dion, Elvis, David Copperfield ou des Beatles (à Vegas ils sont tous encore vivants ; même Céline Dion) ; mais aucune trace du concert des Strokes. Même une fois dans l’entrée principale de l’hôtel en question, sur les écrans éparpillés de la salle, sous l’énoncé « événement du jour » : rien. Mon cœur, qui battait déjà irrégulièrement, s’arrête durant les quelques secondes nécessaires à m’assurer de la date sur le billet. Soulagé, je suis enfin guidé à travers les salons, couloirs et escalators jusqu’à la salle en question, le « Chelsea », quelque part au quatrième étage d’une aile du Cosmopolitan. La salle est magnifique (environ 2000 personnes) même si, encore une fois, la moquette et les lustres jurent avec le sujet du jour. Les cartes d’identités sont contrôlées à l’entrée. La limite d’âge est de 18 ans et ça tombe bien parce que la majorité du public a 18 ans. Étonnamment, pas de light show particulier sur scène (même si le rendu lumière de la salle s’avèrera réussi) et surprise : un micro pour Nick et Albert. De l’ouverture des portes à l’arrivée des Strokes, trois heures s’écoulent (!). Devendra Banhart passa par là, 45 minutes, pour une honnête performance (légèrement insuffisante à mon goût pour mériter une ligne dans une review des Strokes. Trop tard). Attente longue, interminable même, et à 11 pm tout le monde rassemble ce qu’il lui reste de cuisses, genoux et vertèbres car Queen (mais pourquoi ?!?) annonce l’arrivée des New Yorkais sur scène. Le temps s’arrête. I Can’t Win lance le show.


On se rappelle tout de suite à quel point un concert des Strokes est différent et pourquoi. Des riffs, rythmes et mélodies directes et efficaces, quelque chose de sincère qui touche immédiatement dans le mille mais avant tout une présence scénique puissante (bien que plutôt passive) qui impressionne toujours. C’est d'abord Julian, même dans sa version du jour particulièrement concentré et calme, qui capte l’attention par son charisme naturel. Sa voix est posée et précise. Les « just kidding » et « you’re amazing » sont toujours là, comme des ponctuations. Nick lui dispute définitivement le rôle principal durant la première heure où il assure la lead guitar de la majorité des morceaux (à vrai dire tous mis à part Under Control, je crois). Mais c’est quand Albert est à la barre que le concert prend des tournures frénétiques (les meilleurs exemples sont Take It Or Leave It et Last Nite qui ne sont pas placés en fin de set par hasard). Bien que souvent en retrait pour laisser le rôle de guitar hero à Nick, c’est lui le véritable moteur du groupe par son attitude, sa gestuelle, son engagement, son sourire constant et sa chemise à carreaux. Le seul à vraiment montrer son plaisir (contagieux) d’être de retour sur scène finalement ! À mon sens de loin la note la plus positive du concert. J’omets presque volontairement de parler de Fab qui a définitivement vendu son énergie pour acheter une technique (souvent intéressante mais jamais transcendante) et Nikolai, car je ne serais même pas en mesure de garantir qu’il était présent.


Une heure et quart pour 19 chansons, les enchaînements sont rapides et ça déménage ! Dans sa composition, le set ressemble à ceux de leur tournée estivale de 2010 : sept chansons du premier album, cinq de son successeur (Room On Fire) mais, comme une marque de déni, seulement deux chansons « obligatoires » de First Impressions Of Earth. De leurs derniers concerts, on regrette Soma, 12:51, Heart in a Cage et Vision of Division ; mais on regrette surtout ce à quoi elles ont fait place. Ce qui aurait pu (dû ?) être une découverte prématurée de l’album qui sortira le 18 mars prochain en Suisse n’était finalement qu’un court aperçu puisque seulement cinq chansons, dont trois déjà connues de tous, étaient présentées (bien que l’album soit maintenant en écoute intégrale sur leur site officiel). Les constantes les plus effrayantes qui me semblent se dégager de ces nouvelles compositions sont le « refrain facile » (très sucré, souvent appuyé de backing vocals) et le « solo héroïco-kitsch » (qui échoue complètement là où ses prédécesseurs avaient marqué les esprits par leur efficace simplicité, jusqu'à devenir une des signatures de leur musique). Si, comme les principaux intéressés l'ont reconnu, cet album testera la capacité des autres musiciens à décharger Julian de son omnipotence des trois premiers albums, les semaines à venir risquent d'être difficiles pour Nick, Nikolai, Fab et Albert. Comme on veut tous essayer malgré tout de rester positif à quelques jours de l'échéance, je dois arrêter là ma description des nouveaux titres. Même mieux, je finirai par une nouvelle chanson convaincante : You’re So Right face B du premier single. Une belle construction avec une montée progressive d’intensité; bouillonnante en live. Réussie (et de une !).


Quant à la salle, comme anticipé en considérant l’âge moyen, la foule s’avère plutôt dynamique durant la première moitié du concert, puis un grand nombre d’entre eux cèdent à la fatigue et recule ou se fait sauver par le service de sécurité à l'avant, pour laisser place à une deuxième moitié de concert désagréablement calme qui influence légèrement et négativement le groupe (et moi) dans sa prestation. Mais peu importe les Strokes font toujours autant impression sur scène. Encore un dernier Nite endiablé qui les replace sur le piédestal qu’ils méritent, puis la musique s’arrête. Les Strokes s’en vont. Il est 12.51 am. D’accord, il était 12.15 am. Mais à Las Vegas, temple du spectacle, la vérité n’a pas d’importance.

Un grand merci à notre collaborateur exclusif, Fred.


Setlist
1. I Can’t Win
2. Reptilia
3. Under Cover of Darkness
4. The Modern Age
5. Whatever Happened?
6. Under Control
7. New York City Cops
8. You’re So Right
9. Is This It
10. Juicebox
11. Someday
12. Taken for a Fool
13. Hard to Explain
14. Life is Simple in the Moonlight
15. Take It or Leave It

16. Gratisfaction
17. Automatic Stop
18. You Only Live Once
19. Last Nite

13 mars 2011

MUSIK TANK: RADIOHEAD, éTAIT-CE VRAIMENT NéCESSAIRE?

Photo: Frédéric Gabioud

Bon. Merci, oui merci, ce n'est pas un cadeau que l'on me fait là. Parce qu'en 2011, qui a encore envie de parler de Radiohead? Au présent ou au futur, entendons-nous. Sorti en catimini pour faire "genre" ou parce qu'il faut toujours faire autrement, THE KING OF LIMBS est finalement décortiqué par nos soins. Enfin, pas vraiment l'album.

Toujours faire autrement: oui, Radiohead n'est pas un groupe lambda. Notons pour ceux qui sont parti sur Mars entre 1997 et 2001 qu'en trois albums, le groupe d'Oxford a atteint le sacré Graal, l'orgasme collégial, la Sainte Trinité. Nirvana était mort depuis peu, Oasis éructait ses hymnes alcoolisés, Damon Albarn était en passe de devenir un vrai musicien, mais là, c'était différent. OK COMPUTER, qu'on le veuille ou non, avait mis absolument tout le monde sur le cul. Des morceaux, des putains de morceaux et surtout une grande production. Un modèle, un classique, des jalousies. Encore que, on n'avait rien vu. 2000 – 2001, l'album à deux têtes, KID A et AMNESIAC. Ce truc, sorti en huit mois d'intervale, plaçait Thom Yorke and co. plus près du label Warp que de Parlophone, leur maison–mère, à mi-chemin entre Syd Barrett et Robert Wyatt. Non, franchement, c'était très bien. On ne s'en lasse pas. Un peu plus tard, franchement différent, de nouveau rock  et donc un peu moins intéressant, paraissait HAIL TO THE THIEF. Quelques grands morceaux ("2+2=5", "Where I End and You Begin") indispensables surtout pour lancer les concerts d'alors, dans cette tournée magique, sans doute la meilleure du groupe, en 2003 (l'Auditorium Stravinsky de Montreux s'en souvient encore). Et puis, cette franche rigolade geekish pour laquelle j'avais donné 25 francs helvétiques, IN RAIBOWS, album de climat(s), encore que relativement passionnant.


En fait, vous rigolerez, mais prenez KID A, AMNESIAC et IN RAINBOWS dans ses largeurs pour en faire ce huitième album. Oh, et puis un peu de l'album solo de Thom York, THE ERASER, qu'on regretterait presque alors que notre platine joue "Codex", sixième et antépénultième titre. On parle de ces fameuses sept années de grâce chez un groupe aussi souvent que des trois années de bonheur amoureux. En gros, ça situe le vrai bon Radiohead depuis THE BENDS jusqu'à 2002–2003, à choix. Ensuite, de la redite. Ce qui est énervant finalement, ce n'est pas seulement cette activité coûte que coûte, parce que les gars, ils ont le droit de faire la musique qu'ils veulent et aussi de travailler pour gagner leur vie pour autant qu'un groupe de musique puisse encore rapporter de l'argent, enfin, dans leur cas cela n'a jamais été un problème, pour preuve, qui oserait donner un disque au simple quidam (IN RAINBOWS) alors que tout frais compté, studio, pressage, café, promotion, on ouvrirait un zoo à Lausanne pour moins que cela ? Non, le plus énervant ici, c'est cette constance médiatique de se nourrir de Radiohead alors que le propos n'y est plus (et la croyance en parallèle). Et pourtant, l'ouverture "Bloom" est bonne, free–jazz aérienne sur le fil. Leur génie musical, on le sait, vient en majeure partie des frères Greenwood (bien que Phil Selway et Ed O'Brien ne soient pas des manches non plus). Thom Yorke, c'est un peu le Bono de Radiohead: nécessaire, incriticable et pourtant irritant. Et puis zut, ces gémissements n'ont rien à apporter à ce "Bloom", qu'on mette cette belle rythmique en avant, et cette basse, fabuleuse. Plus de sourdine, Jésus est mort, qu'on laisse le peuple s'exprimer! Next, "Morning Mr Magpie", fantômatique autant sur le fond que la forme. AMNESIAC propose de bien meilleures choses, dix ans auparavant. "Little By Little", mon Dieu, c'est vraiment embêtant d'avouer en public son manque d'inspiration. Parlons plutôt de la pochette, une histoire du moche à elle seule. De pipe, ça fait du bien de voir du vrai moche une fois, alors qu'on n'est que trop habitué à du faux joli constamment. Cette belle font en transparence, des fantômes et une forêt en toile de fond. Rien à redire, du vrai bon boulot, ça donne. A part cela, "Feral" est assez bon, quoiqu'encore une fois proche du vrai bon Radiohead des années 00.


En signe de protestation, je ne finirai pas ma chronique convenablement. A l'image de "Give Up The Ghost", ne plus avancer depuis 2003 et donc se retrouver largué en 2011. Mais pire, perdre ses fans par trop de convenance ou de suffisance. Qui aurait pu prédire pareille déchéance au temps du changement de millénaire? "Mieux vaut être brûlé vif que mourir à petit feux" : finalement, Kurt Cobain n'a pas dit que des choses bêtes. Il est vrai que c'est franchement ennuyant de se retrouver face à cette daube qu'est THE KING OF LIMBS alors qu'on a connu une telle flamboyance chez un groupe qui a tout de même permis à des Animal Collective d'éclore ou à des Massive Attack de vivre de leur soupe. En 2011, Radiohead pense faire différemment à défaut de tenter de bien faire.  37 minutes, par une de plus. Voici le premier album de Radiohead que je n'achèterai pas. A quand la reprise?

12 mars 2011

A Mort la World Music

Illustration: Matthieu Lavanchy
Deux compils, une signé du label français Pan European Recording et une autre réunissant des réinterprétations des congotronics par différents artistes, font les beaux jours de la musique hybride. Mêlant les influences et les sonorités, elles sont de parfaites armes pour mettre définitivement à mort le concept nationaliste et colonial de World Music.

La World Music, quelle expression atroce ! Ca fait tout de suite ringard, ça sent le vieux pancho et les tissus africains, oui ! mais portés par de vieux blancs babas aux seins qui tombent. Devenue une marque incontournable depuis les années 80, dans les rayons des disquaires mais aussi en vente à côté du café brésilien et des beedies, ce concept de World Music, sous ces aires de bonne conscience multiculturelle, est en fait des plus problématiques. Déjà, « musique du monde », ça ne veut pas dire grand chose. Surtout quand on se penche dans les rayons ainsi nommés, qu’est-ce que l’on trouve ? A vrai dire, tout et n’importe quoi. De la musique africaine, latino mais aussi nombres de folklores différents. Pour mieux comprendre la signification de cette catégorie, il faut se demander ce qu’on ne trouve pas sous l’étiquette « World Music ». Tout d’abord, le folklore ou la chanson de son propre pays (country). Ainsi la notion de World Music devient une sorte d’équivalent de ce qui était nommé barbare dans la Grèce Antique. Est de la World Music, tout ce qui vient d’ailleurs, tout ce qui n’est pas de chez nous. Jacques Brel sera considéré comme de la Chanson en France mais sera rangé sous World Music aux Etats-Unis. Cette mise en parallèle avec la barbarie est d’autant plus éclairante lorsqu’on pense que ce qui échappe également à la dénomination de World Music est ce qu’on appelle le pop/rock. En effet, les Grecs voyaient dans les barbares non seulement des étrangers mais surtout des gens qui ne parlaient pas leur langue (le mot « barbare » étant à la base une onomatopée singeant celui qui ne parlant pas la langue grecque semble n’émettre que des sons incompréhensibles), c’est-à-dire des populations non civilisées car n’appartenant pas à la civilisation grecque, langue et civilisation étant profondément liées chez les Grecs. Cette vision, encore une fois ethnocentriste, prétend exclure les autres de la civilisation moderne et c’est bien ce qui est en jeux dans l’exclusion des musiciens africains ou latino hors de la catégorie pop/rock. Confiner Fela Kuti, Omar Souleyman, Group Doueh ou Os Mutantes dans la World Music, c’est leur refuser le statut de modernité attaché aux genres pop-rock ou électro. La World Music dit au niveau musical la même chose que le discours sur l’Afrique de Sarkozy à Dakar: l’homme (le musicien) africain vivrait au rythme des saisons et ne serait pas encore entré dans l’Histoire. Une telle affirmation est évidemment scandaleuse. En quoi, l’Afrique serait-elle moins dans l’Histoire que l’Europe ? N’a-t-elle pas connu des mobilisations, des changements économiques ? Ne subit-elle pas les décisions iniques et les conséquences du système mondial néolibérale, tout comme l’Europe et les Etats-Unis ? De même, le concept de World Music tend à refuser tout forme de modernité artistique aux groupes venant du tiers monde et à les réduire toujours à une forme de tradition (notamment en les associant à des groupes effectivement traditionnels, tels que le folklore européen, des Balkans à l’Irlande), à une musique statique ne connaissant ni l’évolution du monde ni celle de la musique. Mais en quoi, le Group Doueh serait-il moins moderne ou plus traditionnel que Oasis par exemple ?


Alors à mort la World Music et vive la musique postcoloniale. Heureusement, on voit aujourd’hui celle-ci s’esquisser, de plus en plus de groupes à la pointe se réclamant d’influence africaine ou latino. Les rythmiques et les mélodies à force d’être passées de mains en mains sont sans origine contrôlée et c’est tant mieux. De plus en plus, on voit émerger une musique hybride. Il faut comprendre cette notion d’hybridité, au sens où l’entend Homi K. Bhabha dans « Les lieux de la culture », c’est-à-dire un refus du binaire, entre occident et tiers-monde, entre Afrique et Europe, entre tradition et modernité, transcendé dans une absence de hiérarchie. Cette forme de musique est à l’honneur dans deux excellentes compils sorties récemment. D’abord et surtout, le projet palpitant TRADI-MODS VS ROCKERS. Derrière ce titre, il s’agit en fait de réinterprétations par différentes formations de chansons issues des congotronics, séries musicales de groupes congolais mêlant traditionnel et moderne ou plutôt remettant en cause leur opposition. Parmi ces groupes, il y a notamment Kasai Allstars, Basokin, Masanka Sankayi et surtout, les plus connus, Konono n°1. Ce groupe, nominé pour un Grammy Award, est parmi les plus innovateurs et les plus influents. Et ils sont en concert au Bad Bonn de Düdingen le 16 mars, vous savez cette salle géniale où, paraît-il, il y a aussi un festival. C’est peu dire que ce concert est à ne pas manquer. Bon pour revenir à la compil, chaque titre est donc la réinterprétation par un groupe différent de chansons issues des congotronics. L’hybridité est donc ici à rallonge, celle initiale des tradi-mods congolais étant remodelée par des groupes à la pointe de la musique occidentale actuelle mais assumant l’influence des groupes congolais. C’est donc parfait, on ne sait plus qui est moderne, qui est traditionnel, si c’est les groupes africains qui pimpent leur musique à l’aide d’influence occidentale ou le contraire. Le projet TRADI-MODS VS ROCKERS est d’autant plus passionnant que les nouvelles versions sont véritablement des réinterprétations et pas de simples remixes, certains groupes ajoutent leur voix ou des instruments aux chansons de base, d’autres les rejouent, d’autres encore en modifient le rythme. Si bien qu’à moins d’être expert, on ne sait plus qu’est-ce qui vient de qui. Hybridité sans hiérarchie, on vous dit. Pour les groupes de "rockers" choisis, si la plupart sont inconnus de nos services, on ne peut que se réjouir de la présence d’Animal Collective, qui en compagnie du Kasai Allstar, sortent une chanson syncopée parfaite pour partir en transe. Notons aussi la collaboration excellente des furieux kraut de Oneida avec Konono n°1 pour un Nombre 1 ! de folie ; et, toujours avec ces derniers, celle de Micachu and the Shape tout en bidouillage et electronica de gadget. Le tout est trop bouillonnant pour qu’on s’arrête sur chacune des 26 chansons, passant de la musique classique à l’électro déjantée avec un détour par la salsa. Pour finir, mentionnons néanmoins la présence dans la distribution de Deerhoof, Andrew Bird, Tussle ou encore le mystérieux E+E. Ecouter le tout à la suite peut lasser, mais plus on y retourne, plus on est fasciné par le côté passionnant de cette musique puissante aux multiples facettes, comme échappant à toute norme préconçue, à tout centre de gravité, ni africaine, ni occidentale mais les deux à la fois.


La deuxième compil a pour titre VOYAGE II. MORT POUR LA FRANCE. FRENCH UNDERGROUND VOODOO MUSIC. Tout un programme ! Elle nous vient d’un des labels les plus excitants du moment, Pan European Recording. Ici, bien sûr le mélange d’influences et d’origines peut paraître moins fort, du fait que tous les groupes sont français et que certains titres touchent à des genres plutôt habituels comme le folk ou la chanson. Mais si le côté postcoloniale est certes moins important, les artistes et la compil elle-même n’en sont pas moins hybrides, jouant avec les différents styles, guignant parfois aussi bien du côté du Brian Jonestown Massacre que de ceux du krautrock ou de la chansons épiques, tout en étant résolument moderne. Bienvenue dans une musique des bayous, des caves, des vieilles cabanes. VOYAGE II est vraiment un disque impressionnant de par la diversité des sons qu’il offre. On y trouve de vraies bizarreries comme Russians de The Service, qui rappelle vaguement le post punk déviant allemand, le tout chanté avec un accent russe, ou la ritournelle électro Emile de White et Sticky. On peut tout de même décerner deux principales tendances : d’abord le rock garage légèrement diabolique, illustré ici par Juan Trip et les Ordinateurs, et les excellents Kill For Total Peace. De l’autre, des chansons nourries à l’influence allemande kraut-kosmische Musik avec Turzi, Chicros ou encore My Girlfriend Is Better Than Yours. Si le tout est de très bonne qualité, dans ce voyage à mort de la France, il y a trois étapes magnifiques à ne pas manquer. En effet, Pan European Recording a la chance de compter dans ses rangs de véritables pépites, à commencer par Mohinni Geisweiller, accompagnée ici par Mogadishow. L’ancienne chanteuse des regrettés Sex In Dallas signe ici une chanson magnifique, Ordinary Shares, plus belle que ce qu’Air avait fait avec Charlotte Gainsbourg. Sa voix mélancolique nous cloue au son de « Nights become Days ». On retrouve également l’excellent Etienne Jaumet, qui nous a littéralement scotché lors du dernier concert de Zombie Zombie. Sur cette compil, il prouve une fois de plus avec Tuner 2 tout son talent dans l’art de faire évoluer des sons, d’apparence simple, jusqu’à une explosion rythmique hallucinante qui finit sur une pluie fine de synthés. Pour finir et on a gardé le meilleur pour la fin, bien que sa chanson fasse office d’ouverture à VOYAGE II, chez Pan American, il y a bien évidemment Koudlam. Avec I Will Fade Away, en moins de 1 minute 15, il met tout le monde à l’amende. Dans son style de dandy post apocalyptique, il dégaine la chanson émouvante à mourir. Avec VOYAGE II, on ne sait plus si la France est devenu voodoo ou le voodoo français, tout ce qu’on sait c’est que l’aventure et le bizarre est désormais partout, ici comme ailleurs.

10 mars 2011

Tankino : winter’s bone

Illustration: Pierre Girardin
En plein cœur des Etats-Unis, c’est-à-dire dans le trou du cul du monde, une fille part à la recherche de son père. Une quête douloureuse. Un vrai western moderne. Deux ans après le magnifique The Road, c’est de nouveau d’un réalisateur inconnu (Debra Granick) que vient la très bonne surprise du cinéma américain indépendant. En même temps cette fois on était prévenu, Winter’s Bone a gagné le grand prix du jury à Sundance.

Avant toute chose, la photographie de Winter’s Bone est juste vraiment magnifique et rappelle furieusement celle du génial (ah oui c’est vrai je l’ai déjà dit qu’il était super ce film) The Road. Ici aussi, on est scotché par cette esthétique de fin du monde. A la saison morte, les feuilles et la campagne n’oscillent qu’entre le marron et le gris. Ceux qui sont venus voir des loups criant à la lune auxquels l’affiche du film fait penser seront déçus. A l’exacte contraire du Los Angeles de Sofia Coppola, Winter’s Bone donne à voir un centre des Etats-Unis hors du monde, presque hors de la vie. Les êtres qui le peuplent ne sont là que pour survivre et les écureuils pour être écorchés. Chacun vit dans sa petite maison individuelle, plus proche de la caravane que de la maison, où si la pauvreté est toujours là, la chaleur peut exister. Ce monde semble totalement détaché du monde extérieur, si ce n’est via le trafic de méthamphétamines. La présence de cette drogue dans la région montre l’impact négatif de l’économie globale sur cette région reculée. Ses marques se lisent tant dans la pauvreté et la dureté des gens que dans leurs aspects physiques. Rappelons que ce le ravage provoqué par la présence des meths sur les régions rurales des Etats-Unis a été plus d’une fois analysé. C’est au milieu des maisons brulées, des picks-up, que se déroule la quête de l’héroïne de 17 ans, Ree, interprétée par Jennifer Lawrence, bouleversante par la simplicité de son jeu et par l’émotion que ses mains dans les poches et son regard contiennent. Elle doit partir à la recherche de son père, pour lui demander de se présenter à la justice, car sa fuite causerait la perte de la maison pour Ree, sa mère malade, son frère et sa sœur. Cette quête aura un tempo plutôt lent et se concentrera dans des distances très courtes, c’est à peine si l‘on a besoin d’une voiture. Comme dans toute quête, les étapes se font au rythme des différents personnages, tournant autour du père, toujours absent, véritable spectre, entre vie et mort, entre héro et traître. De son frère, Teardrop, interprété magnifiquement par John Hawkes, jusqu’au terrible Thumb au physique de buffle, en passant par les femmes au visage de toxico, chaque rencontre se fera dans la violence et le sang, que ce soit celui de la parenté ou des coups. Le corps impressionnant de Thumb sera peut-être le seul à être montré de façon distincte dans le film. Car Winter’s Bone montre avant tout des visages, filmés de près. Lieu d’émotions, marqués par la drogue ou les blessures, ce sont en eux que se jouent les tensions entre les personnages de la quête, toujours entre la menace et la compréhension, mais c’est également sur eux que la joie peut parfois se lire.


La quête de Ree dans cet univers noir se donne véritablement à voir comme un western moderne, que ce soit par son rythme très lent, ou par sa façon de présenter toute relation entre individus comme une forme de duel, mais surtout dans sa morale. Dans ce monde, chacun doit faire ce qu’il a à faire. Ree doit chercher son père mais ne doit pas le dénoncer, Teardrop doit couvrir son frère et le venger au cas où, les femmes doivent éloigner les curieux. Ici les comptes se règlent entre hommes, ce sont eux qui décident même si au final, seules les femmes seront amenées à faire le sale boulot. Ce patriarcat est un des éléments qui donnent une coloration forte du film. À l’instar de ce qu’avait fait Jacques Audiard avec Un Prophète, Winter’s Bone ne porte pas un jugement sur les personnages qui le peuplent. Il les montre existant dans une situation donnée, chez Audiard la prison, ici le monde rural marqué par la pauvreté et le trafic de meths, et agissant en conséquence. Ree sait ce qu’elle doit faire, trouver le moyen de garder sa maison pour rester auprès de sa famille, et si tout le monde ne la laisse pas faire, tout le monde la comprend, et comprend même qu’elle doit aller jusqu’au bout. Pour triste que semble être cette quête, elle finira pourtant non sans un certain bonheur. Au lac sombre, se substitueront le feu des souvenirs et la réconciliation, magnifiquement filmée dans un moment de banjo où la réalisatrice évite l’écueil de la pâmoison finale du splendide pour rester dans le registre qui fait la force et la beauté de ce film, un réalisme bouleversant de lyrisme. C’est bien là le côté incroyablement réussi de Winter’s Bone, qui se tient sans cesse entre le mythe et la réalité, entre la quête initiatique et le décor naturaliste. À l’inverse du misérabilisme ou de l’austérité qui marquent la plupart des films portant sur des réalités sociales définies, Debra Granick réussit l’exploit de faire un portrait de la réalité dans ce qu’elle a de lyrique, sans pour autant que cette dimension en anesthésie la matérialité à force d’esthétisme emphatique.


Ah oui ! J’ai failli oublier de dire que la musique, elle aussi très belle de sobriété, est signée par Dickon Hinchliffe de Tindersticks. Encore un bon point pour Winter’s Bone.



7 mars 2011

TT TV: ANTIGEL FESTIVAL / NATHAN FAKE EN INTERVIEW



Deuxième partie de notre reportage sur le festival Antigel à Genève: l'Eté en Hiver bouclait deux semaines de performances et de concerts sous forme de "migrations artistiques" (il a fallu trois ans de gestation pour voir cet événement naître). Après James Yuill et Luke Abbott, place à un compatriote et collègue de label de ce dernier, Nathan Fake. A même pas 25 ans, le néo-londonien a déjà une aura de vieux limier de l'électro. Autant dire que ce fut un grand honneur pour Think Tank de le rencontrer, sous le vélodrome du Vel d'Hiv.

6 mars 2011

MUSIK TANK: DOUBLE DISCO / DISCODEINE + TORO Y MOI

Photo: Chazwick Bundick

Nous en avions brièvement parlé le mois passé dans notre TT Speaches: Discodeine avait laché un bien bel premier album en cette fin d'hiver. Dans le même temps, Toro Y Moi ne s'était pas laissé démonter en livrant sa bombe post-disco UNDERNEATH THE PINE. Discodeine et Toro Y Moi: deux nationalités, deux façons d'envisager la rotation de la boule disco, mais surtout deux tubes.

Décidément, Think Tank s'émeut pour le booty-shaking et après Rainbow Arabia, on sort notre loupe sur deux autres faiseurs de rythmes, signe de l'excellente santé d'un genre large et polymorphe. Attention, à ce rythme-là, nous pourrions en faire un grand dossier. Enfin, suivons l'actualité. Saïnath, collaborateur de la rubrique Tankino: "et personne ne parle de Radiohead?". Oups, non. Pas encore. Il faudra vraiment s'y mettre. Deuxième offensive: "j'encenserai volontiers le dernier Toro Y Moi, pour lequel je donnerai les mêmes qualités que pour The Go Team en matière de positivité, la légèreté en plus. C'est le genre de groove dont je ne me lasse pas depuis des semaine". Oui! Très bien vu! Léger tu veux dire? Cela se discute. Il a fallu du temps pour rentrer dans ce UNDERNEATH THE PINE. Première clé d'accès, forcément, le tube: New Beat, titre pour lequel Jamie Lidell, Chromeo et même Prince nous a-t-on dit s'ouvriraient les veines devant une telle implacabilité. L'été n'est pas loin, ô si, et franchement, on ne va pas se gêner de faire tourner le disque lors de TT Parties ou autres frivolités. Comme si soudain MGMT avait fait une cure d'amaigrissement et que Quincy Jones s'était relancé dans la course. Imparable. Il ne faut pas s'étonner ceci dit: ce ricain signé chez Carpark Records (Beach House, Dan Deacon ou Cloud Nothing étant les choses les plus accessibles du catalogue), œuvre depuis la fin des années 00 sur le devant de la scène indie, catégorie, hum, chillwave. Enfin, tentons d'abolir cette curieuse et gênante étiquette: Chazwick Bundick fait de la pop, un point c'est tout. Proche d'un Ariel Pink, ce natif de Columbia avait sorti l'an passé déjà son premier LP, CAUSERS OF THIS. On avait cru voir un énième représentant honorable et sympathique, sans plus, d'une scène cool. Étonnement il y eu donc, ce 27 octobre dernier au Exile de Zürich. On supportait notre ami Buvette, ouvrant pour Toro Y Moi. On n'en attendait rien du main band. Triple baffe. En tout cas; ce n'est pas souvent qu'on a le sourire durant tout un concert, alors qu'on ne connaît que vaguement les titres. A trois sur scène, le groupe développait une électro pop redoutable, tourbillonnant dans les recoins de la salle, empruntant mille chemins avant de conclure magnifiquement en un refrain imparable ou une ligne de basse démente, au choix. J'en avais fait un de mes top concerts de 2010 seulement précédé par des pointures comme le Sun Ra Arkestra ou encore The Whitest Boy Alive.


Nouvel album donc pour Chazwick Bundick. Oui Saïnath, ça groove: outre la pépite New Beat, Still Sound a pas mal d'arguments à faire valoir sur le dancefloor, en plus diffus, son solo de clavier amenant un bridge aérien, avant, encore une fois, de reprendre ce fameux groove. Et pourtant, cette séduction à la cabriole n'est jamais gratuite. Intro/Chi-Chi reprend les codes de Air ou Boards of Canada, le bien-nommé instrumental Divina pourrait être joué en clôture d'un film de fille Coppola, Before I'm Done est un exemple de sunshine pop sans autre prétention que d'être belle ou d'introduire le funk Got Blinded. On ne va pas tout disséquer, mais terminons par le morceau de notre choix, Go With You résumant le propos de ce deuxième album de Toro Y Moi: une pop futée, pas gratuite mais rivalisant avec n'importe quel pète-sec de charts, les compteurs et les dollars dans les yeux. Il faut faire jouer Toro Y Moi cet été. C'est obligé.


Double disco donc: un petit peu plus accessible à priori sur la forme. Discodeine, de Paris / France, (label Dirty / Pschent), présente enfin son premier album – éponyme – soigneusement introduit par Singular. Ici, Singular se dit plus "Sinegoular" qu'avec la prononciation anglophone: le très prolixe Matias Aguayo, chilien signé chez Kompakt, partage sa science des rythmes avec le duo Pilooski / Pentile. Et selon ces derniers, Discodeine n'est que "club music and intensity, voodoo, chicago house, futuristic disco, jackin' techno, analog basslines, ring modulation, krautdisco, mascarpone and chianti". Mascarpone et chianti: en voilà un bon pense-bête au moment de mémoriser ce bien bel premier LP. De l'Italian Disco en veux-tu en voilà. Jarvis Cocker, présent sur le tube Synchronize en rit encore. Certains s'offusqueront de la présence sur ce titre du plus français des brittons, président des nerds et meilleur romancier des vices de Grande Bretagne depuis Morrissey. Nous, on s'est autant marré que lors de la présence surprise d'Antony Hegarty sur le projet Hercules and Love Affaire (Blind). DISCODEINE a toutefois un tout petit plus profond à proposer. Figures In A Soundcape n'a rien à envier à du Nathan Fake, Antiphonie fout les jeton un moment (on dirait du Soap&Skin), avant de se transcender en torpille minimale à ascendance italienne. Parfait pour lancer un DJ Set d'enfer / en Enfer (Chloé, tiens-toi bien). Le duo a remixé James Murphy / LCD Soundsystem, et on dû flipper autant que nous sur l'incroyable New York I Love You. En digne réponse ou hommage, ils ont eu l'excellente idée d'envoyer un carton d'invitation à Baxter Dury pour la ballade à la Bowie D–A. Baxter Dury est mieux qu'un fils de  (Ian), comme pour donner encore plus d'âme à cet album surprenant. Pas forcément facile de faire rimer électro et album. Ici, Discodeine réussit le coup, et ce brillamment. On s'attendait plus à se retrouver face à de l'électro bubblegum dans la lignée de Kavinsky ou autres. En voilà une autre baffe. Toro Y Moi, Discodeine, deux groupes, deux confirmations d'un talent alors latent sur fond de demi–surprise, et deux tubes qu'on partage avec vous.