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31 mai 2012

Prometheus : accepter l'immensité

Photo: Julien Gremaud
Le voici enfin. Le film le plus attendu de 2012 est sorti cette semaine en Suisse et dans le reste du monde. Sa sortie internationale fût précédée par une couverture marketing extravagante allant jusqu’à créer un arrêt fantôme sur une ligne de métro parisienne. Ridley Scott, l’homme qui nous a pondu Alien et fabriqué Blade Runner – deux des films les plus marquants du cinéma de science-fiction – revient aux origines de la passionnante saga du monstre le plus terrifiant de l’espace.

Dans un interview en 2003, Ridley Scott parle sans trop s’avancer d’un possible cinquième opus de la saga Alien. Avouant que rien n’est très avancé, il laisse entendre que la seule chose qui le motive serait de revenir aux questions posées dans le premier épisode : d’où vient, par exemple, le vaisseau écrasé sur la planète avec ce mystérieuse extra-terrestre à l’intérieur ? Il y a quelque semaines, le réalisateur britannique l’avait confirmé : « C'est de là que je suis reparti ». Si Prometheus offre des réponses aux fans de la saga Alien, il fait peut-être plus, en proposant un film plus dense et plus percutant que tous les épisodes de la saga, excepté bien évidemment le premier. Idée à la mode à Hollywood, le prequel de cette série ne pouvait être imaginé par personne d’autre que son créateur. D’ailleurs, imaginer un Alien 5était impossible puisque Sigourney Weaver refusait il y a quelques années tout nouveau rôle dans cette saga. Le réalisateur doit accepter cette mort volontaire de sa woman warrior de l’espace permettant ainsi la morale implicite de son nouveau long-métrage : celui qui créé peut aussi détruire.


Big things have small beginnings
Si James Cameron nous a montré le monde lumineux de la science-fiction avec son Avatar, Ridley Scott est plutôt l’homme de la noirceur et de l’horreur usant des mêmes moyens que son contemporain : des effets spéciaux prodigieux et une 3D que l’on accepte (bon, mais c’est la dernière fois!). Une équipe de scientifiques est embarquée à bord du vaisseau nommé Prometheus pour découvrir une planète qui devrait apporter des réponses sur les existentielles questions « qui sommes-nous » et « d’où venons-nous ». L’équipage est malheureusement encore une fois pathétique, à l’américaine, avec celui-qui-n’est-pas-content-de-venir, ceux-qui-sont-amoureux, et celui-qui-fait-le-chef et qui a l’air un peu méchant. Premier bémol du film ? Moui… mais finalement, quand on revoit Alien, on se rend compte que l’équipe de scientifique à la cool était déjà du même acabit. Alors bon, passons. Dans l’équipe d’expédition, on trouve aussi David, dont nous apprenons très tôt qu’il s’agit d’un robot, à l’inverse de Ash dans le premier épisode de la saga qui dévoile son identité tard dans le film. C’est le quasi anagramme de Ash, Elizabeth Shaw qui sera, avec Fassbender en David, les seuls personnages passablement intrigants de ce prequel. Car oui, le scénario contient ses zones d’ombres. Forcément, quand on prend le mec qui scénarise Lost… Au CV du monsieur, il y a aussi l’exécrable Cowboys vs Aliens. Alors OK, c’est de la science-fiction et ce genre permet d’innombrables invraisemblances, mais à la sortie de la salle, on repense à des incohérences un peu trop grosses qui laissent un peu sur notre faim.


Mais finalement, Alien était aussi basé sur des interrogations et c’est ce qui en faisait la force du film. Il faut laisser à Ridley Scott la grâce d’avoir su resté encore assez sobre dans l’utilisation des 250 millions de dollars de production (même si ça fait drôle de le dire…). Comme Alien, tout se passe soit dans le vaisseau, soit dans la grotte trouvée sur la planète. Et comme Alien, les trente premières minutes sont d’un régal absolu. Pourquoi ? Parce que premièrement, Prometheus reprend exactement la même trame narrative d’ouverture du film de 79 (vaisseau dans l’espace, atterrissage sur une planète inconnue, exploration d’une caverne étrange, suspens en crescendo, indices extra-terrestres) et deuxièmement, pas grand chose n’est montré durant les premières 45 minutes. Evidemment, Scott ne pouvait pas rejouer le mode de la suggestion horrifique parfaitement mis en place avec Alien, mais il réussit à ne pas déborder dans tous les sens. L’explosion du vaisseau, les monstres qui petit à petit surgissent, une séquence proprement horrifiante, les scènes d’action irriguent parfaitement les deux heures de science-fiction pure que propose le réalisateur. Au niveau visuel et même tri-dimensionnel (les plans subjectifs dans les casques des astronautes), Prometheus, à l’image de sa séquence d’ouverture, est une merveille pour ceux qui aiment l’ambiance d’Alien.


Mythologique
La scène d’ouverture est d’ailleurs un coup de poing visuel, exploitant en quelques minutes intelligemment le récit qui va suivre avec ces paysages hostiles, ces coulées de neiges et les eaux bouillonnantes allant même jusqu’à citer le mythe de Prométhée lui-même : un Dieu, désirant apporter la lumière aux hommes, se fait bannit de l’Olympe. Par son histoire, le film tente de répondre à la question universelle : avons-nous un créateur ? Cette idée plutôt réactionnaire permet l’élaboration d’un récit de (science-)fiction qui va confronter création et religion. La présence du crucifix autour du cou de Shaw aura parfois l’air d’une plaisanterie décorative alors qu’il prouve une puissance en la croyance humaine. Comme ce dialogue entre David et Milburn, où l’homme méprise le robot en le narguant de ne pas avoir d’âme. David, sous ses airs de Lawrence d’Arabie, sourit et rétorque : « que diriez-vous si vous rencontriez votre créateur et qu’il vous parlait ainsi ? ». Malheureusement, le film ne fait qu’effleurer cette problématique complexe et qui promettait beaucoup puisque l’homme ne se rend pas compte de ce qu’il créé. S’ils ne sont que des ouvrages d’une entité régissante au-dessus d’eux, les hommes perdent ainsi toute croyance mentale, pourtant si importante pour l’âme, comme le démontre le rêve de Shaw ou les peintures murales non pas de la grotte en Ecosse, mais celles qui recouvrent le plafond du temple extra-terrestre. De mythologie, d’histoire de l’art, voire de philosophie, il en est un peu question dans Prometheusmais les questions sont, trop souvent, avortées trop précipitamment.


Alors qu’est-ce qui importe ? Le monstre. Evidemment. N’oublions pas qu’à la base du projet, Scott veut expliquer qui est le « space jockey » au début d’Alien. Cette réponse se trouve dans Prometheus. Et d’ailleurs, ne faut-il pas retenir que cette ligne conductrice qui, en filigrane, traverse tout le film ? Cette création nouvelle, sublime et angoissante qui souligne toute l’erreur humaine de vouloir à tout prix tout savoir, tout expliquer et tout connaître ? Car si de nombreuses critiques affirment que Prometheus n’est qu’un banal film d’actions à effets spéciaux, on n’y apprend le plus important : comment et pourquoi un jour, une bête monstrueuse s’est échappée de l’abdomen d’un humain. Ou quand la métaphore sexuelle d’Alien est devenue une critique de l'avidité de l’humain avec Prometheus. Scott nous livre un excellent rendu de science-fiction, voire le meilleure depuis belle lurette. Les références obligées vont de Solaris ou 2001 : l’Odyssée de l’espace (pour les références ultimes) à l’inattendu Sunshine(Boyle, 2007) ou le très mauvais Mission to Mars de DePalma pour la présence mystique. La Guerre des Mondes n’est pas loin non plus, mais à ce train-là, tous les films de science-fiction et d’extra-terrestres rentrent dans Prometheus, pour le pire et le meilleur.

Prometheus de Ridley Scott (USA, 2012)
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30 mai 2012

Kilbi chéri

Illustration: Giom
Cette semaine, c'est Kilbi. Pour l'occasion, tout Think Tank se met en quatre, dépêchant des émissaires et se mettant à la couleur du festival. Normal quand il est question d'amour, qu'on se réjouisse d'y aller ou qu'on pleure de ne pouvoir s'y rendre, on le chérit notre Kilbi.

Les trois journées de l'an dernier furent épiques (à lire ou relire ici, ici et ) et cette année promet d'être tout aussi belle. A vrai dire cela fait déjà un moment que l'on attend impatiemment de retrouver le festival de Düdingen. Ce début d'article donne à notre blog des airs de groupies frénétiques. A cette critique, nous répondons deux choses. D'abord, il serait dommage de renier un de ces moments culturels faits de trépignements, de passions, d'extases alors qu'ils sont justement devenus si rares dans un monde trop souvent marqué par la répétition morne, la déception sans surprise et le dédain expert. Ensuite, pour parler de notre relation au Kilbi, il faudrait parler d'un "mariage de raison" mais dans un sens positif. D'années en années, la programmation ne nous a jamais déçu sans pour autant cesser de nous surprendre. Cette longue relation a fait que c'est avec une confiance totale que l'on confiera nos oreilles durant trois jours aux groupes programmés autour de l'auberge de Bonn. Avec Kilbi, on ne sait jamais à l'avance quels groupes se trouveront sur la line up. Ce que l'on sait d'avance, c'est que la qualité et la diversité seront au rendez-vous.


Si on se réjouit tellement de venir au Kilbi, c'est avant tout pour des raisons musicales, même si l'ambiance est un facteur important. Loin de nous l'idée de renier notre sympathie pour un format de festival qui se veut à la fois ouvert et relativement petit. L'an dernier, certains criaient à la perte d'identité du festival avec la venue de grosses têtes d'affiches (Queens of the Stone Age, Animal Collective), l'apparition d'une troisième scène et la vitesse à laquelle les places se sont vendues. Ceux qui ont assisté aux trois jours savent qu'il n'en est rien et le succès donne raison à un festival qui ne veut se laisser enfermer dans aucune case: ni celle des hipsters restant dans leur coin, ni celle du gros festival rock. Kilbi ressort cette même formule à trois scènes et connait à nouveau le succès: il ne reste des places que pour le jeudi soir (si vous n'en avez pas, courrez les acheter). Par contre, le festival change encore, en programmant moins de groupes maousses que l'an dernier et en faisant pencher le tout encore plus dans la direction électro. La programmation fait autant dans le pointu (Oneohtrix Point Never, Rustie, Nguzunguzu...) que dans la pop de qualité (Metronomy, Beach House, Lower Dens, ...) et offre une vue saisissante de la scène suisse que ce soit avec des gloires nationales comme Dieter Meier de Yello ou avec la nouvelle crème avec La Gale et Aïe Ca Gicle. Surtout au delà de ces name dropping, on sait qu'on va découvrir des formations inattendues. C'est bien pour ça qu'on le chéri, le Kilbi. A tout de suite mon amour.

Le site de la Kilbi
Notre article paru lors de la sortie de la programmation

28 mai 2012

LP: Beach House – Bloom

Illustration: Charlotte Stuby

Beach House, sentiments sensuels, grandes prétentions et ultra-séduction. Bloom, quatrième album, est peut-être bien le bon, celui d'une génération de l'après-tout. Quand il n'y a plus rien, qu'il y a-t-il? Beach House, la consécration des impressions, l'archétypique groupe indépendant. Bloom, l'esthétique, la mélancolie. Et la production.

N'est-ce qu'un hasard? les phénomènes musicaux récents sont tous féminins ou leadés par une demoiselle – nous nous sommes suffisamment attardés sur Grimes, Julia Holter ou dans une moindre mesure Little Dragon. Une piste: en 2005, The Futureheads reprenaient Kate Bush et son "Hounds of Love" (1985), remportaient tous les suffrages dans la course au titre le plus cool de l'année. Aujourd'hui, ce sympathique groupe britannique – encore actif – regarde au loin un armada féminine, se revendiquant de Bush dans des tournures acceptables au mieux (de Florence and the Machine à La Roux) n'ayant souvent pour seul mérite que de remplir la case indie laissée vacante par un mouvement Rock'n'roll (2000–2007 approximativement) vidé de toute sa substance. Il est rare dans ces colonnes de mettre un artiste en avant. Pourquoi le groupe Beach House plus qu'un autre? Parce que ce duo représente le climax de cette tendance à la douce pop mélancolique et rêveuse, witch house, after-pop, new-wave 2.0., chillwave. Apparus dans cet entre-deux de genres et de styles, les Américains  rassemblent toutes ces sous-catégories sous l’étendard d'une forme de spleen nonchalant et faussement négligé, exécuté avec pas mal d'appoint et de réalisme: la dream pop, substitut soft et cool à une jeunesse n'ayant pas connus de grands mouvements musicaux, moins love que la tendance à la sensuelle séduction, plus fréquentable que sa lointaine cousine la tech house, et moins pompeuse que l'entourage du rock canadien.


Beach House a ce mérite légitime d'exister depuis 2006. Ça n'aurait pu durer qu'un seul été, comme tant de formations. Dès le départ, les influences sont solides et affirmées: BEACH HOUSE cite Big Star et Françoise Hardy, la Stratocaster du guitariste Alex Scally sonne comme une guitare hawaïenne asthénique, Victoria Legrand s'impose comme une diva aussi proche de Nico que d'une Kendra Smith. Ce premier disque étonnant de maturité et de détachement posait une formule six ans après reconnue et maintes fois citées (les excellents Lower Dens récemment): des pièces élégiaques et magnifiquement sobres, inébranlables et pourtant si aériennes, de plus en plus orchestrées au fil des albums (le second, DEVOTION est sans doute le meilleur) vertueusement livrés chaque 24 mois. Dans la discographie beach housienne, on remarque de fait une rupture sonore dès TEEN DREAM, laissant la petite tristesse intime des débuts pour l'éclatement des émotions et des impressions esthétiques. Beach House hausse la cadence et arrange fièrement, mais avec une production toujours plus présente, au grand dam des premiers suiveurs. Fort heureusement, et personne ne nous contredira, Beach House conserve ses qualités d'orfèvres. Les prétentions elles sont toute autres.


Il faut reprendre les titres "10 Mile Stereo" et "Norway" (issus du précédents LP) pour introduire l'épique BLOOM: grandes envolées lyriques et royales et à la sage délectation. C'est quand une formule se répète qu'elle rencontre la consécration: récemment, on m'a fait remarqué que BLOOM avait accueilli les meilleures notes du plateau lors de sa sortie quand j'avais exprimé mon scepticisme sur la créativité de cet album. La première impression est souvent la bonne, fut-il encore qu'elle ne reste pas figée. Certes, l'intro "Myth" reprend allègrement les plans de guitare de "10 Miles Stereo", les choeurs de "Lazuli" sont calqués sur ceux de "Norway", "Wild" s'inscrit comme la face B du final "Take Care", mais faire la liste des répétitions serait aussi injuste que d'accuser l'irascible artiste peintre Sean Scully de redites expressionnistes. Beach House n'étonne pas: il poursuit sa parade sensuelle et agréable à l'oreille. Les titres s'enfilent les uns après les autres, en effet excellemment produits, joliment luxuriants et accessibles dans cette redite amoindrie des Smiths ou plus polie de Sunset Rubdown. On note quelques réussites, là où le duo va franchement à fond dans le lyrique ("Troublemaker" et le final "Irene"), se détachant de sa bonhomie rêveuse et de ses petits effets. Car le problème avec cette formation de Baltimore est ce conformisme contemporain à l'heure de l'ultra-like, de l'essort de Pinterest et d'autres bêtises  sociales, l'anti-prise de position se cachant sous les envolées sociologiques de chaque "participant". 


BLOOM est le triomphe des (bons) sentiments, l'indie cool sans prise de risque, linéaire et passe-partout faisant l'unanimité dans les rédactions – on notera toutefois que nos collègues de l'excellente webradio allemande Byte FM émirent eux aussi de nombreuses critiques. Quand il n'y a plus de styles musicaux dominants, après une décennie 2000, menée par des barrés (Animal Collective) et un cracké (Pete Doherty), déjà en manque d'originalité et d'audace et en attente d'un renouveau qui n'est pas encore venu, c'est l'horizon dégagé pour les produits sans aspérités et jolis. Mais mince, quand tout est fini, n'est-il pas venu le temps de faire n'importe quoi, en tout cas d'arrêter avec le trendy (lire notre article sur les "mélanges sacrilèges" et autres musiques ennuyeuses notamment)? A l'instar du hip hop dans les années 2000, l'indie rock semble se vautrer dans la monotonie et le presque réactionnaire. La surproduction de BLOOM n'en est que plus parlante quand tout se fige. Et puis cette question cruciale: est-ce que ce concept fumeux de dream pop ne fait-il pas tout simplement bien rire les vieux?

Beach House, BLOOM, Sub Pop, 2012 (sorti le 15 mai)

25 mai 2012

Kino Klub: Wrong de Quentin Dupieux (Trailer)



En 2010, Rubber avait inauguré la rubrique cinéma d'un Think Tank fraîchement né - vous savez l'histoire du pneu tueur. Une histoire de western mais pas vraiment, tourné avec peu de moyens et des appareils photos. Un succès d'estime; la confirmation aussi que Dupieux, ce sacré barré déjà auteur de Steak mais surtout musicien de la première heure avec le concept Mr.Oizo, ne devrait pas perdre sa tête avant la sénilité, au moins. Wrong reprend ces propriétés - absurde, photographie magnifique, musique dingue, dialogues hum, loquaces?, mais aussi trailer d'enfer. Le film sort cet été. En attendant, Dupieux a présenté hier à la Quinzaine des Réalisateurs à Cannes, le court-métrage Wrong Cops (13 minutes), visible seulement aujourd'hui sur le site officiel. L'occasion de faire une pierre deux coups avec ce trailer de haute tenue, bref mais nerveux, et l'actualité du Français, Wrong Cops (ci-dessous). On termine la minute Cannes en rajoutant que Moonrise Kingdom de Wes Anderson reste dans les bons papiers pour décrocher un prix (lire notre critique récente).

23 mai 2012

TT Books: Zwei Komma Sieben, Wandering, Der Wedding & Electronic Beats

Illustration: Der Wedding (détail) / reproductions Julien Gremaud

Nouvelle incursion dans les pages des magazines pour la rubrique TT Books, tribune ouverte et thématique aux écrits, aux belles éditions et aux revues critiques et contemporaines. Cette édition prend des couleurs germanophones: qui de Der Wedding, Zweikommasieben ou Wandering, nous nous intéressons aux publications régies sous la langue de Goethe, entre Lucerne, Bâle et Berlin.

Think Tank s'écrit et se lit en français. C'est dommage auront noté certains. Toutefois, un espace où le texte est au centre des activités ne saurait se concevoir sans une intention certaine à la langue, ceci rendant la traduction dans les autres langues nationales ou en anglais impossible - les raisons sont nombreuses, le manque de moyen n'étant pas la moindre. La défense (ou la fierté) de la culture locale et de sa langue en est une autre. Dans cette démarche, l'inscription germanophone de la petite publication suisse-allemande zweikommasieben est des plus conséquentes: « Zweikommasieben ist eine Momentaufnahme, eine Dokumentation des Jetzt der gegenwärtigen Klubkultur in und um Luzern». Une documentation, un instantané de ce qu'il se passe culturellement et dans les clubs à Lucerne, magnifique ville du centre de la Suisse en taille réduite. 2,7 non pas le taux d'alcoolémie des concepteurs de la revue (ça c'est déjà vu dans des publications expérimentales), mais comme le temps en millième de seconde que prend le son pour arriver au cerveau - si ce n'est pas exactement cela, on ne doit pas être loin. Acquis chez Motto Distribution, le premier numéro introduisait une ligne éditoriale internationale faite d'artistes (Mount Kimbie, Tim Hecker, Gold Panda) tous accueilis à Lucerne. Les acteurs de la vie locale ne sont pas absents avec en premier lieu le Südpol, lieu de musique, dance et de théâtre de grand intérêt. Et aussi imprimeur, à l'aide d'un Risographe MZ970 deux couleurs. Nous suivons désormais l'aventure avec grande intention, d'autant plus que les choix éditoriaux ne sont pas très éloignés de Think Tank, où le dernier numéro reproduit ci-dessous s'intéresse au producteur suisse-allemand Kalabrese ainsi qu'à Evian Christ alors que son prédécesseur introduisait autant Dam Mantle que Clams Casino. Un bel exemple d'une publication indépendante à tirage très limité (300 exemplaires, prix de vente 5 euros) mais de grande qualité. Les choix de podcasts ou d'articles additionnels sur le site web sont aussi des plus pertinents.





 
Bénéficiant d'un splendide relais ainsi que d'un vernissage d'envergure chez Motto à Zürich, Wandering n'a pour ainsi dire pas raté son départ, même si la voilure est conséquente. Plus de 60 artistes, écrivains, curateurs ou agitateurs publics dissertent les cheveux au vent sur la ballade au grand air ou autres signifiants. Vu comme un magazine, Wandering a tout pour faire peur à l'amateur de papier glacé très illustré: 230 pages dévolues exclusivement au texte et aux discussions, hormis les ouvertures (Amelie von Wufflen), finales (Daniel Baumann & Adolf Wölfli) et interlude (la belle histoire illustrée de Rui Tenreiro). Vu comme un Zeitschrift (journal), Wandering s'inscrit judicieusement dans la lignée de ces revues littéraires thématiques, avec une question en filigrane: que va nous réserver le numéro 2 de Wandering? Car le terme wandering prend ici plusieurs formes, entre l'errance, la dérive, l'escapade ou le grand tour. Le modus operandi de la publication procède d'une retranscription de conversations entre deux interlocuteurs, à distance - échanges d'e-mails, skype ou téléphones - s'étendant sur des durées conséquentes (parfois quelques mois). Initié et édité par deux acteurs de la "nouvelle scène bâloise" – Tenzing Barshee de l'off-space Elaine, situé dans le Musée d'art contemporain de Bâle; le graphiste Dan Solbach de New Jerseyy – Wandering sent bon la liberté et la lenteur dans notre époque d'hyper connexion. Le "magazine" (c'est ainsi qu'ils se caractérisent, soit) est écrit en anglais et en allemand. Ça en laissera certains sur le bord de la route, ça ravira les autres amoureux de texte originaux, non dégradés par la traduction. Sinon, il est vendu 12 euros, disponible aussi chez Motto.












Der Wedding s'inscrit comme l'objet étrange de ce TT Books. Edité à Berlin, au tirage énorme, ce magazine ne paraît toutefois qu'annuellement et son format est clairement réduit (seulement 104 pages). Crée en 2007 par la journaliste Julia Boek et le graphiste Axel Völcker, Der Wedding, publication qui s'inscrit dans la municipalité de Wedding, de plus en plus cotée, n'a donc vécu que quatre déclinaisons. La dernière, reproduite ci-dessous, n'est pas la moins intéressante: l'Ouest y est traité en trois chapitres, "Der gute alte Westen", "Der wilde Westen" et "Der Goldene Westen", avec comme terme-clé le néologisme créé de toute pièce répondant du nom de "Westalgie". Il ne faut pas seulement y voir une forme d'anticonformisme arriviste ou de nonchalance artistique: on y croise dans les colonnes du magazine des authentiques westberliners de Charlottenburg ou de Schöneberg, un prêtre répandent la bonne parole sur la Spree, des victimes de la Wende (la réunification) – employés d'embassades, de centres culturels, ministres de la Stasi, propriétaire de terrain occupé alors par le Mur. Un peu de clichés recherchés avec des micros-trottoirs ("Typisch Westen?") effectués en Inde ou en Asie, de même que des articles de fonds sur le cas de la migration polonaise en Allemagne, les logiques commerciales des Shopping centers, ou la grandeur déchue de Winnetou, l'Indien apache créé par l'auteur allemand Karl May. Disponible un peu partout et d'un coût accessible (7 euros), Der Wedding se lit d'une traite dans la plus pure forme de la distraction utile que peut offrir une telle publication, s'adressant à un cercle de lecteur plus conséquent que sa langue d'écriture (l'allemand) ne pourrait le permettre.







On termine par un acteur conséquent de la scène musicale germanique, au financement important. Pour les puristes, Electronic Beats n'est qu'un pion du géant de la téléphonie Telekom. Oui, mais pas seulement. Ce magazine s'inscrit dans le programme du même nom initié il y a quelques années, regroupant DVDs de reportages et un site internet / plateforme d'émissions radiophoniques exclusivement dédiée à la musique électronique sous toutes ses formes. De tels moyens utilisés consciemment font de grands résultats. On recommande une visite ponctuelle du site web où les mixtapes des grands noms du deejaying rivalisent avec le programme Essential Mix de la BBC. Trop grand? On vous conseillera de fait le format papier de l'entité, basé sur la critique pointue de disques actuels, sur des explorations de villes européennes ou des interviews fleuves. Le numéro 29 (vous noterez l'auto-collant "Free copy") propose des réflexions sur Rotterdam, Akihiro Miwa, Evian Christ (encore lui!) des rencontres avec Little Dragon ou encore Dillon. Les conversations y sont au centre des débats, avec des rencontres parfois improbables entre le rédacteur en chef Max Dax (un ancien de Spex, autre revue de bonne tenue) et le cuisinier Gérard Joulie ou le nouveau directeur de la Tate Modern Chris Dercon. L'infatigable Hans-Ulrich Obrist – curateur de la Serpentine Gallery et contributeur d'une somme astronomique de publications – disserte lui sur l'album WALDEN de Jonas Mekas alors que Pantha du Prince traite pour sa part du duo de Détroit Drexciya, pilier de la scène locale des années 1990. « It's time to redefine failure »: c'est sous ce slogan que s'inscrit Electronic Beats, avec un modèle d'écriture légitime et exigeant. On nous dira qu'avec de tels moyens il est facile de s'offrir des contributeurs de ce rang - et qu'ils auraient pu faire un effort sur un graphisme franchement moche; certes, mais encore faut-il bien savoir faire interagir tous ces acteurs de la culture contemporaine. Vendu 4,50 euros, le magazine est facilement trouvable gratuitement chez les disquaires allemands, on s'en étonne d'ailleurs… On n'oubliera pas de préciser que les textes sont eux en anglais.






21 mai 2012

MIX TTAPE: Walls (UK)

Illustration: Botine
Le duo anglais Walls a fait sa première percée en 2010 avec un album d'electronica brumeuse paru sur le label Kompakt. Après la sortie de "Coracle", en automne passé, ils ont parcouru les routes, notamment en compagnie de The Field et Battles, participant à instaurer sur la scène électronique une approche krautrock. Pas question ici de techno mais d'hymnes shoegaze et de drones un peu assagis. Plongée dans l'univers immersif et enveloppant de Walls.





TT: Qui est Walls? Qu'est-ce que Walls? Qui fait quoi?
Sam: Walls, c'est Alessio et Sam et c'est la fusion de deux talents/goûts/idées. On fait les deux de tout, même si Alessio est le seul à jouer de la guitare.


Pouvez-vous nous parler de votre processus musical? Qu'est-ce qui, au-delà de la musique, vous inspire et prend part à la démarche artistique?
Alessio: Il y a différentes manières de faire. Parfois, l'un d'entre nous arrive avec une idée déjà bien formée, parfois on jamme jusqu'à atteindre quelque chose qui nous excite. Ensuite, on suit simplement cette idée jusqu'à son aboutissement. Souvent, alors qu'on pense qu'on est en train de créer un morceau plus dansant, on finit par diviser le bpm, ou l'inverse. Il nous est complètement impossible de contrôler où un morceau va.


Vos deux albums sont sortis sur Kompakt. Comment se fait-il que vous ayez rejoint un label à l'orientation aussi techno? Est-ce que vous avez l'impression d'y correspondre?
Sam: Ca semblait complètement naturel.  On trouve qu'il y a une sensibilité pop et une émotion qui nous relient au son du label, et ils étaient d'accord avec ça! D'autre part, on aime faire danser les gens, mais d'une manière trancey. 


Vous avez créé votre propre niche entre des mondes musicaux très différents: vous avez tourné avec Battles et The Field, vos morceaux sont joués par beaucoup de dj's mais vous restez éloignés duclubbing. Quel serait votre auditeur idéal?
Sam: Tout le monde et personne. Honnêtement, ceci dit, l'auditeur idéal est quelqu'un qui apprécie la bonne musique au-delà de suivre les tendances. Tourner avec Battles a été un réel honneur pour nous.

Est-ce que vous avez le sentiment que votre public à changé entre votre premier album et votre second album? D'autre choses ont-elles changé?
Sam: Pas vraiment. Peut-être s'est-il juste un peu élargi? Notre son, lui, est devenu plus upbeat et dynamique, ç'a été l'évolution naturelle après avoir joué beaucoup en live. On a vu la réaction des gens à notre musique et on a voulu rendre les concerts plus dansants et bizarres.


Quels sont vos projets en cours, pour Walls et en tant qu'entités séparées?
Alessio: On commence une tournée en Angleterre la semaine prochaine, on se réjouit beaucoup. Ensuite, des festivals en Europe et, entre temps, on recommence tranquillement à travailler sur des nouveaux morceaux pour Walls. On a les deux un album prêt pour nos projets solo, qui sortiront d'ici la fin de l'année. 


Walls sur facebook

17 mai 2012

Le conte d'Anderson : Moonrise Kingdom

Illustration : Charlotte Stuby
L’attente aura été longue. Et les fans, devenant à chaque sortie de ses films plus nombreux, en ont salivaient lorsque la bande-annonce de Moonrise Kingdom surgissait sur la toile. S’il semblait bien que Wes Anderson avait un faible pour le monde de l’enfance, son dernier film le confirme en nous emmenant chez les scouts sur une île qui rappelle quelque peu le Hook de Spielberg.

Wes Anderson est talentueux. Pour preuve, il est l’un des seuls réalisateurs à rendre Owen Wilson touchant. Ami d’enfance des frères Wilson (les autres frangins jouent régulièrement dans ses films), le jeune Wes n’a que 27 ans lorsqu’il réalise son premier long-métrage, l’excellent Bottle Rocket. Les bobines se suivent sur un bon rythme (1 tous les 3 ans) dont de véritables réussites, comme Rushmore (1998) ou La Famille Tenenbaum (2001). Mais ce qu’il faut souligner chez Anderson, et ce qui se confirme dans son nouveau film, c’est cet aisance du montage, de l’atmosphère bon enfant sur des situations qui devraient nous rendre tristes, et la capacité à rendre réelles et sensibles des scènes ridicules. A la manière d’un Woody Allen, les histoires que nous racontent Anderson tombent de nulle part, et il faut d’abord les accepter pour pouvoir ensuite tranquillement les apprécier. Moonrise Kingdom donc, c’est l’histoire de Sam, scout orphelin, qui décide de s’évader de son camp avec une fille de 12 ans. Le coupe d’ados pré-pubères se perd dans les bois et leur fuite déclenche l’alerte dans le monde des adultes : les parents de la fille, la police, une assistance sociale et bien entendu le head chief du campement scout duquel le petit Sam s’est évadé. Leur fugue va faire naître une idylle chez ces deux jeunes originaux.


Wes Anderson filme l’enfance comme un adulte nostalgique. Les nombreux plans qui nous montrent des intérieurs de tente (déjà visible dans La Famille Tenenbaum), idéalise toutes ses cachettes que nous fabriquions enfants. Sauf qu’avec son film, Wes sort ce divertissement de la chambre traditionnelle de jeux, pour l’installer à l’air libre. Ce déplacement géographique n’est pas anodin. Le générique d’ouverture, filmé à la manière de La Vie Aquatique, nous montre les différentes pièces dans laquelle vit une famille et chaque chambre est une fermeture et une ouverture. La maison familiale devient un jeu de cache-cache, mais aussi une célébration du cinéma : la table à manger se met au service de la caméra, permet de se rabattre pour permettre les travellings latéraux. Les couloirs ne servent plus de passage entre les différentes pièces, mais deviennent un accès au dispositif filmique. Ainsi, Anderson, pour l’ouverture de son film, nous avertit que les lieux que nous croiseront durant 90 minutes sont créés pour le cinéma et qu’il s’amusera à les filmer comme un enfant qui court après son sujet, pour mieux le comprendre. Comme les contes (les Grimm, Perrault, Henderson), les intrigues s’invitent au récit pour faire avancer l’action. Ici, Anderson crée des lieux qui permettront à son sujet d’évoluer : un lac, une île, un personnage-narrateur qui explique les lieux, des scouts bizarres, des parents inattentifs, une tempête à l’horizon.


Godard et le Carnaval des Animaux
Perfectionniste du cadre et de l’image, chaque plan est construit comme un tableau : symétrie, choix des couleurs, placement des personnages ou irruptions de monuments créés par l’homme dans un paysage naturel, tout est réfléchit dans le monde visuel d’Anderson. Si le scénario et surtout sa fin manque un peu d’épaisseur, l’imagerie du conte pour enfants mélangée à celle du film d’enfants sont bien présents. Il y a un petit côté Stand By Me(1986) en coulisse, du Hook (1991), et c'est justement ces allusions au cinéma qui rendent le film très intéressant. Le couple perdu dans les bois et écoutant de la musique rappelle celui de Badlands (Malick, 73) et la recherche de liberté nous ramène à la Nouvelle Vague, au Jules et Jim de Truffaut mais, surtout, au Pierrot Le Fou de Godard réalisé… tiens ! en 1965, date fictionnelle de Moonrise Kingdom. Le grand clin d’œil est celui de la plage, où les deux jeunes se retrouvent dans une baie où ils installent leur campement. La plage devient leur lieu, entre l’eau et la terre, où ils vont se raconter des contes, des histoires, comme Belmondo et Anna Karina. Parsemé de belle musique (du frenchy Françoise Hardy au Carnaval des Animaux de Saint-Saëns), les deux jeunes tourtereaux vont alors découvrir leur corps, se toucher et s’embrasser. L’évocation sexuelle extrêmement connotée ira jusqu’à perforer le lob de l’oreille de la fille d’une boucle d’oreille formée d’un petit insecte accrochée à un hameçon. Suzy se met à crier, du sang coule le long de son corps et les amants s’endorment dans leur tente.


Film d'ouverture de la 65e édition du Festival de Cannes, Moonrise Kingdom est une réussite au niveau visuel et du jeu d’acteurs mais, comme dit plus haut, pêche un peu dans sa fin. Mais l'objet est fort sympathique et se trouve être le prolongement logique de l’œuvre en construction du réalisateur. Avec un casting en lettres d’or qui se suffit à lui-même (Bruce Willis n’est jamais aussi génial que quand il joue un looser), le réalisateur démontre l’incapacité à devenir libre tout en restant enfant. Les adultes empêchent toutes décisions venant des enfants et pourtant, il sont traqués, épiés et manipulés par leur progéniture. Dans ce genre de long-métrage, il est intéressant d’y voir la continuité du créateur. Wes Anderson, dès Bottle Rocket, est l’artisan d’une œuvre passionnante où se mêle désillusions (La Famille Tenenbaum en est l’exemple le plus parfait et le plus puissant), nostalgie de l’enfance, irruption du conte (déjà dans Fantastic Mr. Fox) et loosers ambitieux. Sans passer par une école de cinéma, Wes Anderson, avec sa licence de Philosophie en poche, s’est lancé dans un cinéma en marge d’Hollywood où il a pourtant réussi à attirer certains des plus grands acteurs du milieu. Sa signature s’est faite au fil des années. Avec le recul, il est – avec Scorsese – l’un des réalisateurs sachant le mieux utiliser la musique préexistantes dans ses long-métrages (voir l’ouverture de Darjeeling Limitedavec les Kinks ou la scène du bus sur These Days de Nico dans Tenenbaum) mais aussi le slow-motion, qui avertit toujours la fin de ses récits. Dans Moonrise Kingdom, Anderson ne faillera pas à la règle, même si cette fois, il nous tend un petit piège…

Moonrise Kingdom de Wes Anderson (Etats-Unis, 2012)
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14 mai 2012

Trash Love: Death Grips et Trust

Illustration: ROW99

L’underground actuel ne serait-il pas une forme de sacralisation des déchets ? Les sons bizarres, les productions à l’arrache et les mélanges sacrilèges sont portés au rang de chef d’œuvre, l’authenticité prétendue étant à ce prix. Ces démarches pourraient sembler vaines si elles ne donnaient pas parfois des résultats à couper le souffle voir même à faire danser. Deux exemples ici avec Death Grips et Trust.

Les frontières entre mainstream et underground s’étant fortement atténuées, certains groupes ont choisi de partir dans la surenchère en ce qui concerne la brutalité des productions, la crasse et l’étrangeté. Ceci parfois pour le pire, quand des formations s’enferment dans les pires clichés d’une musique ennuyeuse qui n’a d’expérimental que le nom. Parfois pour le meilleur, quand ces groupes ne nient pas le mainstream mais l’emmène le plus loin possible en le pervertissant. 


C’est ce que font Death Grips avec le hip-hop. Que ce genre musical soit déjà à la pointe avec Shabazz Palaces et ASAP Rocky n’est qu’un prétexte qu’il fallait saisir pour aller encore plus loin. Le mot qui semble le plus approprié pour décrire la musique de Death Grips est brutalité. Il y a chez eux une violence certaine, le chanteur prenant une voix bien fâchée tandis que les sons se font volontiers agressifs. Il est difficile de rester neutre en écoutant THE MONEY SHORE. Mais brutalité aussi dans le sens de matériel brut. En effet, Death Grips, c’est un chanteur black, un batteur et un troisième délégué aux différents samples. Et dans ceux-ci, on retrouve beaucoup d’enregistrements à l’arrache: des bribes de conversation, des bruits dans la rue, le tout enregistré simplement à l’aide d’iPhones ou de caméra. Le tout est mélangé avec des extraits de vidéo Youtube. Ces enregistrements volontairement sales produisent un son trash au possible, se servant dans les déchets à portée de main pour produite quelque chose à la fois extrêmement complexe de multiplicité et directement brutale par sa violence. Ce broyage de sons divers rappelle un peu KALA de M.I.A. pour sa capacité à puiser dans les musiques urbaines des Tiers et Quart-Monde, l’effet Mir Laine de Diplo en moins. Death Grips en parlent en terme de "future primitivism." On retrouve en effet à la fois une énergie brute, très primitive, au sein d’une musique dont l’ancrage dans la matière présente et l’aspect hybride est extrêmement moderne. Il en est de même pour le flow du chanteur qu’on pourrait placer dans le registre hip-hop mais qui ne ressemble à rien de ce que l’on a entendu jusqu’alors. Mais si Death Grips deviennent un des groupes actuels les plus passionnants, c’est parce qu’ils ne laissent pas leur brutalité trash s’enfermer dans une expérimentation ennuyeuse et inaudible. Au contraire, ils la branchent sur une musique beaucoup plus pop. Le terme est peut-être ici un peu fort pour désigner un groupe aussi peu FM. Il n’empêche que la plupart des titres parviennent à séduire grâce à des rythmes entrainants ou en insérant des passages plus propres. Comme sur "The Fever" où les hurlements évitent toute frustration grâce à un refrain monstrueux, où Death Grips semblent soudain avoir switché sur une piste tube électro. THE MONEY SHORE sonne comme un bricolage au gros scotch noir, dans le bon sens du terme. Ce pilonnage dément donne aussi bien des titres presque faciles comme "I’ve seen footage" mais aussi des trucs vraiment méchants et bruitistes ("Lost Boys") et surtout au milieu des titres aux samples sans concession tout en étant délicieux à l’écoute. Jetez vous sur "Get got", "Hustle Bones" et "Punk Weight"


Comme Crystal Castles, Trust, pas le groupe français donc, viennent de Toronto. Et cette origine commune se traduit ici par une très forte similarité au niveau musical. On a souvent parlé d’électro-punk pour ce son salement minimal, syncopé et frustre. Parfois, la ressemblance prend même des airs de plagiat sur des titres comme "Dressed For Space" ou "Bulbform". La spécificité de Trust réside dans un son beaucoup moins haché, avec un rythme plus lent que celui de Crystal Castles. Les parties vocales sont assurrées par un homme, dans un registre très cold wave, qui fait ici penser ici assez logiquement à Cold Cave, une voix qui en agacera plus d’un. En fait, la vérité c’est qu’on a beaucoup de peine à s’emballer pour un début d’album sans originalité ni énergie. Mais petit à petit, les qualités de ce TRST vont se montrer. Chez ce groupe, il n’y a pas d’agressivité, ni de violence trash mais une fétichisation de la tristesse, une mélancolie magnifique et les musiques qui vont avec. Trust se veulent épiques et y réussissent cent fois mieux que the Big Pink par exemple. C’est ainsi que, quand personne ne regarde, Trust se laissent aller à des penchants italo-disco, que ce soit sous forme de balade ("Candy Walls"), ou de tube aux synthés reconnaissables entre milles ("Chrissy E"). Trust est un duo homme-fille. Et c’est parfois la deuxième qui chante. Pour notre plus grand plaisir. Ainsi "F.T.F." représente le titre le plus réussi de TRST, magnifique par son ambiance glaciale, ces synthés mal fichus qui se permettent pourtant les montées les plus épiques. TRST ne plait pas de façon constante mais séduit parfaitement quand il parvient à enlacer deux genres qui ont en commun des sons entre kitsch et produits à l’arrache mais surtout une capacité à bouleverser.

12 mai 2012

TT Speaches / Avril 2012

Illustration: vitfait


Retour à trois pour effectuer un recensement printanier maousse. Ce mois d'avril aura connu de véritables giboulées de sorties de disques, tant dans la catégorie poids lourds que dans celle des pépites inattendues. Cette pluie d'albums ne pouvait donner qu'un Speaches florissant, avec du hip-hop, de l'électro, du vieux rock, des artistes français, allemands, britaniques, de la musique sensuelle, ringarde, péchûe etc. Le panier est garni de tous les mets possibles: Jack White, Nicki Minaj, Sebastien Tellier, Dandy Warhols, Kindness, 1995, Battles et Santigold. Entre autres...




Julien: Un TT Speaches se débute en principe par une auto-critique, un aparté, ou va droit à l'essentiel. Parfois, on commence par du léger pour mieux s'attaquer aux grandes sorties en fin de recensement. Et puis, le bizarre, l'étrange ou le barré y voit sa place toute trouvée, les yeux pas encore épuisés par l'écran. Ainsi, Bertrand Burgalat réunis tous les prérequis pour ouvrir les feux. Alors que tout le monde attend Sébastien Tellier, entre espoir réel ou délectation cynique (nous y venons, c'est obligé), Burgalat réapparait alors qu'on semblait ne plus l'attendre en solo. Le fait n'est pas anodin: à bientôt 50 ans, le binoclard a façonné dans l'ombre une certaine idée de la pop française. Fondateur du label Tricatel, il est la figure, l'archétype, du musicien de bonne famille, collectionnant les synthés, parfois les filles, se dégageant nonchalamment de tout lien avec la chanson française établie pour se livrer corps et âme à ses obsessions mélodiques, tendance années 80, se revendiquant autant de la Nouvelle Vague que du prog-rock. Ses artistes signés sont les diligents de ce raffinement, entre Ladytron, April March, Les Shades et surtout A.S. Dragon. En disque solo, Bertrand Burgalat trace cette même quête et il faut s'accrocher: TOUTES DIRECTIONS semble encore plus luxuriant que CHERI B.B. et PORTRAIT ROBOT, presque baroque par instant. Comme toujours, les intros, interludes et aux-revoirs font partie de l'"expérience" Burgalat, c'est très important. Pourtant, de très grandes pop songs s'en dégagent: "Voyage sans Retour", ultra-accessible et nunuche, "Double Peine", proche des productions d'A.S. Dragon d'alors, "Très Grand Tourisme" à l'aise la décapotable, linéaire et sensuel. TOUTES DIRECTIONS est une somme ample, dorée, FM et volontairement légère - on ne passerait pas ce disque dans un congrès international sur le post-punk. Il y a de quoi s'énerver de cette attitude ultra-franchouillarde, l'ambiance centre commercial, les mauvaises soirées bowlings, les grands appartements. C'est pourtant quand Burgalat regarde plus loin que la France qu'il prend toute sa grandeur ("Dubai my Love", "Berceuse", "Too Much"), arrangeur balèze, le fantasque en simple toile de fond, passant de simple amuseur à musicien érudit, décloisonnant mainstream et élitisme. Ca vaut forcément mieux qu'un énième disque de Air…


Julien: Sebastien Tellier est ainsi le gros client du mois - avec Jack White. Mais c'est différent. Car Tellier se veut différent, que les médias français en font vraiment trop depuis novembre dernier et qu'il a mine de rien livré deux ou trois superbes disques la décennie passée, avec des hymnes prog-érotiques à la clé. D'une certaine façon, Tellier-Burgalat, même ADN, la bonne famille, les obsessions mélodiques, l'aisance cool, les petits jeux de scène. Et puis, Tellier vise plus haut, beaucoup plus haut, au point qu'on se demande si tout ce buzz n'a pas été en partie montée de toute pièce. Le trip du bleu là, c'est pas un peu trop, non? MY GOD IS BLUE aurait pu être l'épitaphe artistique de Tellier, son ODDITORIUM OR WARLORDS OF MARS des Dandy Warhols (à l'affiche aussi ce mois-ci), vain, démésuré et pourtant si magnifique. La blague du bleu aurait pu déboucher sur du champagne. Sans mauvais jeu de mot, "Pepito Bleu" marquait: une grande percée reprenant la libido de SEXUALITY avec des chants grégoriens, un petit Gainsbourg (petit alors) au chant, le morceau d'ambiance comme ne sait pas en faire cet affreux Woodkid. Dès "The Colour Of Your Mind", MY GOD IS BLUE vrille dans une new-wave larguée, le meneur absent, en tout cas indigne de son niveau - "Draw your World", "Against The Law", "My God Is Blue", "Yes, It's Possible" paraphent la curiosité dans des styles aussi improbables que le Hard FM, le R&B et la chanson pour jeunes enfants. Parmi ces choses douteuses, on retrouve du répit avec "Mayday" et "Magical Hurricane"; avec "Cochon Ville", ce sont à mon avis les titres qui marchent le mieux, car sans mégalomanie revendiquée, sans cet humour de Parisien de bonne famille qu'on ne comprendra de toute façon pas, ces conneries de Dieu et compagnie. Toutefois, je propose à quiconque d'essayer l'aventure, de passer 6 fois le disque de suite, il y a quelque chose. Peut-être pourra-t-on l'expliquer concrètement dans dix ans. Ou pas.


Pierre: Il y a plein d’éléments qui donnent envie de trouver en effet quelque chose à ce MY GOD IS BLUE. D’abord le fait que Sebastien Tellier soit au fond totalement au premier degré. Il y a une naïveté dans sa mégalomanie qui la rend émouvante. En plus, où trouver autre part dans le morne monde de la chanson française ou de la chanson tout court un tel délire et une telle ambition, qui permettent tous les audaces. Tout cela peut faire qu’on a presque envie de sauver cet album qui pourtant se révèle assez décevant. Au niveau musical, les tartines de sons érotico-antiques cachent avec peine une baisse de régime dans l’écriture des chansons. Au niveau mélodique, on est bien loin des "Ritournelle", "Look" et autre "L’amour et la violence". Le piano a disparu sous une mélasse parfois amusante de kitsch mais le plus souvent barbante. MY GOS IS BLUE représente le premier album où Tellier sort la grosse production. L’émotion en ressort perdante et le cas s’aggrave avec l’imagerie qui entoure l’album : l’alliance bleue. Alors peut-être que je me ferai traiter de de coincé, mais franchement je trouve le décorum naze. Pas grand chose ni d’excitant ni de subversif, ni de drôle à ces mises en scènes de femmes forcément nues et forcément belles et d’hommes forcément soit en costard soit la bite triomphante, forcément violents. Avec SEXUALITY, on avait envie de se serrer très fort, avec MY GOD IS BLUE, on ricane à peine en espérant que cette secte aux allures du Carlton de Lille reste la plus éloignée possible. Le délire reste, l’émotion trépasse.


Pierre : Pour trouver un album véritable love et sensuel ce mois-ci, en fait il ne fallait pas se tourner vers Sebastien Tellier mais bien plutôt du côté de Kindness et de son album, WORLD, YOU NEED A CHANGE OF MIND. Avec une production hyper suave signée Zdar, ce britannique joue dans la même cour que Metronomy. A la différence que lui a définitivement laissé de côté l’influence pop-rock, sauf peut-être sur "Gee Up", pour plonger la tête la première dans une disco voire même parfois carrément dans la dance. Ici pas de gros zgeg, de vieille fornication de barbus lubriques, mais une musique suante, luisante, appel franc à l’amour, à la baise ou à toute forme d’effusion. Même si le gars a une voix bien sensuelle, il sait parfaitement laisser le devant de chansons à des voix féminines endiablées, comme sur la géniale "It’s allright" où elles entonnent un « If you want it, come and get it » qui donnent envie d’oublier toute forme d’attentes sociales pour céder définitivement. Mais Kindness sait surtout utilisé ces sons ultra sucré dans d’autre registres que celui de la sensualité débridée. "House" utilise clavier et synthés pour chanter une ode romantique, "Anyone can fall in love" donne véritablement de tomber amoureux de tout le monde, la basse et la guitare disco accompagnant nos étreintes. A vrai dire, on trouve très peu de mauvais titre sur WORLD. YOU NEED A CHANGE OF MIND. "Swingin’ Party" fait monter une mélancholie irrépressible tandis que le premier titre de l’album, "SEOD", débute par une long intro instrumentale démontrant le talent de Zdar, avec des solo de guitare qui font eux aussi penser à Egyptian Lover, constat qu’aucune seconde de l’album ne viendra démentir.





Julien: L'obsession mélodique des Français peut se comparer à la tentation ultra-lyrique des anglo-saxons, Arcade Fire en tête, pour le meilleur et pour le pire. A cheval sur les styles et les scènes musicales, le Québecois  Patrick Watson a jusqu'alors fait tout juste, avec comme sommet WOODEN ARMS en 2009 parachevant ses bonnes intentions exprimées lors de ses débuts humbles en 2003. Aujourd'hui, Watson est rangé à côté de Beirut, Timber Timbre ou de Fanfarlo, mais les affiliations sont plus classiques (Neil Young, Elvis Perkins), audacieuses (Sparklehorse, Grandaddy) ou grandiloquentes (Midlake, Jethro Tull). WOODEN ARMS avait placé le nom Watson parmi les candidats au titre de compositeur de "la plus belle musique du monde", titre laissé aux plus offrants après la bulle Sigur Ros. Tout ceci était effectivement très beau, mais on retiendra surtout les structures foutraques, le baroque, et les titres définitifs. Pourtant fourni en instruments, l'album gardait une consistance étonnamment versatile. ADVENTURES IN YOUR OWN BACKYARDS est d'un autre acabit, mariachis, présence féminine, et grandes envolées lyriques. L'ouverture éponyme place le tableau, lancinante harmonie proche des parrains du genre, Calexico et Iron&Wine. Les titres, plus denses et ambitieux, semblent avoir été composés en pensant que chacun serait le dernier: cet album ravira les fans - toujours plus nombreux - de Patrick Watson et laisseront perplexes ceux qui attendaient un peu plus de prise de risque. Certes, le blues est plus présent - "Step Out for a While", "Morning Sheets" - mais la monture garde ce rythme d'interludes (trop nombreuses),  de petites ballades, de grands morceaux pop et ainsi de suite. Au final, l'album donne cette impression de tourner en rond sans véritable accroche. C'est une qualité (un style personnel) et un défaut (le titre très voltairien donnait le ton). Reste cette country-folk des grands airs, belle et pourtant si peu prétentieuse, mené par un bon gars (la rencontre au Bad Bonn est un souvenir aussi improbable que drôle). Musique d'adulte (Watson) contre musique de fils à papa (Burgalat, Tellier)?


Pierre : En parlant de papa, les années passent, elles semblent encore plus passées avec Jack White (cover ci-dessus). En bon Américain, l’ami Jack est parti d’ingéniosité indépendante, a connu le succès presque par hasard, édifié un empire de tubes, à coup de collaborations incessantes, d’associations plus ou moins judicieuses pour enfin détenir le titre de dernier véritable Guitar Hero. Le problème, c’est peut-être que personne n’en veut plus vraiment et que le mec prend un peu trop son rôle à cœur. A vrai dire pour la plus grande majorité des titres de BLUNDERBUSS (XL Recordings), on s’étonne qu’on puisse écrire des trucs aussi réactionnaires aujourd’hui et surtout qu’autant de monde semble apprécier. Triste de voir un musicien qui à partir de rien réinventait le rock indé se transformer en gardien d’un temple dépassé.


Julien: Si aujourd'hui son nom est partout, présent au chevet de vieilles gloires américaines ou encore dans les Simpsons, Jack White est venu d'à peu près nulle part au tournant du Siècle. En Angleterre, on s'est mis dès 2003 à chercher le meilleur groupes du monde chaque semaine; seulement, White avait déjà tué le suspens avec les Bandes Blanches et ouvris un nouveau chapitre rock, aux côtés de John Spencer. Son succès n'est selon moi pas un hasard comme tu le prétends Pierre, même si les USA se sont rapidement accaparés White (puis les Kings of Leon) pour se satisfaire de leur soif de phénomènes. Le succès critique des premiers albums est d'autant plus justifié si l'on réfléchit à la suite discographique et super-bandesque. Tout était-il déjà dit?

 
Pierre: Malgré un début pas trop mal réussi, le tube pêchu "Sixteen Saltines" et la hargneuse "Freedom At 21" (et encore !, cela ressemble au fond à du Arctic Monkeys), l’écoute cet album est des plus pénibles. Dès le quatrième titre, on est partie pour neuf ballades interminables, molles au possible, variant entre White Stripes en moins bien pour le mieux et en rock jazzy pour le pire. Les chœurs féminins mièvres viennent donner le coup de grâce. De la musique de grand-père pour qui le rock ne signifie plus que se tapoter sur les genoux, pensant au bon vieux temps assis sur un banc sans jamais daigner se demander ce qu’il se passe dans la rue.


Julien: Le plus triste est sans doute de retrouver les mêmes accords sur "Sixteen Saltines" que sur "The Hardest Button to Button" (2003 déjà)… Avec un "I'm Shakin'" assez quelconque, l'ouverture "Missing Piece" très proche des Raconteurs et "Trash Tongue Talker" ultra-sudiste, BLUNDERBUSS ne possède que peu d'arguments péchus. White ralenti donc toujours plus le tempo, mais quelques titres sont tout de même à sauver (l'éponyme "Blunderbuss", le très Bright Eyes "On an On and On"). Cela dit, je suis tout à fait d'accord sur cette consensualité latente. Allez, sors dans la rue Mr. White!


Raphaël : On le verrait effectivement volontiers sortir dans la rue, jeter même une oreille à ce qui se passe dans la musique actuelle (même rétro), mais qu'attendre de Jack White ? Je n'ai pour mon compte jamais été pris totalement par la déferlante White Stripes, même s'il est indéniable qu'il y a du bon dans leur discographie. Ce disque (se voulait-il celui de l'émancipation?) est à la fois très mainstream et incroyablement mou. Plus que jamais, Jack White semble regretter d'être né blanc mais, étrangement, semble incapable de lâcher les bombes groovy dont il était pourtant spécialiste. Les caractéristiques qui faisaient, qu'on l'apprécie ou non, la marque de fabrique de Jack White - cette hargne, ce côté poussiéreux jusque dans les morceaux les plus putassiers- ont disparu pour laisser place à une production intégralement FM franchement pas jolie. Je crois que ce que je ressens à l'égard de BLUNDERBUSS se résume à une anecdote: alors que je parcourais la mine d'informations discogs.com pour savoir qui était le coupable de cette production à qui j'en veux tant, dans un sursaut, voyant '2012' à côté de l'un des albums de Jack White (celui-ci), j'ai eu un sursaut : « tiens, il sort encore des trucs ? » No comment. 

Julien:  Je reste toutefois convaincu qu'il ne faut pas enterrer Jack White trop rapidement. Après tout, ce n'est que le premier album solo.





Julien: Décidément, l'immobilisme semble être le thème sous-jacent de ce Speaches et ce ne sont ni les Dandy Warhols, Graham Coxon, Lower Dens ou Tristesse Contemporaine qui changeront la donne. The Dandy Warhols (cover ci-dessus) n'est pas le groupe le plus insipide toutefois: de groupe le plus cool du monde, la formation de Portland, Oregon, est revenue à ses racines psychédéliques, tournant le dos au grand public et aux critiques. THIS MACHINE reste auto-produit par Courtney Taylor (-Taylor), délassant à défaut d'être ahurissant à l'instar de quatre derniers albums.  Ce neuvième LP peut paradoxalement se lire sous un autre angle, après le disque du bilan l'an passé (le best-of …ARE SOUND). Si les années THIRTEEN TALES FROM URBAN BOHEMIAN (2000) ou WELCOME TO THE MONKEY HOUSE (2003) paraissent très loin, on distingue quelques changements chez les Dandys: plus de nervosité (l'ouverture "Sad Vacation"), plus d'efficacité - du grand air pop sur "The Automn Carnival" au tube gaga "Enjoy Yourself", et davantage de cohérence d'une certaine manière. Les Dandys gardent leur ADN ("Don't Shoot She Cried"), leurs égarements ("Slide"), leur nonchalance certes ("16 Tons" et son « I owe my soul to the company store »); royalement oubliés sur la route de l'Histoire, The Dandy Warhols enregistrent désormais des albums, sans prétention, à la chaîne, avec une facilité tout de même déconcertante à aligner les mélodies. Ici, Taylor-Taylor enlève du fuzz, simplifie ses idées et raccourci le propos. THIS MACHINE pourrait bien être le disque du renouveau Dandy Warhols; pour toutes ces qualités - accompagné d'un profond amour pour ledit groupe - il est mon disque du mois, sans forcément être le plus novateur ou intéressant. L'immobilisme, ça a du bon parfois (je préfère 100x cela au comportement conservateur de Jack White)…


Julien: Graham Coxon a lui aussi tout vécu, la lumière des années légères de Blur, les concerts gigantesques, la descente (l'avant THINK TANK, 2003), et une cadence hallucinante de production d'albums personnels, auto-produits et hors époque. Jack White semble se vautrer dans les pires clichés US? Achetez plutôt le nouveau disque de Coxon, nerveux et splendide! A+E (sorti chez Parlophone) fut relativement mal accueilli par les critiques. Trop primaire, trop jeune, trop fantaisiste, A+E déçoit car sort le britannique de son carcan relativement confortable pour lui et pour ses fans - l'ultra-indé, vous voyez. A+E n'est en effet pas le sommet sensible de l'ancien Blur: l'euro-rock "What'll It Take" fera peur à pas mal de gens, les très Fall "Meet and Drink and Pollinate" ou "Advice" ne sont pas des plus originaux. L'intéressant dans cet album est ce renvoi aux murges anglaise brillamment exprimées sur "Seven Naked Valleys" ou "Running for Your Life". Déglingué, A+E  appelle au meilleur des disques alcooliques et au glam de Pulp ("Bah Singer", proche de "We are the Boys"), sans forcément en rire. Ce 10-titres joué quasi-exclusivement en accords mineurs trouve peut-être son épitaphe sur le post-punk "City Hall". Le temps qui passe n'a pas d'emprise sur Coxon.  


Julien: Je poursuis cette mini-recension rock avec deux contemporains, Lower Dens et Tristesse Contemporaine. Aperçu lors du festival Super mon Amour à la Gaîté Lyrique l'an passé, Lower Dens n'est pas la plus maladroite des formations à guitares. Ni la moins documentée. TWIN-HAND MOVEMENT présentait Jana Hunter comme une excellente meneuse. Tour à tour psychédéliques puis flamboyants, les titres de cet album inaugural étaient une superbe surprise (l'exceptionnel "Rosie") et étaient la preuve concrète qu'on pouvait jouer d'immobilisme rock et encore étonner / séduire. NOOTROPICS semble a priori ne pas sorti trop grandement de ce schéma: "Brains", sorti quelques semaines avant l'album, restait carré à souhait, rappelant ici et là les grandes sœurs Electrelane, l’excentricité partagée. "Stem" garde la même rythmique pour préparer un Lower Dens grand format, plus développé et généreux, surprenant donc alors qu'on n'attendait de cette formation qu'une répétition de son pedigree noise-rock. Surtout, Jana Hunter s'impose véritablement, avec par exemple "Alphabet Song" (pas loin du Blonde Redhead fin années 2000) "Propagation" ou "Nova Anthem", très contemporains (certains diront très Beach House) et le très ambitieux final "In the End is the Beginning". L'origine musicale de Tristesse Contemporaine n'est pas franchement éloignée du groupe de Baltimore: une basse ultra-carrée, des guitares aiguisées et peu de temps perdu sur les intros. En apparence, le trio n'étonne pas donc. Première écoute intéressante, pas de révolution en vue, des influences plus que décelables et pourtant quelque chose s'en échappe. « La tristesse durera toujours » est le slogan revendiqué, les parrains sonores pas trop mal: Primal Scream, Cocteau Twins, Leonard Cohen, John Cassavetes… L'origine multiple du groupe (Tokyo, Stockholm, Londres) s'ancre à Paris. Le local Pilooski  enregistre le premier album (son remixe de "Mother Sky" de Can est à écouter absolument). Et donc TRISTESSE CONTEMPORAINE dévie de l'ombre tutélaire qui l'aura fait passer le groupe éponyme pour banal: "Empty Hearts" quitte ainsi la structure de Joy Division pour s'inscrire dans une électronique Kraut), "Hell is other People" montre comment passer de post-punk en R&B en trois minutes, en tech-house vidée de son évidence sonore sur le fantomatique "Hierarchie", en soul glaciale sur "Daytime Nighttime" et le final "America". Le trio sait aussi signer un tube de frimeur avec le très efficace et dansant "I didn't Know", magnifié par la direction sonore de Pilooski. On réchauffe l'atmosphère de ton côté Pierre?





Pierre: Autre grosse sortie en effet, PINK FRIDAY : ROMAN RELOADED, le nouveau Nicki Minaj. Beaucoup ne connaissent cette dernière que pour des vidéos sur internet ou pour son look et c’est bien dommage. Bien sûr, il y a quelque chose en elle d’une sorte de Lady Gaga noire. Mais ici, il y a bien un enjeu: s’imposer dans le monde toujours très machiste du hip-hop. Minaj le fait d’une part en assumant l’objectivisation et la sexualisation de son corps. Elle surjoue le rôle qui lui est attribué pour se le réapproprier et en profiter. D’autre part, Minaj affirme sa puissance par des titres monstrueux et flow bien méchant. Le début de ROMAN RELOADED met tout le monde du hip-hop actuel à l’amende, Minaj jouant sur une forte dramatisation de sa voix, n’hésitant pas à varier les tons et les registres, passant de l’accélération à la suffocation sans crier gare. Certains titres deviennent ainsi de joyeux bordel, prouvant que le hip-hop mainstream est encore capable de produire des trucs exigeants. Un titre en est l’image : "Come On a Cone". Cela commence part un flow lent et plein de morgue, le son est strident, puis soudain les mots "Put my dick in your face", répétés à la manière d’un refrain R’N’B le plus mielleux, retentissent pour donner un final hallucinant.


Julien: Le titre suivant "I am Your Leader" est aussi une tuerie et montre que tout le décorum baroque-rose n'est pas un fond de commerce, même si l'ouverture "Roman Holiday" n'est pas des plus encourageants. Tu as trouvé encore plus radical que "I am Your Leader" n'est-ce pas?


Pierre: Le premier single, "Beez in the Trap", ne fait pas dans la dentelle non plus. Avec une des productions des plus réussies, surpuissante de minimalisme, ce titre est d’une puissance incontestable. Malheureusement, ROMAN RELOADED souffre du côté fourre-tout de l’album. Et si les sept premiers titres sont autant de baffes bien données, tout se gâte avec l’arrivée de Chris Brown en featuring. Et ensuite, Minaj s’enferme dans un registre beaucoup moins hip-hop, se profilant comme une sous-Rihanna sans grand intérêt. Il vaut pourtant la peine d’écouter le tout jusqu’au bout, "Stupid Hoe", une dernière tuerie où Minaj se déchaîne sur toutes ses ennemies. Le tout sur un beat frénétique et se terminant sur un final génial, où Minaj donne une dernière fois toute la mesure de son talent vocal, performant falsetto et variant au possible son flow.


Julien: C'est un constat que l'on peut souvent dresser sur des albums de ce type, souvent excellents en ouverture et ne tenant pas la longueur (Right By My Side est particulièrement mauvais). En même temps, en est-il autrement des autres genres musicaux, se revendiquant souvent de cet héritage de cette grande époque des albums (1964-1972). Je me tourne vers toi Raphaël pour une autre candidate avec une question: reste-t-il encore de la place pour Santigold avec son nouvel album?


Raphaël:
--> Pour sûr, et elle en prend. SANTIGOLD qu'on avait pour la plupart découverte en 2008 sous l'alias Santogold, se révèle intéressante à l'analyse aprèsNicki Minaj. Les deux évoluent dans le circuit major mais dans des strates bien différentes : Santigold, pour son compte, revendique The Smiths comme idoles et a débuté sa carrière comme responsable artistique chez Epic records (elle connaît le business, quoi). Le niveau de popularité atteint, après un premier album de pop futée et polyvalente, a montré qu'il était possible de se démarquer à l'intérieur même du mainstream. MASTER OF MY MAKE-BELIEVE est construit de manière assez similaire à son prédécesseur : un disque pop dont la cohérence subsiste malgré des morceaux de qualité inégale et un éclectisme délibéré. Si son premier album éponyme a ouvert une brèche dans la musique à grande visibilité, celui-ci ne fait pas nécessairement preuve de la même audace vaguement sauvage mais se contente de reproduire un schéma très proche. A nouveau, Santigold brasse large: pop-rock mélancolique (''God From The Machine'', ''Disparate Youth'', ''The Keepers'', déjà un peu limite), hip hop presque jungle à la M.IA (''Freak Like Me'', ''Fame'' et ''Look At These Hoes'', assez proche de l'esprit du ''Beez In The Trap'' de Nicki Minaj) et même dub (' Pirate In The Water'). ''Big Mouth'', tube en puissance et probablement meilleur morceau de l'album se développe, à partir d'une structure assez classique, en un hymne balaise et termine l'album de la meilleure manière qui soit. Poser un avis sur un disque de Santigold amène, au-delà de la musique à une réflexion sur l'état de la scène. Oui, il y a de mauvais morceaux comme l'affreux ''This isn't our Parade'' ou ''The Riot's Gone'', oui, les références sont très présentes (Missy Elliott en puissance). Mais Santigold réussit à se démarquer une nouvelle fois dans une niche un peu plus ambitieuse, à défaut d'être novatrice, de la musique pop qui se retrouve parfois un peu altérée par la surconscience que transpire sa démarche.




Raphaël: On continue hip-hop?

Pierre : Moins d’un an après le coup de fraicheur de LA SOURCE, 1995 revient déjà avec un nouvel album LA SUITE. Une sortie tellement rapide qu’on pas vraiment eu le temps ni de l’attendre, ni de la souhaiter vraiment. Surtout, la production a déjà perdu de sa simplicité, les instruments marqués jazz ont remplacé les guitare acoustique et les samples à l’arrache. Les titres de LA SOURCE sonnaient tous comme des manifestes du genre, ici les lyrics tombent dans les clichés et les historiettes sans grand intérêt (la consternante "Taille de guêpe"). Les gars avaient l’air des jeunes branleurs prêts à tout éclater, ils semblent s’être déjà apaisé et avoir commencé à écrire des titres moins forts et beaucoup plus chantés. Il y a qu’à comparer la baffe du refrain de "La Source" en forme profession de foi au gnan gnan de celui de "La Suite", à l’odeur de lassitude.


Julien:  Précisons toutefois que ni LA SOURCE ni LA SUITE ne sont des albums, mais bien des EP officiellement. Officieusement, la lecture des deux disques peut être vue comme plus ambitieuse. De fait, une si courte période entre deux travaux est souvent préjudiciable. Je n'y vois pas vraiment de mauvais signe car cet empressement à aligner les productions se calmera avec les tournées et les responsabilités grandissantes. Il est indiscutable que LA SUITE n'a ni la fraîcheur de son grand-frère, ni les tubes flambeurs mais le travail de production se devait d'être relevé - attention, UNIVERSAL est derrière la formation dorénavant, la pression n'était pas négligeable à mon avis. Mais dans tous les cas, 1995 est un groupe d'avenir, le meilleur reste à venir, j'en prends le pari dès aujourd’hui.


Raphaël: Parlons maintenant remixes: Battles, pionners du math-rock grand public présentent, après la sortie de GLOSS DROP, DROSS GLOP (normal, quoi), album de remixes dont la guest-list en impose. Pas entièrement convaincu par l'album, mon intérêt à été éveillé à nouveau lors de l'annonce des remixeurs: Kode9, Pat Mahoney,  Hudson Mohawke, Silent Servant, Shabazz Palaces, etc. Etrangement, malgré les artistes sélectionné, la constante tend au manque d'audace général. Alors que la frontière entre rock et électronique semble de plus en plus faibles et que leur interaction génère foule de projets fascinants, remixer des groupes de rock conduit bien souvent à des résultats à la stérilité désolante. Ici, tout n'est pas mauvais: il y a les bons élèves et les autres. Les bon élèves, Gui Boratto par exemple, jouent le jeu jusqu'au bout et tentent d'exploiter la base rock des morceaux. Celui-ci pourtant, sur le remix de ''Wall Street'', frise le ridicule tant il est sirupeux, surproduit et peu inspiré. Ainsi, Hudson Mohawke, Yakatama Eye ou Qluster, trop scolaires, tombent dans le même piège. Où se situe l'intérêt de cette absence de prise de libertés? Droits, mono-dimensionnels, la plupart des remixes n'apportent aux originaux aucun élément d'âme, aucune réinterprétation propre à leurs remixeurs. Si quelques-uns des morceaux font preuve d'une qualité certaine, seuls trois artistes osent: The Field, Kangding Ray et Shabazz Palaces. Le premier en poursuivant son obsession malsaine des loops (en plus dark), le second plongeant dans les tréfonds d'une slow-techno industrielle alors que les derniers refondent ''White Electric'' en un hip hop grinçant qui donne envie de taper du quidam.


Julien: Transition nettement moins anxiogène avec des "locaux" pour moi. De Leipzig, ma ville d'accueil pendant ces mois agréables, Marbert Rocel joue entre les clubs locaux, le Watergate de Berlin (oui oui, le club) et Amsterdam, représentant idéalement ce qu'est aujourd'hui la musique pop en Allemagne: très synthétique, peu d'arrangements, de longues pistes, dvp. Marbert Rocel ne sera jamais un grand groupe et semble s'en satisfaire pleinement. SMALL HOURS possède cette patte détendue, sans prétention autre que signer de bons titres (pas extraordinaire non plus). Par moment, on sent l'influence du travail de Matthew Herbert pour Moloko ("Whether the Night"), celui plus contemporain des Whitest Boy Alive ("Small Hours"), des productions de Floating Points ("I Wanna") ou de collègues électroniques de Pampa Records, de Feindrehstar, ou The Mole. Si la France semble se conforter dans son idée de la grande production flamboyante et gonflée, l'Allemagne garde la tête froide et poursuit elle aussi ses obsessions sonores, très électroniques certes, mais à la recherche du swing parfait, du plus petit dénominateur commun dansant, du son ultime ("Lax Sax" est en ce point magnifique, entre The Notwist et Caribou). Sans surprise, ce groupe électro-pop se trouve sur le dernier numéro des compilations Future Sound of Jazz (volume 12), renaissants après une pause de cinq années. Les Munichois de Compost Records tentèrent dès 1995 de relever le défi d'une compilation intéressante de bout en bout, jusqu'à s'épuiser. Cette 12ème édition touche aussi bien du désormais connu - Sepalcure - que des projets beaucoup plus avant-gardistes: les Japonais de Ragout de Lapin, le jazz-house allemand de Wareika (remarquable), les Australiens sensuels de Lo Tide, le jazz ambiant 90's de Jupiter Tuning Center. Le titre "Swing Bop" de Der Dritte Raum (2009) remixé par Acid Pauli fait partie des composants phares de Future Sound of Jazz, tout comme "Plum Rain" d'Anchorsong ou "Afrika am Strand" de Basti Grub & Mike Trend, avec à chaque fois la house comme dénominateur commun.





Julien: Je reste en Allemagne avec le projet Mohn (chez Kompakt). Le statement est assez simple: « Mohn is extremely decelerated, slow motion techno with and without bass drum, containing lots of plasticiser ». Joerg Burger et Wolfgang Voigt (co-fondateur dudit label) ont à eux deux une discographie et un nombre de groupes parallèles plus nombreux que tous les groupes de Suisse réunis - Voigt est notamment connu pour son projet récent Gas. Ici, le duo de Cologne signe neuf titres pas très éloignés de l'ambiant industrial. On critique souvent la musique techno pour son immobilisme apparent. Seulement, quand on regarde de près, les évolutions sont notables voire multiples. "Wiegenlied" exprime bien cette complexité, loop dub pour mieux se briser sur le beat glacial et minimaliste. Cette post-techno est à « l'échelle 16:9 »: elle se doit aussi d'être écoutée en 5:1 pour complètement sentir ce souffle violent. Les sons électroniques prennent des formes encore plus radicales sur le projet germano-belge Sendai - réunion du producteur techno Peter Van Hoesen et de l'ingénieur du son Yves De Mey (sorti sur le label de Van Hoesen, Time to Express). Avec GEOTOPE, Sendai parlent eux de « musique électronique avancée »: on sent ici aussi les réminiscences du dancefloor sur "Following the Constant" mais dans une nouvelle dynamique, une nouvelle narration. L'approche sonore est aussi remise en question et va à l'essentiel sur "A Refusal To Celebrate A Statistical Probability", s'ébroue sur le proto-dubstep "Further Vexations" et se pulvérise sur le final "Emptiness Of Attention". Les connaisseurs diront qu'il n'y a rien de révolutionnaire ici, qu'Aphex Twin ou le label scape étaient déjà passé par cette post-IDM au début des années 2000. Les autres apprécieront cette électro aux murs froids ("EP-2010-4") anti-mélodique et arythmique, ultime rempart d'une techno récupérée par l'industrie du divertissement.


Julien: La musique électronique a aussi vécu un début de décennie sous l'égide du label Tri Angle. oOoOO et son EP OUR LOVE IS HURTING US (album ci-dessus) ne réchauffera pas immédiatement l'atmosphère que j'ai instaurée dans ce Speaches. L'as-tu écouté Pierre?


Pierre: Oui, oui. Chez Think Tank, on apprécie généralement beaucoup ce que fait le label Tri Angle. Ce n’est pas l’album d’Evian Christ qui nous aurait fait changer d’avis. Cette ouverture plus hip-hop étai venu dynamiser le son aujourd’hui bien connu du label. Malheureusement, avec le nouvel EP de oOoOO, OUR LOVING IS HURTING US, on tourne un peu en rond. On retrouve la même recette de basses très lentes, de voix ralenties et de chant féminin pour le même résultat mélancolique. Le souci, c’est surtout que le son d’oOoOO n’a presque pas évolué depuis son dernier EP. Personnellement, je retiendrai surtout "Break Yr Heartt", qui joue plus franchement la carte R’N’B hanté, grâce à un super beat. On pense presque à Egyptian Lover. Malgré tout, on ne s’inquiète pas trop pour Tri Angle, on leur fait confiance pour dénicher de nouvelles perles, d’autant plus qu’oOoOO ne fait pas partie des formations les plus inventives de l’équipe, souffrant de la comparaison avec Balam Acab. Et la sortie du Paco Sala ce même mois n’arrange rien. En effet, ils jouent dans le même registre qu’oOoOO et le font nettement mieux. Think Tank reviendra sur Paco Sala dans un article particulier.


Raphaël: Sur une note électronique un peu moins glacée, le basque Panda Valium a sorti, voilà quelques jours, ce qui sera la premier EP du neuf et clinquant label Moï Moï. D'ascendance très 'bordercommunityesque', COPAIBA se la joue été avant l'heure, ultra-mélodique et nerveux. Ludique au possible, Panda Valium poursuit la dynamique post-kraut et délivre trois bons morceaux au délicieux pyschédélisme. Remixé par Luke Abbott et Groj, il s'inscrit dans la continuité de cette scène en devenir dont la vision de l'électronique explose les limites du clubbing. Mention spéciale à ''Kuruse'', trip organique roulant ainsi qu'à la band version du morceau-titre dont les guitares sinueuses rappellent les excellents Maserati.




Pierre : Après Phèdre, le label Daps confirme sa profession de foi en une musique un peu bricolée mais diablement entrainante. Cette fois, il s’agit du premier EP de Beta Frontiers. Les cinq titres ne brillent pas leur finesse et tombent parfois dans de l’atroce french touch. Mais ces égarements sont vite pardonnés quand à côté les chansons procurent autant de plaisirs faciles. Les titres instrumentaux puisent dans le répertoire synthwave pour en faire quelque chose de beaucoup plus disco. Mais c’est surtout les deux titres avec vocals qui retiennent l’attention. D’abord "Tak" se fait passer pour du hip-hop gangsta-naze pour mieux repartir sur un refrain électro des plus simplistes. Cela paraît presque un peu trop facile mais reste assez drôle. Surtout le titre "Hondo" est la vraie raison d’écouter cet EP. Un tube du printemps, léger, lumineux, entrainant. Un moment pas loin d’être parfait qui fait oublier tout le reste les yeux fermés.


Raphaël : Beaucoup de sorties électroniques ce mois, tant qu'on pourrait en oublier ce qui sort dans les galaxies parallèles. MIRRORING, collaboration dernière minute de Grouper et Tiny Vipers, a bien failli passer inaperçue. La folk décharnée de Tiny Vipers, auteure de deux magnifiques disques sortis sur Sub Pop'Hands Across The Void' et 'Life On Earth', fait face aux drones ambiants de Grouper. Tout ici est lent, évanescent, et l'est peut-être trop. FOREIGN BODY aurait pu être un magnifique disque de mutation, une musique nichée quelque part entre deux mondes (et s'en approche) mais échoue à se démarquer. Ni les voix ni la production n'atteignent ici la puissance de leurs créatrices lorsqu'elles créent pour leurs projets respectifs : malgré une certaine beauté organique et un travail assez fascinant sur les textures, FOREIGN BODY échoue à totalement captiver l'attention. Trop exigeant  ou simplement ennuyeux ?


Julien: Ce Speaches débuta avec du grandiloquent - Bertrand Burgalat -, il se terminera avec un autre barré. Spencer Krug apparaît régulièrement dans nos colonnes de la dite rubrique. Ses projets sont nombreux est presque tous excellents: Wolf Parade bien sûr, sommet d'un rock glam nerveux, Sunset Rubdown, plus arty, Swan Lake, supergroupe indie avec des membres de Destroyer. Au rythme d'un album respectivement par année, Krug fourni de fait les disquaires à grande vitesse. Moonface n'est pas le projet le plus connu du Canadien, mais possède ses arguments. En 2009, Krug sortait un EP deux titres annonçant le nouveau projet: SUNSET RUBDOWN INTRODUCING MOONFACE, disque collaboratif avec des groupes de haute tenue - No Age, Abe Vigoda, Casiotone for the Painfully Alone. La troisième entité prend forme en 2010 sous forme d'un EP, livre un LP en 2011 et revient cette année avec un disque d'ambition: WITH SIINAI: HEARTBREAKING BRAVERY est un disque de grandeurs stupéfiants, écrit conjointement avec le groupe finlandais Siinai, rencontré alors que Moonface naissait en 2009. La direction ne dépareille pas dans l’œuvre krugienne: saturation, emphase et auto-dérision. Siinai colle parfaitement à cette idée de la musique, entre noise ("Yesterday's Fire"), Krautrock ("Shitty City"), raffinements folk ("Quickfire, I Tried") ou célébration clinquante (le final "Lay Your Cheek on Down"). Le disque improbable du mois. En déplacement à la Kilbi, comme tant d'autres excellentes formations.


Disques du mois:
Pierre: Paco Sala, RO-ME-RO
Julien: The Dandy Warhols, THIS MACHINE
Raphaël: Sand Circles, MOTOR CITY


Singles du mois:
Pierre: Nicki Minaj, "Beez in the Trap"
            Dean Blunt feat Inga Copeland, "The Narcissist"
Julien: Tristesse Contemporaine, "I Didn't Know"
Raphaël: Ryat, ''Totem"

Vidéo du mois:
OFF! : "Wiped Out"