MUSIQUE      CINEMA      ART + LIVRES      POST DIGITAL

31 déc. 2010

TT GOOD TIMES 2010 PT.2

Photo: Pierre Raboud

Pierre Raboud voulait illustrer le précédent article avec cette image de colis reçu. Voilà ses mots, qui risquent bien d'être les derniers de Think Tank en 2010. 
"J'ai un article tout prêt en brouillon, c'est pas un best of 2010 mais un good times 2010. J'avais pensé à une image, c'est le scan d'une enveloppe que j'ai reçue. Mais j'arrive pas à la faire assez grande pour le blog. J'ai besoin de ton aide. Je te la joins. T'arrive à faire ça? Redis moi si ça joue pour toi?" Malheureusement, entre temps, vitfait avait déjà lancé sa plume pour exécuter vélocement la belle illustration ci-dessous. Nous rendons ainsi à Pierre ce qui appartient à Pierre. Et on en profite pour vous souhaiter une belle année 2011.

TT GOOD TIMES 2010

Illustration: vitfait
La fin d’année, c’est le prétexte de s’arrêter sur quelque chose qui m’a fait plaisir en 2010 : découvrir toujours plus de petits labels créatifs et dealer directement avec eux, DIY made in 2010.
Les constats étaient sans appel : le disque est mort, la musique n’a plus besoin de support matériel, une chanson n’est plus pour les jeunes qu’un autre fichier téléchargé parmi tant d’autres, la quantité ayant remplacé la qualité. Comme beaucoup de diagnostics sociaux, ces constats représentent un point de vue en partie justifié mais reflètent néanmoins une position réactionnaire et pro-major. Oui l’industrie du disque est morte et c’est tant mieux. On va pas se plaindre de ne plus aller à City Disc et l’affaiblissement des majors n’a en rien péjoré la qualité d’écoute, de production ou de diffusion de la musique. Au contraire, le partage massif et mondial de la musique a aussi rendu les gens plus exigeants et plus curieux. Flâner sur internet est bien plus propice à la découverte d’un nouveau groupe ou d’un nouveau genre que l’antique promenade dans des rayons où chacun se dirige vers le bac correspondant à ce qu’il écoute déjà.


Cette découverte passe souvent par des petits labels qui pullulent, non seulement aux Etats-Unis mais aussi en France et en Suisse, avec notamment Rowboat dont on ne se lasse pas de dire du bien. Ces labels constituent des sources d’inventivité ; ils permettent la cristallisation d’identités musicales dans le flot du web. On en citera que quelques uns : Tri Angle, Deathbomb, Captured Track, etc.. Parmi tout cela, si on devait en retenir un pour cette année, ce serait sûrement La Station Radar. Ce label basé à en France m’aura tout au long de l’année fait découvrir des formations excitantes et innovantes, le tout placé dans de magnifiques pochettes, souvent concoctées en tandem avec les orfèvres d’Ateliers Ciseaux. Mais surtout, ils auront excellé dans cet art si difficile et pourtant si agréable de la compilation. Le moment où j’ai reçu cette compil n°1 de La Station Radar restera un grand moment de l’année. 25 morceaux, plus ou moins bons, mais tous inédits et porteurs d’une véritable identité. Que ce soit l’entrainante Terror Bird, les tropicaux Norse Horse ou encore A Grave With No Name : près d’une heure vingt de bonheur lo-fi. Un des meilleurs albums de l’année haut la main.


Un autre truc trop cool est de commander les cd ou les LP directement aux labels. De 1, c’est pas cher. De 2, c’est tellement mieux de traiter avec le label en évitant de passer par tous les intermédiaires, distributeurs, grandes surfaces. Mais surtout de 3, ça instaure une relation presque personnalisée avec le label, au delà du simple échange marchand. Quel bonheur de recevoir un paquet en provenance de Los Angeles agrémenté de plein de stickers animaliers ! Quand un paquet n’arrive pas, un mail suffit et la semaine d’après, l’envoi est accompagné d’une jolie carte postale d’excuse, d’un fanzine et d’un album bonus. Traiter directement avec les labels resserre un lien auditeur-créateur, assure une valeur esthétique à la matérialisation de la musique et la diffusion de musique originale de qualité.
Good times !

29 déc. 2010

MIX TTAPE: Think Tank (L) 2010

Photo: Julien Gremaud











C'est la fin, la fin de l'année, de la décennie 00 pour certains, alors que d'autres jurent qu'elle s'est terminée l'an passé. Comme on doit toujours faire un florilège, un classement, un choix exhaustif, partiellement ou trompeusement objectif, je m'y recolle cette année, mais sous la forme d'une mix TTape. Voilà, c'est forcément plus didactique, et comme ça on se détachera de tout discours pompeux sur ce qui était bien et ce qui ne l'était pas. Enfin, on va tenter de l'éviter.


Alors qu'en ce moment j'écoute la bombe hip hop "Talk Like Sex" de Kool G Rap & DJ Polo, je me sens honteux de n'avoir pas pu (su?) insérer un seul morceau de ce style tant présent dans la musique actuelle. Pas de hip hop donc: cela dit, prenez la dubstep croisée du duo londonien Mount Kimbie, ou encore le nouvel EP de Joy Orbison, voire la chose mutant de PVT, anciennement Pivot. Ou encore la folie de l'album THE AGE OF ADZ de Sufjan Stevens, avec ses multiples incartades multigenres, tapant même dans l'Auto Tune. Ou encore l'électro pop consciente de Buvette. Vous aurez là des tas de références explicites à ce style musical, des emprunts ou des réinventions. Forcément, je suis passé à côté de centaines de disques énormes, qui auraient pu changer ma vie. Sans doute.


Je me suis imposé la limite de vingt morceaux au maximum, représentant, selon mon humble  niveau de culture musicale, ce qui s'est réellement passé d'intéressant dans les platines ou ordinateurs de notre génération. Forcément, j'aurai voulu y inclure le génial album de Caribou, SWIM, ou encore du Coco Rosie en bien meilleure disposition qu'alors, du Flying Lotus, du Joe Gallen, du Junip (les nouveaux Beta Band?), du Small Black, du Wolf Parade, du Arcade Fire, du Anthony and the Johnsons, du Avi Buffalo, du Fool's Gold, du Yeasayer pour l'incroyable O.N.E, mais aussi du National ou du Nice Nice. J'aurai aussi pu parler de Kanye West, toujours aussi mégalomane, tout comme j'aurai pu faire une parenthèse minimale avec des titres de Marc Houle, de Morgan Packard, de Luke Abbott, des - belles - choses du label Kompakt, du Four Tet, ou rajouter du Salem, du Magick Mountain, du Nosaj Things ou encore du Scuba au rayon dubstep.


Alors, j'ai gardé d'excellents titres comme ce que Suuns, No Age ou Tame Impala ont pu écrire à défaut d'albums impeccables sur la longueur, j'ai retenu des extraits d'albums magnifiques - SISTERWORLD de Liars, CROOKS AND LOVERS de Mount Kimbie, THE COURAGE OF OTHERS de Midlake, HALCYON DIGEST de Deerhunter par exemple - et tenté de mettre en avant quelques artistes que l'on verra sur le devant de la scène en 2011 (ou pas): James Blake, Suuns, Takka Takka ou encore notre représentant national (très important), Buvette. 2010 n'a pas été très rock'n'roll, en tout cas en musique. Archie Bronson Outfit restent complétement malades, Beach Fossils sont intéressants, The Black Keys font du Black Keys chaleureux, Carl Barât doit bien vivre, The Coral eux aussi, Crystal Castles sont encore bien trop brouillons pour vraiment être efficaces (est-ce là leur force?), Kings of Leon remplissent les stades, Klaxons sont en mode survie, LCD Soundsystem (du rock ça?) sont en pilotage automatique alors qu'on attend toujours PJ Harvey, Dandy Warhols ou encore un vrai White Stripes. Je sais pas vous, mais j'ai eu beaucoup de peine à écouter de belles choses prenantes en rock cette année. Les supergroupes n'y feront rien, il n'y a rien de nouveau ici. 2010, où l'année où le rock est redescendu dans les caves, dans les locaux sombres de répétitions, où toute l'horreur jet-set de 2004-2009 semble être derrière nous (les défilés de mode avec groupes à guitare pour l'animation musicale, les couvertures de magazines, les guitares en vitrines...). Peut-être que j'ai perdu mon temps dans des open-airs électro cet été, à la montagne cet hiver, dans des salles de cours ou dans des studios photo. Peut-être que, comme tout le monde, je deviens un vieux con me surprenant à vraiment penser qu'avant c'était mieux, que les Smiths, Sonic Youth, Electrelane, on n'en trouve plus de nos jours. Vrai en grande partie, mais pas incontestable. Bref, tout reste ouvert pour 2011, et, promis, on va tout faire au sein de Think Tank  pour se salir les mains et aller sur les vrais champs de guerre, là où des groupes prennent des risques, s'agitent pour de vrai et pourraient, encore une fois, changer nos vies.


1h20 de musique avec:
James Blake: I Only Know What I Know Now
PVT: Crimson Swan
Liars: Scissor
Tame Impala: Desire Be Desire Go
Ariel Pink's Haunted Graffiti: Round And Round
Joy Orbison: The Shrew Would Have Cushioned the Blow
Mount Kimbie: Would Know
Suuns: Up Past The Nursery
Deerhunter: Colorscale
Archie Bronson Outfit: Shark's Tooth
No Age: Fever Dreaming
Sufjan Stevens: Vesuvius
Takka Takka: Homebreaker
Pantha Du Prince: Stick To My Side
Tamikrest: Ahar
Midlake: Bring Down
Beach House: 10 Mile Stereo

Bonus:
Von Spar: Scotch & Chablis
Buvette: The Wheel
Farben: Beautone


TANKART: ROYAL ROBERTSON

Illustration: Royal Robertson
The Age of Adz de Sufjan Stevens : représentation de l'Outsider Art de Royal Robertson à travers les visuels, les paroles et accords de cet album gargantuesque, proche du trop plein, asphyxiant. Du grand Sufjan Stevens, apôtre de la démesure, et, forcément, l'un des dix meilleurs albums de l'année 2010.

Intitulé ”The Age of Adz”, le nouvel album de Sufjan Stevens est inspiré de l’œuvre et de la vie de Royal Robertson, artiste américain improvisé et autoproclamé prophète. Après avoir traité de l’Etat du Michigan, de l’Illinois, du bandit John Wayne Gracy Jr. ou encore d’un métro appelé le BQE, l’artiste folk originaire de Detroit observe et dissèque la biographie et la psychologie de ce peintre rattaché au mouvement dit du ”Outsider Art”, sorte d’équivalent anglo-saxon de l’Art Brut. Un ”outsider artist” est un autodidacte devenu artiste sans faire les beaux-arts, génie sans éducation préalable, créateur à la marge dont la chose, par définition, ne possède qu’elle même pour référence : si le terme est récent et s’applique régulièrement à certains acteurs incontournables de la culture nord-américaine (Hunter S. Thompson ou encore les musiciens Daniel Johnston ou Hasil Adkins en sont des bons exemples), cette consécration personnelle en tant qu’artiste n’a rien de révolutionnaire dans l’histoire de l’art et ne fait pas de Royal Robertson un peintre extraordinaire. Ce qui est intéressant au contraire, c’est la dimension psychologique qu’a pris son œuvre en lien avec les moyens de communications modernes. Royal Robertson a en effet trouvé son inspiration dans les méandres de la folie profonde et violente, passant de peintre panneaux routiers à peintre tout court. Son art ”apocalyptique”, composé de visions cosmiques et de références totalement hallucinantes est traduit sous forme de semblants de simples panneaux publicitaires, où les slogans sans significations véritables se côtoient, formant ainsi un ensemble imposant et cohérent. Outre sa pochette tirée d’une peinture (”Untitled“ ou ”The Visionary Drawing N°8”, visible au Smithsonian Museum Gallery, à Washington DC), ”The Age of Adz” s’immisce dans la travail de Robertson en tant que tremplin vers une des sonorités sophistiquées voire avant-gardistes (on recense autant de la folk que de la disco), où la patte experte de Sufjan Stevens en compositions sinueuses et en instrumentation flamboyante – mise à mal par des pics électroniques - excelle. En ressort des tableaux bi-polaires, entre colère et euphorie, folie et grâce. Ce sixième album de Stevens se prononce « The Age of Odds ». En anglais, ”odd” signifie ”étrange”, ”bizarre” ou ”fantasque”. Pris au pluriel, il peut aussi se traduire ”chances” ou ”possibilités” ; deux interprétations différentes de l’hommage à Royal Robertson et de sa représentation en musique, mais aussi de l’histoire récente du songwriter, ayant souffert de névrose.



A plusieurs reprises, ”The Age of Adz” reproduit les ”visions” et schémas mentaux de Royal Robertson, évitant toutefois les référence culturelle, géographique ou historique à ce dernier : « je cherchais plus à m’engager dans sa vision, son espace cosmique. J’ai d’une certaine manière intégré son travail au mien » déclare-t-il à Thomas Burgel[3]. Inconnue du grand public, l’œuvre de Robertson se voit ainsi évoquée par un artiste contemporain très suivi et nous permet d’évoquer son parcours et le courant auquel il se rattache : l’Outside Art. Royal Robertson est né à Baldwin, Louisiane en 1936. Il exerça la profession de peintre de panneaux routiers avant de voyager sur la côte Ouest des Etats-Unis pendant plusieurs années. Il vit en couple durant 19 ans avant que sa femme ne le quitte pour un autre homme. Ce drame personnel bouleverse Robertson, qui évoquera toute sa vie cette « trahison » : sa profonde tristesse provoque en lui une rage créative, quittant son travail pour ne plus passer ses journées qu’à peindre - des écriteaux - et les disposer sur les murs de sa demeure. Cette pratique est accompagnée d’une descente en enfer : il se coupe du monde, devient schizophrénique et développe « des visions violentes, bibliques et prophétiques, nourries d’obsessions pour le cosmos et de paranoïas aiguës, de la croyance en un complot féministe mondial, le tout menant à son apocalypse ». Pour déjouer ces pièges, il se crée une nouvelle identité : ”Libre Patriarche Prophète Seigneur Archevêque Apôtre Visionnaire Mystique Psychique Saint Robertson Royal”. Sa pratique de la peinture lui permet ainsi d’exorciser sa folie profonde et évacue péniblement son obsession de l’adultère qu’il a subi. Royal Robertson a transposé plusieurs aspects du fondamentalisme évangélique dans une sorte de science fiction personnelle, composée d’images de publicités et de médias de masse, le tout mélangé avec des motifs autobiographiques ainsi que ses intentions de venger sa trahison. Si son œuvre est très brute et fait référence à la typographie ou aux graffitis, elle n’est pas franchement éloignée de l’art africain sous sa forme picturale: sa ”folie”, rattachée au fondamentalisme spirituel des peuples esclaves africains, se traduit sous des forces quasi chamaniques et irrationnelles, ses textes paranoïaques et obsessionnels se rapprochant parfois du surréalisme. Vivant seul dans une caravane, au cœur même de son œuvre, Robertson n’en demeure pas moins un être recherchant une certaine affection. S’il y a une grande orientation cosmiques, son travail n’en est pas moins très intime et physique, reflétant des peurs ”normales” (l’enfermement, les références au manque d’argent, la crainte de vivre seul, la maladie, la mort, le cosmos). En 1992, l'ouragan Andrew détruisit une grande partie des extérieurs de sa propriété, mais les tableaux de l'artiste et les écrits ne cessent de se transmettre. Royal meure en 1997. Dans son entretien accordé à l’hebdomadaire Les Inrockuptibles, Sufjan Stevens déclare : « il était empli d’une colère incroyable, et son travail est extrêmement brut, juvénile. Mais il est également très constant, esthétiquement parlant, ainsi que, d’une certaine manière, très vaste en termes de sujets abordés. Il y a quelque chose de possédé, d’obsessif qui apparaît dans tout ce qu’il fait, tout ce qu’il crée. Et je pense que cela ne peut provenir que d’une extrême coupure avec le monde, je pense que c’est le résultat de sa maladie, ainsi que de son incapacité à différencier la réalité et le non-réel ». Sorti récemment aux Etats-Unis, le documentaire ”Make”, réalisé par Scott Ogden et Malcolm Hear, édité sur le même label nord-américain que Sufjan Stevens, Asthmatic Kitty, prolonge le travail de portrait de Robertson préludé par ”The Age of Adz” ; outre Royal Robertson, ”Make” esquisse la vie de trois autres artistes américains autodidactes, rattachés au mouvement de l’Outsider Art : Hawkins Bolden, Judith Scott (sourde et muette, elle a vécu dans une institution spécialisée la plus grande partie de sa vie. Sa sœur jumelle, dont elle avait été séparée très tôt a finalement décidé de la sortir l’institution et de lui faire prendre des cours d’art en Californie) et Ike Morgan. Tous ces artistes trouvent leur voie d’expression à travers l'art. Leurs récits entrelacés montrent des individus dont le monde est aussi unique que leurs œuvres. Le documentaire analyse de même cette obsession créatrice, obsession les menant à leur anéantissement.



Le terme ”Outsider Art” provient du livre du même nom écrit par le réalisateur Roger Cardinal en 1972 (paru chez Littlehampton Book Services Ltd., Worthing, Angleterre) ; il a permis de comprendre de nombreux artistes qui n'auraient jamais été considérés comme des artistes légitimes. Cardinal postule que les grands artistes produisent de grandes œuvres, qu'ils soient formés ou tout simplement dotés d’un don naturel pour s'exprimer à travers leur art : « Je crois qu’un facteur primordial dans la définition critique d’un artiste « outsider » est qu’il ou elle devrait être possédé d'une impulsion expressive et devrait ensuite externaliser cette impulsion de façon non contrôlée qui défie la conceptualisation classique de l’historique et artistique » déclare-t-il dans cet ouvrage. En 1979, le québécois, associé à Victor Musgrave (poète et curateur anglais mort en 1984) monte l’exposition intitulée ”Outsiders” à la Hayward Gallery de Londres : 40'000 visiteurs seront comptés, « même si les critiques furent partagés ». Dans la préface du catalogue, Musgrave écrit : «Voici un art sans précédent. Il propose un voyage orphique dans les profondeurs de la psyché humaine, remplie d'incidents étonnants, mélangée avec les sensations et l'émotion mais toujours disciplinées par les ressources techniques ». Les années 1990 verront elles les bases de l’Outsider Art se consolider, acquérant véritablement ses spécificités et une histoire propre, ceci à travers de nombreux ouvrages et particulièrement la revue Raw Vision et son Rédacteur en Chef, John Maizels.



Sans citer directement Royal Robertson, Sufjan Stevens dresse un portrait flamboyant et surtout déroutant du natif de Louisiane (« Royal m’a servi, d’une certaine manière, de mentor spirituel. Il plane sur le projet comme une référence »). Avec cette notion applicable à chaque niveau d’analyse : la schizophrénie omniprésente. Au niveau des sonorités d’abord : pour qui n’ignore pas la discographie du songwriter, celles-ci, si elles s’inscrivent dans la continuité dans les grandes lignes, elles gagnent encore en contraste (s), en luxuriance et en fantaisie vis à vis d’albums comme ”Illinois” (2005) ou ”Seven Swans” (2004). A l’instar du journaliste Christophe Schenk, les critiques ne sont pas unanimes sur le sixième album du nord-américain : « le mélange des genres en ferait même l'un des disques les plus originaux de l'année, OVNI composite et organique jusqu'à l'excès ». Outre les sonorités pouvant évoquer Robertson, les compositions de chaque morceau sont elles aussi intéressantes dans le portrait du peintre. Les idées se chevauchent, se juxtaposent, voire parfois s’annulent dans une certaine confusion (”Impossible Soul”, d’une durée de 25 minutes), les structures se mélangent, déroutent l’auditeur. Difficile de suivre le rythme et le fil. Cet album que certains nomment ”Folktronica” possède peut-être cette ressemblance avec l’Outsider Art dans la mesure où il ne ressemble à rien si ce n’est qu’il reflète le psyché de Stevens. Le musicien désirait un album introspectif , servant de thérapie à ses maux (« une forme étrange de désordre du système nerveux qui m’a rendu incapable de me concentrer donc de travailler »), mais aussi une approche plus instinctive, d’où une structure partant parfois dans tous les sens, sans pour autant être une cacophonie. Les mots de Musgrave ne peuvent que mieux coller à ”The Age of Adz” : « Il propose un voyage orphique (…) , rempli d'incidents étonnants, mélangé avec les sensations et l'émotion mais toujours disciplinées par les ressources techniques ». Ce 11-titres, que j’oserai appeler ”concept album” même si Stevens s’en défendrait, doit être écouté dans son intégralité. Si l’orchestration classique et grandiloquente de l’éponyme ”Age of Adz” côtoye les beats électroniques de ”Vesuvius” ou le morceau pop synthétique et marchant l’Auto Tune de ”Get Real Get Right”, l’album possède des niveaux émotionnels diamétralement opposés, faisant le grand écart entre les sautes d’humeur du compositeur, évoquant aussi bien la folie que la délicatesse. Dans ce sens, ce disque pourrait se rapprocher de l’œuvre picturale de Robertson, où la somme des tableaux forment un tout indivisible, perdant toute force si son union était cassée. Chaque morceau de ”The Age of Adz” est un chapitre – il ne suit pas la biographie du peintre mais l’évoque plus métaphoriquement.



A l’instar du ”Prophète”, Stevens montre une obsession pour les fantaisies cosmiques (l'espace, le paradis, les extraterrestres, l'amour), tout en développant une partie beaucoup plus intime ; cet album reste tout de même personnel et n’est pas qu’une simple évocation de Robertson. Si l’évocation de l’ancienne femme de Robertson n’est pas directement faite, en tout cas pas manière aussi misogyne qu’a pu faire ce dernier, Sufjan Stevens cite explicitement les maux de cœur du peintres, à l’instar de l’électro pop ”Too Much” : « If I was a dif-ferent man / If I had blood in my-ay-ay-ay,eyes / I could have read of your heart, I could have read of your eyes / But now I'm lonely as that / Too much love », où la boîte à rythme s’active en saccades tout comme les chœurs crochent sur les mots, souvent très (trop) nombreux quand on rencontre la peine de cœur et d’esprit. Ou ”Age of Adz”, peut-être le plus touchant des morceaux (et plus poétique que ”I Walked”): « And in your words, / I Should let it out, / I Would see you die / But I'm a watcher / I see it watch her », où Stevens semble ne faire qu’un avec Robertson, côtoyant les étoiles, ces étoiles si souvent évoquées dans l’œuvre du peintre : « This is the Age of Adz / Eternal living ». La fin du morceau sonne comme un cruel constat d’échec personnel, avec ces paroles déchirantes, mettant la dérision sociale de Robertson de côté : « I'm sorry if I seem self-effacing / Consumed by selfish thoughts / It's only that I still love you deeply / It's all the love I've got ». Faisant sortir Robertson – ou lui même - d’une panique certaine, Stevens prend du recul sur le contemplatif ”Vesuvius”, définissant son imagination sur la splendeur des lieux élevés (la révélation divine, les oracles, l'amour, le cosmos, l'Apocalypse) : « Vesuvius, I am here / You are all I have / Fire of fire, I'm insecure /For it has all been made to plan » ou sur ”I Want To Be Well » : I'm not fucking around / I'm not, I'm not, I'm not fucking around », même si l’angoisse rôde, comme si ces désirs d’élévation ne pouvaient décidément pas longtemps cacher la triste réalité : « Sufjan, follow your heart / Follow the flame, or fall on the floor / Sufjan, the panic inside / The murdering ghost that you cannot ignore ». La banalité de la vie de Robertson se lit dans les matériaux et médias employés dans son œuvre (ses médias primaires étaient le panneau d'affichage, marqueur magique, stylo à billes et paillettes). Une condition toutefois constamment mise en sourdine par les inspirations naïves, quasi insensées du peintre quand il n’est pas en crise de paranoïa. A lui seul, le final de l’album et bien nommé ”The Impossible” résume bien sa torture, où des élément des dix premiers morceaux s’entrechoquent, se croisent, s’arrêtent ou se perdent en route. Des réminiscences désagréables ou plaisantes selon l’état mental du moment, des visions hallucinantes, des moments de lévitation pour repartir en furie. Qu’on lise les paroles ou non de ”The Impossible” ou même de l’album en entier, impossible de ne pas ressentir le grand huit de l’âme, les tourments et, dans une certaine mesure, la schizophrénie (celle-ci étant extrêmement difficile à reproduire en musique, l’écueil du brouillon ou de la mégalomanie n’étant jamais très loin). Et puis, le titre parle à lui seul : l’âme impossible, oxymore révélant peut-être plus que tout la situation du ”Prophète” en une rage bouillonnante, camouflée et domptée grâce à la pratique univoque de l’art.



A travers ces quelques paragraphes, j’ai tenté de refléter les obsessions, les peurs, mais aussi les qualités de Royal Robertson à travers, premièrement, son œuvre, son encrage dans le mouvement de l’Outsider Art, et surtout dans les onze titres hauts en couleurs du sixième album de l’américain Sufjan Stevens, ”The Age of Adz”. De nombreux musiciens se revendiquent l’Outsider music, en référence au mouvement pictural, particulièrement les bluesmen. Le parallèle avec le mouvement punk des années 1974-1979 est ainsi facilement traçable : ces mouvements sont intégralement basé sur cette idée de non éducation préalable à l’art. Travailler sur cette approche et ce discours entre ces deux artistes est intéressante notamment du point du vue de leur renommée respective : visionnaires mais reconnus que par une frange limitée de la population. Cependant, force est de constater que l’intérêt pour Robertson a regagné en vivacité après la parution de cet album singulier. Tant la pochette, décriée, pas franchement bien maîtrisée au niveau de l’incrustation typographique du nom du musicien, que les titres passés à l’Auto Tune (ce drôle de logiciel informatique condensant la voix et l’uniformisant) – un méfait pour un artiste ”folk” (Bon Iver l’a aussi fait en 2008) du même acabit que l’utilisation de la guitare électrique pour Bob Dylan dans les années 60 – que les ”titres à tiroirs multiples”, surtout ”The Impossible”, possèdent cette force de déstabiliser l’auditeur, peut-être avec le même entrain vu dans les tableaux de Royal Robertson. Je terminerai avec une citation de Sufjan Stevens qui, même s’il revendique la paternité intégrale de son album ainsi que son côté personnel, garde un lien indéfectible qu’il a acquis à la lecture de l’œuvre du ”Prophète” Robertson : « Je pense que tous les musiciens sont, d’une certaine manière, des prophètes. Il y a clairement de bons et de mauvais prophètes, mais tous partagent une vision prophétique, tirée d’un matériel prophétique ».

27 déc. 2010

TANKINO: Tarantino vs Tarantino : les deux KILL BILL (hommage à Sally Menke)

Illustration : Saïnath
En 1908, D.W. Griffith place au montage une scène qu’il inclut au milieu d’une autre sans aucun rapport entre elles. Le producteur trouve ça scandaleux et avertit Griffith que le public ne comprendra rien. Aucune logique dramatique concrète ne reliait ces deux plans ; c’était alors leur connection intellectuelle qui permettait de comprendre qu’Annie Lee était en train de penser à quelque chose. Le montage, c’est un peu la magie du cinéma. Le montage, chez un (bon) réalisateur, est spécifique. Le montage, chez Tarantino, est une histoire d’amour entre ce génial scénariste et cette grande dame qu’était Sally Menke (monteuse de tous ses films) qui a quitté ce monde en 2010, au mois de septembre.


Des multiples flashbacks de Reservoir Dogs aux cultes chapitres de Inglorious Basterds, la symbiose entre eux a fait mouche, et Kill Bill, film scindé en deux volumes, se trouve être leur meilleur collaboration (d'ailleurs, parmi toutes ses nominations, les seuls prix qu'elle va ramener chez elle sont pour Kill Bill, avec comme cerise sur le gâteau, le prix de "editor of the year" en 2004 décerné par le Hollywood Film Award). Deux films qui s’amusent au jeu des oppositions : le volume 1 est très rythmé, quasi sans temps mort et se termine sur une double scène de bagarre qui dure une demi-heure. Le volume 2 est plus lent. Il s’applique à bien définir les personnages du film et se clôt sur un long dialogue (presque interminable) de celui qu’il faut tuer. Une sorte de bataille qui semble ne faire sortir vainqueur aucun des deux opus. Le célèbre site de cinéphile américain Rotten Tomatoes ne réussissant pas à les partager, fin 2010 les deux films affichent chacun le score de 85% !




Tarantino contre Tarantino
Les deux volets de Kill Bill pourraient être l’arène de combat de l’ange et du démon de Tarantino. On retrouve son style, plus percutant dans le premier volume, et la sagesse et l’intrigue mise en avant dans le second. C’est un peu Pulp Fiction contre Jackie Brown, l’éclaté contre le plus conventionnel. Jackie Brown (1997) avait surpris le public par son manque de violence (Tarantino se défendra en interview précisant qu’il n’y avait pas de violence dans le livre, donc pas besoin d’en rajouter), alors signe de fabrique et de réussite des deux premiers long-métrages du réalisateur autodidacte. Avec Kill Bill 1, et ce dès la première scène, nous voyons le visage défoncé de la Mariée : image sublime (peur et beauté), une décharge de balle parachève le portrait de la pauvre Kiddo après un monologue du tueur. Scène réussie, et donc reprise dans le deuxième volet, tel quelle, un rien tronchée. Autre fameuse reprise : la scène du long flashback inséré au milieu d’une scène de « survie » de l’héroïne (sans doute les deux meilleurs moments de chacun des films). Dans le premier, la Mariée, qui sort d’un coma de quatre ans, se retrouve dans le Pussy Truck de Buck et tente de redonner vie à ses membres inférieurs. Dans Kill Bill 2, nous retrouvons une scène plus-que-semblable lorsque Kiddo se retrouve dans un cercueil, enterrée vivante sous terre. Les analogies ne manquent pas : dans les deux scènes, notre petite blonde se retrouve enfermée, allongée sur le dos, sous-terre (parking sous-terrain), dans une bulle, seule avec son destin : retrouver la vie. On touche ici à un thème important chez Tarantino : l’importance des membres. Au-delà d’un fétichisme avéré pour les pieds (Mia Wallace dansant pieds nus dans Pulp Fiction et plus tard le générique d’ouverture de Death Proof), le film montre l’importance capitale des membres (jambes, mains, bras) : perdre ses membres, c’est perdre la vie. La baston finale dans le dernier chapitre de Kill Bill 1 nous le montre suffisamment, et la pauvre Sofie est dévastée à la fin du même épisode lorsque Bill lui demande des informations sur son ex-protégée. C’est un jeu du pendu auquel s’adonnent Tarantino et sa guerrière : détruire les membres d’abord et couper la tête ensuite – faire souffrir jusqu’au bout. Kiddo engage donc une conversation avec son gros orteil pour se faire revivre. La scène est ensuite perturbée par un long flashback sauce manga. Puis retour et dénouement heureux : la Mariée peut à nouveau marcher. Dans Kill Bill 2, nous quittons prématurément la mort-vivante pour découvrir qui était son maître, Pai Mei, celui qui lui a tout appris. Le chapitre terminé, nous retournons dans le cercueil (avec la magnifique reprise du thème d’Ennio Morriconne de « L’Arena » dans Il Mercenario) et la Mariée sort des terres, avant de demander poliment un verre d’eau dans le premier dinner du coin. Ces deux scènes sont équivoques, se font écho et sont un véritable coup de force de la part du réalisateur.




Le vrai méchant
Forcément, les deux volets se font écho puisqu’ils font partie du même spectacle. Cette force de coalition entre les deux films se trouve peut-être dans le personnage de Elle Driver, la nouvelle femme de Bill, blonde elle aussi, qui rêve de tuer celle qui a brisé le cœur de Bill, selon les dires de Budd : « This is for breaking my brother's heart. ». Elle Driver est le vrai méchant du film et sa position dans les combats par lesquels la Mariée doit passer prouve son importance : elle est la dernière victime avant Bill, le dernier rempart. Elle est celle qui déteste le plus Kiddo au point qu’elle est un peu triste de la tuer dans son sommeil puisqu’elle n’en souffrira pas : « Dying in our sleep is a luxury our kind is rarely afforded. My gift to you. ». Elle Driver est le démon ; Kiddo l’ange (le split screen depalmesque de la scène dans l’hôpital n’est-il pas si équivoque sur ce point ?). C’est Tarantino vs Tarantino, le style brutal de Pulp Fiction (Elle) contre la légèreté pudique, lyrique et planante de Jackie Brown (Kiddo). Au début de Kill Bill 1, Elle Driver n’a-t-elle pas l’opportunité de tuer Kiddo ? Puis est interrompue juste avant de commettre le crime par un téléphone de Bill qui lui demande de la laisser en vie. Ce cher Bill que la Mariée passera plus de trois heures d’aventures à poursuivre, passant par les pires supplices et les plus horribles épreuves, pour se venger.


Si Kill Bill 1 parle de vengeance, Kill Bill 2 évoque l’amour perdu (autant sentimental que familial) et les deux pellicules réunies proposent une réflexion sur l’espoir inconscient. Durant tout le récit, Kiddo ne sait à aucun moment que son bébé est encore en vie et c’est seulement au dernier chapitre du second film qu’elle voit sa petite B.B. vivante qui lui tire dessus pour jouer (quelle ironie !…) alors que le spectateur connaît la vérité avant même que le volume 2 commence. C’est Bill qui nous l’apprend. Ce cher Bill qui a tué la Mariée et qui l’a ensuite ressuscitée pour qu’elle puisse à son tour, le tuer. Car Black Mamba (alias Kiddo) meurt plusieurs fois dans le film : la scène de la tuerie lors du mariage, puis Budd qui lui tire dessus avant qu’elle soit enterrée vivante. On ne peut pas plus en montrer pour signifier la mort ! Et comme par magie, notre belle blonde reste insensible à tout ça. Comme une sorte de don qu’elle possède, un bouclier divin (quant nous parlions d’ange…). Les balles la traversent mais ne la tuent pas (clin d’œil à Pulp Fiction) et elle en est la première étonnée. Là est la magie du film : c’est l’histoire, la narration, le récit qui la fait tenir debout (les flashback qui lui font remonter à la surface) et qui la pousse vers quelque chose, comme la voix du Dieu Cinéma (ou simplement du réalisateur) qui murmure à ses oreilles : « Non, tu ne mourras pas car tu as quelque chose à accomplir : tuer Bill et retrouver ta fille ! ». Un happy-end pour faire sourire des millions de spectateurs ; un happy-end pour offrir un volume 3 que Quentin Tarantino n’a jamais démenti vouloir tourner. Le récit soutient le rêve.

25 déc. 2010

MERRY XMAS!

Photo: Pierre Girardin

21 déc. 2010

TT TRIP : MIDI Festival

Illustration: Laurence Wagner

Des palmiers, des plateaux de fruits de mer, 17 degré au milieu du mois de décembre, il n’en fallait pas plus pour décider un membre de TT à partir du côté de Toulon voir ce que donne le MIDI festival et sa programmation alléchante.

La vérité, c’est qu’on a raté le premier soir où jouaient notamment Young Marble Giants. Mais bon, on était bien décidé à tout donner le samedi soir. Direction le quartier Saint Roch, tout impatient de découvrir ce festival qui, par ses vidéo et ses programmations, nous a fait maintes fois saliver. Ce soir, ça se passe aux Variétés, une petite salle communale, d’une capacité de 250 personnes au grand maximum. C’est ma foi très joli et ça donne une ambiance assez fête de colo. C’est tellement rare et tellement bon ces festivals à la programmation pointue tout en restant accessible et qui se font en petit comité (en tout il y aura à peine plus de 150 personnes) et sans les scènes snobes qu’on rencontre notamment en capitale. Une petite disquaire asiatique s’occupe de vendre quelques vinyles comme seul merchandising, et le bar est facilement accessible, bref que du love.


Côté musique, Marnie Stern, tout droit débarquée des Etats-Unis, vient insuffler son rock à grand coup de finger-taping. Le set est parfois répétitif, mais les bonnes chansons ne manquent pas et son jeu de guitare particulier apporte vraiment une originalité au son du groupe. On retiendra les très bonnes Ruler, For Ash ou encore Transformer. Bon c’est clair on va pas courir acheter l’album mais cela restera un concert agréable, bien rock où virtuosité et énergie brute font bon ménage. Après, c’est au tour des français de Yussuf Jerusalem, qu’on avait découvert avec l’excellente With You in Mind. Le style du groupe est lui aussi définitivement rock, avec son chanteur à perfecto et son batteur à coupe de ramones. Mais rien à voir avec les baby rockeurs d’il y a quelques années. Ici le rock ne se joue pas pour la pose mais avec beaucoup d’inventivité. On pense bien sûr aux Black Lips pour l’explosivité et l’influence rockabilly très bien remâchée. Yussuf Jerusalem enchaîne chansons rapides faisant virevolter le public et titres plus lents encore meilleurs aux mélodies qui claquent. A la fin du concert, tout le monde est content.


On a gardé le meilleur pour la fin, même si en vrai ce groupe ouvrit la soirée avec un concert qui fut directement le point d’orgue de la soirée. On en est encore à découvrir la salle et à s’amuser dans cette ambiance entre le bal de prom, pour le côté pop 50’s les jeunes gens en fleur, et le squat, pour l’anti mainstream et spectacle consommable, que Summer Camp entre sur scène et vont mettre tout de suite tout le monde d’accord en jouant une musique correspondant exactement à l’esprit du lieux. Le groupe londonien est composé d’un drôle de garçon à lunette, maniant guitare et synthé, et d’une fille mignonne à la très belle voix. Derrière et sur le groupe, est projeté un diaporama de photos kitch des gens dans leur quotidien (mariages, soirée entre potes, bal de prom justement) datant des années 80’s-90’s, le tout avec une esthétique très Video Gag. Autant d’habitude, les projections ont tendance à agacer et à ne servir à rien à part détourner de la musique ou d’en remplir le vide, autant avec Summer Camp, les images s’intègrent parfaitement au concert. Parce qu’en définitive la musique du groupe est avant tout une musique d’atmosphère, dans le sens où plus qu’un seul son, elle convoque directement une avalanche d’émotions, de souvenirs. Leurs cantines pop nous plongent dans un décor où il est question de vacances à la mer, de premiers amours, de soirées adolescentes au clair de lune. Tout ça est peut-être très cliché, oui mais peu importe quand c’est exercé avec grâce. Sur Round the moon, on pleure en dansant et sur Ghost Train, notre cœur chavire. Un concert tout parfait où aucune chanson n’est à jeter, où la symbiose avec le public est totale. Rien n’y manque même pas la chanson de Noël. Un concert à l’intensité émotionnelle sublime. Merci le MIDI festival, on prend d’ores et déjà rendez-vous pour l’édition de l’été prochain, qui se déroule dans la magnifique Villa Nouailles et sur les plages de Hyères. Oh ouah !

19 déc. 2010

LP: BUVETTE

Photo: Julien Gremaud/Mouvement: vitfait



Ancien des excellents Mondrians, Buvette confirme son virage à 180° sur son premier album, auto-produit, figurant dans la liste des essentiels de 2010. On tente d'expliquer pourquoi.

A l'heure où ces lignes sont publiées, Buvette n'est plus de ce continent. Les pieds au chaud, direction très loin, l'Inde. Ou la quête d'un père apparaissant ponctuellement dans la musique de ce jeune suisse romand, de descendance suisse allemande. Pour preuve, un témoignage poignant au micro du dinosaure de la RSR, Gérard Suter, qui en connaît pourtant un rayon en matière d'histoires personnelles. C'était une de ces interviews à la va-vite à défaut de faire mieux, dans le défilement incessants d'artistes présents au Montreux Jazz. Il a fallu le convaincre l'ami Buvette, si humble et intègre. "No interview" pourrait être sa devise. Alors il parla de son enfance, de ses proches, dans sa vision quasi exclusive de la musique qu'on croirait par moment embrouillée. Avec toujours cette obstination d'en dire le moins possible, l'usage des paraboles prenant là toute sa force. Tentons le lieu commun: ses compositions parlent d'elles-mêmes et surtout de ce dernier.


Cela dit, il a récemment fait une exception: on se souvient en effet de propos tranchants dans une pleine page lui étant consacrée dans le quotidien le Temps, orchestrée par Rocco Zacheo: «Je n’ai qu’une chose en tête, c’est partir d’ici, quitter ce pays (la Suisse ndlr.). Je m’imagine mal devenir un artiste local et me produire toute ma vie à Label Suisse, ce festival organisé par la Radio Suisse romande ». Celui qui a créé le label Rowboat en compagnie de Pat V ne rejette pas ses proches ainsi que les groupes qu'il promeut, surtout pas. Juste une histoire de clairvoyance ou d'humilité, encore elle. Certes, ce Leysenoud de sang et Veveysans de coeur ne fera pas dans le stadium rock. Cet anti-héros a toutefois gravi les échellons à une vitesse ahurissante pour quelqu'un refusant l'exposition facile. Ca doit en énerver bon nombre. Lui s'en fiche, surtout que c'est connu, Buvette n'a pas d'ennemi. Les guerres d'égo, très peu pour lui; les groupes étiquetés "1800 Vevey" - une saine émulation à tendance hippie - était sa famille toute trouvée, son terrain de création bien que Leysin fusse le lieu de naissance de son premier LP, HOUSES AND THE VOICES (enregistré avec un ami proche, Benjamin Bard).


Huit titres familiers pour les suiveurs attentifs de cet inconditionnel du FC Zürich et de Keith Moon, huit titres ayant mûri au fil de concerts mesurés et sobres, parfois imprévus, clandestins ou détonants. Il y a notamment le chimérique "Top Pub Songs", proche d'un Syd Barrett, le très dub "Forget The Mirrors" avec ses ultra basses, mais aussi le plus Panda Bear "Motril" ou encore le dilligent "Tiny Islands" à caser à côté de Dan Deacon et son "Build Voice". Certains regretteront la spontanéité de ces titres première version en arguant que Buvette a perdu sa face bricolage en propulsant ses titres sur une autre cylindrée; d'autres verront là une nouvelle étape, avec, en filigrane, le début de la reconnaissance et de nouvelles orientations. "Bottles", par exemple, laisse de côté un chant discret des débuts pour ouvrir sur une chorale allègre et éclatante, dépassant le cadre électro-pop dans lequel on serait tenté de loger Buvette. L'électro prend elle aussi une autre dimension sur l'un des nouveaux titres de l'album, "Tarot Cards", syncopée jubilatoire osant la grimpette gracile vers un épilogue qui aurait pu figurer sur la bande-son idéale des supporters sonnés de tout ce qui se faisait de bien au Nord de l'Angleterre avant que Cantona n'y débarque, entre New Order et Happy Mondays. Du baggy électro sans voyage dantesque aux Caraïbes.


Buvette est en Inde alors que son premier album (distribué par l'excellente boutique Namskeïo) s'échange sous le manteau, devenant imperceptiblement un sujet de discussion essentiel et affolant les meilleurs critiques  nationaux. Le but, forcément, c'est d'aller plus loin, de sortir d'ici, non pas à défaut de clubs ou de bonne réception, mais parce qu'il est impératif que cette musique voyage, s'exporte, immigre vers d'autres réceptacles. Il n'est pas vain ni hautain de viser plus haut quand on a le talent et le vent qui nous porte. L'épopée est incertaine, le vouloir n'est pas le pouvoir, mais la prise est bonne. Savourons pour l'instant ce premier jet raisonnable et bien taillé. Les voiles sortiront sans qu'on s'en aperçoive. Super!


 

16 déc. 2010

TANKINO: RUBBER, Quentin Dupieux

Illustration: Pierre Girardin
En cette période de fêtes de Noël, on ne peut pas dire que le cinéma nous gâte. Côté sortie-ciné, le choix est aussi difficile que de choisir entre avaler un bol de glaire tous les matins ou avoir une jambe en mousse. Entre Narnya, Megamind 3D, un biopic sur Lennon ou encore Johnny et Angelina à Venise, le synopsis de Rubber devient soudainement extrêmement alléchant.




C’est l’histoire d’un pneu qui tue des gens. « Et tu crois que tu vas me faire payer 17.- pour aller voir ça? » Heureusement, les cinémas Pathé (du moins en Suisse) n’ont pas retenu le pneu très longtemps dans leurs salles et l’ont très vite relâché pour que celui-ci vienne tranquillement s’installer dans le cinéma indépendant du coin : merci le Zinéma ! Quentin Dupieux – alias Mr. Oizo pour les intimes – revient donc avec son deuxième véritable long-métrage après le sympathique Steak paru en 2007, et nous offre quelques bons moments dans ce bassin d’innombrables plans faussement esthétiques. Tourné entièrement à l’aide d’un appareil photo sur l’espace de deux mois, l’effet est charmant. Après la naissance du tueur, ce magnifique pneu, nous le suivons dans son évolution où celui-ci va faire ses armes avant de s’attaquer à l’homme. L’homme, puis la jolie jeune femme qui sera son objectif principal qu’il n’arrivera pas à tuer puisqu’une équipe policière se mettra au travers de sa route. Toute la petite enquête est suivie des yeux de véritables spectateurs présents dans le film et c’est avec ce medium que le film paraît parfois frôler le très bon. Car c’est ici qu’on peut s’amuser au jeu des analyses : le chef flic fait figure d’individu pivot entre les personnages diégétiques (faisant partie de l’action du film) et les spectateurs qui sont présents dans le film qui regarde le film. En somme, un triple niveau dans lequel le spectateur (le vrai cette fois : vous !) se ballade et rigole des mésaventures des protagonistes. Mais rassurez-vous ! Ce n’est pas le scénario d’Inception. Le film, malgré ce jeu entre réalité et fiction, reste simple, attractif et drôle. Une lenteur même agréable et planante, qui laisse le temps au spectateur de bien s’immerger dans l’univers californien que semble sublimer Quentin Dupieux. Par instants, le film possède des qualités qui pourraient même le confondre avec les premiers Spielberg (clin d'oeil ou hasard, la ressemblance du comptable avec le héros de Jaws, Martin Brody, est flagrante). Entre western absurde et tragicomédie burlesque, le réalisateur se sert de cet arrière-plan stéréotypé pour nous endormir dans le chemin tanguant du pneu, auquel, minute après minute, sans savoir vraiment pourquoi, le spectateur s’identifie.


Car au-delà d’une simple histoire de pneu fou qui tue tout le monde, le film parle du rôle du spectateur de cinéma. En préambule du film, le flic l’avertit : « tous les plus grands films sont remplis de « no reason » ; pourquoi E.T. est marron ? Pourquoi dans Love Story tombent-ils amoureux l’un de l’autre ? Pourquoi personne ne se lave les mains dans Massacre à la tronçonneuse ? Il n’y a aucune raison à ça. » Et c’est de cette anti-morale que le film tire son épingle du jeu. On aurait pu mettre un piano-tueur, un radiateur-tueur ou un tricyle-tueur, le public l’aurait accepté (même s’il faut avouer que le pneu est très photogénique par moment). Gentille satire du cinéma hollywoodien, puissante satire du public de masse (la voiture qui shoot les chaises au début du film est marquante) et néanmoins sublimation du paysage et de l’ambiance ouest américain, Rubber est un film-tueur à regarder en entier ou à moitié, selon le piège de l’appétit...

14 déc. 2010

KINO KLUB: Oskar Fischinger “Komposition im Blau” (1935). Music by Buvette


Le Kino Klub, subdivision amicale de nos chroniques dites sérieuses, présentera de nombreuses vidéos en lien avec nos chroniques tout en élargissant le débat. Pour débuter, notre cher ami Buvette sonorisant un travail d'un prestigieux artiste polymorphe, Oskar Fischinger, dans le cadre du Filmnacht Im Neuton du Bad Bonn. Moteur.

Véritable coqueluche des médias avertis de Suisse (pour l'instant), présenté comme la réponse helvétique à Animal Collective et, à ce rythme-là, bientôt comme le saveur du bon goût musical pour un pays entier, Buvette ne s'en émeut pas trop et sait d'où il vient: entre les alpes, les caves de répétitions et les troquets. Au niveau géographique, on situerait le fin limier entre le Lynx de Leysin, pour l'histoire, et le Bad Bonn de Düdingen pour les afinités musicales (et la largeur d'esprit). Ca tombe bien, il avait récemment sonorisé pour la salle de concert fribourgeoise tout un travail de l'artiste allemand importantissime, Oskar Fischinger (1900-1967), Komposition im Blau. Vivant alors à Münich, Fischinger est engagé à l'age de 28 ans par Fritz Lang (Metropolis, c'est lui, une année auparavant) et collabore sur des animations qui seront par la suite achetées par Universal. Dans son coin, Fischinger continue ses expérimentations durant l'avènement de la déshumanisation nazie et sort en 1935 ce fameux Komposition im Blau  qui tapera dans l'oeil de la prestigieuse américaine MGM; à chacun sa petite guéguerre, et c'est finalement la Paramount qui l'embauche dans ce qui était encore le pays du bien, après l'Océan Atlantique. Voilà, pour la petite histoire, qui se terminera d'ailleurs devant des chevalets, de la peinture à l'huile bien posée à côté. On dit du bonhomme qu'il aurait influencé toute la clique Walt Disney et successeurs avoués.


Cette belle sonorisation en hommage à ce pionnier des effets spéciaux, qui a sans doute permis au cinéma d'aujourd'hui de devenir ce qu'il est, tout autant perverti qu'il peut être devenu, certes. Pour revenir à Buvette, nous ferons paraître d'ici peu la chronique de son tant attendu premier album, HOUSES AND THE VOICES, sorti le 1er novembre dernier. Dans le cadre du festival Fr Katz du même Bad Bonn, il avait pris la place du chef Duex en programmant une affiche composée des Awkards, de Papiro et de Pat V.

13 déc. 2010

MUSIK TANK: MUSIQUE HANTEE

Illustration: vitfait

Apparitions sonores et autres manifestations occultes: un spectre hante la musique, le spectre des Salem, oOoOO, White Ring et autre Balam Acab.

Différents noms auront été dégainés pour tenter de caractériser ces phénomènes inexpliqués qui viennent peupler les cimetières de l’industrie musicale : « Witch House », « Drag »,… Si le nom importe peu, force est de constater de véritables similitudes entre ces différentes formations. Celles-ci ont toutes en commun d’avoir renié la sainte Trinite Elvis, Beatles et Michael Jackson pour confier leurs âmes à une trinité diabolique : le dubstep, le hip hop crasseux et les groupes électro-gotiques comme Fever Ray ou Crystal Castles. Ce mélange donne une musique sombre, rythmée, sale, deep, saccadée, pleine d’une ambiance inquiétante mais habitée. Bien sûr chacun a ses particularités. Ecouter Salem donne l’impression d’assister à une soirée de spectres, tandis que oOoOO ressemble plutôt à un spectre de soirée. A l’écoute du EP de ce dernier, on plonge tout de suite dans des méandres pleins de succubes et d’apparitions merveilleuses. « No Shore » nous avait déjà bouleversé par son ambiance incroyable de vieux bayou triste à en pleurer. Sur tout l’EP, le new yorkais déverse des nappes sonores époustouflantes. Les spectres des soirées passées viennent nous hanter et on les revit avec douceur. Burnout Eyes, Sedstuming, Hearts sont des chansons d’une magnifique mélancolie. Balam Acab joue lui aussi dans la cour de la grande douceur. Le nombre de BPM est ridiculement petit. Pourtant, il y a bien une cadence puissante qui prend dans le fonds de la poitrine. Sa musique, c’est comme si on passait un vinyle de dubstep en 33 tours au lieu de 45 et qu’on découvrait alors une richesse sonore cachée. Alors que tout sonne au départ comme une électro bizarre et underground, on est surpris par la finesse et la complexité sonore de titres comme Big Boy ou See Birds (Sun). Voilà qui est commun aux différents groupe de ce mouvement: cette présence commune du lo-fi et de la richesse de sons, d’une forte variété des matériaux sonores pour un style très particulier.


Le groupe le plus connu de ce qu’on appelle la Witch House est sans aucun doute Salem. La sortie d’un premier CD, King Night, venait confirmer les attentes générées par des titres comme Whenusleep ou Ohk. Rien à dire, Salem c’est du lourd. Dès la première chanson, King Night, les basses tabassent, les avalanches de drones et de chants grégoriens plongent l’auditeur dans une espèce de cathédrale gothique en transe. Il faut l’avouer, c’est assez effrayant mais tout aussi captivant. La tension ne baissera pas de tout l’album, et les poils hérissés ne sont pas près de retomber. King Night s’impose comme un album véritablement passionnant, véritable ovni au sein de la musique actuelle, mais son influence est sur le point de convertir de plus en plus de fidèles. Au milieu des titres inquiétants, aux airs de messe noire, viennent se déchainer des titres invoquant le hip hop le plus noire et le plus sombre. Sick, Tair et surtout Trapdoor sont de véritables tueries. Le hip hop devient soudain une musique déviante au possible, où des crissements de pneu accompagnent la voix et le son le plus deep qu’on ai jamais entendu.


Il est difficile de ne pas voir dans cette musique obscure l’exact contraire de l’ère fluo kids de la fin des années 2000 où tout n’était que jouissance ostentatoire, plaisir de la consommation et naïveté revendiquée. Comme un air de décadence. Chez Salem et compères, la dimension festive n’a pas disparu, mais elle apparaît torturée et sombre, en rejet du modèle dominant et des beats faciles. La caractérisation de la musique de ces groupes comme occulte prend alors un autre sens. En effet, de nombreux sociologues ont pointé du doigt les points communs qui existent entre occultisme et subculture. L’occulte est le fait de personnes appartenant aux marges de la société, il est l’expression d’une déviance face au modèle dominant. Ainsi, selon Edward A. Tiryakian, la culture occulte se nourrit d’une perte de confiance vis a vis des symboles établis et du rejet de l’institutionnalisation des ces derniers en une identité collective.
L’arrivée de spectres venant hanter la musique actuelle pourrait donc être le signe d’un refus des modèles établis du domaine musical, des formes institutionnalisées de faire la fête. Danser sur du Salem, voilà une expérience forte, comme celle de s’éclater sur du dubstep. La musique hantée, c’est au moins une musique qui a une âme.

I gotta feeling that tonight’s gonna be a creepy night, a creep, creep, creepy night.

12 déc. 2010

TT TRIP: BONOBO

Illustration: Saïnath

















Pendant que dans les terres Fribourgeoises résonnaient les sonorités du quintette de Foals. Aux abords du lac de Lausanne, se produisait Bonobo, électrisant la salle des Docks comme jamais.

Bonobo, aka Simon Green de son vrai nom, est un producteur, compositeur et DJ anglais (the dude is from Brighton) signé sur le très célèbre label Ninja Tune (qui fête ses 20 ans) et en également, un de ses plus grand représentants. Depuis plus de dix ans, sa musique oscille entre Jazz, Chill-Out, Downtempo et Trip Hop en agençant habilement une multitude de couches sonores. Sa musique, souvent instrumentale, revêt de ce fait un côté très hypnotique, et promet un fabuleux voyage à quiconque se laisse emporter. Étant souvent venu dans nos vastes contrées en tant que DJ, c'est en formation live que le singe se produisit, à l’instar de Cinematic Orchestra. En effet, alors qu’il est seul à concevoir avec une minutie chirurgicale les moindres crépitements de ces compositions, Bonobo ne se contente pas, comme le font malheureusement trop de ses collègues, d’un simple DJ set pour qualifier de live la sortie de ses nouveaux albums, C'est donc en Jazz-Band qu'il défend les couleur de son très bon Black Sand, sorti durant l'année.


Ainsi, assurant lui-même la basse et les samplers, Simon Green s'est entouré d'un guitariste, d'un flutiste-saxophoniste (le génial Ben Cook), d'un batteur (Jack Baker, qui pendant son solo de batterie aurait fait passer Slayer pour des majorettes), d'un pianiste et d'une voix, et pas n'importe laquelle puisqu'il s'agit de la belle Andreya Triana à la voix envoutante comme nulle autres, qu'on pourrait également nommée comme la révélation Soul de l'année, en témoigne son premier album LOST WHERE I BELOG (produit par Bonobo himself) sorti cette année chez Ninja Tune. Elle n'en est d'ailleurs pas à son premier essai puisqu'elle a également collaboré avec Mr.Scruff et Flying Lotus par le passé.


C'est donc après une attente interminable, à subir la soupe d'un groupe minimaliste français dont je tairais le nom afin de vous éviter de la peine (et peut être, aussi parce que j'ai aussi oublié leur nom) que le Bonobo Band se produit. Un musicien arrivant sur scène après l'autre, en canon, ainsi démarre deux heures qui ne décevront pas. C'est sur les morceaux classiques des albums DIAL M. FOR A MONKEY, DAYS TO COMES et BLACK SAND que le public aura dansé, la majorité se laissant emporté les yeux fermé sur les rythmes jazzy du groupe et leurs nappes de xylophones. On aurait aimé peut-être un peu plus d'ANIMAL MAGIQUE, le premier album, mais tout semblait si parfait qu'il est impossible d'y trouver le moindre reproche. Mention spécial au solo d'Andreya Triana, samplant sa voix en guise de mélodie et assurant une magnifique performence ainsi qu'au duo saxo-batterie qui fit basculer le concert en une soirée dubstep des plus extrêmes. C'est donc après trois rappels d'un public en folie, que Simon Green, à la fois ému et exténué d'un tel accueil nous souhaite bonsoir et à bientôt, et le moins qu'on puisse dire c'est qu'on espère ça le plus vite possible.

11 déc. 2010

EP: DANS LA TENTE

Photo: Julien Gremaud

Dans La Tente est le meilleur groupe ignoré de Suisse. Pas grave, le succès arrivera, c'est certain. Et puis ce n'est pas si important: ces Luzerner sont déjà bien ancrés dans nos coeurs. Un groupe à chérir, et à placer en vue dans vos bacs, chers disquaires. 


2009: sortie de KNIGHTS, 6-titres flamboyants du timide groupe Dans La Tente. Sorti chez Goldon Records, l'objet au matricule GR004 et à la pochette amusante avait fini par épuiser notre platine. Parfois, on tentait d'en détacher notre morceau préféré - peut-être Streetlights - ou l'on s'étonnait qu'un groupe aussi bon ne dépasse pas 564 amis sur Myspace. Quoi donc, est-ça un vrai groupe indé ? Et que l'on ne nous traite pas de snob, Dans La Tente est une équation entre Electrelane et The Smiths facile d'approche. Pas de grands discours fumeux autour de leur art, mais une évidence mélodique, une splendide mélancolie, six morceaux de bravoure, humbles et pourtant royaux. Et suisses-allemands. Un quatuor de petits artisans, ayant ouvert récemment pour Fanfarlo et proches des très bons Disco Doom. Dans La Tente, c'est notre carte supra-régionale, notre doigt d'honneur au Röstigraben et bon, aux frimeurs nationaux.


2010: bonne nouvelle, voici un petit signe de vie du groupe, avec ce EP/2-titres gracieusement nommé AS LONG AS THE HEART KEEPS BEATING, matricule GR010, disponible ici, au prix de 8 petits francs helvétiques. Et, il faut le signaler, c'est un vinyle, un vrai. Un 17'', numéroté sur 500 exemplaires, au design autrement plus sobre que son grand frère. Des montagnes en trame, un groupe découpé, et deux morceaux de grande valeur, encore une fois, délaissant cette douce mélancolie pour franchement taper dans l'écorché vif, dans la danse de la dernière heure. En face A, l'éponyme As Long As The Heart Keeps Beating semble inviter le fantôme de Ian Curtis lors du premier couplet, avant qu'il ne se voit remplacer par un Morrissey jeune. Splendide: le clavier du groupe est aussi remarquable que celui des regrettées The Organ, le rythme est parfait, tendu, évoquant l'ancien Don't Take Everyone's Hand des lucernois mais en grande vitesse. Le tout avant la claque, le déploiement des grandes forces, et un sentiment d'immortalité. En 2010, Dans La Tente tient la grande forme. Un premier LP est attendu pour 2011 et l'on se dit que voici ici un joli avant-goût. En face B, Time Time Time garde ce côté spectrale mais baisse la garde et s'affranchit des codes en vigueur. Intéressant mais pas vital: une face B, une vrai, pas meilleure qu'une autre. Enfin, on a vu bien pire. Et l'on connaît certains qui voteraient UDC pour sonner déjà aussi bien. La suite en 2011 donc.

TT TRIP: FOALS

Illustration: Pierre Girardin

Voyage à Fribourg pour le concert maousse du quintette anglais Foals.
Le Fri-Son est en pleine forme, et pourtant tout aurait pu changer avec le départ cet été de Pablo Niederbeger, programmateur historique de la salle fribourgeoise (même le TJ en a parlé). 24 ans de dévotion aurait pu laisser un tableau en friche, une équipe aphone, voire sans relève. Des choses que l'on voit malheureusement trop souvent arriver. Alors, quand on voit défiler en quatre jours les noms de Deftones, Arno, Aaron et Foals, joie et volupté, on réjouit du beau week-end prolongé de la salle fribourgeoise. Comme Think Tank n'a pas encore le don d'ubiquité, on a reporté notre choix sur Foals.

Bien que répétitif sur le fond, ANTIDOTES tape facilement dans le haut du classement du meilleur des années 2000, plaçant Foals en première ligne. Mieux: le groupe ne se désunit pas sur les planches, au contraire. Voyez plutôt leur concert nyonnais cet été. A la bourre, on ne pouvait pas vraiment manquer leur concert au Fri-Son de Fribourg, mercredi 8 décembre. Un premier album monstrueux, des lives solides, et puis un deuxième effort nous laissant plus que sceptiques. TOTAL LIFE FOREVER aiguillait le groupe du côté pop des Cure, avec certes quelques bonnes choses, mais souvent des redites soft du premier LP. Ou du sous-Radiohead dans le cas de Spanish Sahara. Concert donc: où nous assistons sans doute à l'une des pires premières parties vues depuis l'invention du iPod, The Invisible, sorte de sous-Foals/Bloc Party etc. Pas grave, les amis du Bad Bonn sont là et distribuent des masques en tête de chat pour leur actuel festival Für Katz, la foule est dense et s'y trouvent des suisses de Nyon à Zürich, en tout cas. C'est que Foals attirent le monde, plaisent tant aux avertis qu'aux humbles amateurs. The Invisible termine son pensum, on digère et on se sèche encore du déluge s'abattant sur la belle Fribourg.


Olympic Airways  pour lancer le concert de Foals. La bonne affaire: voilà sans doute l'un des trois meilleurs morceaux du groupe. Yannis Philippakis, chanteur, guitariste et frappeur aux gros bras de tom en son état, entame cette transe maladive, le reste du groupe suit, le batteur Jack Bevan semble fracasser sa caisse claire. Un symptôme se reportant sur tout le concert, les fûts cachant malheureusement ces pauvres guitares. S'ensuivent deux choses indistinctes du deuxième LP, pas vraiment mémorables. Pause d'esprit, pause de notre bougeotte. Cassius, direct, jovial et hymnique réveille le millier de spectateurs. C'est certain: ANTIDOTES est largement plus apprécié, et, grand bonheur, se retrouve en bonne place dans la setlist 2010 du groupe. Pop bof, Miami précède Balloons puis deux légéretés de TOTAL LIFE FOREVER. Avant la bénédiction. Spanish Sahara, aimante et rend dingue les gens. Sentiment pas franchement partagé certes, mais force est de reconnaître que ce morceau est devenu en six mois la carte de visite du groupe, son morceau identitaire à défaut d'être une grande composition. Pour le génie, on repassera, mais The French Open lui succède, et on préfère nettement ce Foals-là, martial, vicié, au bord de l'implosion, ralliant la folie de Konono N°1 à la classe des "wiggers" Talking Heads. Et si c'était tout simplement ça, la carte de visite de Foals ?


Constat: l'excellent Electric Bloom est ici quelque peu abîmé par un groupe en fin de tournée, sans doute cramé mais brave. Le rappel verra notamment les lourdaux The Invisible se joindre au groupe pour entamer un Two Steps Twice aux allures de bringue sombre, explosant en vol, méfiant, rusé puis musclé dans son final plein d'allégresse. Foals perd son swing à trop vouloir en mettre plein la vue. On a déjà Bloc Party, pas besoin de forcer sur le vu-mètre. Reste un concert en ciment, carré, quasi sans faute, dense et justifiant bien le statut actuel du groupe.

MIX TTAPE: Fichtre (CH)
























Premier post pour Think Tank! Et première mixtape!

Fichtre est illustrateur (VJ pour l’excellent Feldermelder, moitié de Themes, mais aussi professeur à l’Ecole d’Art du Valais), clippeur (Girls in The Movie des Mondrians), graphiste (les affiches et le site du RKC de Vevey). Son vrai nom est Mathias Forbach, il habite à Vevey, et a aussi joué récemment à la Superette de Neuchâtel.

Sa mixtape reflète son vaste bagage musical, entre James Holden, Prefuse 73, mais aussi Flying Lotus ou encore du local avec Pat V (du label Rowboat). Une belle entrée en matière pour Think Tank, et un honneur de recevoir cet artiste aux propriétés multiples.


 

A voir aussi: le nouveau Tumblr de Mathias.