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30 nov. 2012

La Superette toujours aussi club

Illustration: Tattoo By Jo pour la Superette

Après les bons souvenirs de l'édition de l'an passé, pour les 7 ans de déraison du festival, marquée par un visuel en mode club trash, on retrouve la Superette cette année avec une image à la limite du mignon, d'inspiration rockab, réalisée par l'ami Jo Germond. Alors, est-ce que le festival serait en train de virer plus rétro ? Pour y répondre, tête à tête chez TT.

Pierre: Ce retour à une forme d'authenticité rock se retrouve justement dans un label que la Superette a eu la bonne idée d'inviter: Rowboat. Il y a encore peu de temps, on se serait attendu à entendre des formations marquée électroniquement comme Buvette ou Überreel. Ce vendredi, au contraire, seront proposés la violence bien rock de WTF Bijou, duo batterie-guitare, suivi d'un DJ set de Pat V et ses trouvailles d'antiquités délirantes. 

Julien: Beaucoup de guitares, avec effectivement toujours en toile de fond l'électronique à La Case à Choc et le Queen Kong Club, vivant désormais exclusivement au rythme et horaires clubbesques. Le Centre d'Art de Neuchâtel (CAN) ouvre ses portes au festival – et gratuitement – avec des concerts de Perrine En Morceaux, groupe solo baroque et flibustier kraut ou du non moins impressionnant Syndrome WPW, autonome qu'on classe plutôt dans le post-hardcore. Le Théâtre du Concert accueille lui-aussi pour la première fois la Superette et laissera même la pop des grands airs de Rover (proche de Elbow) la disputer à la locale MLN en DJ set, ou Pol le lendemain avec l'DM de Mouse on Mars.

Pierre: Mais à part ces exemples fort recommandables, l'encre rock disparait ailleurs pour une programmation toujours aussi club, les mots techno et house revenant constamment. Le festival garde une ligne directrice qui fait plaisir en mêlant aux têtes d'affiche de jeunes DJs du coin pour leur donner une chance de faire se trémousser plein de popotins en même temps. Cette année, une bonne place est laissée au Anglais post-James Blake avec notamment Cloud Boat et surtout Koreless. On retiendra aussi un samedi soir extrêmement riche: au-delà du dancefloor qui claque de Para One, on pourra ainsi apprécier des sets aussi intelligents que jouissifs de Lil Silva de l'excellent label Night Slugs et de Kutmah. Pour ceux qui auraient absolument besoin d'un live, pas d'inquiétude, les allemands de Mouse on Mars viendront distiller leur glitch electronica. Pas de doute, la Superette n'a toujours pris la moindre ride pépére et reste toujours aussi déraisonnée.

Julien: On notera avec plaisir la présence de deux signatures de R&S Records au Queen Kong Club avec, hormis Cload Boat, leur compatriote UK Klaus le samedi. Le jour d'avant, le même club pillier de la scène musicale neuchâteloise devrait déborder avec le très alléchant Aquarius Heaven (signé notamment sur Wolf+Lamb) suivi de Subb-an et sa deep house logée chez Crosstown Rebels (Damian Lazarus, Art Department, etc), fin limier de la cause house. Sinon, tu parlais local: Mathieu Raetz, que les kids ne connaissent pas forcément, tapait sec et définitif dans les caves bien avant les années 2000. Le set sans doute le plus techno de cette nouvelle Superette, à la "Case" le vendredi, succédant à ses cordiaux voisins de La Mine Express et stimulant le terrain pour un autre "historique" de l'édition 2012, Marc Romboy, de Mönchengladbach (actif depuis la réunification allemande). Une autre époque, que la Superette s'amuse à catapulter contre des "actuels", en vogue, ou expérimentaux. La tendance électronique persiste donc, avec encore une fois de l'ouverture à des styles audacieux.

La Superette, 8ème édition, Festival de musiques actuelles à tendance électronique, Neuchâtel, 30.11.12 et 1.12.12,



29 nov. 2012

Les Urbaines 2012

Illustration: Les Urbaines (interprétation © Julien Gremaud)
Les Urbaines débutent ce vendredi. On s'immerge dans la programmation pléthorique, singulière mais pas hermétique d'une entité plus laboratoire d'idées, de pratiques et d'esthétiques que festival classique. On brasse les noms d'artistes comme les lettres du programmes et on esquisse un chemin probable.

L'anecdote maison: été 2010, gestation de notre projet éditorial. Parmi les préoccupations, la date de "lancement". Début décembre semblait approprié: les Urbaines représentaient une étape incontournable et plus qu'inspirante. Transdisciplinaire, innovante et enthousiaste. Mi-décembre 2010 naît Think Tank, sans fard mais avec quelques intuitions. On n'a pas été à l'heure donc – c'était l'histoire de quelques jours – mais on a tenté de suivre certaines leçons et formules de la manifestation lausannoise (parmi celles-ci, l'idée d'un événement sans têtes d'affiche, mélange des genres artistiques, gratuité) en tentant d'associer curiosité, assiduité, humilité. Et fun – tout de même. Novembre 2012, on reçoit le programme de l'édition post-jubilée (celle des 15 ans). On se rattache à quelques noms, seulement, dans les trois grands axes du festival (arts visuels, arts vivants et musique, parce qu'il faut bien un peu classer pour s'y retrouver), avec l'impression perplexe d'avoir presque passé notre temps sur Mars ou d'avoir mal fait ses leçons. L'équipe de programmation à six têtes permet en effet un renouvellement constant des artistes invités, des nouveautés et de son approche non figée; sur le papier, ça te donne deux douzaines de pages de descriptions et de noms ou collectifs émergeants, une quarantaine de propositions pour presque autant de formats artistiques et donc la peur au ventre. Maline, l'équipe des Urbaines proposait dans ses dernières newsletters des programmes ready-made et adopte la bonne attitude dans sa communication, histoire de "dégrossir" l'inventaire.


Les Urbaines n'imposent pas de circuits, de passages obligés ou de choix rationnels: à la lecture des projets et des artistes dans les archives des seize années précédentes, on pressent toutefois le risque de passer à côté du "truc" (entre Alain Declercq en 2010, Tim Hecker en 2007, Alexandra Bachzetsis ou Fabrice Stroun en 2003, tous devenus aujourd'hui des acteurs majeurs en art contemporain, performance ou en musique – on ne parle même pas de Paul Kalkbrenner en 2005, si si). Un peu dépassés par l'offre de ces trois soirées, on tentera la triangulation stylistique et on se rajoutera des contraintes sous forme de réglementent interne, histoire de pousser le vertige à son apogée: de 1, honneur à un art minoritaire chez Think Tank (performatif), où l'on pourrait ainsi débuter notre croisade par la prestation de Gregory Stauffer & Bastien Gachet, "The Red Factory" (La Datcha, vendredi-samedi à 20h, le dimanche à 16h). Les performances de Stauffer (voir ci-dessous) évoquent un Philippe Ramette ou encore "Les Idiots" de Lars von Trier. Le corps idiot certes, mais aussi fonction, apparent suivant la configuration de l'endroit (selon les préceptes de Felice Varini – des œuvres visibles que d'un point précis). Minimetal, formations exemplaire de la multidisciplinarité des Urbaines, duo zürichois dégomme sorti du format classique rock et présentant "Never Hang Around" à l'Arsenic (vendredi et samedi 22h30, installation, concert et performance sur les planches neuves de la petite salle. De 2, on se fiera à l'instinct sur d'autres spectacles performatifs comme procède Alma Söderberg et son lot de journaux à découper, sélectionner et réassembler au profit de sons et de mouvements. C'est au Théâtre Sévelin 36 vendredi et samedi 20h. Grouper le samedi à minuit, ce qui constitue notre véritable première incursion musicale, où le concert pourrait durer plusieurs heures suivant l'humeur de Liz Harris (jusqu'à 6 heures). Vous voilà prévenus. Sinon, sa musique fait partie des plus prisées du moment, icône pop ralentie, a-rythmique et en mode mineur.


La musique justement, avec certainement la tête dépassant les autres des Urbaines 2012: Hype Williams, que l'on peut suivre dans nos colonnes depuis un certain temps, projet crapuleux et parmi les moins "lisibles" du marché. Et donc excitant. Leur concert estival au Südpol de Lucerne n'était en fait qu'une … conférence pro-illuminati, menée par Inga Copeland, mise en écho(s) par Dean Blunt. Aucun risque de verser dans le côté glam de la pop, encore qu'un tel hermétisme pourrait ravir certains façonneurs de carrières. C'est au Romandie, samedi à minuit 30 – inutile de préciser qu'il y aura conflit avec Grouper. Précédera le duo britannique ce soir-là Lx Sweat aus Deutschland en première nationale (tout comme Grouper), du label en vogue Not Not Fun (Maria Minerva, Golden Donna, Samantha Glass), l'amour sous terre, l'enlacement monumental et la (body-)musique pénétrante. Mais revenons à nos contraintes, pour terminer ce chemin d'Urbaines: de 3, on grimpera jusqu'à Curtat Tunnel, impeccable espace contemporain, où un double vernissage nous attendra vendredi à 18h: Lucky PDF, quatuor britannique d'artistes misant sur les codes publicitaires, ainsi que les deux Françaises Aude Pariset et Juliette Bonneviot ("Last Spring/Summer") qui noieront leurs productions dans un aquarium, nous annonce-t-on. De 4, en redescendant du Tunnel, nous irons soutenir des jeunes artistes fraîchement diplômés d'écoles lémaniques à l'Espace Arlaud, avec la ferme intention d'envoyer des mots doux via "Grand Central", l'imprimante de Thibault Brevet qui substitue son installation relativement rudimentaire par une insertion dans le spectre large de la culture contemporaine d’Internet, sociale, mais aussi parfois anonyme et incontrôlable, pour se transformer en livre d'or online. On ira aussi saluer l'installation du très sympathique Augustin Rebetez, accompagné pour l'occasion par Noé Cauderay, "Hyper-maison" au même endroit; où, si l'accent des commis prête à sourire, l’œuvre foldingue de ces artistes jurassiens pétrifie et rappelle plus le lancé de pavé que les beach party de Moutier. De 5, pour terminer, on prendra sur nos heures d'études pour tenter de faire le tour des lieux occupés par la manifestation – en plus de ceux susnommés, Tilt Renens, Démart, la Place de la Riponne ou encore le Théâtre 2.21, présentant respectivement Pedro Wirz et Samuel Leuenberger, Hanna Perrry, "Drop City Revival" de la HEAD, et, le plus improbable, Tomas Gonzales avec "Je m’appelle Tomas Gonzalez et nous avons 60 min", le temps de plonger dans un karaoké absurde, ou pas tellement que cela.  


Il y a toujours plus malin, plus intelligent que nous Et surtout plus curieux. Les Urbaines te l’apprennent sans te le sermonner. Il n'y a en effet rien de pire que les discours pédants dans les circuits contemporains et musicaux. Là tu sens que tout peut exploser à chaque instant, que les gen(re)s ne font qu'un, réunis sous la bannière de la qualité et de l'indépendance (oh le gros mot). L'art scénique, plastique ou conceptuel, le propos enthousiaste et l'accès non exclusif. Et si vous pensez que tout cela n'est pas encore assez déraisonnable, jetez-vous au Bourg ce vendredi dès 22h30 avec "Baroque, Non Baroque: A story of proportionism" du néerlandais Peter Fengler suivi du lecteur-performer Anne-James Chaton, vous comprendrez pourquoi ici on ne parle plus vraiment de genres précis.


Les Urbaines, du 30 novembre au 2 décembre, Lausanne





26 nov. 2012

Kilbi im Überall

Hebergeur d'image
Illustration: affiche officielle (interprétation)
Kilbi im Überall: deux jours d'excursion zürichoise pour l'institution singinoise Bad Bonn, l'un des rares clubs suisses dont on parle effectivement à l'étranger, et son festival printanier la Kilbi. En 2011, c'était ”Kilbi im Exil”, sur deux clubs (Moods et Exil donc),  une première assez réussie pour ouvrir d'autres portes cette année (se joignent à l'aventure l'Helsinki et le Bogen F). On ne pouvait pas vraiment manquer ça à Think Tank.

« L'année dernière, c'était la Kilbi en Exil, composé autour d'un n'importe quoi inventé par une amitié zuricho-fribourgeoise; maintenant elle est (dans le) partout ». Le "n'importe quoi", c'était Thurston Moore, le "Gadget Inspector" Tyondai Braxton, le Glenn Braca Ensemble, Dillon, et beaucoup de compatriotes qui reviennent cette année pour la Kilbi "(dans le) partout": Kalabrese, Bit-Tuner et Feldermelder qui devraient finir par faire tomber le Röstigraben musical ou encore l'arme secrète de la maison, DJ Fett. Entourent cette armada des platines une affiche digne de la programmation de l'enseigne de Guin, et capable de remplir les lieux hôtes 2012. « Zurich n'a pas encore un vrai stade de football, mais des salles de concerts idéales où vous pouvez parler de football pendant les pauses de concert. L'Exil, le Helsinki, le Moods et le Bogen F en sont quatre ». On pourrait aussi imaginer que les traditionnels ”Hockey TV” sur grand écran s'y tiennent, histoire de préparer les deux soirées par une double victoire du club du pays face à Langnau et Davos. Plus sérieusement, concentrons-nous sur le reste des "grands noms", alliant la pop, le blues et le brut. "Unkommerzionell und geldgierig".


Jon Spencer tout d'abord, avec son Blues Explosion. Avant que tout le monde ne s'excite sur Strokes, Libertines et White Stripes, Spencer a constitué l'ultime rempart d'un rock attaqué de toutes parts: pour cela, ce dernier pourrait lui ériger une statue ou, du moins, lui être éternellement reconnaissant. Toutefois, les mots ne sont pas d'une grande utilité pour prouver la valeur du band: leur concert du vendredi soir au Exil (00:30) exécutera fièrement les préceptes électriques, ni ronronnant, ni conservateurs. Camilla Sparksss ensuite, entité insane de Barbara Lenhoff, prenant les directives de son groupe principal Peter Kernel pour se rapprocher d'Atari Teenage Riot. La furie est le samedi, 22h30 au Viadukt (BogenF). Les Californiens de Lucky Dragons pour garder les rythmes synthétiques et surtout conceptuels. En mars 2011, nous les avions rencontrés dans un aquarium, à Milan (l'Acquario civico di Milano). Où l'on devait tous se donner la main (« Nos performances en live sont conçues pour générer des situations où le pouvoir est partagé de manière égale entre les membres du public et nous même », affirme d'ailleurs Sarah Rara). C'est vendredi, 23h15 au Helsinki.


Conséquente, l'affiche überallienne sonne comme sa grande sœur printanière, où "l'esprit d'ouverture" n'exige même pas une érudition minimum comme billet d'entrée: on peut en effet se rattacher à des sonorités accessibles comme d'Efterklang, Father John Misty, Ravens & Chimes ou alors la pièce raffinée scandinave Jens Lekman. Le Suédois défendra son nouvel LP I KNOW WHAT LOVE ISN'T le vendredi 21h30 au Moods, un 10-titres de grandes mélodies d'intérieures, décoration parfaite à des films d'amour et des grandes résolutions. Proche forcément de Jay-Jay Johanson, Erlend Øye ou d'autres orfèvres pop, lyriques mais pas pompiers, descendants légitimes de l'idéal luxuriant de la Motown. Un sens mélodique que l'on retrouve fondu dans un dense nuage sonore chez Grouper: de Portrland, Liz Harris prend une guitare, un Wurlitzer et des pédales d'effets pour placer son drone sensuel du côté des grandes beautés contemporaines. Le Lo-Fi intime est à écouter en silence le vendredi au BogenF, 00h45. Terminons notre sélection éclectique par la présence historique de The Pyramids, pièce maîtresse d'un afrobeat influent et libre, au point qu'on l'amalgame souvent avec le Free Jazz. Leur récente reformation permettra au groupe de l'Ohio de relire un passé (trois albums dans les années 1970) oublié par l'Histoire de la musique. On va assurément décoller samedi (19h30) dans un Moods que l'on foulera personnellement pour la première fois – le club jazz fait partie des grandes adresses du genre sur le Continent.


Tout le reste de la programmation du festival Kilbi im Überall sur leur site web, avec d'autres phrases définitives de la trempe de celle-ci: « Et comme souvent, personne ne se conduit mal envers la bonne musique ».

Kilbi im Überall - 7./8. Décembre 2012 - Zürich 


19 nov. 2012

GIFTT: Vaghe Stelle - Voudu Deus

Illustration: Club Superette
Pour la première fois, Think Tank se la joue père Noël et t'offre des trucs. On commence avec un morceau inédit de Vaghe Stelle, histoire d'étrenner cette nouvelle rubrique. "Voudu Deus", donc, que tu ferais bien de télécharger parce que c'est un sacré trip. Sensuelle et hallucinée, la musique de Vaghe Stelle ouvre les portes d'une scène électronique italienne aux frontières quasi-inexistantes. Pour ton lundi post-apocalyptique, un morceau un peu cosmique à la lenteur enivrante, un univers entier en quatre minutes. 

15 nov. 2012

S(m)e(u)n(s)s(i)u(q)e(u)l(e)le s(h)é(a)d(n)u(t)c(é)t(e)ion : Holy Other et How To Dress Well

Photo: Tiphanie Mall


Alors que le monde arrive à sa fin, tout tend à fusionner vers un abysse vertigineux, les catégories se brouillent de plus en plus. Au point que des groupes classés jusqu’à présent comme musique hantée se sont parés de sensuelle séduction. Holy Other et How To Dress Well, les spectres de Tri Angle, allument les bougies, ouvrent leurs chemises pour laisser paraître les goutes d’eau de Cologne qui coulent le long des poils de leur poitrine.


Nous sommes ces gens stupides qui faisons la fête sur le toit d’un immeuble dans Independance Day, attendant ce moment où l’univers tout entier plongera dans un énorme trou noir et s’autopénétrera dans un orgasme cosmique. Entrant en fusion, chats, aliens et Daniel Craig ne seront plus qu’une même masse liquide se frottant perpétuellement en tout point. Le processus, menant à cette extase apocalyptique comme un grand ragout, s’est déjà mis en marche et les parois, les voiles et les paravents tombent les uns après les autres et font se confondre les différentes dimensions de ce monde. En musique, des termes comme after-pop et post-mainstream ont tenté de cerner cette disparition des différentes frontières de ce champ, que ce soit entre les différents genres ou entre mainstream et underground. Deux des catégories que j’ai élaborées pour Think Tank, la musique hantée, faite de voix ralentie, de basses profondes et d’ambiance spectrale, et la sensuelle séduction, marquant le retour d’un hédonisme décomplexé où désir et sentimentalisme s’exprime sans second degré, s’entrechoquent et se confondent. En effet, deux artistes du label Tri Angle, central dans le genre musique hantée, ont sorti le gloss pour leur nouvel album respectif.


Le premier album de How To Dress Well, LOVE REMAINS, se basait déjà sur un R’N’B’ larmoyant avec une voix osant des aigus et des trémolos hors de sa portée. Mais ces éléments n’étaient audibles que sous une masse expérimentale faite d’étouffement de la voix, de boucles bricolées au premier plan et de samples peuplant densément les titres. Avec TOTAL LOSS, on se rend compte que l’on s’était trompé. Ce n’était pas du R’N’B’ hanté par des spectres mais bien une musique bricolée hantée par un du R’N’B’ pur sucre, dont le fantôme a fini par prendre totalement possession du corps qu’il parasite. How To Dress Well, c’est vraiment Usher qui serait né dans un corps de grand maigre blanc. Il n’en a pas la voix mais néanmoins il ose non seulement en faire le point central de sa musique mais en plus il tente de l'utiliser pour invoquer l’histoire complète du R’N’B’, que ce soit dans son versant ballades tristes ("Cold Nites") ou dans un registre néo-soul qui n’est pas sans rappeler Jamie Lidell ("Running Back"). Désormais chez Weird World Records, How To Dress Well s’est libéré des marques lo-fi pour laisser exploser son amour et sa sensibilité. On pourrait parler ici de travestissement dans le sens où l’aspect contre-emploi saute aux yeux dans un premier temps, avant que l’on ne voit plus que le rouge à lèvre et les strass genre. How To Dress Well est  une forme de travestissement à paillette. S’il faut jouer à quelque chose, autant aller jusqu’à adopter la panoplie complète pour chanter avec classe et laisser éclater des émotions trop pures pour ne pas paraître sincère, comme seuls la soul et le R’N’B’ savent le faire. Dans LOVE REMAINS, How To Dress Well met encore plus sa voix en avant, variant entre soupirs, pleurs, sexiness et montées très haut. En arrière, les samples et pads utilisés ont été énormément épurés, utilisant également des instruments classiques à corde, piano et des guitares, ce qui donne un aspect très chic à un album qui réussit comme rarement  à allier simplicité de production et pureté du son. Ni grande pompe, ni crade, juste chic. A part quelque fois où le résultat ressemble à du Andrew Bird, notamment sur l’évitable titre instrumental, les chansons de TOTAL LOSS manient parfaitement l’art de la galanterie et des larmes chaudes avec de vraies tubes. Tu ouvriras ton coeur sur "Ocean Floor For Everything" avant de claquer des doigts tout en séduction sur "& It Was U". Qui pourra encore dire que les blancs ne savent pas chanter du R’N’B’. 


 Le changement de registre est beaucoup moins marqué chez Holy Other. Néanmoins les basses sombres et les voix ralenties présentes sur "Yr Love" ont presque totalement disparu sur HELD ou du moins été fortement adoucies. Moins dans l’épanchement, le son assume néanmoins plus un côté tendre et sensuel. Une des formations les plus talentueuses du label Tri Angle en live garde la même recette mais en perdant en haché ce qu’elle gagne en douceur. Ici la musique reste hantée mais par de tendres succubes. A l’image de la couverture de ses albums, les titres de Holy Other font se soulever les draps non pas dans une excitation animale mais dans une langueur mélangeant désir et tristesse. Les voix ne sont samplées que pour faire entendre des cris ou des soupirs. On n’est pas là pour discuter. HELD, sans fausse note et sans baisse de régime, déploie une maitrise d’une musique hantée adoucie mais toujours aussi prenante et intense. A force d’user de nappes orgasmiques, la musique d’Holy Other finit par prendre des airs de soul réinventée sur des titres comme le magnifique "U Know" ou encore "Held", "Past Tension" et "In Differences". HELD vient prouver que si Tri Angle a su garder la forme, c’est en faisant de sa musique hantée autre chose que de l’agressive dubstep ou de l’éphémère Witch House. Les spectres ont pris des airs mélancoliques pour des albums limpides assumant leur face romantique, plongeant de façon plus introspective qu’exutoire dans une mise en musique d’un nouveau mal du siècle. Balam Acab et maintenant Holy Other ont donné des premiers signes de ce virage soulesque du label, trahi également par la production d’un premier EP d’AlunaGeorge, aujourd’hui au top du tube au sein de la nouvelle scène dark wave britannique avec l’assez-bon-un-peu-hanté-mais-quand-même-hyper-FM "Your Drums your Love". On vous laisse avec le clip témoin de ce tournant love au possible de la musique hantée.


14 nov. 2012

Looper : la science-fiction en lévitation

Illustration : Charlotte Stuby
Looper est le quatrième film de Rian Johnson, dans lequel s'affrontent Bruce Willis et Joseph Gordon-Levitt, deux acteurs jouant le même personnage (Joe) avec 30 ans d’écart. On y parle de télékinésie, de la fin du monde, de courses-poursuites, et de machines à remonter dans le temps. Un plot qui sent le blockbuster pourri à plein nez. Et pourtant, on tient ici l’une des merveilles de l’année. 

La science-fiction est un monde étrange. Parfois ça casse, même si l’image, les effets spéciaux et la fan attitude sont au rendez-vous (Prometheus) ; parfois c’est loupé même si la base est de qualité (Marcel Aymé pour In Time de Andrew Niccol) ; d’autres fois on adulte alors que le scénario et les personnages sont ridicules (Star Wars) ; puis enfin, il y a, une fois par décennie, une bombe, une explosion, un cataclysme, un volte-face, l’exception qui confirme la règle. Looper contient ainsi tous les éléments qui plairont aux fans de science-fiction, mais aussi un nombre important de points forts qui séduiront le novice. Explications.


Diptyque
Déjà, il y a Joseph Gordon-Levitt. Dans son meilleur rôle, avec une aura immense, une gueule de plus en plus mûre et tranchante, incarnant une sorte de sosie d'Anthony Perkins dans Le Procès. Il y a aussi le Bruce Willis que l’on aime, qui n’en fait pas trop, inattendu et vieillissant, dans un rôle écrit pour lui, entre Pulp Fiction et L’Armée des douze singes. La distribution est parfaite, allant jusqu’à embaucher Jeff Daniels dans le rôle du grand méchant patron. Côté féminin, la distribution est plus discrète et il faut d’ailleurs attendre la moitié du film pour voir apparaître le figure penchante de Gordon-Levitt. Looper se décline d’ailleurs en deux volets : le premier, aérien, intense, extraordinaire et masculin. Soirées entre mecs, drogues, prostituées et fric se reflètent. Tout va très vite sans jamais perdre le spectateur, offrant un rythme tarantinesque à un film de science-fiction alors que l’on attendait plutôt une ambiance à la Bourne Legacy et cie. Que nenni ! La première heure fait même penser à Fight Club, à du très bon Fincher quoi, sans le copier.

La deuxième partie est basée sur l’attente, sur la recherche de l’enfant-élu (Matrix n’est pas loin non plus), sur la défense du territoire, et le basculement du destin. Le second volet est ainsi résolument féminin : calme, plus doux, éloigné de la ville et protecteur. Mais la transition n’est pas violente du tout. Tout est fait en sorte de bien guider le film sur un scénario écrit à l’encre d’or. Le voilà, d’ailleurs, la plus grosse prouesse du long-métrage de Johnson : son script.


Un Inception sans Dafalgan
Car honnêtement, après le joli mais tremblotant The Brothers Room (2009), on pouvait craindre le pire pour Looper. Dans son précédent film, les idées générales étaient bonnes, mais l’ensemble trop ennuyant et tout partait un peu trop dans tous les sens. Ici, Johnson réussi l’impossible : tenir un scénario cohérent avec des machines à remonter dans le temps. Durant toute la première demi-heure, on craint de ne pas bien comprendre alors qu’en fait, le rythme imposé de tomber dans une réflexion inutile. Looper est alors conçu comme un labyrinthe pour enfant, faisant croire à la difficulté sans jamais être pénible. C’est du Inception sans Dafalgan, c’est du Spielberg réussi, pour adulte, du Fincher applaudi.

Le scénario n’est pas une adaptation littéraire d’un K. Dick ou d’Orwell, et on pourrait y croire ! Non, tout est venu de la tête de Rian Johnson, dans la droite lignée de La Jetée de Marker. Sans rien vouloir dévoiler, le film joue d’une manière extrêmement convaincante sur le changement de focalisation du personnage Joe (entre le Joe du présent et celui du futur) et ne s’emploie pas à la simple course-poursuite des deux personnages au milieu de barrières temporelles. Le film est va plus loin, est plus malin, plus altruiste, comme le montre la majorité de ses plans, jamais "m’as-tu vu", toujours façonné de manière singulière et percutante. Looper peut ainsi sans problème être considéré comme le meilleur film de science-fiction depuis Minority Report ou le premier Matrix, avec classe et sans redite. Et ça remonte à plus de dix ans. Chaque décennie disait-on !


12 nov. 2012

TT Books: Pauline Beaudemont, The Robert Johnson Book & Olaf Nicolai

Illustration: Julien Gremaud














































Dans ses nombreuses colonnes, Think Tank s'engage pour un dialogue entre les disciplines et les différents formats.  Si le livre "grand public" souffre, il n'a peut-être jamais été aussi libre, remarquable et ancré sans son époque dans sa forme "illustrée" et d'auteur. Pour cette nouvelle escale des TT Books, on évoque le livre – d'art – sous le signe de la communauté, s'affranchissant d'un circuit musical qu'on croit rôdé et rationnel, transcendant son support numérique originel, ou livrant un catalogue non exhaustif mais glacial des appellations contemporaines d’interventions militaires. Où l'analogique et le numérique sont bien plus proches qu'on peut le croire…

Ah le Robert-Johnson… On peut avoir parcouru un grand nombre de clubs allemands sans jamais n'avoir su (ou pu) trouver l'énergie pour l'atteindre. Sis à Offenbach am Main, ville adjacente à Francfort, il n'avait pas vraiment tous les arguments pour être "l'un des clubs les plus cools d'Allemagne" dixit le magazine de l'hebdomadaire Die Zeit – tant géographique, architectural que culturel. Pas tant qu'il fut créé par des amateurs en 1999 (notamment par le DJ Ata), empruntant son nom au bluesman dont on dit qu'il vendit son âme au Diable, ou qu'il vola cette histoire à un homonyne; dans tous les cas, Johnson composa finalement des morceaux seulement trois ans avant sa mort, en 1938 (oui, le 27 ans, le premier). C'est un raccourcis rapide, mais le Johnson du même nom à Offenbach n'aurait pu survivre que trois ans à ses premières émissions électroniques que cela n'aurait étonné personne de loin. De près, on notera quelques pistes expliquant sa longévité, prétextant la sortie de ce livre, "Come on in My Kitchen: The Robert Johnson Book" (publié par JRP|Ringier pour la série Christoph Keller): un line-up gardé secret jusqu'aux premiers tours de platine lors de chaque soirée (la démarche durera jusqu'en 2008), histoire d'éviter les clubbers attirés que par les gros poissons, une programmation exigeante mais très portée sur la danse, une position solide sur la culture électronique et comment la faire vivre trois jours (voire plus) par semaine avec le bon mythe de la cuisine, un programme conséquent de LP de mixes et autres 12'' (distribués par Kompakt, la plupart écoutables sur leur Soundcloud). Et puis des mecs hyper fort à la communication, avec des slogans géniaux à la clé ("Were You Drunk Or Not When You Said You Missed Me", "Yes It's Loud Enough", "Robert Cantona Johnson" ou encore "Offenbach ist nicht Berlin"). Bien sûr, les sceptiques feront remarquer que la musique électronique est là pour faire la fête et ne doit pas être elle-même glorifiée dans un tel ouvrage de près de 400 pages; que le Robert-Johnson est depuis longtemps devenu une adresse au marketing bien rôdé et que le mythe a joué en sa faveur; que de toute façon Boston ou Montréal, c'est bien mieux que Berlin ou Francorft; et puis que le jour où la GEMA fonctionnera vraiment chez nos voisins teutons, tout ce beau bordel de clubs disparaîtra pour laisser  la place à de beaux espaces verts. En attendant, il suffit de peu: se connecter sur le site web du club, laisser le stream d'un DJ set du mois dernier tourner et d'ouvrir ce bel ouvrage aux interviews flashbacks mais sans nostalgie, entretiens fleuves avec Ata notamment mais aussi des contributions de proches, DJs et artistes tels que Roman Flügel, Tobias Thomas, Ricardo Villalobos, Stefan Marx, Marc Krause. A l'instar des séries photos, ça part un peu dans tous les sens, avec entrain, emphase et perspectives pour le futur. Un livre pour fêter les 13 ans du club, histoire de légitimer encore un peu plus son influence considérable – épuisé, le livre présenté ci-dessous vient d'être retiré pour une seconde édition cette fois-ci autopubliée en format traveller.

9 nov. 2012

Trash Love II: Ariel Pink, Maria Minerva et 情報デスクVIRTUAL

Hebergeur d'image
Illustration: Markus Marys
L’amour et la fétichisation des déchets battent leur plein. Le modèle absolu de perfection culturelle se formule désormais en terme de trash deluxe: un hamburger avec pain maison, moutarde à l’ancienne, figues et noisettes, viande d’élevage. Ou pour ce qui nous intéresse ici, l’art de la récupération d’anciens rebus en musique. Que ce soit en transformant la pop en chansons barrées avec Maria Minerva et Ariel Pink, ou en érigeant la musique la plus illégitime en sommet émotionnel avec 情報デスクVIRTUAL.

La pop contemporaine semble envahie par une fétichisation des déchets, que l’on désigne souvent par un terme devenu terriblement englobant  et qu’il s’agirait sûrement de prendre le temps de redéfinir profondément : le kitsch. Celui-ci se lit derrière le pullulement de saxophones, l’adoration vouée à la pop coréenne ou encore cette recherche du son de synthé le plus démodé et commicool possible. Cette quête du kitsch s’accompagne parfois d’un élan proprement romantique : la nostalgie face aux ruines. Mais si pour les nouvellistes de la fin du XIXème siècle ces ruines se rapportaient à l’antiquité, aujourd’hui, la perception du temps s’étant accéléré en même temps que les liens avec toute autre passé que récent se sont amenuisés, ces ruines font désormais appel à ce passé lointain, à la fois mystérieux et magique : les années 80 et 90. Le projet de 情報デスクVIRTUAL s’inscrit pleinement dans ce type de démarche. Il plonge la tête la première, sans se pincer le nez, dans les poubelles musicales « antiques », grignotant un reste de musique d’ascenseur, léchant le fond d’une musique promotionnelle et s’empiffrant de musiciens de seconde zone. Cette utilisation, notamment de publicités, on l’a trouve aussi chez Oneothrix Point Never, en particulier dans REPLICA. Mais chez ce dernier, les sons-sources étaient rendues méconnaissable par une expérimentation poussée ou gardés seulement lorsque leur côté risible les rendait facilement utilisables. Chez 情報デスクVIRTUAL, la matière première s’offre aux oreilles de manière brute. Ici pas de ridiculisation, d’appropriation détournée, de mise en perspective. 札幌コンテンポラリー n’est pas un déguisement, une citation, cet album pousse l’appropriation jusqu’à l’incarnation. Si tu vénères les ambiances cheesy porno, cesse de t’agenouiller devant des fausses idôles qui ne font que jouer, reconnaît la grâce de cette véritable essence qui baigne de sa présence universelle un monde au-delà du sexe, peuplé de publicités pour des salles de gym, de musiques de salles d’attentes, de mélodies pour centre commercial, notre inconscient musical à tous. Ca sue, ça suinte et ça se sent dès le titre des différentes plages. Tout commence avec "WELCOME 2 SHOP@HOME NETW☯RK LLC #WEEDBREAK #ROLL_UP_THEM_BLUNTS_FOR_2K12". Le rêve de cet énoncé ouvre sur un funk la chemise ouverte, les synthés sous les aisselles. "ODYSSEUSこう岩寺「OUTDOOR MALL" fait résonner le synthé comme personne ne l’ose mais tout le monde le rêve. C‘est tellement gluant que cela en devient irréel. "iMYSTIQUE エジプト航空「EDU" et "”GEAR UP” 4 FLIGHTシアトルズベスト" ose une figure impossible : titres mélancolique à partir d’orchestres péruviens à flute de pans. « T E S T A R O S S A interLude ~ iNTELLiMAX RELEASE GROUP PRESENTS » réalise un rêve dont on ignorait l’existence : une bande son guillerette et psychédélique de boite à cul. "MARBLE白鳥" donne envie de courir en sautillant au supermarché le plus proche pour acheter plein de super choses. Une avalanche d’étrangetés qu’on écoute finalement agréablement malgré tous les warning envoyés à notre cerveau par notre centre du bon gout. 


Dans un tout autre genre et finalement bien plus sage, Maria Minerva et Ariel Pink font aussi les poubelles. Mais ces derniers ne trainent pas dans les taudis, ils lancent un regard sélectif sur les emballages trouvés dans les quartiers les plus chics de l’histoire musicale, c’est-à-dire la pop des années 60 et 70. Plutôt que de rafistoler les produits congelés pour les faire paraître comme neuf comme le font par exemple Tame Impala, ces deux barrés préfèrent passer la pop au tamis underground, plongeant la pureté des mélodies dans un mélange aqueux de lo-fi. La pop de Maria Minerva et Ariel Pink est maquillée comme on le dit d’une voiture, sauf qu’ici le caractère trash, un peu merdique et bricolé du maquillage est valorisé. Après BEFORE TODAY qui marquait une production bien plus propre, Ariel Pink repart dans un son moins lisse tout en ayant garder quelque chose de la limpidité de cette expérience. On retrouve, dans MATURES THEMES, cette naïveté barrée qui écrirait une chanson des Nuggets en ayant l’impression d’avoir tout inventé à nouveau. A part "Only in my dreams", peu de titres atteignent la perfection pop de certaines chansons de BEFORE TODAY, l’ambition ayant peut-être cédé à l’excitation. Cette dernière prend malgré tout souvent des allures de virtuosité. "Mature Themes" fait très fort dans le registre chanson sentimentale. Avec sa formule à base de guitares approximatives, de rythmes simples, de mélodies accrocheuses, de synthétiseurs bien psyché et d’expérimentation loufoque, Ariel Pink’s Haunted Graffiti parviennent à rejouer une pop retro de façon tellement barreé, qu’on croit volontiers que leurs emprunts sont toujours inconscients. Les plus disco "Symphony of the Nymphs" et son « She’s a nymph(o) at the disco » ou "Pink Slime" sont de ces délices qui, brouillant la mémoire, parviennent à noyer le rétro pour en faire un plaisir dont la jouissance refuse tout conservatisme et toute glorification d’un bon vieux temps du rock dont il faudrait préserver les derniers bastions. 


Dans la musique de Maria Minerva, le tamis lo-fi et expérimental laisse passer moins d’éléments pop, se nourrissant de la dépouille de genres moins évidents : de la disco barré, de la transe, de la pop gaie, de la dance mélangés à une base de chansons proche d’un psychédélisme solo à la Syd Barett. WILL HAPPINESS FIND ME regorge de bruits bizarres, de mélodies superbes mais volontairement chuchotées, comme si on entendait une chanteuse folk à travers la grille d’un back room habités par des nappes électroniques en pleine tension. Variant entre tubes sous influence rave ("Sweet Synergy", "Perpetual Motion Machine"), grandes chansons ("The Sound", "Mad Girl Love Songs"), balades magnifiquement étouffées ("Never Give Up "), Maria Minerva fait finalement exactement l’inverse d’Ariel Pink. Plutôt que de prendre de la grande pop pour la maquiller et en faire des délires sucrés, elle prend des styles étranges comme base pour les déguiser dans des ballades à la fois surprenantes et agréables. Au bout du compte, que ce soit au niveau de la qualité des influences, de l’écriture ou encore dans l’inventivité, tout semble donner raison au procédé de Maria Minerva.



7 nov. 2012

Au nom du père, du fils et de M : le trio familial de Skyfall

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Illustration: Skyfall / Julien Gremaud



Un nouveau James Bond est toujours un événement. Un évènement commercial bien sûr. Un grand film plus rarement. Sans surprendre, Skyfall réutilise tous les outils et instruments qui construisent le mythe, en les détournant sans les égratigner, et sans jamais entacher et frapper l’agent. En restant britannique quoi, sage mais classe.

Tous les long-métrages de l’agent secret britannique épongent le cinéma contemporain. Vulgairement, les producteurs regardent ce qui marche autour d’eux et engagent ensuite un réalisateur qui devra suivre des normes et un scénario préétabli réunissant les valeurs actuelles qui attirent l’œil et le porte-monnaie du spectateur. Exemple facile : à la fin des années 70, après le succès phénoménal de Star Wars, United Artists décide d’envoyer James Bond dans l’espace. Et quand en 1992 tout le monde court au cinéma voir Sharon Stone et Michael Douglas baiser pendant un bon quart d’heure, le sexe revient de plus belle avec une tueuse sexuelle dans Goldeneye, une année après. C'est l’influence de Nolan qui se lit en filigranes dans Skyfall, avec un méchant qui reprend un plan semblable à celui du Joker dans The Dark Knight. Mais je préfère me stopper ici dans la critique de bas-étage et parler d’un élément qui me semble plus particulier.

Ce n’est ni les scènes d’action (on vous laisse comparer les ouvertures de The Dark Knight Rises et Skyfall… bon d’accord, il est difficile de faire plus fort que Nolan à ce point là), ni le scénario, ni le générique (pourtant excellent, l'un des meilleurs de la série sans aucun doute !) et encore moins les acteurs (quoi que Craig tient ici son meilleur rôle de Bond), qui m’intéresse. Non. C’est plutôt la mission (si elle en est une) qu’a tenu à donner Sam Mendes au plus célèbre agent secret du monde : protéger M, la directrice du MI-6. 


La mère
Disons-le tout de suite, là où Skyfall peut se vanter d’être entièrement nouveau dans la série 007, c’est qu’il est le premier Bond où il n’y pas de James Bond girl. Exit les Ursula Andress et Daniela Bianchi, et place à la figure maternelle de M. Certains me contrediront puisqu'on y rencontre la délicieuse Séverine (Bérénie Marlohe) qui se trouve sur la route de l'agent secret en Chine. Ok, mais sa présence sert plus à remplir la case « bombe sexuelle » dans le cahier des charges de la Century Fox qu’autre chose. Ou comme Ian Fleming le dit lorsqu'il balance la description d'une parfaite James Bond girl : "qu'elle sache s'habiller, sans trop de bijoux, convenable aux cartes et avec un grand sens de l'humour". Dans le scénario, Séverine ne sert à rien. Elle est même réduite à être un appât qui attire Bond vers Silva, le grand méchant. Elle est liquidée, ce qui n’arrive d’habitude pas (ou peu) aux autres James Bond girls. Et une fois tuée, on n’y croit pas tout de suite, c’est trop facile, trop rapide. Mais Bond s’en fout, parce que celle qu’il aime dorénavant, c’est M.

M, c’est la figure maternelle par excellence : c’est elle qui dirige les petits agents du MI-6, c’est la femme trop vieille pour être désirée mais qui garde tout de même une beauté distante et british, donc peu charnelle. "M", c’est Mother, c’est Maman, c’est même « Madame » comme la nomme Bond dans le film. Un « M’dam » dit si vite, qu’on peut le confondre avec « M’am », l'expression universelle employée pour dire « maman » en anglais. Le plus surprenant est donc cette éjection de la James Bond girl pour se centrer sur l’importance de M. James Bond pardonne même à M d’avoir donné l’ordre de le tuer. Bond pardonne tout à M et l’emmène au nord de l’Ecosse pour la protéger contre Silva, un domaine étrange où Bond est né et a grandi.


La famille réunie
Le fils, vous l’aurez compris, c’est Bond. C'est lui qui décide de se réfugier avec Mère pour retrouver le foyer de son enfance et s’y blottir. Et là, comble du trio d’Œdipe, qui se cache dans la tanière surnommée « Skyfall » ? un vieux barbu, exactement de l’âge de M, protecteur et père d’adoption du jeune James (son nom est Kincade). Tout le monde se retrouve alors dans le vieux pays brumeux et froid afin de réunir une fausse famille en un final grandiloquent et shakesperien. Kincade prend ainsi soin de M, en lui donnant une jolie écharpe qui sort d'une caisse poussiéreuse. Tout ce petit monde prépare à se défendre de l'attaque de Silva et de ses hommes, rappelant le Moyen Age et l'attaque du château fort, afin de tuer la Reine. 

Lorsque Silva débarque en deux temps, le plus important est de protéger la Mère. Celle-ci sera d'ailleurs accompagné du Père pour s'enfuir à travers un trou sous la maison. C'est le fils qui leur demande de s'abriter, le temps que l'orage passe. Après de multiples explosions et un hélicoptère qui se fracasse dans le manoir, le trio se retrouve dans la petite chapelle du coin, face à Silva, seul, revenu des flammes.

L’unique objectif de Silva est de tuer M, et de mourir avec elle par une balle de pistolet. Le père, à côté, n’ose broncher. Il n’est alors plus qu’une simple présence de fond, qui n’a aucun pouvoir sur la scène, puisque c’est M qui attire les convoitises, l’histoire et le drame. Silva veut mourir avec celle qui a été un jour sa (Mère) supérieure, comme jaloux de ne plus être sous ses ordres, honteux d’avoir perdu sa place au sein de la famille, lui, le plus discret des frères. M finira par mourir dans les bras de son fils et sous les yeux du père, cloîtré avec son fusil dans un coin de la chapelle, évoquant presque une peinture classique romaine. Skyfall gagne alors en intérêt et en prestige, dans cette réunion familiale symbolique inattendue, où les valeurs de la famille prennent le dessus sur les aventures charnelles et récurrentes du héros. Pour un temps donné en tout cas.

1 nov. 2012

Love and 8

Illustration: affiche officielle (détails)


Creaked Records fête ses huit ans sur un week-end format champion, avec trois soirées et un après-midi. Le temps de faire jouer toutes ses signatures et de les entourer d'artistes en pleine actualité. Le bon moment pour prouver encore une fois l'importance de la culture club transgenres pour la ville de Lausanne.

Politiser un tel évènement serait lui faire de l'ombre. Ceci dit, il est intéressant de voir ce chevauchement d'actualité comme une drôle de coïncidence, alors qu'on commence à s'inquiéter quant aux capacités de discernement des élus à la sécurité de la Ville. En huit ans, Creaked Records aura vécu le renouveau réel d'une véritable scène live (2004, avec le Romandie… au Romandie, puis les Docks, une année plus tard, notamment), puis ce qu'on décrira sagement comme une libéralisation d'une autre scène, celle de clubbing. Une scène qui certes n'est de loin pas homogène et encore moins des plus love, ni victime ni coupable du nouveau mode ghetto de la Capitale. 2012, on ferme donc les vannes, on en reparlera c'est sûr. Les acteurs d'une scène électronique (et de musiques actuelles) de qualité pourraient en être les premiers touchés: parmi eux, Le Bourg, Le Romandie, La Ruche. Ceux-ci même qui accueillent le label lausannois presque entièrement pensé et géré par Leo Wannaz. On souhaite qu'il n'y ait pas d'esprit revanchard ni de victimisation; l'affiche proposée durant ces quatre sessions parle d'elle-même. Que ces messieurs de la sécurité et de la police n'y connaissent rien au point d'éviter ces festivités est défendable. Qu'ils se méprennent sur les effets de ce genre d'événement est délicat, au point de menacer à court terme la présence locale de Creaked Records – pour qui la scène représente bien plus que de simples DJs sets envoyés nonchalament – ainsi que celle de ces institutions pointues, tolérantes et le plus souvent à majorité associatives. 


On préfère ainsi parler musique en attendant un véritable dialogue sensé et responsable entre gens du métier, passionnés et acteurs politiques, de la sécurité certes, mais aussi, et surtout dirions-nous, de la culture. Bref, cet aparté digéré, on s'envole dans les hautes sphères du programme présenté par Creaked: ce soir-même (jeudi 1er novembre), avec la présence de deux valeurs sûres du catalogue. Oy, d'origine ghanéenne, vivant entre Berlin et Zürich et déclinant ses aptitudes musicales entre son projet solo sus-nommé et Lauschangriff, Infinte Livez & Stade, Filewile, ainsi que Phall Fatale. Le même soir, le Mancunien Joe Galen, brave officier d'un électro-folk qui ne veut que très peu et qui mériterait d'autres égards. En fin de première session, Creaked présente une signature d'un label proche, Wagon Repair: le Canadien Hrdvision livre des sets qui plaisent tant aux habitués du Berghain berlinois qu'aux érudits de musique minimale contemporaine. Non loin de ce dernier, Nathan Fake qu'on ne présente plus, figure de proue actuelle de Border Community, un troisième album sous le bras (Steam Days) et pas mal d'aptitudes en live. A ses cotés, les toujours bien trop discrets Larytta. Inventifs mais aussi frustrants pour de nombreux suiveurs avec en effet une présence très mesurée. Ces mecs qui auraient pu devenir des stars indés préfèrent tracer leur route comme pour mieux s'ériger en hérauts de Creaked. Scout Klas (Suède) complète cette soirée du vendredi 2 novembre au Romandie de Lausanne.


Le dernier soir du Love and 8 pénétrera la Ruche, crainte par les autorités, encensée par une armée de joviaux clubbers. Pas de tech-house ce soir-là mais du massif londonien avec Sigha de Hotflush Records. Le local Julien Aubert et Isolated Lines complètent la soirée. Le lendemain, dans un lieu encore tenu secret, on assistera dès 14h30 à Dam Mantle, Dub-A-Baut (du label Fayabash qui organise chaque année Electrosanne) ainsi que Dimette.  Dam Mantle fait partie des bonnes adresses indépendantes. Par contre, il faudra avoir assisté à l'une des trois soirées afin de pouvoir venir terminer cette célébration de toute bonne facture. En principe, huit ans ne se fêtent pas: une raison supplémentaire d'affirmer son éclectisme et de rivaliser avec des festivals internationaux de grande envergure.


01-04 Nov: LOVE AND 8 - Creaked Records fête ses 8 ans