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18 juin 2013

Kino Klub: Y I DO – Art Basel 2013 (CH)



De retour de Bâle pour la 44ème édition de sa foire d'art de tous les superlatifs, on encaisse les jours torrides après les avoir évités durant une semaine, la chemise fraîche dans les travées resserrées de la Hall 2 et du toujours excellent Statement, la tête penchée en arrière à Unlimited, le pas leste aussi, parfois, malheureusement dans cet espace XXL, qui a, cette année plus que jamais, laissé perplexe. Qui de Jaar, Huygues ou Ai Weiwei en forme de redites, ou de travaux pas franchement enthousiasmants, trop souvent hermétiques par trop de monumentalité (Clark), d'académisme ou de d'anecdotique (la disco Chaimovicz, la déception Demand, la baleine carrolée de Landers, l'intestin cotonneux de Ouklanski), ce grand WTF d'art contemporain prêtait parfaitement à une appropriation désinvolte; en 3 petites minutes, ce duo helvétique passe d'Armleder au coup de fil de Hirst pour réactiver un nouvel épisode de la thématique "les rappeurs et l'art". Tout y passe, entre pas de danse sur fond de Schütte ou du Suisse Klein, fornication du Erik Van Lieshout, sans manquer l'une des rares satisfactions d'Unlimited, la pièce entière réservée aux peintures de Förg. Moins exhaustif que Frieze et moins racoleur que leurs confrères, mais sacrément judicieux à l'heure des comptes (et des souvenirs).

2 juin 2013

Kilbi 2013: samedi


Illustration: Guillaume Dénervaud
Le dernier soir fut sans aucun doute la meilleure soirée de cette édition du Kilbi. Normal avec Andy Stott, Death Grips ou encore les Flaming Lips. Une programmation tellement riche qu’on a même dû se résoudre à rater certains concerts. Une fois encore, coup de main tierce pour ne rien oublier, ou presque.

Pierre: La fatigue et le froid commencent à gagner du terrain. Certains compensent en faisant du shopping, d’autres en multipliant les repas, d’autres encore en squattant le club toute la soirée. De mon côté, c’est mon tour de conduire. Sous vos yeux, la première review faussée par aucune forme d’euphorisant, ou peut-être justement faussée de ce fait.

Julien: Pour la première fois en 2013, le Kilbi connaît le soleil. Il semble que l'affluence ait doublé. On parvient enfin à s'asseoir par terre et à humer le doux air de Düdingen. La soirée s'annonce royale, et l'on ne sera pas déçu par nos multiples choix, aussi douloureux qu'ils furent - je rate Andy Stott pour photographier et halluciner devant les Flaming Lips, je manque Jandek pour faire de même avec Skip&Die, etc. Mais crème du jour, il y eut, ça sera d'ailleurs ma seule intervention de cette review du samedi.


La crème du jour 
Pierre: C’était la grosse attente de ce Kilbi 2013 : Andy Stott devait montrer ce que des exercices aussi réussis que LUXURY PROBLEMS ou PASSED ME BY pouvaient donner en live. Tout a été fait pour faire monter le suspense et les craintes. Des problèmes techniques. Un début de concert très expérimental. Puis les basses, sans jamais (du tout) s’affaiblir, se sont mises en mouvement. La suite fut de la pure folie et pour moi le meilleur concert de cette édition : une techno-dub époustouflante, dansante. Andy Stott manipule en direct les différents genres (disco, drum’n’bass, dubstep, reggae) pour ne se concentrer que sur les basses, jouissives de puissance et de rythme. Le live s’appuie sur différents titres des albums, ne boudant pas le plaisir de jouer "Numb" en live, tout en utilisant d’autres matériaux permettant un live plus dansant. Une fois de plus, la petite salle du Bad Bonn aura donc été le lieu des meilleurs moments du festival.

Julien: The Flaming Lips donc. Incroyablement critiqué aussi par une bonne moitié des spectateurs présents… le temps de haïr la prestation monstre du groupe d'Oklahoma City. Il faut dire que la configuration peut fâcher: confettis, piédestal sur lequel se tient un Wayne Coyne tendance cuire argentée, poupée à la main, tuyaux de LED à ses pieds, formation jouant presque exclusivement assise sur scène, énorme affichage éclatant. Et pourtant, les Lips n'ont pas sorti le grand arsenal scénique. Musicalement, c'est toujours la grande classe, même si l'ouverture avec "Look...The Sun Is Rising" et "The Terror" issue du tout récent THE TERROR (voir la vidéo ci-dessous, la disposition était à l'identique) n'est pas des plus accessibles. Plus rentre-dedans, The W.A.N.D. est la carte d'entrée au concert; s'ensuit l'interlude "Virgo Self-Esteem Broadcast" introduisant le flamboyant "Silver Trembling Hands" et son refrain à tomber par terre (provenant du tortueux LP EMBRYONIC). Parfois stupéfiante mais jamais pompante, la suite du concert jongle entre space pop, tubes repris ("Heroes") ou désincarnés ("Do You Realize??", tout nu), beaucoup de morceaux étant issus des productions "contemporaines" du groupe (notamment de YOSHIMI BATTLES THE PINK ROBOTS). Terminus avec le nouveau titre "Always There, In Our Hearts" annonçant des Flaming Lips qui ne craignent ni les années ni le bruit.


La déception du jour 
Pierre: Une programmation presque sans faille pour ce dernier soir de Kilbi. La seule déception aura été de rater de nombreux concerts : le batteur foufou Sartorius et surtout les Flaming Lips. Heureusement, comme on forme une équipe, Julien a pu assuré le renfort.

Le craquage de slip du jour 
Pierre: Le dernier concert de la soirée se déroule toujours sur la grande scène, chaque soir un peu plus tard. Faisant face à un public qui a eu le temps de se mettre bien, ce concert prend souvent des allures de défoulement. Avec Skip&Die, il est clair que cette règle s’est vue confirmée. Congas, tenues rigolotes et chanteuse moitié M.I.A. moitié Madonna en mini-jupe. S’il l’on était amené à juger un pays en fonction des groupes qui en viennent, l’Afrique du Sud a l’air d’être un sacré bordel. Un mélange improbable de différents styles, cumbia, rap, dubstep, électro-pop pour des titres qui se veulent à chaque fois des tubes imparables. La finesse une fois de plus n’est pas au menu, mais pourquoi rougir de son plaisir à saliver devant des plats efficaces et agréables.


Le tour du monde 
Pierre: Les premiers concerts du samedi furent les derniers moments destinés au rock historique, si cher à la campagne fribourgeoise, avec des groupes bien droits dans leurs influences :White Fence ont beau être américains, ils jouent encore à la façon Beatles, c’est certainement du pop/rock bien fait, cela n’en est pas moins ennuyeux et daté. Les Alla Lahs, eux, ne trompent pas sur leur origine, ils viennent de Californie, ils font donc de la surf pop. Cette fois, c’est léger et plutôt bien fait, une forme de rock garage apaisé et chanté sur la plage. Après on passe aux choses sérieuses. C’est 21 heure et Death Grips jouent déjà. Sûrement programmés un peu tôt, peu importe, tout n’est plus que nuit, ombres bleues et violence suante. Privé de la batterie, la force de frappe est concentrée sur les samples et un rap bien bien punk. Une bite et une couille, cela fait encore une bonne bifle. Le chanteur ondule et frappe avec sa voix. Les grands titres comme "Get Got", "I’ve Seen Footage",  "Fever" et surtout "Hacker" conviennent parfaitement au live. Néanmoins, la violence inouïe de Death Grips ne s’adapte qu’imparfaitement à une grande scène en extérieur. Malgré la puissance de la musique, on reste donc sur notre faim tant on attendait un déchainement de ce concert. Pour Trust, on retrouve un son qui se veut froid et sanglant, une version plus cold-wave de leurs compatriotes de Crystal Castles. La froideur des samples eighties se ressent bien mais ne parvient pas à captiver. Tant pis on fonce prendre notre place au premier rang pour Andy Stott. A peine sorti du concert de ce dernier, difficile d’enchainer avec le set de Gold Panda : à peine a-t-on le temps de remarquer que le passage au live signifie aussi pour lui plus de grosses basses, moins de mélodies. Dommage. Comme chaque année, le Kilbi se finit en se dandinant sur les 45 tours rétro de DJ Fett, un peu de reggae, un peu de soul, et c’est tout ému qu’on se dit à l’année prochaine.



 

1 juin 2013

Kilbi 2013: vendredi


Illustration: Guillaume Dénervaud
Le deuxième jour, le Kilbi sort ses têtes d’affiches avec les américains Liars, Grizzly Bear et Fucked Up. Beaucoup de beaux noms, reste à savoir si le plaisir s’y retrouvera. Ne se cacherait-il pas plutôt sous des silhouettes plus imprévisibles ? Contribution tierce pour tout couvrir.
 
Pierre: Dans ce jour entre-deux, l’arrivée à Kilbi se fait plus tardive. C’est un peu dommage parce que l’on rate Peter Swanson. Les années passent et pour tenir les trois soirs, il faut s’accorder des moments wellness : patauger dans des bains thermaux et partager les repas familiaux. De retour, la fine équipe est remontée pour tout donner avec ou sans shot de vitamines.

Julien:  A peine plus rapide que toi sur place, je file directement dans le bus du projet de l'OFC Where The Hell is The Press pour empacter mon arsenal photographique. Dans ma tâche, je rate le même concert que toi (Swanson), aperçoit des groupes que je n'aurai pas dû voir (les terribles Mother Razorblade, Soley) et aperçoit de trop loin Minimetal pour juger pertinemment.


La crème du jour 
Pierre: Il y a une part de sacrilège à choisir un DJ set comme meilleur moment d’une soirée peuplée d’artistes internationaux reconnus. Il n’empêche que, suivant les multiples indices du plaisir, de la découverte, de l’inventivité musicale, c’est bien DJ Marcelle qui fut le coup de cœur de la soirée de vendredi. Le terme de « construit » ne semble pas pouvoir se rapporter à un set où, à chaque chanson, on passe véritablement du coq à l’âne. Tous les styles sont abordés mais à chaque fois par des titres jamais entendus et totalement délirants. Cela fait du bien d’entendre un set en pleine folie, tout en étant improbable, mélangeant sur un titre techno et guinguette, au mépris de tout dictat du bon gout. La salle s’en ressent, chacun danse en mode panache, sortant à l’occasion shazam pour vérifier que ces titres géniaux existent vraiment. Moi c’était "Put it back" de Solo Banton.

Julien: Ma petite crème du jour est un pari pour l'avenir: Pandour est un quatuor fribourgeois hautement recommandé sur place par notre ami Buvette et le boss du coin, Daniel Fontana. Une fois encore, le Club Stage, alias le Bad Bonn, était complètement rempli pour leur prestation à 19h30. L'idée n'était pas seulement de s'abriter; la formation soulève un enthousiasme rare pour un groupe local, sur fond de d'électro-acoustique proche des Whitest Boy Alive. La patte n'est pas encore présente, mais on sent pointer l'arrivée d'influences club réchauffant l'atmosphère. Le groove et les influences sud-américaines gagnent du terrain (le fantôme de Nicolas Jaar rôde) la jeune génération désactive le gain et les effets et, dans un élan post-digital, passe de Traktor aux guitares et vice-versa.


La déception du jour 
Pierre: Chargé de clore la programmation musicale de cette soirée, Pantha du Prince a eu bien du mal à s’adapter à la grande scène, choisissant de taper fort avec de grosses basses bien lourdes. C’est peu dire que la posture du bourrin ne lui convient pas. Un concert d’autant plus décevant qu’entre les boom boom, la finesse des nappes se devinait parfois. On aurait préféré nettement une transposition live de son projet avec The Bell Laboratory.

Julien: Totalement d'accord. Il y a comme un non-choix entre le jeu live et la tentative de mixer ses compositions. C'est la troisième fois que je vois Hendrick Weber pour autant de déceptions, sa prestation démontrant encore une fois toute la difficulté d'adapter des compositions jouant sur plusieurs niveaux de strates, alignées ou ou entrechoquées avec subtilité. On ne peut que chérir d'autant plus une écoute intime de l'incroyable album BLACK NOISE sorti en 2011. Déception à peine réduite pour Connan Mockasin, sur la grande scène à 21h, auteur la même année du space-pop FOREVER DOLPHINE LOVE. Sa direction musicale sur la corde (mi-branleuse, mi-barrée) ne tire pas profit de la configuration acoustique de la grande scène, pour ainsi complètement passer au travers.


Le craquage de slip du jour 
Pierre: Au taquet. Du début à la fin de leur concert, les Liars ont totalement craqué. Pas la moindre guitare. Que des gros synthés bien cold wave et un chant guerrier destiné à maintenir la tension à son comble tout du long. On est d’abord soufflé par cette fougue puis assez vite lassé par une musique qui se rêve proche de la techno et en oublie les fondamentaux du groupe, à savoir un son à la fois punk et planant.

Julien: Rien d'extraordinaire à se mettre sous la dent, si ce n'est cette performance improvisée de Julian Sartorius dans le bus du projet de l'OFC – prestation à voir ci-dessous. Il était demandé à Sartorius de jouer trois rythmes. Trois rythmes qui seraient les reflets de trois états émotionnels distincts : la colère, la mélancolie et la joie. S'ensuit une prestation déglinguée: le journaliste est un malin, l'artiste un doux dingue. Le lendemain, son concert en ouverture de journée comblera un public attentif.


Le tour du monde 
Pierre: Vu l’arrivée tardive, peu de concerts vus ce vendredi. Tant Grizzly Bear que Fucked Up furent des concerts difficiles à intégrer. A moins de prendre d’assaut les premiers rangs. Le concert de Grizzly Bear sonnait bien plat, ne laissant entendre qu’un folk barbant sans laisser paraître les inventivités musicales. Quant à Fucked Up, le problème tient peut-être au fait que ce genre de groupe s’adresse avant tout à des initiés. Effectivement leur punk, sous ses atours lourdaux, renferme des mélodies pop hyper fraiches. Malgré ça, le genre ici sur-joué a fermé l’accès de ces qualités à de nombreux festivaliers.

Julien: Hormis Fucked Up, ce vendredi n'était décidément pas le jour des groupes à cordes. Liars a pour moi perdu toute sa substance, alignant les titres de SISTERWORLD et de WIXIW comme anesthésié. Elle est où leur violence d’antan? Quant à Grizzly Bear, que je voyais ici personnellement pour la première fois, je dirai que le concert laissa une grande partie du public froid ou carrément moqueur par la seule faute que les titres du dernier LP SHIELDS entamèrent leur concert ; gagnant en production ce qu'ils perdent en âme, ceux-ci déservent le propos d'une formation pourtant si astucieuse, raffinée et en même temps incisive. Il faut attendre 35 minutes et "Foreground" (de VECKATIMEST, 2009) pour que tout prenne forme, les structures plus effilées des précédents disques étant mieux retransmises sur la grande scène. Mention à l'élégant "Ready Able", alors que notre montre indiquait déjà un samedi prometteur.