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31 janv. 2012

L'adieu de Béla Tarr : Le Cheval de Turin

Photo: Le Cheval de Turin (2011)

Béla Tarr fait partie d’une espèce de réalisateurs en voie de disparition. Amoureux du noir et blanc et des plans-séquences interminables, il a créé une œuvre qui peut être qualifiée de rétrograde, tant ses films sont marqués par une utilisation du dispositif cinématographique qui semblent dater et enclin à toute forme de modernité.

Dans une veine grave, sombre et pessimiste, les films de Béla Tarr se ressemblent puisqu’ils tracent tous inlassablement le même mouvement, « un voyage avec retour au point de départ » (Jacques Rancière dans son livre sur Béla Tarr, Le temps d’après, éd Capricci 2011). Et sa dernière réalisation ne déroge pas à la règle. Le réalisateur hongrois va se tourner dorénavant intégralement dans l’enseignement de l’école de Cinéma dans laquelle il est chargé de cours et laisse de ce fait tomber la réalisation prétextant les nombreux problèmes rencontrés pour mettre sur pied des films pas très « grand public » et qui ne plairaient qu’aux critiques des Cahiers du Cinéma. Le Cheval de Turin est son œuvre cinématographique ultime et le festival de Berlin, comme pour rendre hommage à l’ensemble de son œuvre, lui a décerné l’Ours d’Argent (le grand prix du public) en 2011. Est-ce mérité ?


Si l’expérience avait été proposée au familial Zinéma, avouons que les 2 h 30 que dure le film aurait été vraiment longues. Dans un cinéma Pathé ou autres multiplex, il aurait manqué une atmosphère que seul peut offrir l’immensité merveilleuse du Capitole. Nous étions quatre dans la plus grande salle de Suisse romande et je baissais sensiblement la moyenne d’âge qui devait avoisiner les 65 printemps. Le film commence à 18h05 tapante, sans bande-annonce. Un écran noir apparaît et plonge la salle dans une obscurité sereine. Une voix hongroise jaillit et entame le récit et les deux minutes d’explication de résumé des faits, toujours sur un fond noir. Un jour de 1880, Nietzsche voit un cheval sur une place de Turin. Il remarque que la bête ne veut plus avancer malgré les coups de fouets répétés et claquants de son cocher. Nietzsche s’avance vers l’animal et l’enlace, puis rentre chez lui et s’évanouit sur son lit. A son réveil, il se dirige vers sa mère et lui dit : « Mutter, ich bin dumm. ». Durant les dix prochaines années, Niezsche serait devenu fou. Une fois le prologue terminé (moment le plus parlé et le moins visuel du film), l’image surgit à l’écran comme un choc à retardement. Un plan-séquence de pas moins de 6 minutes nous présente le magnifique cheval noir tirant une petite calèche sur lequel repose un homme vieux et barbu. La séquence est longue, musicale, puissante, lyrique et étonnante sans vraiment que l’on sache pourquoi. Serait-ce ces mouvements de caméra incessants qui vont du cheval à l’homme, de l’homme à la roue et de la roue à la gueule de la bête ? Serait-ce ce vent qui écorche le convoi mystique dans une danse naturelle et blafarde ? Serait-ce la musique, et ce thème qui reviendra dans le film, qui donne tout de suite un ton étonnant à l’image ? Serait-ce ce grain, particulier, noir et blanc certes, mais si fin, délicat et imposant ? Cette séquence nous montre ce que seul le cinéma est capable de faire : nous rendre compte de la puissance d’une image en mouvement dont le rythme est calqué sur ce vent surréaliste qui déstabilise un cortège où l’on ne sait plus si c’est l’homme qui guide l’animal ou l’inverse.



Un adieu dans l’obscurité
Cette scène a pour fonction d’initier le spectateur à la suite de l’œuvre. Tout sera une histoire de « longueur » dans ce film qui impose l’étirement du temps à cet espace clos qu’est la ferme dans laquelle vivent l’homme et sa fille. Les séquences, fragmentées bibliquement par les six journées qui composent la trame du récit, montreront tour à tour les repas de ces gens, les rites d’habillement et de cuisine, de bricolage et de tâches ménagères. Ces scènes de la vie fermière sont entrecoupées par des passages à l’étable où le cheval refuse obstinément de manger et de sortir affronter ce vent maléfique. Ce refus qu’a l’étalon sublime de continuer à vivre rappelle à chaque fois l’épisode commenté du prologue. Ce malaise va pénétrer les habitants de la ferme qui tentent le départ, puis reviennent avant de se rendre compte que la ferme elle-même va refuser la vie, symbolisée ici par la lumière. Pour finir, tout ne semble qu’être un combat entre l’obscurité et les vaines tentatives de ramener la lumière dans l’habitat, et donc d’une présence de chair à l’écran qui refuse d’être montrée. Ce qui est avec la séquence d’ouverture (mais aussi les épisodes dans l’étable ou des repas) le plus fort moment du long-métrage, la fin du film montre la mort du dispositif cinématographique en parallèle avec celle du réalisateur qui dit adieu au 7e art. Ce désir d’avoir réussi à montrer une façon de voir différente, grandiose et classique, se transforme en une sorte d’hommage à Sokurov et aux cinémas de ses aînés que Béla Tarr a transfiguré dans ses magnifiques derniers plans.

Le Cheval de Turin de Béla Tarr (Hongrie, 2011)
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29 janv. 2012

TT BOOKS: Tonk, Rinko Kawauchi et Helmut Newton

Photo: Helmut Newton, Nice, 1980 (reproduction)

Ci-contre vous noterez un menu changement dans l'organisation des rubriques. Où si la majorité du contenu de Think Tank tourne autour de la musique et du cinéma, bien sûr, nous tentons de ne pas négliger l'art contemporain de même que la littérature. Cette dernière se retrouve désormais comprise dans une rubrique qui sera plus conséquente: TT Books, comprenant donc littérature, mais aussi critique de livres d’art, de magazines ou de fanzines, thématiquement ou plus librement. Pour commencer, un grand-huit photographique et éditorial, très international: les très influents Zurichois Taiyko Onorato et Nico Krebs, la Japonaise Rinko Kawauch ainsi qu'une rétro Polaroïd Helmut Newton, celui qui mettait les filles toute nues dans la rue (ou sur des voitures) bien avant les autres. 


Premiers tours de piste pour la nouvelle version de TT Books et pour ce faire, de l’hétéroclite réunis sous la bannière de la photographie, avec des visions et des formats forts différents. Commençons par le luxe: la Japonaise Rinko Kawauchi poursuit sa livraison de splendides ouvrages (le douzième ici) assez grand public avec l'ouvrage Illuminance. Du gaufrage tip top, une reliure helvétique croisée à l'impression à la japonaise, brillamment imprimé en Chine par des anglo-saxons (Aperture Foundation) et édité par Xavier Barral. Une publication internationale faisant l'artiste, où l'objet est bien plus l’œuvre de la Japonaise que son travail à proprement parler. Un travail bien qu'intime et heureusement conséquent au niveau photographique, procédant beaucoup par associations colorimétriques et de formes, raillant soigneusement cette perfection nippone pour le meilleur et livrant de l'anecdotique pour le pire (des gouttes d'eau, des couchers de soleil, etc.). Reste cette obsession pour la lumière légitimant à elle seul le travail de Kawauchi. Bien qu'épais, l'ouvrage est hyper léger, explicitant de la meilleure des façons le titre de l'essai de David Chandler à son propos: "Lumière en apesanteur".































Gros changement éditorial pour le second livre de cette sélection d'ouvrages sortis fin 2011: Polaroïds d'Helmut Newton perpétue la belle série du natif Berlinois – Neustädter – chez l'éditeur allemand Taschen. Après SUMO, "l'ouvrage le plus cher du XXème Siècle", le poids lourd du marché du livre d'art (et plus) décompresse avec un ouvrage plus light et léger quant au contenu. Et pourtant: ces Polaroïds donc, utilisés par les professionnels d'alors (et encore aujourd'hui pour quelques inconscients) comme épreuves pré-production. Ces petites photos instantanées n'étaient donc pas là pour faire joli ou pour vendre via des marques de bières te prenant en photo lors de festivals. La veuve du rigolo, June Newton, qui gère ses archives monstrueuses, a compilé ainsi une bonne centaine d'épreuves pour cet ouvrage extérieurement assez quelconque. Plus que nostalgiques, ces reproductions d'originaux très bien conservés parlent autant de tonton Newton que d'une époque révolue, celle d'une photo de mode audacieuse mais surtout irrévérencieuse, ultra-plastique et pourtant jamais parfaite. Cette brève rétro s'étend des années 1970 au crépuscule de sa vie (2003) forcément moins intéressante: reste qu'avec ces quelques reproductions, on comprendra vite où un Jürgen Teller est allé chercher son style, de même qu'une Viviane Sassen ou toute une génération de photographes de mode. A garder précieusement dans sa bibliothèque pour apprendre comment faire avec les femmes (et pour presque tout oser avec elles).



 












Après un beau livre de photos (Kawauchi) et un livre de belles photos (Newton), terminons cette première version de TT Books avec le duo helvétique le plus en vue. De Zurich, Nico Krebs et Taiyo Onorato ne gardent que leurs initiales pour mieux fusionner leur esprit foutraque en TONK, récolant nombre de palmes et de bourses pour leur travail anti-documentaire et pourtant tellement signifiant. Trucages et maquettes sont leurs marques de fabrique. Ainsi, pour As Long As It Photographs It Must Be A Camera, le duo livre un double objet plus proche du zine que de leur fait d'arme passé (The Great Unreal), en A2 plié mat, agrafé dans le plis mais ô combien réussi. Edité à leur frais, ce double travail de posters présente deux faces de TONK: la bricole drôle, et la bricole moins évidente. De un, As Long As It Photographs documente des appareils photos bricolés ou trouvés, vendus sur e-bay, preuve à l'appui - les conversations sont assez irréelles. C'est toujours plus marrant que n'importe quelle application pour iPhone et instructif sur le statut même de l'objet photographique contemporain; de même, on imagine bien Krebs et Onorato construire leur chambre photo taille humaine autant que s'entre-déchirer sur qui devra céder son MacBook pour la bonne cause. It Must Be A Camera est lui quasi exclusivement imprimé en noir et blanc pour des exercices de style circulaires et de projection, précédant des structures précaires géantes ou de simples images au statut intermédiaire – comme cette splendide double page du "garçon au piano". On signerait immédiatement pour publier de telles éditions, sans esthétisme poussif ni grand discours.










 

Illuminance, Rinko Kawauchi, Editions Xavier Barral, 2011, 42 euros

Polaroïds, Helmut Newton, Taschen, 201, 40 euros

As Long As It Photographs It Must Be A Camera, The Poster. Nico Krebs, Taiyo Onorato, Self
Published, 2011, 10 euros
Extrait téléchargeable ici.

23 janv. 2012

Shame, alors heureux ?

Sculpture / photo: Adrien Chevalley

Shame a divisé l'équipe de Think Tank, entre heureux et moins heureux. On vous expose les avis contradictoires sur ce film de baise, pardon, de honte.
Pierre: Esthétisant au possible, Shame prétend faire le portrait d’un homme moderne obsédé par une sexualité misérable. Au delà de la surface lisse, le film déverse un propos tout sauf neutre, la sexualité n’étant présente qu’en miroir d’un discours conservateur et homophobe. Pourtant,  ce film possède de très nombreux atouts, à commencer par des acteurs impressionnants, en premier lieu Michael Fassbender et Carey Mulligan. D’un point de vue formel, Shame confirme ce qui fut une des grandes tendances à Hollywood en 2011, la prépondérance de la dimension esthétique sur le scénario. Ceci n’a rien d’étonnant quand on sait que le réalisateur, Steve Mcqueen, est d’abord connu comme artiste contemporain. 


Cette visée esthétique ne pose en soi pas problème, néanmoins ce qui en pose, c’est de penser que cette dernière induit un traitement neutre d’un sujet, comme si de belles images n’étaient porteuses d’aucun discours. Avant de se pencher sur le propos du film, c’est déjà l’esthétique qui est loin d’être irréprochable. Steve Mcqueen commence très fort avec un plan fixe, serré de l’acteur principal, le regard perdu dans un lit où les draps se découpent comme une sculpture, tel le christ voilé de Giuseppe Sanmartino. L’affiche reprend à raison cette image, car cela restera le moment le plus fort du film au niveau formel. Le reste est une longue et pesante chute vers les pires clichés du cinéma, le film se finissant presque sur l’horrible moment du héro qui pleure sous la pluie. S’il est certain que certaines scènes sont réussies, comme celle du regard échangé dans le métro, que la qualité de certains plans séquence est éblouissante, ces quelques bons coups ne parviennent pas à sauver le tout, qui confine à l’ennui. On est très loin de la tension de Drive. Ici, la lumière est censée mettre à nu la froideur de l’environnement, mais elle oublie d’en laisser transparaitre la violence.


Pour en venir au propos du film, la trame peut être rapidement résumée ainsi : un yuppie de New York, bien rangé, avec son appartement design et son boulot de friqué, se révèle en fait être obsédé par le sexe. Au point qu’il enchaine les coups d’un soir, les prostituées, passant des heures à regarder des sites pornographiques et à se masturber frénétiquement. Ce scénario fait bien sûr tout de suite penser à American Psycho de Bret Easton Ellis. Mais cette comparaison ne donne pas une vision avantageuse de Shame. Ce film, c'est finalement un American Psycho sans violence physique et surtout sans exploration véritable de cette folie. Bret Easton Ellis montrait un meurtrier sadique jouissant de son vice. Dans Shame,  ce vice est d’emblée perçu sous un angle moraliste, sous l’angle de la "honte" donc. Jamais le personnage principal ne prendra du plaisir et c’est en retour toute la sexualité qui est montrée comme misérable et triste.


Certes, montrer la misère sexuelle d’un monde qui a réduit l’orgasme sexuel à quelques minutes passées seul devant son ordinateur est une ligne directrice louable. Malheureusement, le film n’est même pas capable de la tenir. Le personnage, obsédé sans jouissance, passe du don juan expert en drague à l’inexpérimenté jeunot ne sachant comment gouter le vin au restaurant. Ces changements d’attitude révèlent une autre dimension conservatrice du film. Le personnage se fait impuissant lorsqu’il se retrouve face à des femmes croyant en l’amour véritable (explicitement synonyme de mariage), et baiseur puissant avec ce qui est étiqueté comme vulgaire : les prostituées, les femmes faciles, etc.. Cette condamnation d’une forme de sexualité différente de la norme bourgeoise s’expose de la façon la plus claire possible lorsque le personnage principal fait une crise vers la fin du film. Tout est mis en place pour faire comprendre que le personnage est en train de repousser son vice le plus loin possible pour toucher le fond : c’est alors qu’il va se rendre dans une boite homosexuelle pour baiser avec un inconnu. On croit rêver face à tant d’homophobie, les backrooms devenant le lieu du sexe le plus vicieux et le plus vulgaire. Shame donne une vision de l’addiction au sexe, sous une forme sans jouissance, sans véritable tension, où l’obsédé est enfermé en enfer et ne pourra jamais connaître le "paradis" de l’amour hétéro couronné par le mariage.



Maxime:  Shame fait partie de ces films qui divisent pour deux raisons : son thème est un peu embarrassant et Steve McQueen (le réalisateur) prend le pari de jouer sur une mise en scène esthétisante et distante de ses personnages qui peut vite sembler prétentieuse. De plus, on peut trouver l’utilisation de la musique classique un peu facile et la scène de l’éclatement en sanglot sous la pluie un peu ridicule. Mais en sortant de la projection, j’étais conquis par le film parce que Michael Fassbender était énorme (sans parler de son pénis) et touchant dans le rôle de cet accro du cul dérangé dans sa tête. Au-delà de cette prestation royale, trois scènes m’ont particulièrement marqué. Il y a tout d'abord ces deux plans-séquences. Celui du footing dans une rue de New York où Brandon fuit son appartement transformé en garçonnière pour sa sœur. Alors que dans tout autre film le plan s'arrêterait au bout de 15 secondes, ici, c’est au bas mot trois minutes que nous passons avec Brandon, le suivant dans son évacuation de phéromones esseulé dans Manhattan : la nuit, le piano et les pas de courses dans New York résonnent et, avec lui, nous laissons échapper une frustration intérieure.


Le second plan-séquence, c’est cette rencontre avec la jeune fille de son bureau au restaurant. En temps normal, cette scène aurait été filmée en champ / contre-champ avec les deux protagonistes du souper. En laissant la caméra à mi-distance de la table, c’est tout l’embarras et le jeu de drague que nous pouvons vivre en temps réel avec Brandon. Ces jeux de regard gênés, l’intervention énervante du serveur et les discussions banales se trouvent magnifier ici par le très lent zoom quasi invisible utilisé pour la séquence. Le raccord nous emmène dans une chambre surplombant New York et s’ensuit une scène d’amour entre les deux personnages dans le même esprit que la précédente: on reste avec eux jusqu’à ce que Brandon craque à son propre jeu. Enfin, la troisième et dernière scène qui me fait dire que ce film est une réussite, c’est lorsque Brandon rentre chez lui et qu’il entend que sa sœur et son patron forniquent. Embarrassé et puni dans son antre, il tourne en rond, hésite et se cache recroquevillé derrière un radiateur qui prend alors toute la largeur de l’écran. Le cadre trentenaire dynamique et sexuel est refoulé et veut disparaître : le radiateur, appareil commun de réchauffement, devient l’élément principal du cadre. Brandon n’est plus rien et c’est cette capacité à montrer une bête devenir un minable par sa maladie psychique que réussit dignement et sans paroles à montrer Steve McQueen dans cette séquence. Sur ces trois scènes, j’ai vu un grand film. Aucune honte à avoir.




21 janv. 2012

La culture sous l'étable: Contre-culture à l'Elysée

Photo: Andri Pol (vue l'exposition)

Ainsi donc se tient la nouvelle exposition collective au musée de la photographie de Lausanne, l'Elysée. (Contre)Culture/CH joue avec son appellation pour mieux se faire percuter entre eux 23 noms helvétiques, entre les historiques Arnold Odermatt, Luc Chessex, les conceptuels (Jules Spinatsch), les nouveaux qui ont la cote (Yann Gross) ou les juste marrants (Andri Pol). Un peu de tout, et c'est là le problème.

Partant du postulat aussi légitime que compréhensible du "il n’existe plus de contre-culture contemporaine", le Musée de l'Elysée a ainsi tranché pour une "accumulation" et à la "confrontation des regards". Si "ruptures, fragilité, décalages ou seconds degrés" il y a, comme revendiqué dans le texte de présentation, cette mise en contexte renseigne et interroge sur plusieurs points: depuis les années 80, il est difficile de parler de véritable identité de contre-culturelle, « la mode, le consumérisme et l’économie libérale » recyclant à tout va les éléments signalétiques de l'anti-mainstream. Ce "terrain de la mondialisation" comme l'affirme le Musée n'est ainsi plus celui de la conquête de la liberté et d'une indépendance. Puisque au sein de Think Tank nous nous employons à croiser les disciplines dans un monde toujours plus dense et stratifié, cette exposition est révélatrice du déphasage grandissant entre les générations et de la difficulté de définir proprement qui est in et qui est out, pour parler simplement. En octobre dernier, nous déclarions: « on ne choquera personne en déclarant qu'il n'y a jamais eu autant d'artistes, terme hybrides comprenant les vrais et les autres, toute la masse de producteurs culturels ». Un nombre grandissant d'acteurs dans des sous-catégories démultipliées: de la difficulté de parler de mort de la contre-culture…


Un art jeune, aux références dépassant les influences auxquelles on souhaite par trop souvent lui attacher - notamment le vrai et le faux documentaire (les New Topographics, Fischli&Weiss, etc.), ironique oui, mais vraiment trop ignoré pour répondre au postulat de l'Elysée. Pourquoi? Parce qu'aujourd’hui, ce style documentaire par exemple, s’il veut viser un renouvellement dans une photographie pluraliste, semble s’interdire la représentation classique des ”années glorieuses”. Ainsi, le Britannique Jamie Tiller joue sur la surnaturalité, tout comme le duo suisse Körner Union glisse des fonds rouges gigantesques derrière un arbre et expose la photographie en grand format et la rend autant abstraite (voire absurde) que proche des découpages de John Baldessari ou des sculptures de Elad Lassry ou de Walead Bashty, dans ce que Vilém Flusser appelait la photographie expérimentale: « créer un espace pour les intentions humaines dans un monde dominé par les Appareils ». Un art jeune présenté fin 2011 au Kunsthaus de Zurich, avec des gens comme Stefan Burger, Linda Suter, Haris Epaminonda etc. Un art jeune, qui peut être s'en fout éperdument de ces questions de contre-culture, dans cette époque désormais appelée post-Post moderne.



L'Elysée, de fait, marche sur des oeufs: Yann Gross  accueille les visiteurs avec une sélection de sa série "Horizonville", sorte de Valais hormonal empiffré du Texas, série au retentissement certain, aussi surprenante pour le grand public que familière pour tout sociologue. Au taquet, le Veveysan aura autant parcouru ce canton-pays dans tout son large qu'offert tout de même quelques grandes images, comme "Val et la Saucisse" ou le "Lion des Montagnes". On recommandera toutefois plutôt le livre de la série paru chez JRP Ringier plutôt que de se contenter avec cette accrochage succinct et pas hyper réussi. Surtout qu'en face se trouve les photos mal dégrossies du désormais ex-méconnu Karlheinz Weinberger et sa série "Rebel Youth" offrant d'ailleurs sa meilleur photo à l'affiche de l'expo. Intéressante pour la forme, parce qu'on connait le fond de l'histoire, la ARF de Zurich (Groupe d'Action Rote Fabrik), Lôzane Bouge, le splendide ouvrage "Hot Love" de Tania Prill et Alberto Vieceli (plus beau livre suisse 2006), l'accrochage s'adresse à ceux qui ignoraient que le rock&roll s'était immiscé dans les années 60-70 en Suisse, et même avant, mais aussi qu'il y avait une Suisse de la dèche ou rejetant ses valeurs. D'une certaine manière, l'Elysée se tire naïvement une balle dans le pied avec ce travail, annulant de fait son hypothèse d'une non-existence contre-culturelle; ou alors considère-t-elle Weinberger comme très généraliste… La pièce du fond offre un espace plus intime à Emmanuelle Antille et c'est largement réussit: "Private Property" propose un accrochage en nébuleux, aux structures et reproductions diverses, croisant coupures de presse (magnifique atlas quotidien), paysages vides et portraits persos. A vous de créer le sens de cet accrochage autrement plus exigeant que l'ensemble de l'exposition lausannoise. A voir rien que pour cette grande dame de la région, aussi à l'aise avec le corps qu'avec le rock, son art vidéo preuve à l'appui. 


Dommage qu'il n'y ait pas plus d'Antille: si, bien sûr, les voitures accidentées d'Arnold Odermatt sont cultissimes mais ô combien connues, les bunkers de Leo Fabrizio des valeurs sûres et assimilées, ou les "historiques" Fred Boissonas, Adolphe Braun ou Francis Frith toujours bon à voir, on regrettera un certain manque d'audace et une interrogation sur certains choix: ainsi, pourquoi y ajouter aux bunkers de Fabrizio les photographies d'un Christian Schwager, largements surestimées? Pourquoi offrir quasiment l'étage entier aux pas du tout drôles Plonk & Replonk et Jean-Luc Cramatte, d'une formalité fatiguante, alors que Andri Pol retrouve sa série accrochée misérablement entre deux pans de murs, des photos dans le vide se suivant horizontalement sur un petit format, et que, pour finir, Stefan Burger n'expose qu'une installation dans un coin de l'étage? Avec sa série sur les rituels vernaculaires helvétiques et ses acteurs, entre le ravers de la ferme, les tuners et le chat chantant, Andri Pol présentait sûrement le travail le plus en phase avec cette notion protéiforme de contre-culture helvétique, préférant l'auto-dérision, voir le LOL, avec des images sorties de nulle part, sans véritable ancrage aux valeurs nationales si ce n'est ce no-style et les chalets sur entrée de parking souterrain (le must). Ce photographe suisse-allemand mériterait une attention plus que polie mais l'on se dit que, finalement, le décors des combles de l'Elysée lui vont très bien. En face, plutôt que Cramatte, la place au grand Olaf Breuning aurait été toute désignée, voire même à Mathieu Lavanchy, ou d'autres nouveaux photographes maniant le faux-reportage avec une précision démente et une esthétique aussi moderne que référentielle à l'histoire de la photographie (encore une fois, voir plus loin que les sempiternelles influences des années 70).


« La scène helvétique actuelle est riche et dynamique, et également capable de rayonner au plan international » nous rappelle le chef du Musée, Sam Stourdzé. Seulement, encore une fois, comment peut-on légitimer ses dires en présentant pour plus de la moitié de l'historique ou classique au détriment de cette nouvelle vague plus à même de parler que les "anciens"? De plus, en plaçant les "nouveaux" dans des espaces bien trop petits pour les laisser respirer et dégager leur véritable valeur. Nous ne désirons pas une lutte entre les générations, ni chasser les références, seulement peut-on regretter un manque évident de pertinence dans la scénographie et l'organisation même des artistes présentés. On nous rétorqueras peut-être que cette exposition s'adressera au grand public. Certes, mais a-t-on le droit, de fait, de lui présenter des travaux sans fond véritable, aussi légers que du Plonk & Replonk ou anecdotiques que Cramatte, à moins de vivre sur la planète Mars? Bonne initiative malgré tout du Musée, avec donc quelques lourdeurs mais aussi de belles présences (Antille, Pol, Fabrizio), pas toujours en phase avec la thématique de départ, ou quasiment hors-sujet, voire la décrédibilisant. Après, quant à savoir si tout cela a pu répondre au fameux "il n’y a plus de contre-culture contemporaine"…

[CONTRE]CULTURE / CH, du 04.12.2011 au 29.01.201, Musée de l'Elysée, Lausanne
Photos à suivre

18 janv. 2012

Sleeping Beauty, film (trop) silencieux

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Photo: Julien Gremaud

Sleeping Beauty est la première réalisation de l’écrivaine australienne Julia Leigh, connue pour son roman The Hunter. Son film, présenté au dernier festival de Cannes par Jane Campion, relate les difficultés financières d’une jeune étudiante qui accumule les petits jobs. Un jour, elle répond à une annonce particulière.

« C’est 150 dollars par heure, tous les frais téléphoniques sont couverts, les consultations chez le médecin aussi. Votre vagin restera un temple. », une déclaration à laquelle la jeune Lucy rétorque sans broncher : « Mon vagin n’a rien d’un temple ». Lucy accepte ce nouveau job où son corps devient un objet convoité et exposé, endormi consciemment, violé mentalement, la seule règle étant qu’il est interdit de la pénétrer. Pourtant, la première scène nous montre Lucy se faisant introduire par la bouche un long tuyau en plastique afin de souffler de l’air dans son ventre. Fille dans le besoin financier croit-on au départ, elle accepte d’être en même temps cobaye, fille de luxe, secrétaire mécanique et serveuse dans un pub. On se dit alors que cette jolie adolescente, qui refuse de voir sa mère, a décidé de s’en sortir seule pour pouvoir continuer ses études et vivre de façon autonome. Mais une scène viendra mettre un bémol dans cette trame qui semblait aussi lisse qu’un terrain de cricket : après sa première expérience dans son nouveau travail où nous la voyons porter de la lingerie diablement sensuelle, elle rentre chez elle, et brûle un billet de 100 dollars. On ne comprend pas tout de suite ce choix, et il faudra attendre de sortir de la salle pour oser d’admettre qu’il n’y avait aucune raison valable de faire disparaître cet argent, ou alors, celle d’espérer effacer des traces de son nouveau job. Alors on se dit que ce n’est pas l’argent qui la pousse à accumuler ces activités rémunérées, mais autre chose.


C’est ici que la mise en scène et l’esthétisme rentrent en compte. Julia Leigh filme ses personnages en plans d’ensemble, à distance, avec très peu de mouvement de caméra et en utilisant qu’une ou deux fois le montage dans une séquence. Le rythme est lent, l’atmosphère glaciale, la musique absente et si on ne quitte pas des yeux la petite Lucy, la focalisation reste extrêmement distante sans donner aucun avis sur son sujet. La première partie du film expose le personnage, construit un caractère et présente Lucy : c’est une fille avant d’être un corps, dispositif qui sera inversé à partir de la moitié du film. Avouons-le, c’est assez réussi, la démarche esthétique est là et il y a un véritable sens de l’image mise en place par la réalisatrice. Le problème vient ensuite, dans la seconde partie, lorsque Lucy devient Sara et qu’elle se donne inconsciente à des vieux vicieux dans une pièce boisée qui fait penser aux dernières scènes de Eyes Wide Shut. La seconde partie ne tient pas malgré les bases solides qu’avaient installé la première ; c’est un continuum sans fin qui ressemble plus à une provocation esthétisante qu’à un joli exercice de style. Mais c’est une bonne chose que le film ne soit pas parfait, car avec Julia Leigh, on tient là une réalisatrice tout de même douée et intelligente qui saura nous pondre dans quelques années un excellent long-métrage.

Sleeping Beauty de Julia Leigh (Australie, 2011)
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17 janv. 2012

L'unique et l'innocence

Illustration: Charlotte Stuby



Ou comment Robert Pinget a écrit au terme d'une vie Théo ou Le temps neuf, un chef-d'oeuvre minuscule.

On ne connaît pas Robert Pinget. Affilié au Nouveau Roman, auteur discret, il n'a ni assumé la fonction (critiquable) de théoricien-dieu d'un Alain Robbe-Grillet, ni subi l'adoubement académique du Nobel Claude Simon. Né à Genève en 1919, Pinget a d'abord étudié les Beaux-Arts à Paris, où il fait la connaissance des néo-romanciers, de Beckett (qui restera un grand ami) et de Jérôme Lindon, créateur des éditions de Minuit qui secondera sa trajectoire littéraire à partir de 1956 et jusqu'à la fin. En 1964, il achète une petite maison à Tours, dans le jardin de laquelle il en construira d'ailleurs une, qu'il nomme son pigeonnier. Il écrit, et puis il meurt en 1997. Difficile de trouver vie plus spartiate, existence plus dévouée à l'art : Pinget a une table, des feuilles, une fenêtre devant sa table, et ses livres qui s'empilent à côté. Le critique et ami Jean-Claude Liéber raconte qu'il se serait assis vers la fin et pour une énième fois, aurait alors regardé la somme mise bout à bout de sa production et se serait déclaré content, qu'enfin son oeuvre était plus grande que lui. L'anecdote, comme souvent, enseigne plus qu'elle ne renseigne et apporte au curieux les questions nécessaires à la poursuite du sens. Qu'est-ce qui tourmentait ainsi Robert Pinget ? Par quoi se voyait-il poursuivi au point de se terrer en Touraine, de bâtir par les pages une muraille contre le temps et contre soi ?


Permanence de la fissure
Le processus est en lui-même, significatif. S'il fallait gloser, on séparerait le travail de Pinget en trois cycles (à considérer davantage comme trois larrons rigolards partis descendre des bières ensemble plutôt que sous la forme austère d'un schéma tripartite à faire jouir un obsessionnel compulsif) : L'onirique (1950 - 60) composé de romans fantasques à tendances science-fictionnels, épopées légendaires et autres contes d'inspiration médiévale, le réaliste (1960-80) décrivant pour la plupart le quotidien de personnages médiocres confrontés à des problèmes insolubles et kafkaïens, et l'herméneutique (1980-90) qui se retourne comme un pull pour examiner ses propres coutures, triturer les ficelles de la machine littéraire et y déceler une réflexion (à double sens) sur la création elle-même. Ce troisième cycle, le plus honnête peut-être, n'aurait pas pu s'ériger sans s'accouder aux deux premiers. Car il y a chez Pinget un intérêt constant au déraillement, à ce qui grippe, sabote, ruine l'idée du texte "fini", de l'oeuvre totale. Le procédé de création pingétien se donne comme une permanente mise en doute du discours comme signifiant quelque chose in fine. Ainsi, le protagoniste de L'Inquisitoire (1962) se débat sur 500 pages d'une accusation dont on ne connaît que pouic, nada itou du nom du héros de Quelqu'un (1965) et choux blanc de l'identité du criminel autant que de la nature du crime dans L'Affaire Ducreux (1995). Tout est construit pour qu'on y croie, s'entend, qu'on le veuille et y aspire mais sans espoir. Pinget prend un malin plaisir à dynamiter à la dernière minute, bien qu'il file la mèche tout au long du récit, toute résolution attendue, jusqu'au plus petit final salvateur.

Dès lors qu'est-ce qui reste ? La recherche, oui, le processus en lui-même certes, mais dont l'inaboutissement flirte dangereusement avec la stérilité. Maître de la fissure, apologue de l'a-peu-près, Pinget est-il ce cynique qui raille pour railler, ce sadique qui compose pour le plaisir de voir son lecteur se débattre en sachant pertinemment que la quête est vaine ?


Larbins, bambin
Le troisième cycle hérite de cette question et la renverse. À partir de 1980, Pinget resserre l'étau et ne met plus en scène que des écrivains, vieux maîtres pour la plupart enclos d'arthrite et perclus dans leurs grandes demeures. Tous sont entourés de secrétaires ou de domestiques, tous composent et cherchent l'unité : l'oeuvre écrite, avec une majuscule. Mémoires ou grand livre toujours sur le métier, chacun ne dépêtre pour aboutir, rassemble, classe, naturalise à la virgule leurs monceaux de paperasses au grand damne des domestiques qui râlent et critiquent les maîtres. On assiste ainsi à une incessante bataille, celle des créateurs contre les sceptiques, les uns jetés dans leurs volontés d'amplifier, les autres réduits à leur fonction dépréciatives. À l'usure des messes basses ils se contaminent pourtant, les "timbrés" et autres "scribouillards" proférés par les larbins laminent petit à petit la conviction des maîtres qui finissent par arrêter d'écrire. La quête du grand texte termine en eau de boudin, en partie à cause des sceptiques, en partie des scripteurs eux-mêmes pour avoir trop écouté leur entourage. Pinget projette donc dans la troisième partie de son oeuvre les angoisses et autres échecs auxquels s'expose tout artiste peut-être : ne pas coller, ne pas parvenir au faîte de son travail et tomber dans l'oubli....À moins que. Et c'est ici qu'entre Théo, le petit neveu de l'un des maîtres scripteurs. Isolé à l'instar de ses précédents comparses dans sa bâtisse, dominant un village sans nom, rechignant à subir son injection quotidienne, le vieux maître lutte également avec les feuillets de son manuscrit à la recherche d’un « grand sens », ou d'un Temps neuf. Une quête esthétique qui laisse le petit Théo perplexe. Il se contente de poser des questions, et préfère les BD. Le salut viendra précisément de cette candeur enfantine et le tonton se rend soudain compte que certaines choses sont faites pour être abandonnées et parmi elles, l’idée même de l’unique, de l'unité de l'oeuvre. Abandonnée sans être perdue, car c’est une fois saisie la nécessité d’un délaissement, d’une dépossession de l’idée totalisante, que peut se déployer chez l’autre (spectateur ou lecteur) le sens fort que l’on fait sien. Ainsi Pinget trouve dans son dernier roman plutôt qu’une solution une piste, ou une incise, celle qui passe de la recherche incessamment vaine et contrecarrée d’un « tout dire », à l’émancipation de l’œuvre par l’autre. D’un impossible « grand sens » à ce qu’il nommera la « grande lecture ».


Jeu de go
Dans cet ultime texte, Pinget entrelace deux thèmes colossaux, le rapport au père et le pourquoi de la création, sans jamais tomber dans le déjà fait ou l’écueil du pathos. Au fil d’une langue maniée en épéiste, il tisse tout en creux et en reliefs subtils une relation du vieil oncle à son neveu qui confine à l’art de l’estampe, où l’aménagement des blancs rend seul perceptible la finesse des traits. Pinget dépeint les doutes, les colères, les frustrations, comme on déplace les pièces d’un jeu de go, en gestes, rien de plus, mais c’est le geste qui est tout. C’est ça, Théo, un roman sur le rien, un texte façonné avec de l’indicible. Immatériel au point d’en bannir le faux, le vouloir-montrer, qui est toujours trop.

« Personne ne pourra dire que je n’ai pas dit la vérité », chuchote le vieil oncle à la fin du livre. Plus que l'énoncer, Pinget l’a distillée tout au long du récit jusqu’à ce qu’elle se déplace de l’extérieur de la page à l’intérieur du lecteur, et qu’au milieu d’un bus bondé pour Montreux, sans qu’il s’en aperçoive, sa beauté tire les larmes à votre humble chroniqueur.

Robert Pinget, Théo ou Le temps neuf, éd. Minuit, 1991.

Fumiste

15 janv. 2012

Musique hantée: Andy Stott et Chevalier Avant Garde

Illustration: vitfait
Entre tempêtes et chutes de neige, les nuits se font longues et 2012 commencent sur un air glacial. Avant de partir à la recherche des premiers nouveaux sons de cette année, on jette un dernier regard en arrière, histoire de ne pas passer à côté de trésors insoupçonnés. Et de 2011, sugissent deux pépites glaciales: Andy Stott aussi dark qu'une nuit de décembre et Chevalier Avant Garde aux bourrasques étincelantes.

Pour cette fois, la rubrique Musique Hantée s'éloigne des territoires proches du label Tri Angle et de la witch house pour partir à la découverte de contrées nouvelles. Que la musique devienne encore plus noire ou qu'elle prenne la forme d'un esprit de lumière. Commençons par la face dark de cet hiver où des rats de 90cm font des apparitions. Oublié de beaucoup de best of 2011, Andy Stott a pourtant sorti deux albums excellents en moins de 12 mois: PASSED ME BY et WE STAY TOGETHER. Avec deux des meilleures pochettes. Toutes deux sobres, en noir et blanc, représentant un individu aussi mystérieux que sauvage, comme sorti d'un film de Herzog ou de Rouch. Pour le premier, un homme noir, torse nu, la joue marquée de straies, au regard plein de défi. Pour le second, un être qui semble avoir des ailes, masqué bizarrement, les doigts des pieds bagués, entre sphynx et chevalier. Côté musique, Andy Stott fait partie de ces héros de l'électro, jusqu'auboutiste du son, qui explore les dimensions sans se soucier de plaire. Avec lui, le dark se fait trash. Sur PASSED ME BUY et WE STAY TOGETHER, il est question du début à la fin de noirceur. Quelque chose comme la bande-son de ces moments où en toute fin de soirée, on est au bord de l'épuisement quand soudain un titre se met en osmose avec ce sentiment pour en explorer les dimensions les plus enfouies, proches de la transe.


Sur les treize titres de ses deux albums, jamais Andy Stott ne se perd en lachant une petite montée facile. Le son reste hyper dense, sans concession aucune. Les basses sont lentes et profondes à en retourner la terre. S'incarne une musique étouffée, lugubre, hantée comme jamais par des strates sonores fascinantes. Et malgré ce style dark, les bombes  ne manquent pas. "Dark Details" lacère le hip hop et fait appel à des rythmes chamaniques. "New Ground" enferme la house dans une chappe de métal. "Intermittent" pourrait servir d'anthem à la musique hantée, comme si un club normal se trouvait possédé par une entité obscure. Un pure chef d'oeuvre de détournement. "Submission" grésille de manière inquiétante quand "Posers" et "We Stay Together" bastonnent le beat le plus dur et le plus dark possible. Juste dément. Pourtant derrière ces beats sauvages, on perçoit pafois des restes de disco, de dubstep complètement déchiquetés. Le label Modern Love a eu l'excellente idée de rassembler ces deux albums, courrez les acheter.


Du noir et de la glace, jaillit au contraire une lumière avec la synthpop de Chevalier Avant Garde, qui transforme la musique hantée en sensuelle séduction avec leur album HETEROTOPIAS, sorti sur Skrot Up. Le terme hétérotopie a été développé par Michel Foucault pour désigner des espaces autres, sortes d'utopies effectivement réalisées. Ces lieux sont souvent le fait de la déviance, juxtaposent différents lieux et différentes temporalités dans un même endroit, et permettent à ce qui ne peut advenir socialement d'advenir dans cet espace autre. Difficile de savoir de quelle conception de l'hétérotopie se revendiquent Chevalier Avant Garde, duo provenant de Montréal. Parler de déviance serait un peu exagéré pour qualifier leur musique, peut-être plutôt utiliser le terme d'insolite, HETEROTOPIAS semblant échapper aux différents genres édictés et aux styles prédifinis actuellement, à l'instar d'un John Maus. Mais mieux que ce dernier, les gars de Chevalier Avant Garde parviennent à transformer leur son entre rétro futurisme (la pochette l'annonce d'emblée) et cold wave en pop superbe. Du rétro futurisme, tous les éléments kitsches ont été bannis pour ne laisser résonner que des mélodies envoutantes. De la cold wave, le côté emo s'est envolé pour laisser mieux entendre la tension du rythme et la teinture glaciale des synthés. Le résultat ressemble à ces glaçons sous le soleil, durs, froids mais desquels jaillissent eau et lumière.


Vraiment un disque aussi étonnant qu'évidemment pop avec pour point d'orgue: "Enemy". Presque absente d'internet, cette chanson possède la ligne de synthé et le refrain les plus brillamment pop qu'on ait entendus depuis bien bien longtemps. Ce à quoi toute pop aurait dû ressembler après Joy Division. Après quelques singles, notamment un sorti chez Beko, très marqués par la production à l'étouffée indé et tout ce qu'elle implique de gimmicks et de limites, Chevalier Avant Garde ont réussi à sortir de ce carcan pour laisser éclater tout ce que leur musique a de dansant et de pop, le feu qui couve sous cette glace, sans pour autant renier leur style et tomber dans des facilités ou dans une production trop propre. Rien n'est à jeter dans ce magnifique HETEROTOPIAS. "Over the fountain" commence comme un tube puis joue la mélancolie sur des gouttes fines de synthé. "Young" emprunte le chemin inverse avec son début planant qui débouche sur un refrain presque en fanfare.


Pour finir et en bonus, un remix bien hanté et bien bien de Nowa Huta par Fraud Freud:

14 janv. 2012

KINO KLUB: Soap&Skin - "Boat turns toward the port" (AUT)



De Gnas, en Autriche, Anja Plaschg écrit ses premiers morceaux dans sa ferme familiale. En 2009, LOVETUNE FOR VACUUM résume quatre ans de fragments de mélancolie, de cœur déchiré et de bouteilles jetées à la mer - alors qu'elle n'a que 18 ans. Alors que Cat Power annonce son grand retour pour 2012 - nous suivrons son concert à Antigel prochainement de près - le mini–album de Soap&Skin, NARROW pourrait bien permettre à l'Autrichienne de se placer dans le sillage des grandes dames d'un folk funeste. "Boat Turns Toward the Port" explicite les propos tenus, lors de la sortie du premier album, par Sonja Eismann, du Tageszeitung: «Qu’elle hurle comme un chien, qu’elle se mette à rugir ou qu’elle mâche ses mots, elle se moque de l’idéal de beauté lisse». En filigrane, un plan séquence symbolique: aussi éblouissant que cruel, la beauté fatale.

12 janv. 2012

A DANGEROUS METHOD : Cronenberg passe de l'ombre à la lumière

Photographie: Julien Gremaud

Long-métrage tiré de la pièce de théâtre de Christopher Hampton (scénariste pour le film) qui elle-même découle du roman de John Kerr, A Most Dangerous Method, la dernière réalisation de David Cronenberg met en scène les débuts de la psychanalyse ainsi que la relation qu’ont entretenue le docteur Jung et Freud au début du XXe siècle.

Il est amusant de voir le virage qu’a pris l’œuvre de Cronenberg dans les années 2000. Depuis A History Of Violence (2005) et Les Promesses de l’Ombre (Eastern Promises, 2007), le réalisateur canadien prend de plus en plus d’envergure et de hauteur sur son sujet. Il étudie ses moindres mouvements de caméra et construction de cadres, raconte des histoires délicates et embarrassantes se présentant comme l’une des figures les plus passionnantes du cinéma américain d’aujourd’hui. En 2005, il choisit Viggo Mortensen pour interpréter le rôle principal de son thriller. Le courant passe, la magie surgit : le film est une petite merveille, l’un des coups de maître de Cronenberg. Depuis A History, Cronenberg délaisse un peu ses thèmes d’antan : la recherche du double (Dead Riners, 1988), la transfiguration de l’être (The Naked Lunch, 1991) ou des corps (The Fly, 1986) et sa vision de la frontière du réel et du rêve s’estompe quelque peu (eXistenZ, 1999). On pourrait alors parler d’un embourgeoisement dû à une carrière prolifique et à une œuvre originale marquée par un style. Mais ce « style », cette patte cronenbergienne, est utilisée d’une toute autre manière dans son dernier film, où la blancheur – extrêmement présente – exprime l’envie de montrer dans un cadre cliniquement travaillé, un réalisme pur et vierge.


Avec une histoire mettant en scène Freud, Jung et cette jeune patiente souffrant d’hystérie, l’ensemble formait un sujet parfait pour Cronenberg : tordu, pervers et cérébral. Au lieu de nous montrer des scènes choquantes bien connues de l’œuvre du Canadien, A Dangerous Method prend le parti du spectacle intellectuel brut, une sorte de pièce filmée, qu’il faut sûrement voir deux ou trois fois pour y déceler les petites richesses que compte le film. Passé de l'ombre à la lumière n'est peut-être pas finalement ce qui réussit le mieux au Canadien puisqu'on ressort de la projection ébloui mais un brin déçu, baigné d’un sentiment de frustration. Le long-métrage garde un rythme tranquille, helvétique, bercé par les escapades maritimes sur le lac de Zürich et la correspondance épistolaire pesante des deux docteurs. Mortensen est bon mais sans plus (rien à voir avec son rôle brillant dans A History of Violence). Les prouesses de l’actrice Keira Knightley, qui déboîte sa mâchoire inférieure lorsqu’elle tombe dans des crises d’angoisse, dérange sans vraiment impressionner. C’est alors le jeu coupé aux rasoirs de Fassebender qui surpasse les deux autres rôles. Bien que impeccable dans sa réalisation, le problème du film réside dans sa volonté de vouloir en faire un spectacle intellectuelle malheureusement avorté dans son obstination à vouloir tout cacher. Les spectateurs qui connaissent le travail de Freud sauront tout de lui et ne seront sûrement pas d’accord avec la moitié du film ; à l’opposé, ceux qui ne connaissent pas les théories du docteur autrichien ne vont pas tout comprendre à l’histoire. Ce qu’avait admirablement réussi à faire Cronenberg avec A History of Violence s’essouffle dans son dernier métrage, qui à force de vouloir prendre le parti d’une ligne claire, du côté de l’intelligence, tombe dans les méandres du jeu épistolaire mielleux et inintéressant. L’Europe qui perd l’esprit et qui se dirige vers la guerre en métaphore finale nous laisse un peu sur notre faim, regrettant de n’avoir pas assez pris de foies gras en entrée. En effet, le premier quart d’heure du film est tellement bon que la suite a du mal à suivre, s’emmêlant dans un mélodrame parfois grandiose (les scènes de bateau) mais souvent endormant (les discussions sans fin entre les deux docteurs, les ellipses temporelles trop fréquentes).

A Dangerous Method de David Cronenberg (UK, Canada, Allemagne, Suisse), 2011
*****



9 janv. 2012

Agenda pour une fin du monde

Illustration: Isabelle L. et  M.S. Bastian

Un aller-retour par Neuchâtel et son musée etnologico-graphique pour y voir une expo dans l’air du temps, consacrée au post apocalyptique. Ce jour-là, le temps l’était aussi, mais Fumiste avait pris son parapluie.

Ces temps-ci, c’est sur toutes les lèvres. L’humanité, selon la prophétie des Mayas, l’écroulement des marchés, les caprices du climat, touchera-t-elle bientôt à sa fin ? Du pain béni pour qui sait s’y prendre et à Neuchâtel ils ont su assez bien. Intitulée gaillardement « What are you doing after apocalype ? », l’exposition constitue le deuxième volet d’un projet thématique triple, voulu et pensé par deux groupes de têtes, celles en charge du musée et celles enseignant en faculté d’ethnologie à l’université locale. Après « le bruit » donc, « l’apocalypse », préfigurant une troisième facette conclusive qui mettra à l’honneur « le secret ». Qu’il se présente sous la forme classique d’un déambulement de vitrines où flottent des objets hétéroclites ou d’une carte blanche laissée à des artistes contemporains (le cas ici, en l’occurrence), ce projet vise à susciter par le vecteur du décalage, de l’inattendu, un questionnement, un malaise peut-être (mais de ceux qui construisent) et sans doute la suggestion que l’ethnologie s’applique de tout temps et à tous les peuples, y compris le nôtre. En somme, un but s’apparentant beaucoup aux volontés de l’art en général.


Le spectateur curieux (et détrempé) intègre tout d’abord un couloir aux murs recouverts de larges plaques de mousse synthétique (vestiges de l’ancienne exposition « bruit ») dont les séparations rappelleraient les zébrures laissées après un tremblement de terre. C’est à la première partie de l’exposition, nommée  à l’interne Bastokalypse et composée de cinq salles réalisées par les biennois Isabelle L. et  M.S. Bastian que nous ouvre cette atmosphère feutrée. Y sont offerts au regard une sélection de figurines en plastiques, issues des étagères enfantines des artistes, de Batman à Gluto (l’ectoplasme verdâtre et bâfreur de la série Ghostbusters), sorte de « transferts » nous dit-on, de véhicules transcendant leurs seules valeur d’objet vers une autre réalité, un Imaginarium personnel chez les plasticiens à l’œuvre. Porte ouverte donc sur leur subjectivité et rappel que, l’apocalypse n’ayant pas (encore) eu lieu, la fiction reste le moyen privilégié d’en questionner l’après. La salle suivante demande à gravir une série de marches où sont inscrites les titres de tubes. Des années 50 à nos jours, ils parlent tous de la fin prochaine. La joie enfantine du spectateur sera comblée par le fait que ceux-ci s’enclenchent au moment où le pied actionne la marche. Ainsi, sur un accueil brusque du Final countdown de Europe, on passe d’enjambées en petit pas des Doors à Tom Waits à la manière d’Indiana Jones dans La dernière croisade (bémol, au terme du parcourt pas de Graal mais une chanson de Didier Super).

Une série de tuyaux d’aération sortant du sol ou du plafond caractérise l’installation suivante. C’est la salle du discours, au sens académique et autoritaire du terme : discours sur la fin, la toute fin, traitant des aspirations et desseins de l’homme, ses échecs, ses succès, et assumés par divers enregistrements audibles dans la bouche surgissante des boyaux métalliques. De Deleuze à Boltanski en passant par la dernière interview déprimante de Lévi-Strauss, artistes et penseurs y dispensent leurs vues, leurs opinions, au point que chaque voix se mêle et se dissolve dans la masse verbeuse. Plus de sens à proprement parler, que du parler. On s’induit à penser que c’est à nouveau l’incertain qui est souligné ici, la tendance à s’interroger qui, si elle y prépare, ne calmera jamais l’angoisse du moment venu. C’est à Houellebecq, dont la petite stalagmite personnelle est placée en bout de salle, qu’est accordé le dernier mot poétique (?) et grinçant : « Comme un week-end en autobus / comme un cancer à l’utérus…». Encourageant.
Après avoir passé un périscope (annonciateur de la dernière installation), on pénètre la salle polémiste, celle mettant en lien système économique actuel, politique  et possible apocalypse. Passant en revue les divers objets et traces des causes possibles de cette dernière (du Sida à la société libérale), elle dresse une liste non exhaustive sur fond d’extraits textuels, des approches au fil des époques de l’idée même de fin, fin de l’art, fin de l’homme, fin de la civilisation. Méticuleuse et innovante, l’installation relativise tout autant qu’elle conscientise le rôle du spectateur dans la société, laissant à Montaigne (dont une bribe d’Essai transparaît sur un écran blanc façon moniteur principal dans Star Trek) l’ultime bravade sceptique : parlant de l’homme, de ses ambitions gouvernantes sur le monde et sur autrui, il déclare « Qu’il montre lettres de cette belle et grande charge ! »
On termine avec humour en faisant face à un gigantesque sous-marin, échappé de la période soviétique et planté le nez en avant dans la salle adjacente. De la main de François Burland, la réalisation majestueuse joue sur les époques, les genres, les peurs aussi, l’artiste explique ainsi (dans l’une des vidéos distribuées au hasard parmi les gravas produits par le pseudo atterrissage du mastodonte et relatant la genèse du projet) que petit on avait mis un point d’honneur à l’effrayer contre les « rouges », qu’assembler babioles et bout de bois avait été pour lui un moyen de conjurer la peur. Au sein du grand foutoir de Burland, on saisit peut-être ainsi une bribe du message global : si le concept de fin en lui-même est illusoire et débouche toujours sur un autre commencement (avec ou sans l’homme), l’apprivoisement des craintes par la création/réflexion reste un bon moyen de ne pas merder jusqu’au bout.


"What are you doing"…introduit une lutte, non contre la fin elle-même, mais contre une réaction par rapport à la fin. Un entraînement à penser qu’il y a toujours un ailleurs et donc un à faire. Au terme c’est à un poète (un vrai) que la dernière salve d’avenir est laissée. Sur un morceau de Rimbaud on traverse un rideau où défilent des images sans fin de la banquise fondante. Le spectateur disparaît, le monde reste.


What are you doing after apocalypse ? / Musée d’ethnologie de Neuchâtel / jusqu’au 26 juin 2012.

8 janv. 2012

TT SPEACHES: 2011

Illustrations: vitfait (février-novembre 2011)

160 albums présentés en neuf mois de Speaches, chroniques au long cours / solution miracle pour parler de l'actualité en toute liberté. Transgenres, nationaux ou exotiques, concrets ou fumeux: tenir une ligne éditoriale sur une telle rubrique était audacieux. Au pire: de quoi expliciter subjectivement ce que fut 2011 en musique. Au mieux: un recensement dense et sincère, abordable à tout moment.


Février 2011
Disques du mois
Julien: PJ Harvey, LET ENGLAND SHAKE
Pierre: James Blake, JAMES BLAKE







Pierre: On débutait pour cette formule Speaches, on était à la fois hyper ambitieux (« on parlera de chaque sortie ») et encore tâtonnant. Février, cela semble déjà loin et avec ce regard, on se rend compte qu’on a surestimé certains albums, qu’on est passé à côté d’autres et surtout qu’on a totalement oublié à quoi ressemblaient tous les autres. Ainsi, même avec du recul, j’ai toujours du mal à juger le disque éponyme de James Blake. Cela reste un disque important, du fait de l’échos qu’il a rencontré, malgré un son fait d’hyperdub et de longues plages de silence. Mais au fond, je pense quand même que cet album est décevant, surtout par rapport aux précédents EP de James Blake. Les très beaux moments ("Lindesfarne") pâtissent du voisinage de titres trop propres et sans mordant. Bon, en même temps, si les gens se mettent à écouter ça, on va pas se plaindre non plus.


Julien:  Non bien évidemment. Toutefois, nous reprochions déjà à l'époque un manque évident de morceaux-clés: « j'y vois un véritable génie derrière les boutons, mais qu'en est-il des compositions? ». Par composition, j'entendais peut-être le terme tube, à l'instar de ”Limit To Your Love”: à l'heure des bilans, c'est un peu dur dur pour Blake, seul une reprise (de Feist donc) se sera dégagé du LP. Toutefois, je reste archi-convaincu que cet album fait partie des toutes bonnes productions et mieux, qu'il est important pas seulement parce qu'il explicite ce concept nouveau de post-dubstep, mais bien parce qu'il s'agit à coup sûr du début d'une très longue carrière. Alors, qu'il y ait des tubes ou non, finalement on s'en fiche. Surtout que je n'aurai fait qu'intervertir mes morceaux préférés de ce LP durant toute l'année, trouvant à boire et à manger selon l'instant.


Pierre: Par contre, le PJ Harvey (LET ENGLAND SHAKE), je l'avais à peine écouté à l’époque et ce n’est que quelques mois après que je me suis rendu compte que c’était un tout grand album, comme tu l’as senti direct Julien. Des titres tous beaux à pleurer, une simplicité des instruments qui bonifient la sophistication d’une écriture juste bouleversante. Sûrement, le seul album de 2011 qui mérite l’adjectif de magnifique.


Julien: Où "The Glorious Land" pourrait bien être le morceau à guitares de l'année. Le clairon l'annonce: voici un morceau de guerre (avec des références russes et afghanes), un monstre de vaillance et, finalement, le véritable réveil de Polly Jean après pas mal de temps passés à la campagne (et à l'instrospectif WHITE CHALK, paru en 2008). Pour moi, cet album fait un grand écart entre le Harvey postadolescent et le Harvey quarantenaire. C'est crûment parlé, mais reste que ce 12-titres s'affiche véritablement comme le dernier rempart d'un rock absent des tablles 2011.


Pierre: Je finissais ce premier Speaches sur une question : qu’est ce qu’on peut trouver de bien à Cut Copy ? Près d’une année plus tard, personne ne m’a encore répondu et leur concert à Barcelone ne m’a permis de trouver plus d’indices à ce mystère.


Julien: Oui, comme quoi ce Speaches inaugural nous présentait comme très poli. J'aurai dû te dire que franchement je te ne comprenais pas sur ce point. Parmi les autres faits marquants du mois, on notera l'arrivée sur la pointe des pieds de SBTRKT avec un EP, avec son explosion en fin d'année et ses méga-tubes. Par ailleurs, Nicolas Jaar sortait son premier album, SPACE IS ONLY NOISE. Comme James Blake, Jaar étonnait: comment peut-on livrer de telles bombes électro et finalement livrer un album sans aspérité, voire, pour le grand public, sans point d'accroche? Nonobstant la déception générale selon mes propres sondages, je placerais cet album en haut de ma liste, sans doute largement influencé par ses énormes prestations scéniques, avec des ultra-geeks en backing band, faisant tournoyer le jazz et l'électro d'une manière flamboyante.

  

Mars 2011
Disques du mois
Pierre: The Weeknd, HOUSE OF BALLOONS
Julien: Robag Wruhme, THORA VUKK







Pierre: Ce fut un sacré mois et un sacré Speaches. Avec la fierté de ne pas être passé à côté de certains albums importants. Ainsi, on parlait tout de suite de The Weeknd qui vient de sortir une nouvelle mixtape. Sur le moment, comme tu le signalais, cela a suscité pas mal de réactions sceptiques voir moqueuses. Mais moi, je maintiens que HOUSE OF BALLOONS est un des albums de l’année. C’est clair que c’est hyper cul et que si t’invites quelqu’un à boire un verre chez toi et que tu passes ça comme musique, il va vite interpréter tes intentions. Au fond, je ne vois pas en quoi ce serait une critique que d’être hyper cul. The Weeknd plonge dans l’essence même du R’N’B : le sexe et ils vont franchement. Le tout est réalisé avec intelligence, mêlant rythmes lents et samples raffinés. Voir le son de Beach House, si amour éthéré, se transformer en sensualité dégoulinante, c’est franchement bon. Je pensais que ce serait lassant, mais ce n’est même pas le cas.


Julien: Rétrospectivement, je me demande si, finalement, ce n'est pas The Weeknd qui est la source créative de la rubrique Sensuelle Séduction… Si elle n'a pas été très rock, comme je le disais, l'année 2011 aura été ultra-love, et l'on ne s'est pas gêné de le faire partager aux platines ou lors de nombreuses chroniques ou mixTTapes.


Pierre: En ce mois de mars, étaient sortis les albums de deux de mes groupes préférés. Tout d’abord, ANGLES des Strokes. Malgré le fait que la plupart d’entre nous sont des fans, à Think Tank, il y a eu vraiment consensus quant à la faible qualité de cet album. J’ai récemment essayé de lui donner une seconde chance. En vain, malgré 2-3 titres à sauver, le tout noye les bonnes idées dans des chansons ennuyeuses pleine de fautes de gout évidentes. Tout le contraire de DOLPHINS de Mi Ami, un groupe monstrueux dont je n’arrête pas de dire du bien et je persisterai jusqu’à ce qu’enfin il soit assez connu.


Julien: Nous avons pris positions certes, plutôt deux fois qu'une sur le dernier Strokes, toutefois je me souviens de discussions avec certains critiques et disquaires les défendant honnêtement. Que le groupe soit en naufrage, c'est possible, mais ANGLES aurait plusieurs pistes de lecture et, finalement, bien plus de tubes que la majorité des albums à guitares sortis cette année. Je propose qu'on lui laisse passer l'épreuve du temps, histoire de voir s'il gardera la tête haute face aux deux premiers albums définitifs du groupe new-yorkais.


Pierre: Une chronique spéciale avait été dévolue à BOYS AND DIAMONDS de Rainbow Arabia. Quand je me relis, je trouve que je m’emporte un peu trop pour un album certes pop, drôle et un peu dansant mais loin d’être extraordinaire. Difficile de se rappeler plus du nom de plus de deux titres, un disque pop très éphémère donc.


Julien: Nous aurions dû donner une chronique entière à Robag Wruhme et son petit chef-d’œuvre THORA VUKK, aussi pour célébrer une musique électronique en verve, créative, hédoniste mais maligne. Pas mal de mixTTapes ont allègrement franchi le pas du tout-électronique, voire de la minimale, reste qu'elles traduisent bien un constat: après les années 2000, les gens ont de nouveau envie de s'amuser sans attendre une heure derrière des barrières de concert. S'amuser sans sticks fluo dans les dents ni gants blancs toutefois. En 2011, l'électronique est sobre et efficace. Ce mois-ci sortait aussi la production du Berlinois Mike Denhert, autrement plus vénère que Wruhme. A côté, Lykke Li ou The Pains of Being Pure at Heart paraissent tous légers à leurs côtés.



Avril 2011
Disque du mois
Pierre: Panda Bear: TOMBOY
Julien: King Creosote & Jon Hopkins: DIAMOND MINE






Pierre: Un mois une fois de plus surchargé et où t’étais hyper chaud Julien. Mais ici quelques critiques peuvent m’être adressées. Je trouve que certaines chroniques d’album sont un peu courtes et surtout souffrent d’une écoute pas assez attentive. Le disque du mois, TOMBOY de Panda Bear, se trouve en dehors du Speaches et ne relève pas le niveau. Ce manque d’accroche du Speaches s’explique parfois par des albums sans reliefs comme ceux de TV On The Radio ou Cold Cave mais par contre je passe totalement à côté du Metronomy alors qu’il figure pour beaucoup dans le top de ce qui s’est fait cette année. D’ailleurs Julien, tu l’as fait figurer dans ta sélection des meilleurs moments culturels. En relisant, je me rends également compte que je n’ai toujours pas écouté le Tune-Yards. Allez je prends la résolution de la faire sous peu, surtout qu’ils seront au Bad Bonn le 20 février prochain.


Julien: Alors oui, bien sûr, on a merdé sur le coup Metronomy, mais j'y vois peut-être notre posture parfois trop pragmatique. Rappelles-toi, avant ce ENGLISH RIVIERA, Metronomy ne sentait hyper bon, enfin, pour parler brièvement, ce groupe tapait dans le hipster – même si j'avais été étonné du meneur de Brighton lors de mon interview en sa compagnie en 2009. N'en faisons pas trop grand cas et savourons ce LP qui a vraiment tapé dans le mille, avec sa pop ultra lustrée et pourtant si immatérielle. tUnE–yArDs tu veux dire Pierre. Tu devrais, j'avais consacré un article spécialement dévolu à l'album de la folle demoiselle, ainsi qu'une vidéo. Pour ma part, je suis assez étonné que l'album DIAMOND MINE de l'association entre King Creosote et Jon Hopkins n'ait pas retenu l'attention de tout le monde au printemps. Il fallu attendre l'automne pour que tout le monde se réveille. Après, il y a plus accrocheur que King Creosote, et, en ce qui concerne Hopkins, il faut déjà un peu s'aventurer sur les pistes électroniques pour le connaître. Selon moi, cet album aura été largement sous-estimé. En attendant une nouvelle et belle production de Creosote?


Julien: J'en profite pour rappeler que nous n'avions malheureusement pas mentionné l'album de Conan Mockasin, sans doute par manque de temps. FOREVER DOLPHIN LOVE demande du temps pour rentrer dans le trip du Néo-Zélandais, entre romantisme beautiful loser et grands acts de psychédélisme. L'été, Mockasin se rattrapait en nous clouant sur place lors du festival Nox Orae, à la Tour de Peilz. Quelques expérimentations à la limite de l'absurde, mais surtout de grands morceaux, dont le titre éponyme.


Mai 2011
Disque du mois
Pierre: Gang Gang Dance, EYE CONTACT
Julien: Chad VanGaalen, DISAPER ISLAND







Pierre: En disque du mois, j’avais choisi EYE CONTACT de Gang Gang Dance et, encore une fois, je ne me dédie pas. C’est album n’a retenu qu’une attention discrète. Pourtant à la fois bizarre, naïf, parfois pop, ce disque restera peut-être une des rares fois où un groupe underground se plie au jeu d’assouplir sa musique avec succès, comme l’avait fait Ariel Pink un an plus tôt. Quand on écoute EEYE CONTACT, c’est catchy comme un vieux jeu vidéo et pourtant les chansons partent dans toutes les directions et certains sons n’ont vraiment aucun sens.


Julien: Et surtout un gros gros premier titre,  "Glass Jar", d'une douzaine de minutes de progressive 2.0. Catchy comme l'est le reste de l'album effectivement, mais catchy bizarre tu ne trouves pas tout de même? J'ai moi aussi adoré cet album et eu pas mal de plaisir à le repasser au fil des mois, mais tout cela est un peu tordu non? A part ça, tu te souviens qu'on n'avait ni parlé du premier LP des supra-hypeux de WU LYF et du prof' de philo John Maus (bien que l'on se soit rattrapé avec des chroniques de concerts ultérieures)? Ah mais attend, il y avait un autre buzz…


Pierre: C'est net,  dans ce mois de mai, le buzz Odd Future battait donc encore son plein alors que l’album de Tyler The Creator sortait. Le terme de "buzz" semble adéquat, tant le phénomène est retombé, du fait il est vrai de l’incroyable richesse au niveau hip hop cette année. Surtout, ce disque fut une véritable déception, pas si trash que ça et très monotones. Resteront les excellentes précédentes mixtapes du collectif, tant celle de Tyler que celle de Earl. Un bon coup pied dans le cul du rap ricain comme allait bientôt en recevoir le rap cé-fran. Sinon, c’est drôle, sur le moment je n’avais pas vu que tu évoquais rapidement James Pants, alors que je le considère comme un des trésors cachés de cette année, très foutraque mais gorgé de génie mélodique comme sur "Clouds on the Pacific".


Julien: Assez discret James Pants, et peut-être plus efficace que Damon Albarn et sa piste Gorillaz, dans le registre pop touche-à-tout. Pour ma part, j'avais zappé Zombi, artiste électronique qui fera finalement parler énormément de lui. Le truc de dingue c'est qu'on a oublié de chronique Africa HiTech – 93 MILLION MILES – ou je ne me trompe Pierre? Tant de magazines placent cet album dans leur top annuel. En même temps avions-nous déjà la tête dans l'incroyable tourbillon Shabazz Palaces. Mais tout de même Pierre, comment a-t-on pu?


Juin 2011
Disque du mois
Pierre: Shabazz Palaces, BLACK UP
Julien: Shabazz Palaces, BLACK UP







Julien: Donc ce BLACK UP de Shabazz Palaces, unique album nous ayant gagné la palme de la double nomination. Est-ce pour autant l'album de l'année? C'était le mois juin, juste avant l'été, le gros boulot et pourtant les jours cools naissants. Fallait-il en faire autant pour ce sombre disque? Un peu abasourdi par l'expérience vécue, j'écrivais: « Il n'y a pas grand chose à dire sur ce LP: c'est une tuerie qui effectivement va tout défoncer ». Ecrire pour ne pas dire grand chose. Fait plus intéressant et révélateur toutefois: le label archi-rock Sub Pop était le signataire dudit album. Formellement, est-ce toujours aussi intéressant six mois plus tard?


Pierre: Pour moi, le fait que ce soit le seul disque qui ait eu cette double nomination, c’est tout sauf du au hasard. Un album complet, intelligent, varié, accrocheur. Chaque titre comporte plus de moments différents que la plupart des albums actuels. Les basses tabassent. Rien qu’avec les trois premières chansons, BLACK UP aurait été mon album de l’année.


Julien: Il y au aussi ce morceau presque pop au milieu d'exercice: "Endeavors for Never (the Last Time We Spoke You Were Not Here I Saw You Though)", une sorte de trip hop ultra-cool, saxophone à la clé. Il s'agit du meilleur exemple de cet album effectivement sombre mais frais, pas franchement oppressant, même ça rape la voix rauque, le timbre bas. Et si tu veux vraiment danser, il y a le final "Swerve the Reeping of All that is Worthwhile (Noir Not Withstanding)".


Pierre: Avant la venue de WU LYF à Montreux, je trouve qu’on a fait un bon topo sur le groupe, sortant de la critique stupide de tout ce qui serait « hipster » et jugeant le groupe sur sa musique et son très surestimé album au nom déjà assez chiant. A côté, le rock ricain s’en sort pas mal avec Ty Segall et EMA, rien de nouveau, mais des albums qui avec le recul constituent les rares bonnes sorties aux rayons rock, auxquelles on doit évidemment ajouté 936 de Peaking Lights. Par contre, décidément, il y a tant de choses qui sortent que je n’ai toujours pas pris le temps de bien écouter le John Maus. Deuxième bonne résolution.


Julien: Impossible d'écouter GO TELL FIRE TO THE MOUNTAIN - de WU LYF donc - plus longtemps que deux ou trois titres, du fait des voix me mettant mal à l'aise. Sinon, musicalement, c'est irréprochable, et je le pense honnêtement… Quant au Peaking Lights, je le laisse tourner sur la platine, à l'aise, en attendant que les temps tropicaux reviennent.


Juillet–août 2011
 
Disque de l'été
Pierre: ROWBOAT VOL.5 (Compilation)
Julien: Moonface, ORGAN MUSIC NOT VIBRAPHONE LIKE I'D HOPE




Pierre: L’été, c’est un peu moins de sortie et cela fait du bien. Mais tout avait commencé avec LA SOURCE de 1995. Le premier grand succès de Think Tank. Après une soirée avec des potes à écouter ce groupe, j’ai senti qu’il fallait faire vite et essayer de publier avant les autres. Pari tenu. Après ça m’a fait plaisir que Nekfeu ait posté l’article sur son Wall sur Facebook, ce qui a entrainé un nombre impressionnant de lectures. Pourquoi cela s’est passé avec 1995 et pas un autre groupe ? Déjà parce qu’il s’agit d’un groupe francophone dont les fans peuvent lire nos articles mais surtout parce que c’est le truc le plus frais qui soit sorti depuis longtemps, instantanément accrocheur.


Julien: J'en reviens aux singles, qui devraient en appeler plein d'autres: "La Source" bien sûr, proche de la Fonky Family, au dernier couplet un peu absurde quant aux intentions réelle du sextet, le rigolo "Milliardaire", ou le très joli "Reflexxxion". Par dessus tout, Nekfeu, petite furie aussi vénère que sûr de son fait. Ce mec / lance flamme est la future star française des années 10, en solo assurément. Pour ce qui est de 1995, LA SUITE arrivera en mars, déjà, avant que tout n'implose, par trop de flamboyance.


Pierre: Tu as dit avant que 2011 avait été une année bien love. Confirmation avec Araabmusik qui signe une mixtape dont la sensualité kitsch est presque violente et qui aurait mérité une place de disque du mois pour sa transe sans gêne. Le nouvel album des Rapture se voulait lui aussi assez love mais leur concert m’a peu convaincu de leur capacité à bien dégager de l’amour et je n’ai donc toujours pas pris le temps de bien écouter cet album.

Julien: Le concert au RKC de Vevey n'était pas mauvais: j'ai trouvé le groupe impressionnant de maîtrise. Mais The Rapture n'a jamais fait l'unanimité dans le giron des chauds du rock. Il est toutefois de bon ton d'admettre que leur premier vrai album ECHOES fait partie des choses à écouter pour comprendre ce qu'il s'est passé durant la décennie passée, influencée mais astucieuse. IN THE GRACE OF YOUR LOVE me paraît cohérent mais manque d'audace, alors même que le groupe new-yorkais a su évoluer. Bizarre? Parmi les titres retenus, il y a leur chant du cygne, l'éponyme "In the Grace of Your Love", sorte de "New York I Love You" de LCD Soundsystem, pour bien terminer une belle nuit; l'ouverture "Sail Away", présente, pas compliquée mais efficace; "Come Back to Me" qui pousse le vice house à l'extrême mais qui, du coup, réussit parce que c'en est trop. Il y a des horreurs absolues sur cet album: n'en retenons que les 2-3 coups de génies du groupe. Avant de mettre la flèche à droite, définitivement?


Pierre: Trois albums auraient pu être sorti de la rubrique Speaches pour figurer dans un article musique hantée : RAIN FOREST de Clams Casino WANDER/WONDER de Balam Acab et WITH U de Holy Other. Trois excellents albums qui ont démontré à quel point le label Tri Angle a progressé tout au long de l’année, au point de devenir incontournable. J’aurai sûrement du faire l’effort d’écrire un article à part mais j’avais peur que la rubrique musique hantée souffre de trop de répétitions.


Julien: Tu n'as d'ailleurs pas mis la production du label Tri Angle dans tes meilleurs moments culturels pour rien… Pour ma part, je suis un peu moins enthousiaste que toi sur ces livraisons, en terme de morceaux mêmes. Le son, d'accord, mais, à l'instar de James Blake, n'est-on pas dans un leurre sonore, épuisant souvent toute scène émergente, à trop vouloir reprendre des codes naissants? Peut-être me manque-t-il de la chaleur humaine?


Pierre: C'est sûr que cela fait un peu hype. Mais, moi je pense qu'il faut se réjouir de l'émergence d'un label comme Tri Angle avec une identité forte et je trouve qu'il y a beaucoup de chaleur humaine dabs Balam Acab. En disque du mois, j’avais choisi la compilation Rowboat. Ce choix, je ne l’ai pas fait pour des raisons de sympathie mais parce que j’estime que la qualité de différents titres s’imposent d’elle-même. J’écoute souvent différentes compil de musique indé américaines ou françaises, et le moins que l’on puisse dire, c’est que Rowboat joue dans la même ligue et fait même preuve de plus de qualité et de variété dans ce qui est proposé. Alors, oui c’est mon disque de l’été, et ce malgré la sortie de nombreux albums de qualité.


Julien: Juste. Cédric Streuli et Patrick Vermeulen font vraiment un excellent boulot, au prix d'une éthique irréprochable et d'une certaine lenteur bénéfique. Rappelons que la compilation n'est sortie que sur vinyle, en quantité réduite (écoutable sur leur BandCamp tout de même). S'il y a des hauts et des bas, je retiens l'ouverture "Pritzkerprize and Hay Fever" de Kurz Welle, son frère d'arme Vinci Vince avec "Island"ou "Empty Jail" de Monoski, un duo à l'envergure internationale. De leur côté, les patrons de Rowboat expérimentent dans ce qui est vu comme une mise en bouche de leur production personnelles à venir (un deuxième LP de Buvette débarquant du Mexique et un premier album de Überreel imminent, respectivement). On va pas se lancer des fleurs, mais il y a de quoi être fier de leur faire un petit peu de promotion au vu des prédispositions.



Septembre 2011
Disque du mois
Julien: Dixon, LIVE AT ROBERT JOHNSON, Vol. 8
Pierre: Neon Indian, ERA EXTRANA







Pierre: Je trouve personnellement qu’en cette fin d’année le niveau musicale général s’est affaibli, ce qui se voit notamment dans le choix de disque du mois. Le Neon Indian n’est pas mauvais et ne casse pas des briques. Aussitôt apprécié, aussitôt oublié. Le dernier Girls vient donner un signe en plus de l’affaiblissement de la scène indie rock américaine. Je trouve même ma critique trop indulgente. D’ailleurs, je me rends compte que je m’emballe souvent pour des disques pas si époustouflant que ça et qu’à la fin de l’année il faut faire le tri. Ainsi les Stepkids et Blood Orange m’ont vite lassé, mais reste le travail d’orfèvre de Zomby ou Megafaun.


Julien: Sun Araw était impec' non? Il est vrai que je m'étais un peu emporté sur Stepkids: « Attention, c'est du lourd, de la catégorie pop qui sait se vendre et persister. Ce trio sera aussi énorme que l'a pu être récemment Gnarls Barkley «, mais je reste persuadé que cet album OVNI aura un retentissement justifié dans quelques temps. On n'oublie pas de si bons talents. Blood Orange et Neon Indian ne sont que des projets non pas futils mais banals, sous couvert de coolitude. Reste le CORACLE de Walls: « Toujours proche d'une certaine idée de l'électronica défendue par James Holden ou Caribou, Walls se rapproche cette fois–ci de Detroit avec des titres hautement clubbant ». Une des valeurs sûrs des albums dansants de l'année. Sinon, effectivement, pas grand chose à se mettre sous la dent…


Julien: Je reviens à la ligne pour souligner un terrible oubli: Baxter Dury et son HAPPY SOUP? Passé à la trappe? Un merveilleux petit album, entre Beck et Serge, avec le petit tube lose de l'automne: "Clair". Non, franchement, j'ai honte de ne pas avoir su le retenir.


Octobre 2011
Albums du mois
Pierre: Led Er Est, MAY
Julien: Still Corners, CREATURES OF AN HOUR
            Marc Méan Trio,  WHERE ARE YOU?






Pierre: Mois un peu triste que cet octobre. Le High Place est décevant et même si on essaie de nous l’imposer, ce n’est pas M83 qui va nous remonter le moral. Franchement quand je relis ce speaches, je déprime un peu. A nouveau, heureusement qu’il y a le hip hop pour relever la tête, avec la mixtape d’ASAP Rocky, le vrai disque du mois, où on retrouve une fois de plus Clams Casino à la production de plusieurs titres. Monstrueux, c’est à la fois bêtement trash et intelligent dans les compositions. Cela marque après coup plus que la qualité éthérée de Led Er Est.


Julien: N'oublie cependant pas la belle production de Oneohtrix Point Never, qui ouvre notamment pour Animal Collective. Pour moi, REPLICA (paru chez Mexican Summer) possède les mêmes atouts que les poulains de Tri Angle ou par ailleurs Zomby. De même Robot Koch a signé quelque chose de grand avec THE OTHER SIDE, manifeste dansant pour un Berlinois bien dans ses baskets. Et aussi un Suisse à l'aise: Marc Méan sort enfin son premier album et hausse vachement le niveau musical de la plupart des disques que nous avions alors chroniqués, WHERE ARE YOU est une somme déconcertante de jazz sur le fil et de maîtrise technique, laissant pantois pas mal d'amateurs lambdas. C'est juste beau et c'était bienvenu en ce mois maussade.


Pierre: Une des réussite de ce Speaches est d’avoir pris le temps de parler du gros buzz de cette fin d’année : Lana Del Rey. Alors que l’on commence à l’entendre partout et que chaque vidéo postée est sujette à des commentaires injurieux ne traitant que du physique ou de l’allergie à tout ce que les crétins appellent hipster. Il me semble qu’on a su analyser brièvement le phénomène Lana Del Rey, ce qui nous a permis en retour à juger sa musique pour ce qu’elle est : une chanson parfaite ("Video Games").


Julien: Ah, Lana… Mon Dieu. Et dire qu'on va nous refourguer son album d'ici peu. Cela dit, "Video Games" est tout de même un foutu morceau, le genre de truc que rêverait d'écrire une assemblée entière de ministres de la composition et de la belle formule. Ceci même avec une production de camionneur (si on écoute bien, c'est vraiment moche). Et puis sa direction artistique sur fond de visuels pâlots est un peu craignos à la longue. Et je m'excuse auprès de nos lecteurs quant au second album de Florence and the Machine qui finalement était largement surestimé. Pour terminer, Real Estate et Still Corners m'avaient pas mal convaincu, avec une préférence pour les seconds (album du mois personnel) qui n'ont toutefois pas – encore ? – le calibre de leurs illustres aînés (Elysian Fields ou Electrelane). Pas de quoi sauver un triste mois d'octobre. Cela dit, la fin d'année ne sera pas forcément d'un meilleur cru.


Novembre 2011
Albums du mois :
Pierre : Sleep ∞ Over, FOREVER
            The Mondrians, TO THE HAPPY FEW
            The Awkwards, MILLENIUM CASTLE

Julien: Floating Points, SHADOWS
            The Mondrians, TO THE HAPPY FEW



Pierre: Le dernier Speaches de l’année a coïncidé avec la sortie des albums de potes à nous, les Awkwards et Mondrians et ce mois fut donc marqué par leur écoute et les soirées vernissage. Je ne m’étends pas ici vu qu’on va revenir ensemble dans un futur article. Sinon, pour le reste, on sent que les distributeurs réfléchissent plus aux coffrets pour Noel qu’aux albums de qualité. Au milieu de truc décevant, il a fallu qu’on se batte pour faire ressortir deux bijoux : Floating Points et Sleep Over. Le reste n’est que mélodies convenues et grosses machines bourrines.


Julien: Je retiens particulièrement l'album des Mondrians, même si je n'aime pas trop comparer les albums de ces deux groupes proches, partageant même leur batteur depuis peu. Reste que le diptyque "Lou Controls The Seagull" - "Villa Maria" est juste au-dessus de tout et devrait résoudre bien des chagrins: les chœurs de "Villa Maria" sont parfaits et au point pour emmener le quatuor sur des eaux lo-fi avec la même candeur nostalgique que les Coral, la déglingue des Violent Femmes et un fond pas vilain de Grizzly Bear dans les intentions.


Julien: Le EP de Floating Points était pour moi le fait majeur du mois et s'est immédiatement placé dans les meilleures sorties électroniques de l'année. Je ne regrette pas mon choix de l'avoir placé en disque du mois et termine bien notre revue mensuelle: Samuel T. Shepherd fait partie de cette nouvelle génération de producteurs qui se sont pris le mouvement dubstep des années 2000 dans la tronche. Un peu comme nous, finalement. Non pour le buzz, mais aussi parce qu'il s'est réellement passé quelque chose avec ce genre musical (jusqu'à quand?). Atlas Sound, Calexico ou encore la Genevoise Kate Wax sortaient pendant ce temps-là d'excellents albums. Quant aux Black Keys, je reste encore dubitatuf (EL CAMINO). En décembre, nous avions déjà la tête dans les cartons et les cadeaux. Amy Winehouse s'est fait sortir son troisième album entre autre. On vous en reparlera pour un TT Speaches décembre-janvier qui s'annonce coloré.


Les illustrations des TT Speaches sont réalisées par vitfait, un des pilliers de Think Tank, à la base du logo mais aussi de nombreuses autres contributions.