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31 oct. 2012

Kino Klub: Flying Lotus – Until The Quiet Comes (US)



Ambiance fin de règne aux Etats-Unis. Les reporters de CNN se jettent carrément à l'eau sur la côte Est. Depuis l'Europe, on compare Manhattan "à l'Afrique" tout en attendant fébrilement le scrutin du 7 novembre. A l'Ouest, Steven Ellison semble être le mieux à même de saisir la complexité du problème. Until the Quiet Comes est le nouvel album de Flying Lotus (le quatrième), autonome des divers champs musicaux jusqu'à se profiler comme un demi-dieu:  le vrai-faux clip "Until the Quiet Comes qui réunit trois titres phares de ce LP – "See Thru To U", "Hunger" et "Getting There" pour quasi autant de featurings (Erykah Badu et Niki Randa) est sorti en septembre déjà, mais son empreinte est profonde. Réalisé par Kahlil Joseph (il avait déjà tourné des clips majeurs pour Shabazz Palaces), il déchiffre autant qu'il semble troubler la lecture de ce nouvel album, sans faux-fuyants ni attraction relative. Ce clip joue avec le présent et le passé comme le font les 18 titres d'un album moderne et pourtant si proche des productions soul 60's. Dans la voiture, avant ou après le crime/éveil, attend discrètement Ellison; huit petites années pour se hisser à la hauteur des grands noms de son label Warp et pour incarner au mieux cette renaissance américaine, qu'on croit là-bas éternelle. En attendant ce que l'on sait, ainsi qu'un long retour sur ce disque.

26 oct. 2012

Tame Impala : dernier bastion rock ?

Illustration : vitfait
Un deuxième album sorti il y a deux semaines, un concert à Lausanne prévu ce week-end aux Docks, Tame Impala est le groupe qu’il est difficile à éviter cet automne. Retour sur une espèce pas comme les autres, dont le centre est son tout (Kevin Parker est à lui seul Tame Impala) et qui exploite les points forts du passé et du futur d’une formation rock. Dernier rempart électrique et bouillant, les originaires de Perth se trouvent à l’aube d’une décennie qui préfère oublier quelques temps les guitares et batterie d’époque trop bruyantes.
Comme pour emmerder
Comme s’ils désiraient sauter à pieds joints dans une flaque de boue pour éclabousser le plus de passants possible, Tame Impala (c’est-à-dire Kevin Parker et Dave Fridmann, le producteur) ont très vite décidé que la batterie devait sonner fort, très fort. La plupart des groupes indépendants font souvent face à un producteur qui leur demande de baisser la batterie, parce que ce n’est pas l’instrument principal et que c’est inécoutable ensuite. Kevin Parker a trouvé la parade en siégeant seul au centre du groupe et ayant trouvé la personne parfaite à qui s’adresser. Dave Fridmann n'a pas produit le deuxième album du groupe de Parker (comme ce fût le cas pour le premier), mais ce dernier a quand même demandé de l'aide à Dave pour le mixage finale. Et ça se ressent.

Le premier album sorti en 2010, InnerSpeaker, utilisait déjà cette formule. Le très impressionant single "Solitude is Bliss" étonnait d’ailleurs par la sur-présence de la batterie – fantastique ! Quitte à ce qu’on entende mal ce que marmonne Kevin, la batterie est boostée et cela pour deux raisons : ce n’est pas une batterie habituelle, les rythmes sont soit débiles (plan plan plan à chaque temps), soit complètement loufoques (sur le titre "Endors Toi" où l’on craint une faute de rythme à chaque coup de caisse claire). Mais cette exagération (et c’est la seconde raison) aura le mérite de ne pas sonner comme un groupe indé chiant. Ce qui aurait pu très bien arriver à ce cher Kevin Parker s’il n’avait pas rencontré Dave Fridmann. Car soyons honnête, si Tame Impala séduit, c’est parce que le maître d’orchestre n’est autre que Dave, l’homme qui a produit Oracular Spectacular de MGMT (sûrement le meilleur album pop rock des 2000) ou bien les meilleurs disques des Flaming Lips. Dave, quand il produit, ne se cache pas derrière un groupe. Il le prend, le triture, le retourne, le pousse à bout, le détruit et le reconstruit à sa manière. Plus que les précédents, Tame Impala est un spécimen étrange auquel Dave semble s’attacher, puisqu’il a repris les commandes pour cette deuxième galette intitulée Lonerism.


La batterie justement
C’est sans surprise donc que le second disque de Tame Impala débute sur un beat de batterie devenant ainsi l’unique base du morceau introductif, "Be Above It". Pour une intro, c’en est une. Et d’ailleurs, c’en est tellement une qu’il semble que Kevin ait oublié d’en faire une chanson. Comme un pet dans l’eau, l’amorce de l’album déçoit un peu, reste insignifiante laissant planer une idée moyenne sans jamais oser l’exploiter. Même son de cloche pour la plage suivante d’ailleurs qui patauge malgré l’envie ressentie dans le solo finale. En fait, Lonerism ne commence vraiment qu’à la plage numéro trois et son majestueux "Apocalypse Dreams". Le premier single de l’album démarre sec, avec cette batterie imitant le piano (ou serait-ce l’inverse ?), emmené par une partie vocale séduisante et efficace qui se dédouble dans une partie ahurissante où le refrain et le couplet s’entremêlent. La chanson s’accouple avec elle-même, donnant naissance à une seconde partie aux accents égyptiens et menaçants qui s'éliminent en fade out.


Lennon en force
Le grand Tame Impala débute alors. Sur une simulation surprenante du Lennon de Sgt Peppers, "Mind Mischief" est tout simplement le morceau le plus profond du disque aux phrasés hallucinogènes (I just don’t know where the hell I belong) conduit par un riff génialissime, lent et préoccupant pour arriver au refrain sorti tout droit d’une pilule de LSD. Un régal absolu. Si "Music To Walk Home By" redescend d’un cran malgré un bon riff baignant dans du flanger (et son solo finale sur les cordes basses !), "Why Won’t They Talk To Me" vient rechercher ce côté Lennon que Kevin Parker affectionne de plus en plus. Titre aux allures de tube, sans tomber dans le pastiche, on sent alors que Tame Impala contrôle son truc, comme ce double départ magnifique du début du titre. Et puis il y a l’énorme "Feels Like We Only Go Backwards" qui dès la première écoute, vous engloutit dans une tendre tiédeur délirante. Peut-être la meilleur chanson de Tame Impala, peut-être la meilleure touche du disque, peut-être la joie de réentendre la chanson pop parfaite. Ici c’est Paul qui côtoie John et ce dialogue confirme que l’album entier semble tirer ses meilleures lignes du quatuor de Liverpool. Alors qu’on pensait le rêve terminé, "Keep On Lying" s’ouvre comme par erreur sur un fade in insignifiant (marque de faiblesse ?) alors que l’essence de l’album se retrouve en fait uni dans ce morceau dont la base est un beat primaire qui s’entoure de couleurs flamboyantes. Sur la longueur (la voix chante en tourbillon To the end of this song), le titre rappelle "Pipers" de Floyd sans jamais bêtement le citer et exprime une synthèse de tout ce qu’est capable de faire le groupe, ou Kevin Parker seul.

Le titre FM "Elephant" vient clore ce parfait parcours. En somme, ce sont les deux singles qui ouvrent et achèvent la partie centrale de l’album, la qualité intrinsèque et indestructible du disque. Si "Elephant" utilise une idée déjà très employée chez ses ex-contemporains de BRMC ou White Striphes (le gros riff de basse), c’est chez Deep Purple et des titres comme "Black Night" ou "Space Truckin’" qu'il faut aller piocher. En fait, le morceau de Tame Impala est un savant mélange de ces deux chansons, en plus psyché. La fin de l’album est légèrement décousue, avec un titre bizarre qui ne dure pas une minute et une sorte de long trip d’allumés. La ballade "Sun’s Coming Up" se trouve être la véritable surprise du disque. Peut-être un brin mielleuse, cette ballade aux accents gothiques est à la limite du pathétique mais tient tout de même la route. Le final joue sur des sons de grattes, où Kevin Parker semble se retrouver seul avec sa guitare et un enregistreur mono sur une plage australienne.


Eté indien
Comme pour prolonger le plaisir, Tame Impala fait perpétuer la belle saison durant l'été indien et éphémère, faisant survivre le rock’n’roll, Lennon et les vendeurs de pédales à effets. Un album qui ne se juge pas vraiment en somme ; il vient juste asseoir le statut d’un mec qui pense que les 60s et 70s ne sont plus une honte comme influence, mais un bouquet coloré qui ne lasse pas, et se réinvente. Tame Impala vient ainsi reprendre un flambeau volontairement laissé tombé par les Strokes, White Stripes ou Wolfmother. Une sortie de retour en arrière... pour mieux rebondir.


Tame Impala est en concert ce samedi (27 octobre) aux Docks de Lausanne
– unique date suisse



24 oct. 2012

In Another Country : le cinéma de Hong Sang-soo

Illustration: Charlotte Correia


Surnommé le « Rohmer coréen » par la critique française, Hong Sang-soo se positionne en effet  en marge de ses contemporains, Park Chan-wook et Bong Joon-ho en tête. Son dernier film est sorti la semaine passée en France et n’a toujours pas de date de distribution chez nous en Suisse (comme tous ses précédents films). Pour vous rassurer, In Another Countrydevrait sûrement être projeté lors de la prochaine édition du Black Movie à Genève, en janvier prochain. Afin de patienter et de se réjouir, doit-on rappeler que Hong Sang-soo compte déjà douze films depuis ses débuts ?

C’est en 1996 avec le titre à rallonge Le jour où le cochon est tombé dans le puit que le réalisateur coréen se fait connaître, film dans lequel on suit les mésaventures sentimentales de quatre personnages (deux femmes et deux hommes) selon chaque point de vue. Seize ans plus tard, Hong Sang-soo est adulé en France, où on le compare à Rohmer et au fils spirituel de la Nouvelle Vague. Lui qui a débuté modestement, il s’est vu ensuite offrir des moyens plus importants pour ses productions à partir de Turning Gate en 2002. Mais HSS est un personnage simple, un être délicat et solitaire et préfère retourner à des coûts de productions moindres, voire même les plus limités autorisés. Depuis quatre ans, il tourne avec une équipe réduite, louant son matériel et ne payant pas (ou très peu) ses comédiens, ces derniers acceptant de venir partager un moment unique avec lui, afin de progresser : « Tout est si différent avec Hong : je note ses consignes, ses remarques, ça me sert tout le temps » explique le comédien Yu Jun-sang, le maître nageur amoureux de Isabelle Huppert dans In Another Country.


La signature HSS
Ce n’est pas la première expérience que Jun-sang partage avec HSS. Il fut déjà enrôlé dans trois de ses films, dont son précédent, le superbe The Day he arrives (2011) qui se passe dans un Séoul en noir et blanc enneigé. Les films de Sang-soo ont cette particularité qu’ils s’imprègnent d’un climat et d’une saison afin de la faire ressentir aux spectateurs. On grelotte quand on regarde The Day he arrivesou La Femme est l’avenir de l’homme(2004) et on a trop chaud devant le magnifique Ha ha ha (2010) et Night and Day (2008). Remarquer qu’un film est réalisé par HSS n’est pas difficile tant le cinéaste aime à retrouver des éléments qui font sa signature. Le « zoom + recadrage » par exemple, une fonction quasi censurée dans le cinéma d’aujourd’hui, est l’une des marques de fabrique ultime de HSS. Cette manière permet de montrer au spectateur un plan général, le laissant libre de voir ce qu’il désire comprendre. Au bout de 10, 20 ou 45 secondes, HSS zoom vulgairement sur une partie du cadre et garde ce nouveau cadrage jusqu’à la fin de sa scène. Ce nouveau champ nous fait alors voir/comprendre/imaginer/interpréter de nouveaux horizons encadrés dans une fraction plus restreinte et plus intime. Sang-soo aime aussi inviter son spectateur dans son histoire de la façon la plus simple et agréable possible : le début de ses films se servent tous d’une légère musique, comme la magnifique ouverture de Conte de cinéma (2005) aux xylophones, présentant en plan-fixe la tour de Séoul, symbole autour duquel l’histoire tournera. Un troisième élément (il y en a bien d’autres) ? Les dialogues, jamais coupés, s’étalent dans des plans-séquences refusant le champ/contre-champ conventionnel, qui permettent ainsi de voir se construire une réalité dialoguée entre deux comédiens. Souvent, le dialogue est écrit le matin même, empêchant toutes répétitions pour les acteurs.

Il est normal de confondre ses films, de se dire que c’est chaque fois la même chose et que finalement on n’avance jamais. HSS aime la répétition, les habitudes, les déambulations dans les rues de Séoul ainsi que les scènes où l’on mange et l’on trinque ensemble – et nous retrouverons à chaque fois ces motifs. Dans son dernier film, c’est justement au jeu de la répétition que HSS s’attelle.


In Another Country
Son dernier film, qui met en scène pour la première fois une actrice européenne en personnage principal (Isabelle Huppert), comporte trois petites histoires différentes mais qui, au lieu des les rassembler dans une narration d’1h30, sont linéairement mises l’une à la suite de l’autre, comme trois courts-métrages. Sauf que ceux-ci ont bien un lien entre eux. Ce choix linéaire a pour but de souligner les habitudes du monde et les répétitions des choses de la vie, mais aussi de montrer qu’il est possible de faire quelque chose de différent avec toujours le même matériel. De ce fait, In Another Countrysemble être une explication de l’œuvre de HSS, une sorte de défense contre ceux qui ont tendance à dire que ses films sont tous identiques, que la répétition est pesante, inutile et non créatrice puisque « la grande affaire de Hong Sang-soo, c’est l’invisible infusion du romanesque dans le quotidien ».

A lire ses lignes, on craint de voir sur l’écran une narration complexe, intellectuelle et pédante. Ce qui est magnifique avec Hong Sang-soo, c’est qu’il est tout le contraire : c’est simple, naïf et euphorisant. Le plus bel exemple est (à mon avis) le film Ha ha ha (2010), peut-être son meilleur film, où se retrouvent deux amis qui ne se rendent pas compte qu’ils parlent tous deux de la même personne depuis le début de l’histoire. L’humour, bien évidemment, est une notion phare de son cinéma et permet de désamorcer un discours d’adultes souvent pris au piège par leur vision trop sérieuse de la vie. Dans In Another Country, c’est aussi la barrière de la langue, et donc de la communication (les personnages sont souvent de dos), qui est abordée, comme dans cette scène géniale de barbecue où le personnage d’Isabelle Huppert est invitée chez un couple coréen qui ne cesse de s’engueuler dans leur langue à propos de l’étrangère. Si la langue permet le contact, elle laisse aussi le conflit s’instaurer ; ce qui n’est pas possible avec la femme française, trop belle, si différente et si intouchable pour les autochtones. Mais finalement, la grande prouesse du film, c’est la capacité qu’il a d’employer les mêmes scènes pour expliquer des choses différentes : chacune des trois histoires réemploie en effet les mêmes personnages, le même lieu, la même ambiance autour d’un objet qui se ressemble à chaque fois, mais qui n’est pas le même. Le treizième film de Hong Sang-soo pourrait bien être celui de la confirmation d’un des plus talentueux cinéastes de sa génération, mettant en scène les rouages de son style.





Les quelques citations entre guillemets sont tirées des Cahiers du Cinéma, le numéro d’octobre 2012.

20 oct. 2012

TT Speaches: rentrée 2012

Illustration: Guillaume Dénervaud
Retour à la normale pour l'article mensuel de recensement, Speaches, après avoir relâché la pression éditoriale cet été. "Summertime: 3 x 3 albums pour l'été" proposait du R'N'B de qualité avec Cooly G et Frank Ocean, du lo-fi scintilant (John Maus), de l'historique (CAN) et d'éventuelles soirées torrides avec Com Truise ou "This Ain't Chicago". En automne, c'est différent, ambiance de crise sur des morceaux en mode mineur, “émotionnellement ambigus"; le zouk à l'envers, l'expérimental gaillard et la pop syncopée s'érigeront en ultime rempart du consensus.

Julien: La revue Psychology Of Aesthetics, Creativity And The Arts affirme en effet, dans une étude récente sur la pop music occidentale, que cette dernière ralenti son tempo au fil des décennies. Et revendique sa sophistication, moins naïve, moins juvénile. C'est un fait. Mais au fil de ce Speaches, nous pourrons relever d'autres observations avérées, entre les productions de plus en plus barrées, la frontière sensible entre musique de masse et alternative se rétrécissant sciemment, et, ce qui nous ravira, une nouvelle génération qui a délibérément cessé de regarder dans le rétroviseur - forcément, il faut toujours faire l'inverse de ses aînés. Ainsi, on fête les 10 ans officiels de la vague en "The" ou "New-Rock" avec quelques albums séminaux (UP THE BRACKET des Libertines, tout de même, entre autres), et tellement de formations et de managers opportunistes, pour un mouvement n'ayant au final pas grand chose pour lui, surtout pas le nom. THIS IS HARDCORE avait tiré un trait définitif sur la Brit Pop des 90's; XX du groupe éponyme londonien, fit de même 10 ans plus tard avec ses semblables. A priori, je n'y croyais pas tellement. Dépouillement total pour un R&B minimal ou un Velvet Underground contemporain? Le temps a apporté ses réponses, avec l'activisme du faiseur de son des xx, Jamie Smith (remix du dernier album de feu Gil Scott Heron et de divas pop, EP personnel, DJs sets). Empreinte sensée dans le paysage actuel de la musique occidentale. Et premier album one-shot quasi-irréprochable, surtout non criticable quant aux intentions, ce qui est assez rare pour des jeunes gens. La suite, COEXIST, sortie mi-octobre, donnait des grands espoirs avec le premier morceau s'en échappant, "Chained". Raphaël, je sais que tu trouves à redire sur ce LP assez inégal, pas forcément décevant, mais certainement moins décisif.

 


Raphaël: C'est vrai. Méfiant à l'époque de la sortie du premier album, je m'étais finalement laissé séduire par cette étrange et finalement assez fascinante morphologie pop. Sans attentes. J'ai malgré tout suivi l'évolution assez fulgurante de Jamie XX qui, sans pour autant me convaincre entièrement, a renforcé ce qui m'a semblé confirmé par COEXIST: Jamie Smith porte à lui tout seul le projet. A l'exception de son travail rythmique, on retrouve ici basiquement la même formule, mais sans magie du premier jet. C'est alors que sensualité lascive et nostalgie adolescente deviennent fadeur. On pouvait s'en douter dès le début, mais le seul talent d'un beatmaker ne suffit pas à réveiller la passion. Ca n'était donc qu'un flirt. Qu'en penses-tu, Julien?



Julien: COEXIST n'est pas une déception mais il ne en effet possède pas la même aura que son prédécesseur, en se décloisonnant, rendant perméables ses constructions aussi énigmatiques qu'inflexibles, réaffirmant la culture club sous-tendant le projet musical xx. La méthode reste la même, en apparence, avec, peut-être, moins d'emphase et, dans tous les cas, une séparation nette avec l'indie-pop, catégorie fourre-tout. On sent le trio plus lucide et plus sûr de son fait – surtout au chant – jouant de ses propres gimmicks ("Tide" ou "Reunion"), retenant des envolées lyriques au profit de beats fringants ("Swept Away") ou alors dégageant toute voie d'accès aux machines pour laisser Romy Madley Croft et Oliver Sim avancer conjointement en duo vocal évasif mais assuré ("Angels", "Our Song", "Try"), sur une mesure impassible ou poussive en certains cas. The xx fonctionne  sur le fil, comprenant parfaitement ce qu'on peut faire sur la durée d'un album, pensant les morceaux en série plutôt qu'en assemblages hétéroclites; reste une excitation moindre, malgré les deux excellents titres "Chained" et surtout "Fiction", sensuels et adéquats, et un sentiment de torpeur vécu sur le premier LP quasi inexistant ici. COEXIST n'est pas un disque raté, il demeure brillant, excessivement cool et contemporain certes, mais splendidement arrangé. Et d'annoncer justement Jamie Smith comme probable beat maker le plus influent de la décennie parmi d'autres candidats de haut-vol (Flying Lotus notamment, nous en reparlerons plus loin). On reste dans le cool:



Pierre: Think Tank en fera l’after au Romandie, le 17 novembre prochain. Néanmoins, pas sûr d’être convaincu par cette formation qui pille la musique hantée (voix ralenties, basses lo-fi). Pas que je sois contre le pillage. L’important c’est ce que l’on en fait. Purity Ring gâche le métier en restant à un niveau de soupe pop indé dans tous ses travers : chansons efficaces mais sans véritable mélodie, album peuplé de titres très similaires. Il y a quelque chose de vraiment terrifiant à se trouver face à une musique mielleuse et sans relief et y entendre des copies de Salem ou de The Knife. Les quelques titres efficaces ("Ungirthed") ne pardonneront ce gaspillage.



Julien: Tout mouvement se caricature une fois qu'il se voit être légitimé, ses barrières pénétrables et le numerus clausus inexistant. Néanmoins, la musique hantée possède encore de beaux arguments, novateurs ou, au moins, captivants, avec les deux formations Holy Other et How to Dress Well dont Pierre nous parlera en article séparé d'ici la fin du mois. J'en profite juste pour relever que la seconde vient de livrer un LP – TOTAL LOSS – définitif, moderne et galant. Sorti de Tri Angle, Tom Krell cite encore plus le son chaud d'outre-Atlantique, entre R&B traditionnelles (Stax) et récents (Frank Ocean). Il me rappelle en certains points les productions de Teddy Riley, vu comme fondateur du R&B moderne (affilié à Interscope), notamment celles pour l'album DANGEROUS (1992) de Michael Jackson ("In the Closet", "Remember the Time"), les pads électroniques, les claquements de doigts, le fameux gimmick jacksionnien (un souffle, un soupir ou une plainte, suivant les interprétations). On pourrait associer à Tom Krell d'autres actes musicaux sur cet album de gringue chic, ici aussi trendy et "émotionnellement ambigu". Honnêtement, que la musique ralentisse, on n'y voit pas de péril.





Raphaël: J'en profite pour parler une fois encore d'une sortie de la maison Tri Angle, que l'on retrouve inlassablement dans les colonnes Think Tank. Il ne s'agit pas d'un statement, mais chaque sortie semble pousser encore plus loin le parcours presque sans-faute d'un label au sens originel du terme. Alors on s'incline. ORDER OF NOISE, premier album faussement pompeux du Bristolien Vessel, s'impose sans aucun doute comme un essentiel de cette rentrée, voire de cette année 2012. A l'instar de l'excellent RIP d'Actress paru un peu plus tôt, ORDER OF NOISE est symptomatique d'une génération d'artistes puisant allègrement dans les codes de l'électronique pour finalement délivrer le genre de morceaux que je te défie de passer dans une fête. Plus que de morceaux, il s'agit d'un album dense dont l'apparente brutalité n'a d'égal que la précision chirurgicale qu'elle dissimule. Esquisses hantées, dub caverneux, post-AFX processionnel ou dance indansable cohabitent dans cette brumeuse célébration à la dévotion tout ce qu'il y a de plus païenne. Sans crescendo apparent ni d'autres artifices que sa sensualité glaciale, jamais poussif, ORDER OF NOISE se révèle à chaque instant d'une beauté effarante. Grand.



Julien: Sur ta recommandation, j'ai acquis le disque et l'ai directement placé entre Jan Jelinek, Deadbeat, Andrew Peckler et même Nathan Fake (les synthés de "Image of Bodies"!). Un jour, nous ferons danser les gens sur cette électronica sépulcrale, promis. On y passerait aussi, sans doute, le tube dépouillé d'Andy Stott, "Numb" ou "Waxman And The Sunchild" de The Mole (nouvel EP, IF I HAD A NICKEL, aux deux titres essentiels, l'un 80's – "I Twist Your Turn" – et la House old school "If I Had A Nickel". Ensuite, pour reloger de la chaleur dans les corps, "Getting There (feat. Niki Randa)" de Flying Lotus serait légitime. Et rendrait hommage à l'un des artistes électro le plus influent de ces dix dernières années, sans exagération. UNTIL THE QUIET COME est seulement le quatrième album de ce descendant des Coltrane, et succède à l'unanimement salué COSMOGRAMMA. Moi qui aime davantage quand ça swingue que quand ça breake, je vous raconterai d'ici la fin du mois en quoi cet album est honorable. En attendant, je l'accroche comme "disque de la rentrée".





Raphaël:
Un autre potentiel disque de la rentrée avec Lukid, ovni toujours présent mais rarement mis en avant. Pour un quatrième album sur Werk Discs (le label d'Actress, tout de même), des accointances avec Ninja Tune, on peut bien s'étonner que Lukid n'ait pas pris une place prépondérante dans la galaxie électronique. Plutôt que d'essayer de comprendre pourquoi ça n'est pas le cas, essayons de comprendre pourquoi ça devrait l'être. L'observation de sa carrière a quelque chose de finalement réjouissant : chacun de ses albums est meilleur que le précédent. L'évolution de ses productions, depuis ses débuts lorgnant vers hip hop et broken beat, jusqu'à cette indéniable réussite qu'est LONELY AT THE TOP, le prouve. En plein trip simili-house syncopée et ouateuse, ce disque bien perché est sans doute l'objet l'un des plus étranges que la scène actuelle ait à offrir. Entre absence de formes et fausses évolutions, il conserve, du premier au dernier morceau, une fabuleuse intensité. A nouveau, on se retrouve bien loin du clubbing et plus près du dimanche hagard d'après-soirée. Les rythmiques roulent, les kicks se font évanescents et jamais une longueur n'est trop longue. A la fois boiteuse et magnifique, la musique de Luke Blair est un piège tendu, sous ses airs simples.

Lukid ne semble pas avoir pour ambition de faire suer les oiseaux de nuit, ni de se retrouver remixé par le gotha l'électronique. Plus simplement, il marque une carrière de discrétion par un album d'une beauté rugueuse, sans grandiloquence aucune. Lukid s'en branle, probablement. Sa musique continue à me faire chialer et lui continue de parler de joueurs de foot et de chiens à chaque fois qu'il en a l'occasion.


Julien: Lukid me fait penser par moment à certaines productions de Shed (notamment "The Bot"), signé chez les berlinois d'Ostgut Ton, et aussi, pour coller l'actualité, à l'Ecossais Dam Mantle (nouveau titre, "Canterbury Pt.1") que l'on retrouvera dans le cadres de huit ans du label Creaked Records – et aussi un proche du label est-lémanique Rowboat Records. Dans tous les cas, il regroupe des titres aussi inmixables que ceux de Vessel, te fuyant entre les mains, trop rond quand il devrait kicker, trop glacial quand il devrait soulever le public ("Riquelme"). Dans tous les cas un grand disque de solitude. A l'inverse, on hésitera devant le nouveau projet House de Dan Snaith (Caribou), Daphni, signé sur son propre label, au nom identique que l'album: JIAOLONG. "Yes I Know" introduit le propos a priori enjoué, samplant à tout-va, entre tech-house donc et simulacres 80's. Oui, Snaith "took the plunge", le succès du multi-remixé "Sun" aidant à la décision, peut-être, démontrant le potentiel possible du gaillard, sans doute. Au final, on est plus convaincu par du teigneux ("Ahora") que par les tentatives un peu clubbesque sur fond d'IDM. C'est assez peu cohérent, et par moment indigne des deux autres projets précédents – Manitoba à l'époque et Caribou, qu'on espère retrouver rapidement. Dans ce glissement électronique, on retient tout de même "Ne Noya" de Cos-Ber-Zam (d'Analog Africa) en version parfaitement putassière. Allez, ça on passe en soirée.

 


Pierre: Dan Deacon, malgré sa barbe un peu trop jovial et son côté G.O., reste musicalement quelqu’un dont l’indépendance et la singularité nous inspire beaucoup de respect et d’admiration. Avec son nouvel album, AMERICA, il parvient à incarner au niveau sonore le mythe même de son album. Partant de presque rien, de quelques bouts de ficelle, d’instruments bricolés, de boucles rafistolée, il parvient à atteindre la grandeur. Sans sortir de son style électro habituel, Dan Deacon possède une sincérité qui lui permet d’exprimer aussi bien l’excitation ("Lots") que l’émerveillement ("Prettyboy"). Cette fois, il pousse l’audace jusqu’à se prendre au sérieux sur un quadriptyque mêlant le tout grand n’importe quoi à la plus exquise qualité. En toute simplicité, un modèle d’indépendance à une époque où ce concept est de plus en plus dévoyé.



Julien: Des qualités comparables à Flying Lotus. Ou à Animal Collective, dans une certaine mesure. Pierre, tu l'annonces disque du mois, enfin, de la rentrée. Si l'on en reste à MERRIWEATHER POST PAVILLION grand disque d'espaces extravagants et le EP lui succédant, l'intime quoique toujours déraisonné FALL BE KIND, tous deux parus en 2009, CENTIPED HZ décevra: le grandiloquent demeure, mais il faut le lire la tête à l'envers, passer entre les obstacles abstraits, les partitions rayées et les boucles bizarres. Il semble qu'à chaque nouvel album Animal Collective ajoute un style musical à ses partitions idéales, hymnes d'un sport qui n'existe pas encore, chansons à double fonctions (de chant, de danse) pour autant de réceptions possibles (tant exigeantes qu'excessivement pop); sous de multiples couches se lit en effet une piste extrêmement proche du R&B ("Rosie Oh", tellement lyrique, "Father Time" et surtout le dégoulinant "Mercury Man"). CENTIPED HZ est un disque de transe, proche de STRAWBERRY JAM, fastidieux, à l'ouverture ("Moonjock") presque dissuadante, aux attaques perçantes et incessantes, aux référents fantasques et quasi antinomiques (Genesis rôde,  le RZA période Wu-Tang, le genre glitch aussi), parfois opaque et pourtant lisible de bout en bout. Animal Collective ne s'amuse pas, il aurait pu devenir le Radiohead nouvelle génération, il consolide sa position en y rajoutant encore des couches. C'est un peu ce drôle de paradoxe du quatuor que tout le monde comprend  (on le nomme même groupe cool tout en le détestant aussi): peu nombreux sont cependant ceux qui réussiraient (ou oseraient plutôt) rentrer dans l'expérience et livrer de telles pièces. Certains ont parlé de "zouk à l'envers". J'aime bien le terme.


Pierre: C’est l’automne. Il pleut et fait froid. Quoi de mieux que de fumer nerveusement en écoutant du post-punk irlandais. Le label Finder Keepers simplifie la tâche en sortant, STRANGE PASSION, où il n'y a surtout pas du U2. S’étalant entre 1980 et 1983, tous les enregistrement ont en commun une même rage froide et métalique. Les musiciens de l’île font se lever les océans pour rejoindre le monde de l’avant-guarde musicale. Cela passe parfois par des guitares post-punk ("Just Friends" de Dogmatic Friends), de la no-wave (Threat), de la grande new wave féminine (Choice) ou des trucs plus barrés indus avec Tripper Humane et PH. Que des formations inconnues pour des titres magnifiques pour envoyer tout faire foutre avec grâce. Y a même un groupe qui s’appelle SM Corporation qui m’a ému.





Pierre: Pour ceux qui adorent Peaking Lights, voici un déjà un rejeton de qualité : Group Rhoda. En solo plutôt qu’en duo, on retrouve la même intelligence dans les boucles et les influences. Une sorte de musique électronique ré-instrumentalisée via l’usage de sample d’instruments non-électroniques, des claviers assez clairs pour une production qui s’approprie le lo-fi du post-punk. Au coeur du EP, OUT OF TIME – OUT OF TOUCH, on trouve une suite de trois titres parfaits : "Hi Rise", son gros dub enfumé et ses basses des tropiques ; "Work", son martèlement et sa voix qui monte crescendo ; "At the Dark", ses mélopées et sa grandeur assumée.



Julien: On reste dans les envies de grandeurs et autres prétentions ici à moitié voire aucunement atteintes. Cat Power, hum, bon, on connaît le(s) problème (s), les fans, les égarements, et les hauts-faits. Sinon, SUN promet une demoiselle Marshall en grande forme; "Cherokee", ultra-indé, et le vaguement rétro "Sun" suivent l'annonce. Pas vraiment d'effet post-annonce. "Human Being", maussade comme il faut, et "Ruin" sauve ce disque, justement, de la ruine (je m'excuse), Cat Power FM oui oui. A l'inverse, on s'est pris d'adoration pour THE SCARLETT BEAST O'SEVEN HEADS de l'Allemand Get Well Soon. Instantanément, peut-être un peu trop. Vu en concert dernièrement pour défendre ledit LP, on revoit notre jugement devant cette formation pêchant par excès conservateurs, par prétentions digne d'Arcade Fire et par un certain manque, de fait, d'originalité. L'album n'est de loin pas mauvais, avec des morceaux de grande envergure quand ils dévient sur le glam (le coup de tonnerre proto-gay "Roland I Feel You" et l'impeccable "The Kids Today"), même si leurs plagiats canadiens et de tout ce qu'adore Pitchfork ("The Last Days of Rome", "Courage, Tiger!") pourraient les mener droit au tribunal, du moins desservir des intentions plus qu'honnêtes.



Julien: Je ne lâche pas l'affaire avec d'autres postulants vus parfois comme d'affreux pédants en velours côtelé. Grizzly Bear, que 97, 5 % des pointeurs musicaux et critiques sérieux chérissent dans des écrits exaltés, traînent aussi des casseroles dans les quartiers des sceptiques. A l'instar de Beach House, le quatuor de Brooklyn possède les défauts de leurs qualités: luxuriante, bien ficelée, leur folk précieuse (et sérieuse) devrait cesser de se risquer à la consécration lyrique et au plaisir du geste. VECKATIMEST (2009) avait de retenue et d'incisif ce que SHIELDS a de célérité et d'emphase bien américaine. C'est la rentré, on y met la grosse sauce. Grizzly Bear semble s'être engrossé – c'est le risque pour ce genre de formations ultra-douée et plus qu'encensée – et cherche un tragique qui lui allait si bien jadis. "Gun Shy" est un grand morceau pop – rappelant "Melody Day" de Caribou (bien vu Gaspard Turin!) – certes, tout comme le final "Sun in Your Eyes" un sommet du groupe (encore bien vu Gaspard Turin!). Est-ce que cela suffit pour pouvoir comparer le cotonneux et assuré SHIELDS à son prédécesseur, fin et toujours d'époque?  Tame Impala, groupe aussi cool que Grizzly Bear, tente lui aussi de survivre à son dernier LP (et dans son cas, premier), INNERSPEAKER. Notre chroniqueur cinématographique Maxime s'épanchera prochainement sur le traité loner du groupe australien. LONERISM (quel nom! quel programme!) possède dans tous les cas les bonnes influences (l'arrivée de sons électroniques dans ce régal psyché), les morceaux définitifs ("Apocalypse Dream", "Feels Like We Only Go Backwards") et d'extase scénique promise ("Why Won't They Talk To Me?"). Sans émettre de jugement hâtif – le disque est encore récent – Tame Impala réussit à surprendre dans un style presque aussi vieux que nos parents, avec des "cadavres exquis" plus que gonflés.





Julien: Ce Speaches de "compromis de la rentrée" se fait plaisir pour terminer avec deux belles sorties. De Stereolab, Laetitia Sadier ne sort que son deuxième album personnel, après avoir œuvré presque deux décennies pour cette formation aux ventes inversement proportionnelles à son aura. SILENCIO démontre l'étendue du talent de la Française, avec des lignes directes tendues entre les deux continents musicaux. Bien entendu, c'est "Find Me the Pulse of the Universe" qu'on préfère, parfaite pop song mélancolique, même si le fantasque "Moi Sans Zach" replace brillamment la langue française dans cette longue chronique. Autour de l'album se déploie le concept du silence, avec des pièces vaporeuses semées tout au long du LP ("Silent Spot", "Lightning Thunderbolt"), et un final sous forme de workshop. "Invitation au silence", comme une résonance sourde aux morceaux grandiloquents d'artistes sus-nommés. Aussi comme une purification auditive avant de boucler avec THE BOOMBOX DIARIES VOL. 1 (EP) de la vive Nitty Scott, MC, franc et brûlant. Une ouverture triomphale, plein de gouaille et dans une sorte d'antithèse d'une Nicky Minaj. De quoi toutefois la placer dans les artistes Hip Hop à suivre de près pour l'avenir d'un genre actuellement dominé par des kids sous codéine. Les grands morceaux ne sont pas encore là, l'écriture devant encore s'affiner, mais on relèvera les classieux "Planes, Trains and Automobiles" et "Flower Child (Feat. Kendrick Lamar)", frappeurs mais réguliers dans le geste. 


Disque du mois
Pierre: Animal Collective, CENTIPED HZ
Raphaël: Vessel, ORDER OF NOISE
               Lukid, LONELY AT THE TOP
Julien: Flying Lotus, UNTIL THE QUIET COME
            Nitty Scott, MC, THE BOOMBOX DIARIES VOL. 1

Singles du mois 
Pierre: Flume, "Insane"
            Zsa Zsa, "Something Scary"
Julien: Andy Stott, "Numb"
            Laetitia Sadier, "Find Me the Pulse of the Universe"
            Get Well Soon, "Roland, I Feel You"
Raphaël: Fatima Al Qadiri, "Ghost Raid" 

15 oct. 2012

Ted, Mila Kunis et le fantasme de l'adulescent

Hebergeur d'image
Illustration: Julien Gremaud / Canal +
Le créateur des dessins animés Les Griffin et d’American Dad sort sa première comédie pour le grand écran en tant que réalisateur et scénariste. Un film qui a ses faiblesses et ses hauts, ses moments franchement drôles et ceux où l’on préférerait zapper sur un vieil épisode de Friend’s. La comédie pour adulescent ne peut vraiment décevoir un public de trentenaires encore lovés dans le confort réconfortant des années 80.

L’histoire de Ted paraît risquée pour le spectateur européen : un trentenaire qui n’arrive pas à se séparer de son Teddy Bear et qui, lors d'un réveillon de Noël de sa tendre enfance, s’est transformé en une peluche vivante. Le petit ours devient alors la coqueluche d’une Amérique à la recherche de tout ce qui fait rêver, baignant dans le cosmos Amblin des 80s, mêlant l’idolâtrie pour l’univers de Star Wars et celui des Goonies. Mais le film, en lui-même, ne fait à cette période dorée que des appels étroits répondant à l’univers dans lequel grandit le jeune John Bennett (Mark Wahlberg). Le style du film lui, en est bien loin. Mais ce n’est pas vraiment ce qui importe.


Pourquoi Ted fait rire ?
Ted commence sur de bonnes bases aux allures de contes pour enfant. On y découvre, narré par la voix réconfortante et paternelle du Capitaine Jean-Luc Picard de la série Star Trek, une banlieue enneigée de Boston dans laquelle vit le jeune John. Le prologue, certainement la meilleure partie du film, joue très bien sur un humour pince-sans-rire qui fait très vite mouche. Réalisé à la baguette (comme le plan d’ensemble en légère contre-plongée de la maison de James), le film débute avec intelligence et stratège. Le seul fait de partir en un faux plan-séquence du logo Universal à la petite maison où vit John, confirme ce décalage qu’il y aura durant tout le film entre « l’Amérique est un pays génial où l’on peut tout faire croire » (Hollywood) mais « peuplé de crétins cool » (on va taper un petit juif dans la neige). Le Teddy Bear – Ted, qui porte le nom du film – est une autre métaphore facile : le monde de l’enfance qui s’attache au gamin trentenaire qui recherche le sérieux de la vie d’adulte (mais qui n’y arrive pas). Car la plate morale du film n’aura finalement rien fait avancer du tout.

Alors disons-le, les trois premiers quart d’heure sont vraiment hilarants et Seth MacFarlanene veille à ne pas gâcher dans tous les sens les nombreuses blagues imaginables avec son personnage unique. Il invoque ainsi simplement son ours vivant au sein d’une société où tout le monde l’a (déjà) oublié devenant une gloire du temps passé qu’on ne reconnaît même plus dans la rue. C’est ce décalage entre la forme et le fond, entre ce que représente cet ours pour l’enfance et ce qu’il est devenu : son évolution l’a naturellement élevé, comme John, au statut de l’adulescent attiré par la défonce, le cul et les séries télé. Comme deux colocs qui s’aiment trop, la vie sérieuse – et donc celle primairement pensée du mariage – doit passer par une séparation entre l’ours (l’enfance) et John. Et donc avec la rigolade.


Pourquoi Ted fait chier ?
Alors on se peut se demander si c'est vraiment voulu que, une fois que John doit faire son choix entre Ted et les adultes et sa copine (Mila Kunis quand même), le film ne soit plus rigolo du tout ? Ben oui, forcément, il fallait une histoire là-derrière, une histoire que l’Américaine moderne aime voir au cinéma, refusant d’admettre qu’elle se voit elle-même. Car l’ours n’est qu’un personnage rigolo finalement, qui invite le Flash Gordon de 50 piges à une fête où tout le monde se défonce dans une scène semi-drôle et plus endormante qu'hilarante. A la différence d’une comédie des Farrelly où même lorsque l’amour rentre en jeu il se passe toujours quelque chose de drôle, ici l’amour vient gâcher ce qui était pourtant excellemment bien mis en jeu dès les premières secondes du film. On regrette alors les dialogues quasi allenien de la première séquence sur la canapé ou les scènes de l’entretien d’embauche de Ted au supermarché – satyre probante de la réussite qui attire les pervers.

Le film pêche donc par son manque de piment dès la seconde partie de l’histoire, où Mila Kunis endosse le rôle de la copine chiante qui vient briser l’enfance heureuse de son compagnon. Quelle finesse et quelle rôle pour la copine de ses garçons qui passe pour l'image de la vie adulte où la déconne et le monde de l'enfance sont définitivement mis sous clefs dans un placard. Et puis, franchement, qui est assez con pour choisir un ours en peluche quand Mila Kunis attend sur le divan du salon ?


11 oct. 2012

Kino Klub: Romain Mader – Ekaterina (CH)



”Bienvenue dans la cité des femmes”: très au fait des nouvelles galanteries et astuces sonores pour conquérir langoureusement, se prélasser, se déhancher ou juste faire l’amour, Think Tank ne pouvait pas résister à ce travail de diplôme d'un jeune photographe de la région lémanique. ”Ekaterina” est aguicheur mais ne relève pas des codes pratiques et astucieux de tout photographe en quête de (re)connaissance. Documentaire désinvolte, bien ficelé et par moment hallucinant, il s'intéresse à une vraie-fausse ville ukrainienne, basée sur un modèle économique peu coquet: la femme ukrainienne, par et souvent pour des Allemands. Un peu comme la Thaïlande, mais en plus près, et sans mineures (encore que…). Ce ”court-métrage” était le point central de l'installation de Mader. Elle joue aussi avec son dispositif préféré, faisant des ravages, la mise en scène de sa propre personne comme botte secrète quand elle est maniée avec aplomb. Ici, la séduction ukrainienne n'est pas forcément sensuelle; elle est romantique moderne, surannée et monnayée. Sur Internet, Romain Mader est stereotyp.es.

6 oct. 2012

Kino Klub: Get Well Soon – Roland, I Feel You (DE)



Septembre, mois idéal pour lancer son disque, mois propice au succès certain et à l'abondance qualitative? D'ici peu, nous répondrons à ces problématiques par notre Speaches de la rentrée. Parmi les attendus se glissent d'incroyables surprises: Nitty Scott MC, Lukid, Vessel, ou Lætitia Sadier. Et puis, la plus improbable: Get Well Soon, de Cologne. On se souvient d'un premier LP honorable, de ses productions cinématographiques; on se souvient aussi, à l'écoute de la sortie de son troisième album, THE SCARLET BEAST O' SEVEN HEADS, qu'il ne faut jamais sous-estimer un musicien à la formation classique concourant dans la catégorie "pop". Parfaitement calé entre The Sunset Rubdown, Nick Cave, Richard Hawley et l'italienne musique de film, Konstantin Gropper signe des morceaux d'épate, gonflés mais pas pompiers, classieux et courageusement hymniques. Sous fort patronage Pulp, "Roland, I Feel You" (quel titre!) est le single d'un album sorti fin août, clippé comme il se doit par Philipp Kaessbohrer à la BildundTonfabrik de Cologne; fille martyre, cultes absurdes et effets boiteux. Cet Allemand formidable est à voir ce samedi soir sur scène au Rocking Chair de Vevey (première partie: David Lemaitre), 21h00. D'ici la fin de l'année suivront Lætitia Sadier, Jeremy Jay, Arno ou encore Julia Stone dans un RKC fêtant ses 20 ans.

4 oct. 2012

MIX TTAPE: Tussle (US)

Illustration: Charlotte Stuby
Depuis maintenant plus de dix ans, Tussle sort des albums, écume les routes, collabore avec Liquid Liquid, le tout dans une relative discrétion mais avec une solidité folle. Fidèles à l'univers qu'ils ont construit à coups de lignes de basse irrésistibles, ils viennent de lâcher "Tempest", nouveau disque au groove mordant dont la production a été confiée à JD Twitch, moitié des serial remixeurs Optimo. A cette occasion, on parle studio, concerts et hacking d' iPhone.


TT: Qui sont les membres de Tussle? Les rôles ont-ils changé pour cet album? 
Tussle: Sur cet album, on a perdu un batteur, Warren Huegel, mais on a gagné un batteur, Kevin Woodruff.
Donc: Tomo Yasuda - Basse, synthés, cowbell
Jonathan Holland - Samples, percussions et saxophone 
Kevin Woodruff - Percussions
Nathan Burazer - Samples, synthés, sifflet 

Comment le fait de travailler avec un producteur plus orienté vers la musique électronique comme JD Twitch (Optimo) a-t-il affecté votre approche à la musique et à votre travail? Qu'est-ce qui a motivé ce choix?  
En 2006, JD Twitch a fait un remix fantastiquement intense pour nous. Nathan a toujours été un énorme fan de leurs mixes et podcasts. Il l'a approché à nouveau alors qu'Optimo (les nuits de clubbing organisées par JD Twitch et JG Wilkes, ndlr.) fermait, espérant apporter quelque chose de cette intensité dans "Tempest"…
Hmm, "très électronique"? La majorité de la musique actuelle est enregistrée électroniquement. 

Honnêtement, travailler avec JD Twitch a été un soulagement pour nous. On savait qu'on était en de bonnes mains et on a une sensibilité très proche en ce qui concerne la musique. Il connait son sujet lorsqu'il s'agit de musique industrielle, de classiques dub, de post-punk, de free jazz, de minimal techno, de house ou d'ambient. C'est un connaisseur de musique. J'ai senti que, les deux, on voulait la même chose et on a concrétisé ça. C'était une éruption volcanique mentale comme on n'en avait encore jamais ressentie avant. 

Qu'est-ce que vous avez gagné ou perdu au travers de ce processus, alors que votre musique semble plus propre et moins DIY qu'avant? 
Chaque album devrait être une nouvelle approche, non? La différence cette fois? Cet album est nettement plus focalisé que les précédents, et on a essayé de prendre plus de plaisir et de ne pas prendre tout le processus trop au sérieux. J'ai l'impression qu'avec "Kling Klang", "Telescope Mind" et "Cream Cuts", on s'est trop accrochés à l'idée qu'on avait de comment un album de Tussle "devait sonner". On était très impliqués dans le travail avec nos producteurs, comme si toute idée, pour être légitime, devait venir du groupe uniquement. On a traité tout le processus, le matériel, les morceaux tellement précieusement. 
Avec "Tempest", on s'est engagés dans le même chemin avant de réaliser qu'on n'avait pas besoin de tout contrôler, qu'on pouvait faire confiance à JD Twitch. En triant les meilleures idées, les meilleures prises, on a fouetté tout ça jusqu'à une expérience sonique complètement différente de ce qu'on a voulu faire, mais pour le mieux. D'une certaine manière, on a abdiqué devant le processus et placé notre confiance en un producteur comme jamais encore.

Est-ce que cette optique a des répercussions sur vos concerts? 
Ils tendent à être complètement différents du son de l'album. On essaie d'utiliser les albums comme des lignes, des directions mais on ne sera jamais le genre de groupe à reproduire sur scène exactement ce qu'il y a sur un disque. Pour les concerts, on secoue un peut le tout pour ne faire que ce qui semble juste sur le moment même. On improvise énormément et on essaie de prendre du plaisir en entrant dans la musique d'une manière ou d'une autre.

Quelles sont vos attentes vis-à-vis de cet album et pour le futur, pour des projets à venir? J'espère juste qu'au moins quelques personnes apprécieront l'album et ressentiront quelque chose. Tussle n'essaie pas de changer le monde par la musique, on essaie juste de tirer du plaisir du processus. Aussi longtemps que les projets vivent, on les vivra au jour le jour. On aime créer des nouveaux morceaux et enregistrer et on verra bien où ça va. Ceci dit, on a des collaborations plutôt excitantes à annoncer dans les prochains mois… 

Vous verra-t-on en Suisse? 
Peut-être. On y a joué l'année passée et on a adoré. En fait, après notre concert à Genève on tellement fait la fête que j'ai perdu ma veste préférée et mon iPod. Je leur ai écrit un e-mail, puis j'ai tourné la page. Quelques jours plus tard, je recevais un e-mail de Genève. Quelqu'un avait trouvé mes affaires et allait me les renvoyer. Il a hacké mon iPod pour trouver mon adresse e-mail. Je sais pas si c'est un truc commun ou pas...mais bordel, la Suisse. Putain de pays génial.