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27 déc. 2011

GOOD TIMES 2011

Photos: Frédéric Gabioud

Plutôt que de vous servir un énième top 5, 10 ou 100 des albums ou des films de l'année 2011, Think Tank a décidé de chambouler les habitudes de fin d'année et de prendre un peu plus de temps pour permettre un meilleur regard sur l'année écoulée. A l'instar de ce que nous faisons tout au long de l'année, nous avons décidé de brouiller les frontières et de mélanger les différents domaines dans un classement de 10 meilleurs moments culturels pour chacun des chroniqueurs. Pour mieux vous donner une idée des richesses, des déceptions, des explorations, des revirements et des beautés que cette année a vu éclore. Avec ce souci constant pour l'équipe de Think Tank: être en permanence à l'affut de multiples voies que le monde culturel contemporain peut emprunter.


Pierre Raboud, rubrique musicale de Think Tank

1) Le soulèvement des peuples.
Que ce soit en Égypte, en Tunisie, en Syrie, ou dans la formation des différents mouvements des Indigné-e-s à travers le monde, les mouvements sociaux sont revenus sur le devant de la scène en cette année 2011, renversant des tyrans et remettant en cause un système capitaliste dont l'injustice est de plus en plus criante. Bien qu'il ne s'agisse pas de produits culturels, pour moi, un bilan de cette année ne peut faire l'impasse sur un phénomène qui aura peut-être un impact déterminant sur la culture mondiale et surtout dont l'importance et la beauté ont dépassé toutes mes attentes pour 2011. En passant, mentionnons que Kanye West s'est pointé à Occupy Wall Street et que Jay Z en a commercialisé des T-shirts. Lol

2) Le label Tri Angle.
Au centre de la rubrique Musique Hantée, Tri Angle a fait la loi toute cette année, en étant la pointe d'un son ultra contemporain fait d'hyperdub et de downtempo. A leur tableau de chasse, un des meilleurs albums de l'année, WITH U de Holy Other, et le transfert du R'N'B bizarre de How To Dress Well. Surtout, on trouve dans la véritable Dream Team du label les deux héros musicaux de cette année. A ma gauche, Balam Acab ne s'est pas contenté de sortir un album magnifique de finesse aquatique, WANDER/WONDER, mais a aussi signé des remixes au top du love, ne laissant passer aucun titre digne d'intérêt, que ce soit Lana Del Rey, Charli XCX ou Sleep Over. A ma droite, le producteur de l'année: Clams Casino. Sur Tri Angle, il sort un album foisonnant d'idées mais surtout tout au long de 2011 il a pondu des tracks hip hop monstrueuses, que ce soit pour Lil B, Soulja Boy et surtout ASAP Rocky. Tellement bonnes qu'elles restent surpuissantes en version instrumentale.

3) Le hip hop au top du top.
Les années 2000, associées au renouveau du rock, sont bien mortes. Les Strokes, Kills et autres anciens d'Oasis ne sont plus capables que de décevoir. Les héros du rock indé américains se sont enfermés dans la routine, Atlas Sound a délaissé l'exploration pour une forme renouvellée de crooner. Heureusement, le hip hop a relevé la tête et le niveau général. Alors qu'on le pensait seulement bon à sortir de grands albums pop, l'année 2011 l'aura vu enchaîner bombes et chefs-d'oeuvre. ASAP Rocky a déjà été mentionné. Il faut bien sûr y ajouter le meilleur album de l'année, BLACK UP de Shabazz Palaces, ainsi que toute la clique de ODD FUTURE. Du côté français, alors que cela fait bien longtemps que je ne me suis pas extasié sur quoi que ce soit provenant de ce pays, 1995 est venu balancer un ouragan de fraîcheur et LA SOURCE s'est placé tout en haut des titres les plus écoutés cette année.

4) Drive de Nicolas Winding Refn.
Glacial, brut, porté par un Ryan Gosling aussi halluciné qu'hallucinant, le film coldwave utlime, entre violence et poésie. Le seul film que j'ai vu deux fois au cinéma. Avec à chaque fois la même admiration.

5) Le Kilbi Festival.
L'âge empirant les choses, j'ai de moins en moins de plaisir  dans un festival. Mais au milieu des daubes consensuelles et froides, reste le Kilbi. Malgré un espace plus grand et des billets qui partent en quelques heures, l'ambiance et la qualité de la programmation restent au dessus de tout ce qui se fait ailleurs. Trois jours idylliques où on a vécu la vie de hyppies, pleins d'amours et de tendresses canines. Surtout, entre Animal Collective, Darkstar, Buvette, Caribou, nos oreilles ont fait le plein de bonnes musique pour tout l'été.

6) Black Swan de Darren Aranafosky.
Sorti en Europe au début de l'année, son souvenir se trouble un peu. Mais reste l'impression d'une grosse claque esthétique et dramatique.

7) Philippe Parreno à la Serpentine Gallery.
Malheureusement, je n'ai vu que peu d'expositions marquantes cette année. Rien n'a égalé la poésie de l'expo de Parreno en plein milieu de Hyde Park. Une promenade toute en émerveillement, que ce soit en admirant la neige factice tomber de l'autre côté de la fenêtre ou des vidéos mêlant boeufs, ampoules et apparitions.

8) Sonar.
Enfin j'y suis allé. Et les attentes se sont trouvées amplement comblées. Au milieu des drogues et des caïpirinha, des gens qui dansent sans cesse, et des concerts totalement fous, que ce soit Nicolas Jaar, transformant son excellent SPACE IS ONLY NOISE, en performance live monstrueusement house, ou Eskmo et des Djs russes (Mujuice et DZA) très très forts.

9) The Tree of Life de Terrence Malick.
Un film qui a tout pour agacer et qui se frotte sans cesse aux frontières du mauvais gouts. Que ce soit la fin dégueulasse dans le désert, le regard d'un dinosaure, ou les images de nature. Pourtant ça marche. Brad Pitt est époustouflant, le film boulverse toute linéarité et logique pour plonger dans les arcanes de l'humanité. Ne restent plus que la religion, la relation d'un fils à son père, à sa mère, à la mort. Un film qui éblouit rien que par son ambition artistique démesurée. Signe, avec les deux autres films déjà cité dans ce top, que Hollywood se concentre à nouveau sur l'expérimentation esthétique et s'en donne les moyens.

10) Le clip de Vanessa de Grimes.
Une année, c'est aussi cela. Voir quelque chose une fois, passer totalement à côté, l'oublier, puis retomber dessus et rester scotché. La réalisation de ce clip s'impose dans une année peu riche dans le domaine. Ses qualités n'apparaissent pas au premier coup d'oeil. Sous des allures de clip innocent de filles, un jeu parfaitement maitrisé autour de l'esthétique K-pop. A l'instar de la musique de Grimes, la simplicité de la pop se retrouve détournée via la désynchronisation son/image et le floutage du premier plan.







Maxime Morisod, rubrique cinéma de Think Tank

1) Drive de Nicolas Winding Refn en avant-première à Locarno fût mon "good time ciné" le plus marquant depuis belle lurette. Peut-être avais-je été simplement surpris ou ébloui de cette maîtrise si cohérente et intelligente de la mise en scène puisque le film était projeté juste après Cowboys vs Aliens ? Après l'avoir revu quelques mois plus tard, j'ai pu confirmer mon premier avis.

2) Terrence Malick qui reçoit la Palme d'Or pour The Tree Of Life m'a ému pour deux raisons : la première, c'est qu'il n'était pas là. Eternel absent des rendez-vous à paillettes, l'homme qui avait déjà reçu une distinctions pour son deuxième long-métrage en 1978 pour Days of Heaven à Cannes a finalement touché le Graal. La seconde, c'est que The Tree Of Life n'est pas le film parfait ; mais il est une signature en or gravée au bas de l'oeuvre de cet artiste hors norme.

3) "The Death Of You And Me" est le single qui a annoncé en juillet 2011 le premier album solo de Noel Gallagher qui sortait en octobre. A la première écoute, aux premiers accords du refrain, c'est tout un passé qui resurgit, celui de l'un des meilleurs songwriters des années 90. C'est toute la classe du mec qui a écrit Wonderwall et Live Forever qui revit, qui prend une forme iconoclaste d'un passé à l'odeur d'un western leonien. Noel n'avait pas écrit une aussi bonne chanson depuis The Importance Of Being Idle en 2005.

4) L'ouverture de Melancholia, le film géant de Lars Von Trier est un film à lui seul, une sorte de court-métrage réflexif, novateur, spectacle du chaos et de pessimisme. Invoquant Brügel et le grand romantisme germanique, Lars Von Trier signe l'un des prologues les plus puissants de ces vingt dernières années au cinéma.

5) La chanson "Share The Red" de Stephen Malkmus, tirée de son dernier album "Mirror Traffic", est un bijou parmi tant d'autres et rend compte en 2011 qu'il est toujours possible d'écrire de magnifques chansons avec une intro à la guitare électrique.

6) Le retourné de Wayne Rooney contre Manchester City le 12 février 2011 m'a fait levé de mon fauteuil et j'ai eu le réflexe bizarre d'appeler mes parents pour qu'ils viennent voir ça. Quand Rooney claque cette merveille à un mètre et demi du sol et cela contre l'ennemi juré qui commençait alors à prendre du poids avec ces petro-dollars, il remet tout le monde à sa place dont ces nombreux détracteurs qui le disaient fini après avoir annoncé son désir de quitter le club. Ce jour là, Rooney était le King : c'était un artiste. Et Manchester était de couleur rouge sang.

7) "Night Fall" de Kavinsky en doit certes énormément à Refn de l'avoir pris pour son générique d'ouverture de Drive. Mais le début du film avait aussi besoin d'une telle chanson pour déployer sa classe le plus rapidement possible. Le titre passe dorénavant un peu partout et on s'en lasse déjà. Mais quelle claque, la première fois.

8) Deerhoof au Romandie, le concert le plus brillant vu depuis de longues dates. Paradoxal, le groupe tiraillé entre la précision folle du batteur et les envolées expérimentales du gratteux m'a foutu un sacré coup de poing.

9) Le trailer de The Hobbit annonce magnifiquement l'un des films événements de 2012 ; un trailer en trois parties, couronné d'un chant a-capella repris par treize nains. On salive d'avance.

10) Gregory Blackstock au Musée de l'Art Brut (Lausanne) est une expo marquante (comme toujours à l'Art Brut) avec en prime un petit documentaire vidéo qui tourne en boucle où l'on voit Blackstock en pleine création, enfermé dans son atelier de Seattle.










Colin Pahlisch, correspondant artistique et littéraire de Think Tank

1) Le retour prouvé par la mise en scène successive en suisse romande de deux pièces, du grand Harold Pinter, respectivement ses deux premiers succès, Le Gardien (Kléber-Méleau) et La Chambre (chef d’œuvre de concision absolu, c’était à Aigle et ils se sont pas si mal débrouillés). Passablement absent des scènes européennes en général (après recherche, si si) la remise au goût du jour de cet ami de Beckett (sans en être pour autant le copiste) présage le meilleur pour l’année à venir.

2) La consécration pour le romancier américain Jonathan Franzen, qui sort Freedom deuxième volet désenchanté sur la société américaine par le prisme d’une petite famille du Midwest. Style précis et tortueux, analyse prestidigitatrice de la psyché du quidam lambda (peurs, rêves et désillusion), Franzen offre après Les Corrections, un exemple labyrinthique de maîtrise romanesque digne de Steinbeck.

3) L’exemple des Marches du pouvoir de Clooney. Un voyage dans le ventre du Léviathan des magouilles politiques attenantes à une élection américaine. C’est simple, efficace et certains choix de mise en scènes confinent au grand art (cf : l’éjection / vengeance du patron de campagne (Philip Seymour Hoffman), filmé de l’extérieur d’une voiture et dont la tension dramatique est seule présentée par un léger resserrement de cadre). Implacable et prophétique. Ryan Gosling aussi, convainc.

4) La découverte d'un tout petit film chinois, entrevu au festival des Diablerets (VD), Martial Monk raconte la vie d’un moine shaolin dans le monastère d’une province lointaine. Confronté à un choix cornélien (l’argent ou la tranquillité) il part demander conseil à son père qu’il n’a pas revu depuis dix ans. Flirtant entre le documentaire et la fiction sans jamais se décider, Martial Monk suit l’odyssée poignante et rêche d’un maître des arts martiaux. Humble et sublime comme un mouvement de thaï chi.

5) L’hommage par une exposition rétrospective à l’œuvre de Roman Opalka (Thonon-les-Bains). Dessins, eaux-fortes et peinture. Un mirage d’absolu, dernière manifestation de l’artiste polonais qui s’en est allé cette année aussi. Il le méritait, il nous l’a offert.

6) Le renouveau des arts plastiques contemporain, ou en tout cas une preuve de son intérêt constant et novateur avec le projet de Trois expositions organisé au bâtiment de l’ex-epa à Vevey par le Collectif RATS (curateur principal : Adrien Chevalley) au mois d'avril. Plus d'une vingtaine d'artistes, des illustrations et des perspectives aussi diverses que puissantes, au final, c'est la profusion et le chaos (nerf de la pulsion créatrice ?) qui y étaient à l'honneur. Preuve que partout et aussi petit que soit son bastion, l'art ne meurt pas, au contraire, il dure, se modifie et naît partout.

7) Le souvenir d'un penseur que le versant autoritaire et potentiellement étatisant des réseaux sociaux virtuels ne cesse de projeter vers l'actualité, Michel Foucault, de la naissance duquel nous célébrons l'"octoquinème" anniversaire (1926). À l'heure où chaque opposant un tantinet critique à l'égard du pouvoir peut être fiché (aux USA c'est le cas, à quand un Patriot Act suisse ?), il est peut-être temps de relire Surveiller et Punir. Heureusement, oui, il y a les Indignés.

8) L'essai d'un colloque uniquement estudiantin sur le thème du cool. C'était à Lausanne (UNIL), c'était ouvert et gratuit. Les participants s'en sont payés une tranche, les organisateurs aussi. Preuve que l'académisme peut aussi offrir une soupape. Actes à paraître.

9) La sortie d'un album de jazz, celui du pianiste veveysan Marc Méan. Mettant à l'honneur l'expérimentation et la recherche en musique il s'agit, je l'avoue volontiers, du coup de coeur du chroniqueur.

10) L'espoir, par la remise du Prix Nobel de Littérature (alors que Bob Dylan, eh oui, était dans la course) au poète suédois Tomas Tranströmer, d'une orientation de la littérature ou de sa reconnaissance du moins longtemps mise au placard, du genre poétique. Rappel que la culture, c'est aussi l'amour de l'allégorie qu'on applique sur le réel.


Julien Gremaud, coordinateur de Think Tank

1) Franz Gertsch au Kunsthaus de Zürich
D'une beauté absolue, l’œuvre hyper-réaliste dépasse largement l'idée de témoigner d'une époque – celle de nos parents – révolue. Cette rétrospective ("Saisons") aura aussi permis à son émissaire de replacer la peinture à sa place: celle d'une pratique de haut vol. L'occasion aussi parler de l'âge vif d'une manière plus sincère qu'un Germinal Roaux copiant Hedi Slimane qui lui–même copiait Robert Mapplethorpe.

2) Le troisième album de Metronomy
Avouons–le: avec Metronomy, c'était pas super bien parti (2008). Arrivé sur la pointe des pieds au mois d'avril, THE ENGLISH RIVIERA s'est pourtant imposé comme un album archi–pop, paradisiaque et aux niveaux de lectures multiples, rappelant de fait le dernier effort des versaillais de Phoenix. Deux albums proto–concepts élaborés par des gens de bonne fréquentation plutôt que par des garçons-coiffeurs. De quoi exhumer une douce mélancolie période Beach Boys années 80.

3) L’œuvre remasterisées de The Smiths
Poursuivons dans la musique pop qui, si elle n'est pas des plus audacieuses depuis une décennie, sait vernir ses dignes vétérans. L'inextinguible Steven Morrissey, président du fans club des New York Dolls, directeur artistique d'un imaginaire homo-érotique qui plaît même aux plus hétéros des Mexicanos depuis bientôt trois décennies, apolitique mais assez cultivé pour faire chier l'Intelligentsia blanche et surtout catégorique sur une chose: offrez–lui, ainsi qu'à son illustre moitié créatrice Johnny Marr, tous les millions du monde pour reformer les Smiths, il n'en voudra pas. The Smiths n'avaient pas les meilleurs morceaux ni les meilleurs albums, seulement voilà, c'était le groupe parfait: rapide, précis et de bon goût. Surtout de bon goût. Ce coffret (sorti chez Rhino) pour ainsi (re)mettre dans le vent trois générations de followers.

4) L'affaire L'Elysée-Lacoste
Ah, l'argent et la culture. Cette triste affaire (une photographe virée du Prix Lacoste-Elysée pour cause de soutien pro-palestinien, un directeur le cul entre deux chaises) dans les moments décisifs 2011 comme exemple même de ce qu'il ne faut pas faire dans cette discipline: vouloir tout, trop vite, trop grand surtout. Sam Stourdzé, le nouveau directeur de l'Elysée – le musée de la photographie de Lausanne – s'est imposé comme un grand manitou: bon organisateur (Charlie Chaplin, ça sera grand), mais aussi restaurateur (la cafétéria à l'entrée, entre les livres et les courants d'air), éditeur (le magazine de "l'autre photographie", ELSE, comme il se plait à le présenter), belle gueule, grande gueule. A trop passer de temps à s'auto–congratuler, le successeur du digne William Ewing a oublié une chose: on ne rigole pas avec nos impôts.

5) Février, ou la fin des années 2000
Où il s’agit ici de dépasser les problèmes d’historiens: en février 2011 cessaient successivement leurs activités trois (influents) projets musicaux: The White Stripes, The Streets et LCD Soundsystem. Trois séparations pour autant de nouveaux horizons chez ces façonneurs du paysage musical des années 2000. Le retour du rock à guitares, (parfois) enregistré en analogique (The White Stripes); la fusion parfaite de ces mêmes guitares avec des machines électroniques qui commençaient à tirer la gueule à force de tourner en rond (LCD Soundsystem); et puis un rap enfin revenu à visage humain, avec un beau cockney en prime (The Streets). Quelques mois plus tard, les années 2000 ”sérieuses”, politiques et culturelles, basculaient dans une ère nouvelle: désormais, on s’assied des mois durant devant les bureaux de Wall Street, on renverse ses dictateurs nord-afs et la star absolue des années zéro-zéros (Ben Laden) est hors-jeu.

6) Deerhoof au Romandie de Lausanne
Récemment, j’eu l’audace de clamer qu’il n’y avait plus de grands groupes lives, avec un peu de mauvaise foi; venant comme un cri du coeur, la réponse d’un des derniers vrais disquaires de la ville de Lausanne était intéressante: « Swans, Deerhoof, Roy and The Devil’s Motorcycle, Nissenenmondai! ». Il avait tout juste: parmi ce champ expérimental, je retiens Deerhoof en concert au Romandie, une véritable stupéfaction, l’air béat et l’acouphène partagé par les 200 personnes ce soir–là. Mes excuses soit.

7) Electrelane et le festival Nox Orae
La réformation d’Electrelane en 2011 et son passage sur la Riviera en août, lors de la Nox Orae, valait son pesant d’or. Durant les années 2000, Electrelane a fait partie de ces groupes qu'on a craint par tant de talent mais qui fut pourtant injustement ignorés du grand public. Ici et là, on remarqua des larmes surgir de proches et d'autres dans un cadre parfait: une cohérence dans la programmation, des choix artistiques risqués, une attention minutieuse aux visuels, une sonorisation plus que satisfaisante, relayant complètement les – très – bonnes dispositions des groupes programmés. En 2011, le festival Nox Orae avait fait presque aussi bien que la Kilbi.

8) The Artist de Michel Hazanavicius
The Artist fait partie de ce genre de films discursifs sur le cinéma, bien sûr, nostalgique, forcément un peu, attendrissant par son scénario, et donc classique: le muet est ici un choix non pas artistique ou stylistique, voire faussement esthétisant, mais opérant. C’est quand les bruitages surgissent que ce mélo gentillet éclate et marque, pour répondre de la meilleure manière aux pédants: que faire de l’héritage monstrueux de la cinématographie, plus que centenaire, ce surtout en France? Jouer avec ses codes plus qu’avec la 3D, peut-être bien… Processus similaire observable en art contemporain et en photographie notamment.

9) Pippa Middleton
La célébrité au XXIème Siècle se joue désormais à pas grand chose: une chanson (Lana Del Rey), des lèvres (Lana Del Rey), un clash télévisuel (Mathilde Warnier) ou, dans le cas de la susnommée, une robe. Pas franchement d’audace: il fallait juste être là, suivre la soeur. L’occasion d’un énorme retentissement médiatique, de milles histoires entre le LOL et l’inintéressant. Celle aussi de se rassurer: finalement, il reste des anglaises agréables à l’oeil.

10) La viabilité de Think Tank
Sans plan de communication ni impératifs, notre petit blog a vécu une première année d’activité honorable, se trouvant même au coeur de la hype en juillet, lorsque Pierre Raboud publia son papier sur le groupe 1995, rebloggé un peu partout. Une expérience somme toute anachronique pour notre rédaction, se passant d’annonces pré-événementielles, de clips et de photographies tendances, choisissant de fait une approche pluridisciplinaire pas forcément vendeuse, associant à ses articles des illustrations ”commandées” pour l’occasion – ce qui compliqua bien souvent la tâche – expérimentant le format vidéo avec plus ou moins de réussite. Mieux: pour 2012, nous continuerons d’élargir notre propos, avec une nouvelle rubrique TT Books englobant la littérature et, en nouveauté, la critique de livres d’art, de magazines ou de fanzines, quelques nouvelles têtes, le programme de mixTTapes enfin mis en route ou encore une publication sur papier.

Contribution photographique
Frédéric Gabioud publie ses photographies sur son Tumblr Suck Shrimps. Il collabore régulièrement avec Think Tank, notamment lors du festival barcelonais Sonar. Ci–dessus y figurent quelques contributeurs rédactionnels et visuels de TT.

24 déc. 2011

LOVE FOR CHRISTMAS

Photo: Julien Gremaud

Non, nous ne snobons pas les bilans de fin d'année: comme en 2010, nous laisserons aux influents et traditionnels le temps de poster leur vision des sorties annuelles et attendrons début janvier pour nous manifester. Avec une promesse: vous serez très surpris. En attendant, au nom de Think Tank, je vous souhaite les plus beaux cadeaux pour ce Noël et une sacrée année 2012. Sébastien Tellier annonce son nouvel album pour février: en voilà une belle nouvelle. Pour terminer, j'en profite pour remercier vivement mes collègues et contributeurs: Maxime Morisod, Pierre Raboud, Colin Pahlisch, Saïnath Bovay; ainsi que nos illustrateurs Julien Fischer, Pierre Girardin, Guillaume Dénervaud, Vincent Tille, Frédéric Gabioud, Lucie Sgalmuzzo, Mathieu Lavanchy, Céline Burnand, Séphanie Monay, Tiphanie Mall, Lea Kloos, Douglas Mandry, Louis Morisod, Adrien Chevalley, Charlotte Stuby, Vincent Delaleu et Thomas Koenig.

21 déc. 2011

Le cadeau de Noël de Scorsese : Hugo Cabret

Illustration : Giom



Quand l’homme qui a réalisé Taxi Driver sort un nouveau film, c’est un événement. Quand celui qui a tourné son premier long-métrage avec Harvey Keitel sort du silence, on tire l’oreille. Quand la légende qui a réalisé le chef d’oeuvre noir et blanc Raging Bull tourne, on se tait. Quand celui qui a réalisé le meilleur plan-séquence de l’histoire du cinéma surgit, on applaudit. Quand Scorsese a décidé de tourner un film pour enfants en 3D, on cligne deux fois des yeux et on se demande si l’âge a finalement eu raison de son âme de génie.

« Si Méliès était vivant, je suis persuadé qu'il ferait des hologrammes. Je suis un grand admirateur de la 3D, un obsédé ». C’est ainsi que Martin Scorsese, à 69 ans, parle de son nouveau film dans une interview accordée aux Inrocks il y a quelques jours. N’étant pas un grand fan de la 3D, mais un grand admirateur de Scorsese, je me suis senti trahi. J’ai cependant accepté les tentatives de Spielberg et Cameron, mais les derniers films d’animation m’empêchaient de voir un réel avancement dans le relief et je trouvais finalement l’idée bien plate. Pourquoi alors Hugo Cabret, le nouveau film de Scorsese « pour enfants », sort-il en 3D ? Que peut apporter ce procédé si superflu au talent du réalisateur des meilleurs films de gangsters ? Il a suffi d’une minute pour me convaincre.


Le monde est une grande machine
Si j’avais trouvé la première demi-heure du Secret de la Licorne très bonne, usant parfaitement du procédé motion capture, que dire de l’ouverture gigantesque de Hugo Cabret ? Tout Scorsese semble se réunir ici : plan-séquence géant, mouvements de caméra fluides et magistraux, nous pénétrons dans la gare Montparnasse (et donc dans le film) par la grande porte, comme un train, mais par les airs, et comme dans tout grand film, sans qu’on ait le temps de prendre sa respiration. Pendant le prologue, aucun dialogue, uniquement de l’image. Et quelles images ! Nous atterrissons dans les yeux azurs de Hugo (Asa Butterfield) qui se cache dans les murs de la gare du Nord, épiant le monde et tous ces voyageurs circulant, allant et venant dans les grands corridors de sa prison de pierre. Le premier plan du film représente des rouages d’aciers, de la mécanique, qui disparaissent et prennent l’apparence de la ville de Paris. La métaphore, dès le premier plan, est montrée et deviendra l’allégorie du film : le monde est une grande machine. Hugo complètera la phrase plus tard : « Et comme dans toute machine, toutes les pièces ont une fonction. Si je suis là, c’est donc que j’ai ma place dans ce monde ». Hugo est donc un orphelin, qui a perdu son père dans un incendie et qui a pour seul lien avec lui, un automate qu’il lui a légué. Le but de l’aventure sera de le faire fonctionner à nouveau puisqu’il semblerait qu’il garde en lui un grand secret… Ce qui avait l’odeur d’une bizarrerie de conte pour enfants devient alors une histoire magique sur la création du cinéma et de son artiste le plus novateur : Georges Méliès. Ce que cache la bande-annonce est en fait le noyau du film. Et Méliès n’est pas seulement au centre du film, il en est le point d’orgue, le point d’arrivée vers lequel toute la mécanique du film est dirigée. Scorsese semble prendre cette histoire comme bouclier pour rendre hommage à l’un des plus grands talents du 7e art ; il raconte donc la vie de cet homme, mais aussi, et surtout, celle du cinéma. Et il le fait avec virtuosité, en mettant ce divertissement forain qu’était le cinéma au début du XXe siècle dans les mains de deux enfants, Hugo et Isabelle.


S’il fallait noter deux défauts au film, ce serait d’abord sa longueur (un tantinet long, 1h45 aurait largement suffi). Deuxièmement, c’est cette mauvaise habitude de situer l’histoire à Paris avec des personnages qui parlent tous un anglais universitaire d’Oxford : la fleuriste, le libraire, le chef de gare et même les gendarmes. Pourquoi ne pas avoir tout déplacé à Londres alors ? Et si Paris devait être le point central, pourquoi ne pas prendre des acteurs français ? Bon, ok… il est vrai que rares sont les réalisateurs américains à savoir tourner avec des acteurs français ; d’ailleurs, il est quand même moins horrifiant à l’écran de voir Jude Law que Guillaume Canet. Hormis ces minuscules détails, Scorsese ne fait aucune fausse note.



Trois siècles de cinéma
On pourrait en parler longuement, mais Howard Shore dirige ici l’une de ses plus belles bandes-son à ce jour (un thème à la Frodon) et le casting est exceptionnel. Ce n’est pas vraiment leur façon de jouer qui impressionne, mais vraiment le rôle que chacun s’est vu attribué : Ben Kingsley en Méliès, l’apparition furtive de Jude Law pour une unique séquence, Borat en gendarme (!), Christopher Lee qui s’invente un rôle doux et amical de libraire, la british Emily Mortimer en fleuriste, ou encore une apparition clin d’œil du producteur du film qui n’est autre que Johnny Depp. Il ne manque plus que Martin. Mais le réalisateur est pourtant là, tout au long du film, devant nous, derrière la caméra, avec nous, à côté de vous, dans le fauteuil voisin. Scorsese nous montre la magie du cinéma et il le montre avec des yeux d’un enfant surdoué et habile en mécanique, ce petit garçon qui sait tout reconstruire, en réparant d’abord un jouet, puis un automate et qui permettra à Méliès de sortir de l’anonymat et d’un passé ténébreux dans lequel il se renfermait (comme Hugo dans sa gare finalement). Les grandes séquences du film resteront celles où Scorsese filme le cinéma des premiers temps et où il l’utilise en y ajoutant la 3D qui est, pour la première fois, intelligemment utilisée : le relief nous donne vraiment l’impression d’être avec Hugo, enfermé dans les murs de la gare parisienne. Et lorsque que Scorsese nous passe L'Arrivée d'un train en gare de La Ciotat en noir et blanc (l’un des premiers films du cinéma, réalisé par les frères Lumières en 1895, film qui fit se lever de leur siège les spectateurs de peur de voir le train leur arriver dessus), tout se résume. Dans ce plan, trois siècles de cinéma se superposent dans l’image : le début du cinéma (1895), le siècle du cinéma avec ses spectateurs (le XXe) et enfin la 3D qui impose sa volonté de devenir une caractéristique intrinsèque du cinéma au XXIe siècle. Et c’est un jeu de regards, de visions, de voyeurs (et donc le cinéma), que nous renvoie le réalisateur par ce film, jusqu’à réussir une fin reposant uniquement sur les images du héros véritable du récit : Georges Méliès. Le tout, mis en relief. Ce n’est donc pas sans peur d’avouer qu’Hugo Cabret est l’une des œuvres majeures de Martin Scorsese. Qui l’eut crû ?



Hugo Cabret (Hugo en vo), Martin Scorsese, 2011 (USA) *****



17 déc. 2011

Sensuelle séduction 2

Photo: Douglas Mandry avec Dmitry Bukreev et Jonas Meier

Les premiers flocons commencent à tomber, Think Tank vous sort un nouvel épisode de Sensuelle Séduction, histoire  de passer les fêtes au chaud. Une nouvelle sélection de tubes plein de sueur, avec des voix féminines langoureuses et des synthés en forme d'appels au plaisir. L'Angleterre sort son sex-appeal avec Charli XCX et Jessica 6. Les Etas-Unis ne sont pas en reste avec Class Actress, et Italians Do It Better nous projettent dans un début 2012 tout aussi sexy.


Il fait peut-être foid dehors mais ce n'est qu'une raison supplémentaire de se réchauffer à l'intérieur, en plus les décorations de Noël appellent à des disco pleines d'amour et de tendresse. Finies les tensions  de l'année, on se détend et on retrouve le plaisir de se laisser aller à nos penchants les plus romantiques. Tu débarques dans une soirée toute de lumières et de scintillements. C'est bientôt – ou déjà – les vacances. Il n'y a plus qu'à s'aimer. Et ne penser plus qu'à ça. Class Actress te propose justement de vivre les passions comme dans les films les plus guimauves. Dans ce groupe, tu entends d'abord une voix sensuelle au possible et qui semble familière. Et tu ne te trompes pas, car la chanteuse fait partie de Chairlift, qui s'apprête à sortir un nouvel album l'année prochaine. Leur premier disque, DOES YOU INSPIRE YOU, était sorti en plein boom brooklyn post-MGMT et est assez vite tombé dans l'oubli : cela est en partie lié à un son un peu plat, malgré  une voix et des mélodies pop à en mourir comme sur "Planet Health", "Bruises" et surtout "Evident Ustensil". Avec Class Actress, le côté rêverie de salon est laissé de côté pour pencher franchement dans la direction flirt. L'album porte d'ailleurs le nom de RAPPROCHER, avec ce français si évidemment romantique pour tout Américain qui se respecte. Et le son de cet album donne bel et bien envie de se coller les uns aux autres. Synthés et basses travaillent de concert pour produire des titres sexy en diable, une disco parfaite pour emballer. Surtout, la voix est à nouveau un des gros arguments séduction: elle ne susurre pas, elle ne chante pas, elle ne crie pas, elle ne souffle pas, elle fait tout ça à la fois, jouant des différents registres pour construire une trame hyper sensuelle faite d'un va-et-vient incessant entre jouissance et recueillement, entre hédonisme et mélancolie. Sans s'attarder sur plusieurs bons titres, tu peux direct t'extasier sur LE tube de RAPPROCHER: "Love me like you used to". Toute la magie de la disco se trouve concentrée dans ce titre: un début en forme de plainte amoureuse, un cri de déchirement pour refrain, des ralentissements plein de séduction, une montée proche de l'orgasme suivie d'un arrêt où le parlé prend la forme d'une victoire de la sincérité.


Après une telle chanson, normal que tu sois tout-e excité-e. Ton regard parcourt la salle et la vérité c'est que tu as presque envie de faire l'amour à tout le monde. Bon, ce serait sûrement un peu trop brutal de lancer direct du The Weeknd, alors autant rester dans la veine disco avec Jessica 6. A nouveau, un groupe qui ne sort pas du néant, vu que le trio officiait à la base dans les tournées de Hercule and Love Affair. Justement, on retrouve chez eux ce qui avait fait la qualité d'un titre comme "Blind" avant que de trop nombreuses écoutes l'aient rendu indigeste. Une disco encore plus assumée que celle de Class Actress, ce qui permet aussi une palette de sons plus large, utilisant des couleurs plus bizarres. Dès le début de l'album, on s'éloigne des lignes trop évidentes. Il y a bien un rythme qui est là pour te faire adhérer direct, mais à côté, il y a des bruissements, des synthés qui ne rappellent pas tellement Cut Copy et beaucoup plus Guyers' Connection. Et comme dans toute bonne disco, la voix est érotique au possible. Surtout, la chanteuse de Jessica 6 rappelle d'où vient ce genre musical, justement d'un trouble dans le genre, homo, trans et dragqueen. Avec cette voix très basse, Jessica 6 s'assure d'éviter toute comparaison avec la pop mainstream conventionnelle pour donner une séduction bien plus charnelle et transgressive. Avec différents éléments, sonorités nu-disco variées et dansantes, voix trans, SEE THE LIGHT avait tout pour être un bon album sensuel. Le manque de variation aurait même été excusé. Malheureusement, Jessica 6 ne tiennent pas le rythme et passé quelques chansons ça devient carrément mou du genou, voir d'autre part. Dommage car les trois premiers titres  avaient provoqué la sécrétion de diverses substances. Des mélodies pleines de sensualité et des refrains où se lâcher définitivement. Sur "White Horse", tu pleures: laisse-moi te voir danser. Sur "See the light", ça y est, tu sues. Et sur "Prisoner of Love", c'est tout ton corps qui devient liquide. La preuve dans un clip qui illustre parfaitement le propos de ce paragraphe.


C'est sûr mainteant l'ambiance est posée, plus moyen de faire machine arrière, tu t'es bien rapproché, tu as fait le coup des yeux grands ouverts et cela a marché. Tu sais ce qu'il te reste à faire. Tout déchirer à grand coup de fulgurance romantique, faire se tressaillir les corps en plein électro-choc émotionel. Pour cela, plus le temps de parcourir tout un album, il faut dégainer des tubes qui n'hésitent pas à lancer des I Love You aussitôt, des tubes coup de foudre. La bande originale de DRIVE a refait parler du label Italians Do It Better. Même le récent hommage au film allait chercher un titre d'un groupe y appartenant, malgré son absence sur la bande originale. Il s'agit de "Digital Versicolor" de Glass Candy. Un nouvel album du groupe est prévu pour le début de l'année prochaine, seuls deux titres ont déjà fait leur apparition. Beaucoup moins coldwave que l'ambiance de Drive, "Warm In The Winter" et "Halloween" plongent la tête la première dans l'héritage italo-disco pour en ressortir une musique en même temps extrêmement pop et dans l'air du temps, et rendue bizarre par un côté tout sauf simulé. Si "Halloween" se fait bizarre en alignant des cliquetis, "Warm In The Winter" arrache les derniers boutons et n'hésite pas à aller le plus loin possible dans le cri d'amour épique, fait de montées permanentes. Toujours chez Italians Do It Better, est attendu, pour 2012, le nouvel album des Chromatics, succédant au génial NIGHT DRIVE. Si les références sont les mêmes, avec "Kill For Love", l'hédonisme s'est transformé en mélancolie. Il n'est plus question de choper mais de déclarer sa flamme. Tous les instruments ont les yeux qui coulent, une de ces chansons qui foudroient le coeur sans prévenir. Bon, les sentiments se sont un peu éloignés de la sensualité, pour ne pas conclure sans refaire partir le chauffage, on termine donc avec "Nuclear Season" de Chali XCX, un tube, cela ne fait aucun doute, mais chaud, chaud, chaud, bien que se basant sur une récupération d'influences witch house et de gothwave. Une des meilleures choses que nous ait donnée la pop cette année, on vous laisse avec le clip, avec chiens et triangles, dont l'esthétique est elle aussi le signe que la pop a décidé de se venger de la witch house, une vengeance qui nous plaît beaucoup.



Musikunterstadl: C'est L'Hiver! Festival à Morgins

Illustration: Burn
Dans la station valaisanne de Morgins, une bande de jeunes s'acharne à mettre sur pieds depuis 9 ans un festival qui a vu passer des potes, d'anciennes gloires et d'autres groupes super. Retour sur cette édition qui a fait la part belle à la musikunterstald et a plus à nous dire sur ce qu'est un festival de musique en Suisse qu'il n'y paraît.

Il faut être un peu fou pour organiser un festival à Morgins. C'est loin, cela demande de prendre en compte les goûts d'un public pas forcément ouvert à une musique un peu exigente  et surtout réussir à gérer tout ça de manière auto-gérée, qui plus est sans aide de la commune. Même si la configuration du programme cette année est sûrement due, en partie,  au hasard, elle semble figurer l'image même d'un festival bien de chez nous, un festival du terroir, avec d'un côté la tête d'affiche aux paillettes un peu, voir carrément, dépassées, et de l'autre des produits authentiques de la région. Pour ce qui est du premier volet, il s'agissait de Gold. Bon voilà, pour remplir une salle de 800 personnes, il faut ce qu'il faut, c'est-à-dire des tubes que tout le monde peut reprendre en choeur même si personne ne connait le groupe par son nom (il paraît que c'est faux pour ceux qui sont déjà allés à un carnaval et qui ont acquis la capacité d'associer le nom de Gold avec les tubes qui en découlent). C'est clair qu'il y a quelque chose de pas très cool à voir ces vieux se la donner sur scène, il n'empêche que le public adore et que les hits des années 80 ont cette aptitude, du fait d'une incrustation dans la mémoire collective, à vous faire adhérer à leurs refrains kitchs, surtout après l'incubation de quelques bières. Et j'avoue sans honte que je me suis bien marré sur "Un peu plus près des étoiles" et "Capitaine Abandonné".


Après avoir parlé de ce qui était là en partie pour appâter le chaland, revenons sur le reste de la programmation, qui se trouve être à 100% suisse. Pour commencer, le premier concert était attribué au gagnant du dernier concours de promotion de groupes de la région, mis en place par le festival, Les Echos. Il s'agit des Bonobo's. Leur rock gentillet et à cordes ne casse pas des briques, mais cela reste de bonne facture pour un jeune groupe et il s'en dégage une sympathie fort à propos dans un début de soirée plutôt calme. Le contraste est violent avec le second groupe, Sound Of Fridge de Martigny. Ici on parle de garage bien punk. Ca tape, ça virevolte, ça crie dans un mégaphone. Si le public est pris à froid, il faut en rejeter la faute sur l'horaire trop peu tardif du set de Sound Of Fridge et la taille de la salle qui ne convient pas vraiment au style joué.  Car leurs chansons sonnent parfaitement et si le genre est bien défini et circoncis, le groupe le maîtrise bien. Bien plus que basique, Sound Of Fridge représente ce genre de trace musicale, où ce qui a déjà été fait perdure en gardant la même fraîcheur et sincérité qu'au moment originel. Pour enchaîner après Gold, il fallait un groupe sérieux et efficacement pop. My Heart Belongs To Cecilia Winter semble être le seul groupe suisse actuel à pouvoir assurer ce rôle et ce fut bien eux qui répondirent présents. Après un temps d'adaptation d'un public qui se retrouve décontenancé à ne plus pouvoir chanter les paroles à tue-tête, la formule marche. My Heart Belongs To Cecilia Winter possède un accessoire scénique qui représente parfaitement leur musique: un fusil à paillettes. On s'en servirait jamais chez soi, mais en live, il faut bien dire que c'est joli et éclatant. Les chansons n'ont rien de bien nouveau et resucent allégrement la pop épique sauce Arcade Fire, mais il faut bien reconnaître que certaines, comme "Eighteen", résonnent comme de véritbables tubes, capables de conquérir n'importe qui. Pour finir la soirée, le festival se mettait en mode club avec le duo bernois, We Love Machines. Un groupe une fois de plus adapté au public local, qui dansa facilement sur les basses puissantes et les montées efficaces d'un set électro, où le propos n'était ni à la finesse, ni à l'expérimentation. La soirée se finissait sur des danses insensées et peut-être une suze de trop. C'est donc cela aujourd'hui le C'est L'Hiver, un festival qui ne cherche pas à se construire une identité au niveau de la programmation, mais qui fait le choix de s'adapter à son environnement, donnant au public valaisan ce qu'il a envie d'entendre et en y ajoutant quelques bons petits groupes, un festival naturellement suisse, un festival terroir.

14 déc. 2011

Civilisation fourre-tout, ou le gros cerveau du Dr. Jung

Illustration: Carl Gustave Jung, Le Livre Rouge
Un petit détour par la campagne genevoise où la Fondation Bodmer propose jusqu’en mars une visite feutrée de la bibliothèque (intérieure) du meilleur ennemi (suisse) de Freud. Converti à sa pensée, Fumiste s’y est rendu, fébrile.

C’est vrai, le trajet il faut se le farcir. Pas donné à tout le monde ou du premier coup de la dénicher, la Fondation Bodmer (Martin de son prénom), enclavée dans sa petite bourgade de Cologny. On s’attendrait alors à ce que l’après-midi tombante apporte justement son lot d’enthousiasme, son monceau de surprises… et pourtant. Une fois traversée la large cour extérieure et descendu l’escalier menant au cénacle, on pénètre une salle monastique plongée dans une pénombre rougeoyante. Dès là, le thème, on y entre en plein : l’introduction du spectateur profane à la mystique du maître, dont le fameux Livre Rouge constitue le rapport et la relique. En premier lieu, c’est donc à une bibliothèque que nous introduit l’exposition, vaste chambre distribuée de cages de verres dans lesquelles s’ébattent comme des mouettes gelées les livres ouverts les uns à côté des autres. Pêle-mêle, tout y est ou presque : de l’édition originale des deux Discours de Rousseau à la première mouture cornée du Sur la Route de Kerouac. Faulkner y salue Montesquieu, Blake et Steinbeck y conversent. Quelques lettres authentiques de Flaubert y côtoient des rouleaux bruissants de signes sanscrits. Au milieu tout de même trône le buste du maître, l’autre, le Père plutôt, Sigmund F. en personne. En bref, on déambule dans une cave de conte oriental fourrée de trésors à faire baver un bouquiniste.

Une façon de comprendre sans doute l’ambition vertigineuse du docteur, le recensement et la condensation de ce qui fait l’essence de la psyché humaine depuis l’invention de la culture. Rien de très « mystique » jusque là cependant. Alors où ? comme souvent, dans les interstices, au creux des failles et sur les ponts. Certaines vitrines présentent ainsi des dessins de Jung qu’on imagine réalisés au fil de ses recherches. On distinguera les compositions couleurs à l’aquarelle ou à la gouache aux intitulés totémiques ou chinoisant (« l’Enfant divin »), les enluminures de la main même du docteur et les petites esquisses sans titre au crayon sur cartes carrées, qui pourraient rappeler sans peine des préparatoires suprématistes (s’il en existe). L’intérêt de ces « entre-deux » picturaux, notes en bas de page du processus d’invention de l’inconscient collectif, consiste en ce qu’il signale, plus que le simple choix des ouvrages du docteur par l’exposition de sa librairie privée, l’accès intermittent au monde interne de ce dernier, scories de la fabrique de sens à l’œuvre dans son crâne chauve. On se trouve imbriqués alors dans un double élan de construction incluant théorie d’une part, création de l’autre. Les livres comme pierres, les œuvres comme liants.


La mystique pourtant et faute d’extension, s’arrête là. Cédant peut-être à une trop prégnante pression de l’institution, la recherche s’interrompt, réduisant le rôle de l’intrigué à la seule contemplation béate de la collection livresque. Cette rupture malheureuse, le titre l’indique aussi. Sobrement intitulée « le rouge et le noir », elle semble négliger qu’on vacille visiblement entre deux, et écarte d’emblée l’interaction pourtant manifeste qu’entretiennent les œuvres et les ouvrages de Jung, délaissant la rencontre pour privilégier l’ordre. L’absence d’indication et de traduction nous renseigne également sur l’élitisme sous-jacent du projet, tant il est évident que le curieux en art de nos jours, parle couramment l’allemand médiéval…


L’œuvre superbement polymorphe du docteur Jung trouve en définitive à la Fondation Bodmer un luxueux tremplin. Dommage cependant qu’une fois élancé, le plongeur réalise qu’on a vidé la piscine.


C.G. Jung : Le rouge et le noir, Fondation Martin Bodmer (Genève, Cologny), jusqu’au 26 mars.

12 déc. 2011

TT Speaches / novembre 2011

Illustration: vitfait

Le vent de novembre arrache la dernière feuille, les jours s'accélèrent et Think Tank tente de garder le rythme. On apprend que le format disque compacte cessera en 2013 alors même que sort un coffret 8CDs des Smiths, le genre d'objet pouvant bouleverser ta vie. Sinon, ça va être dur pour les indignés: novembre chaud au début, froid à la fin. Et au niveau musique? Un ralentissement bienvenu des sorties; tant mieux, on pourra plus se pencher sur quelques belles productions.























Julien: La musique électronique n'a pas été largement documentée le mois passé pour notre Speaches. On se rattrape avec une sortie assez dingue. SHADOWS, de Floating Points n'est qu'un EP (cover ci–dessus). Mais quel EP! Samuel T. Shepherd fait partie de cette nouvelle génération de producteurs qui se sont pris le mouvement dubstep des années 2000 dans la tronche. Quand on me parlait de ce Londonien, j'étais persuadé qu'il était présent depuis une quinzaine d'année sur la scène UK. Au contraire, puisqu'il ne s'y est mis sérieusement qu'à partir de 2009. Lorsque j'avais interviewé la chanteuse soul Fatima lors du dernier Montreux Jazz Festival, alors qu'elle faisait partie de la première des deux soirées Red Bull Academy, je m'étais pris son titre "Red Light" en pleine face. Une voix assez banale, une Suédoise émigrée à Londres pour tenter de percer dans la musique. Le bol, c'est qu'il y avait donc Floating Points à la production pour sortir ce titre de la banalité: un beat très léger, à la limite de la house, et quelques notes de synthés, un spleen déroulé sur 8 minutes. "Myrtle Avenue" ouvre SHADOWS dans le même registre, où l'on tend l'oreille sur une electronica qui aurait très bien pu figurer sur le catalogue de scape (Kit Clayton, Andrew Peckler, Jan Jelinek, Pole, etc.). Intromission en partie erronée au vu de la suite, pas mal plus hédoniste que l'entier du catalogue du label teuton – sans pour autant tomber dans le c(r)oulant. De la house, Samuel T. Shepherd sait en retirer sa substance essentielle – beat minimal, basse ronde, synthé luxuriant – pour la placer sur les routes britanniques, bridge essentiel et vocaux y compris. Le genre de morceau qui te calme pour mieux te submerger. Plus vif, "Realise" garde cette certaine préciosité dans la production, dans un registre davantage axé dubstep, avant de laisser son faux-jumeau "Obfuse" plaquer une grosse rythmique agile. Le synthé reprend ses droits sur "ARP3" condensant ce SHADOWS, entre longs espaces-temps et parties lumineuses. Les fans de choses plus accessibles se raccrocheront eux au "Sais" final, entre Four Tet et Kenton Slash Demon. Ce EP est déjà partie prenante des excellentes sorties électro 2011.


Pierre: Je n'ai malheureusement pas eu le temps de bien écouter cet album. Mais d'ores et déjà merci de signaler ce Floating Points, aussi fin que riche. Après ça, j'ai un peu honte d'enchaîner sur l'album de Sratch Massive: NUIT DE RÊVE, qui est lui beaucoup moins house et beaucoup plus pompeux. Le duo français se cache derrière une influence eighties mal comprise pour sortir des lignes de synthés lourdingues, balancer des beats carrés et des montées tellement prévisibles qu'elles ne sont faites que d'ennui. Cela peut encore passer quand un chanteur vient épauler les deux DJ, surtout si c'est Koudlam sur "Waiting for a sign" ou Jimmy Sommerville, chanteur de Bronski Beat et des Communards, sur "Take Me There". A vrai dire, seule cette dernière chanson surnage, portée par un chanteur qui n'a pas besoin d'artifices pour donner de l'émotion et jouer aux années huitante. Pour le reste, derrière les voix ou sans elles, apparaissent aux grands jours les ratés d'un exercice de style, qui en manque beaucoup. Pour réussir à viser la grandiloquence d'une sorte de bande originale d'un film italien de série B, il faudrait être capable de produire des sons véritablement bizarres et des chansons vraiment excentriques. Or les deux Parisiens ne sortent que du son bien convenu empilant des couches de synthés attendues les unes sur les autres, le gâteau qui en résulte en devient indigeste.
























Julien: Chez Ninja Tune, Emika fait mieux l'affaire: avec son premier album, EMIKA, Ema Jolly extirpe son origine (Bristol) et son influence principale (le Trip Hop, de… Bristol) pour en faire un drôle d'objet. Sur "Common Exchange", on pense effectivement à ce fameux son des mid-nineties mais version fluo tranchant. "Professional Loving" pourrait raconter la suite de l'histoire: Emika part à Berlin, travaille pour Native Instruments et chille dans les clubs. Elle passe beaucoup de temps sur son ordinateur, à composer et produire. Affilié à Berghain, le label Ostgut Ton l'appelle pour mixer une compilation de la maison. Son premier LP possède toutes ces spécificités, où le soleil est écrasé contre des murs renforcés, les mélodies cloîtrées sous des gravas d'effets, une voix parfois pleinement assumée, sinon barrée. "FM Attention" ose la jungle. Super non? Osons le raccourci: moins flippant que 3 de Portishead, mais plus bandant qu'un album d'Ellen Allien. A voir sur le moyen-terme, si Emika saura faire véritablement singulariser ses influences (nobles). J'en profite pour relever la sortie pas mal remarquée de DUST COLLISION, premier LP de la Genevoise Kate Wax. Aisha Devi Enz est signée chez les britanniques de Border Community (Fairmont, Luke Abbott, Nathan Fake) depuis l'an dernier, ce qui n'est pas rien. Ce qui permet aussi, de fait, de diffuser sa musique (joué live avec le sympathique Lausannois Raphaël Rodriguez) plus loin que la majorité de groupes helvétiques – sans forcément vouloir les citer, Pitchfork lui consacre un honorable article. Je n'ai pu écouter qu'une seule fois l'album, mais j'avais été saisi par la densité de l'album ainsi que ses niveaux d'écoute. Moins immédiat que la plupart des sorties électro-pop (The Knife, bien sûr, mais bien avant eux, Lesbian on Ecstasy, Baltimora, Goldfrapp, Ladytron, etc.), DUST COLLISION pourrait bien être l'album helvétique ayant le plus marché en 2011 sans qu'un seul Suisse s'en aperçoive…


Julien: On continue avec du down-tempo. Je sais que tu avais manqué le concert de Shackleton à la dernière Kilbi du Bad Bonn. "Malheureusement, je n’aurai pu voir que les quelques premières chansons, devant partir pour ne pas rater les Walkmen. Mais cela a suffit pour laisser entrevoir un show superbe de dubstep assez lent sous perfusion de percussions africaines." Plus que le dubstep, Shackleton fait le lien entre cette mouvante anglaise et la techo. Skream a confié lors d’un entretient qu’il pensait que les scènes dubstep et techno minimale étaient en train de se rejoindre peut-on lire sur Wikipedia. Vrai: il se fait un malin plaisir de remixer des tracks  de Ricardo Villalobos, plus connu pour ses afters loves à Berlin que pour ses coups de poings aux kids britanniques. Cette année, il a déjà sorti FABRIC 55, long mais intéressant album aux vues larges. Avec PINCH AND SHACKLETON, ce dernier invite donc Pinch pour un vrai-faux LP pas franchement surprenant mais pas mauvais non plus. Au contraire de l'album solo de Shackleton, ce 9-titres possède du lourd, avec "Jellybones", "Burning Blood" ou le breakstep "Monks On the Run", sorte de titre fleuve, réunissant Jungle, Dub et musique orientale. Assez fou. Si le label Ostgut Ton, affilié au Berghain berlinois devait accueillir un représentant de cette mouvance, aux côtés d'Emika, ça serait forcément Sam Shackleton, refroidissant allègrement l'atmosphère londonienne. On continue avec du transgenre n'est-ce pas?

 
Pierre: En effet. On le rapproche souvent du monde électro, les gens n’arrêtent pas de le décrire comme un génie indé du hip hop, Spank Rock a sorti son nouvel album : EVERYTHING IS BORING AND EVERYONE IS A FUCKING LIAR. Je me positionne en porte à faux par rapport à ce compliment. Spank Rock représente, pour moi, une sorte de hip hop pour ceux qui n’en écoutent jamais. Ni trash, ni franchement inventif, ni sale, ni pop. Si Kanye West est quelqu’un qui ne sait ni chanter ni danser (c’est lui-même qui le dit) mais qui grâce à un sens pop aiguisé réussit à écrire des albums réussi. Spank Rock, c’est le contraire, il fait tout très bien mais son absence d’intuition pop fait que son album manque cruellement d’originalité et de sincérité. EVERYTHING IS BORING AND EVERYONE IS A FUCKING LIAR, avec son titre naze et un son hyper produit, c’est le genre de cd qu’on s’attend à voir offrir avec le supplément Vibration du Temps, ce genre de truc funky-moderne qui ne plait qu’à d’anciens musiciens de studio qui croient enfin comprendre la musique actuelle en écoutant du hip hop. Le problème surtout, c’est que derrière un pseudo second degré et un talent autoproclamé, Spank Rock se permet de balancer des basses tâcheronnes et des instru dégueulasses. La recherche de diversité dans les titres ne traduit que l’absence totale d’âme dans cet album. S’il fallait en sauver quelque chose, il faut bien avouer que ça fait plaisir de réentendre Santigold en featuring sur "Car Song". Elle, elle a un sens pop et un gros.


Julien: C'est tout de même étonnant de voir à quel point certains médias, faisant acte d'une absurde autorité, arrivent encore à faire passer ce genre de musiciens pour des "héros". Absence d'intuition: on revient au même constant dressé cet été, en filigrane du coup de poing 1995, à savoir que le le hip hop a fait "une dingue d'overdose" si j'ose reprendre les termes de ces p'tits gars ci–dessus. Au final, qu'il soit mort, ça arrangerait bien tout le monde, histoire de tout reprendre à zéro. Ce qui est le plus fou, c'est qu'on recommencerai avec des choses bien sombres, Shabazz Palaces et Odd Future en tête – soit le meilleur du genre en 2011… Tout ceci me fait penser au rock actuel qui vit une nouvelle crise identitaire post-renaissance 2000-post-renaissance-1990, etc, surtout après avoir péniblement terminé l'écoute du nouveau Black Keys – EL CAMINO. On annonce un succès monstre pour ce duo qui est cela dit fort sympathique. Et (était) frais. Tout ceci me fait penser au dernier Kills, ou autres collègues d'époque. J'écoute "Your Touch", sur MAGIC POTION (2006) après ces onze titres passables et me questionne: et si, tout simplement, on ne devrait pas parler de "bonne période" pour chaque groupe, et, bien sûr, en laissant à chaque personne le soin de juger dignement et personnellement l'affaire? Parce que The Black Keys sont énormes, ils bénéficieront d'un large soutien médiatique, assez coolos pour servir les desseins de chaque rédaction et autres paperasses. Au final, les kids perderont leur thune et, plus grave, leur temps. Non mais écoutez "Gold On The Ceiling" et tentez de me certifier que The Black Keys ne sont pas à l'Ouest. Eu égard aux excellentes sorties du groupe, cet album est un viol artistique. Dans ce cas–là, on trouvera l'excessif "Sister" pas si déplacé… Pierre?



Pierre : Perso, j'ai presque pas écouté ce dernier album des Black Keys, tant il sentait la déception. Après avoir lu un article dithyrambique sur le titre "Lonely Boy", je suis allé jusqu'à l'écouter. Et bref, on est loin des heures glorieuses du groupe. Un tube qui aurait pu être sorti par à peu près n'importe quel groupe de rock, l'influence blues devient une soupe à balancer dans des super marchés. Les Black Keys sont les énièmes victimes de ce mal américain qui fait que tout groupe qui a un peu de succès pense devoir commener à composer de la musique de stades. Cass McCombs semble immunisé face à ce mal et continue tranquille son chemin. A peine quelques mois après son dernier opus, il sort déjà un second album, HUMOR RISK. Alors que WIT'S END se voulait aérien pour atteindre une forme de splendeur, avec un résultat plutôt décevant, Cass McCombs se fait plus humble sur HUMOR RISK. Mais c’est peut-être grâce à cela, qu’il fait bien mieux mouche. Sans ornementations instrumentales, Cass McCombs semble presque chanter seul en acoustique et atteint parfois des sommets de ballades comme avec la vraiment très réussie "The Same Thing" qui tient plus de six minutes sans que l’émotion qu’elle suscite ne perde une once de fraicheur. Mais si Cass McCombs rivalise avec ce qui fait de mieux dans le genre, tutoyant McCartney sur "Mystery Mail" et penchant du côté Little Joy sur "Mariah", il est difficile ne pas se lasser sur un album peu novateur et volontairement monochrome.


Julien: Je garde les mêmes instruments en rajoutant du vent du Sud. Calexico sort ce mois–ci SELECTIONS FROM ROAD ATLAS 1998-2011, se comprenant facilement comme un recueil de morceaux des 15 dernières années uniquement vendus lors des tournées – gravé à seulement 1'100 exemplaires. For fans only serait-on tenter de dire. En effet: loin de l'étiquette stupide de groupe Mariachi, Calexico fait partie de ces rares groupes vraiment indépendants ayant su tenir la barre, avec quelques succès commerciaux (FEAST OF WIRE, IN THE REINS, CARRIED TO DUST) validant heureusement un triomphe critique. J'ai connu Calexico au tournant du Siècle, cherchant alors d'autres prêcheurs romantiques que Radiohead ou Notwist. J'ai trouvé en Joey Burns et John Convertino d'incroyables personnalités, pour mieux faire connaissance avec tout leur entourage (Giant Sand, Dirty Three, Iron & Wine, et d'autres merveilles inépuisables, Madrugada en tête). Avec Calexico, on parle véritablement de musique, dans une certaine idée d'un classicisme US, au croisement des influences Nord-Sud, Est-Ouest, paramètre devenu la norme aujourd'hui (Beirut, Sufjan Stevens, les français de Coming Soon, etc.). S'il y a du Morricone dans ces compositions - "Glowing Heart of the World" - on retrouve d'autres choses plus indie rock, comme l'instrumental "Waitomo", pas si loin de Yo La Tengo! au hasard. Rien de carrément essentiel dans cette compilation (même si je donne ma chemise préférée au groupe actuel qui saurait signer un morceau comme "Ghostwriter" ou "Detroit Steam". Dont acte. Immédiatement après, j'eu envie d'écouter BLEU PETROLE de Bashung devant la plaine étendue que Calexico avait su peindre. Fantastico. Comme le hasard fait bien les choses, Bradford Cox sortait un nouvel album de son projet solo Atlas Sound. Deux générations en communication à distance, une même idée d'une certaine classe musicale…























Pierre: Atlas Sound sort comme tu l'as dit son troisième album, PARALLAX, et j’ai un peu l’impression que tout le monde s’en fout. Personne n’en dira du mal mais il semble passer le temps où Deerhunter et son chanteur passaient pour des héros de l’indé américain, aussi inventifs que méconnus, en un mot précieux.


Julien: La faute à Panda Bear? Ou au déclin médiatique de l'indie rock?


Pierre: Il faut dire que tant en solo qu’en groupe, Bradford Cox a multiplié les sorties et rencontré un public plus large. Dans le même temps, sa musique a pris une direction beaucoup moins expérimentale et foisonnante pour partir sur les sentiers de ballades fleuries. PARALLAX reste dans cette optique. Tous les titres sont extrêmement jolis et se gardent d’utiliser des sons trop bizarres. Il n’en reste pas moins que Bradford Cox reste un niveau au dessus de tout le monde dans cette catégorie et que la plupart des chansons confinent au génie. Tout en simplicité, il parvient à produire des moments de pure beauté avec sa voix fragile et une finesse grandiose dans la composition de mélodies. Chaque titre peut potentiellement provoquer un coup de foudre. De la rivière "Te Amo" à l’insouciance de "Mona Lisa" ou de "Lightworks", en passant par les grillons "Flagstaff", Atlas Sound dresse une cartographie sonore magnifique. Bref, si on est plus au niveau d’inventivité de LET THE BLIND LEAD THOSE WHO CAN SEE BUT CANNOT FEEL, Bradford Cox prouve qu’il n’a pas perdu son sens de la mélodie hors du commun.


Julien: En même temps, il est tout à fait envisageable de se lasser des tics et autres maniérismes de Bradford Cox, notamment sa voix en perpétuels échos, et un peu plaintive. Bon, je dis ça sans critiquer, trouvant ce mec loin d'être inintéressant, ceci même dans ses formats pop ou love – "Amplifers" et je soulève ma courtisane, "Te Amo" et, effectivement, elle m'aime. "Parallax" est passable par contre, soulevant ici mes critiques, peut-être aussi trop proche de sa maison-mère Deerhunter. Vrai que "Mona Lisa" est insouciant, il y a du McCartney dans les sillons. Mais, comme tu le dis, c'est surtout ce génie latent qui est décelable sur "Terra Incognita", qu'on avait entendu déjà à la fin de l'été, sur le très beau "Doldrum" ou le mini-tube "Lightworks". Cox possède la même capacité à relever des évidences mélodiques que feu Jay Reatard (un ami proche). Le Roi est mort, vive le Roi?
























Pierre: Pour ma dernière intervention en Speaches de 2011, j'aimerais revenir sur FOREVER de Sleep  ∞ Over. Un album par forcément magnifique mais qui réussit quelques beaux gestes. Surtout, Sleep ∞ Over joue peut-être dans la ligue la plus passionnante du championnat musical: celle où se mèlent exigences expérimentales et souci pop.


Julien:  J'en profite pour signaler la sortie de l'OVNI LA Vampires, sorti chez Not Not Fun Records, dans un registre assez similaire.


Pierre: Ainsi se succèdent des titres extrêmement noisy aux couches sonores infinies, on croit se noyer à force de plonger au fond de toutes ces strates, mais voilà qu'au fond on se rend compte que luit le ruisseau d'une mélodie pop portée par une voix et des rythmes au combien séduisant. Là où tant de groupes versent soit dans la facilité, en utilisant une expérimentation de pacotille, soit dans la masturbation expérimentale ne provoquant qu'ennui, Sleep ∞ Over réussit peut-être un des albums les plus aboutis de l'année, avec un son foisonnant explorant mille directions, sans pour autant manquer de grands titres comme "Romantic Streams" et "Casual Diamond".


Julien:  En effet, ce Speaches est le dernier de l'année. Alors que Think Tank a fêté le week-end dernier sa première année d'existence, la chronique mensuelle Speaches s'est rapidement imposée comme espace nécessaire de conversation sur l'actualité musicale, comparée, mise en perspective, libre et sincère. D'ici la fin de l'année, nous reviendrons sur les meilleurs albums, condensant dix éditions de Speaches en une super chronique, une mixTTape, des illustrations, de l'amour et de la mauvaise foi. Nous avons volontairement mis de côté les albums de nos proches The Mondrians et The Awkwards: nous y reviendrons dans le cadre d'un article Musikunterstadl, spécial Riviera.



Albums du mois :
Pierre : Sleep ∞ Over, FOREVER
            The Mondrians, TO THE HAPPY FEW
            The Awkwards, MILLENIUM CASTLE

Julien: Floating Points, SHADOWS
            The Mondrians, TO THE HAPPY FEW


Singles du mois :
Pierre: Paula, "Even if it’s true"
            Jhene AIko, "Stranger"

Julien: Atlas Sound, "Lightworks"


Vidéo (des potes) du mois:
Honey For Petzi, "Handmade Cloak", par Julien Mercier et Jeremy Ayer


6 déc. 2011

TT trip: Panda Bear à la Gaité Lyrique

Illustration: Mikhaïl Nesterov / Julien Gremaud
Difficile de situer objectivement Panda Bear, et je ne sais comment légitimer ce qui tient au goût personnel, il n'empêche qu'on ne peut remettre en question le fait que ce type est à la fois partout et nulle part. Partout, par ses collaborations nombreuses et toujours fructueuses. Nulle part parce que ses tournées en solo se réduisent à chaque fois, du côté européen, à une poignée de dates. Cette fois, avant Londres, Manchester et Porto, il passait par Paris. L'occasion d'assister enfin à un concert du gars était trop belle pour être ratée.

La soirée s'annonçait d'autant plus belle, que le concert se déroulait dans la Gaité Lyrique qui a confirmé les bonnes premières impressions: la salle se trouve face à un square; le bâtiment, dont le charme transparait sur la façade et dans un bar fort ornementé, s'est doté en son sein d'un écrin où la qualité du son prime sur le décor. C'est plein d'excitation que je me presse vers l'avant du concert. Enfin, je vais voir le membre d'Animal Collective qui a sorti deux albums excellents, le récent TOMBOY et le génial PERSON PITCH. Et ce soir, il est plus que bien accompagné. Aux samples et à la table de son, officie Sonic Boom. Rien d'étonnant quand on sait que c'est ce dernier qui, après CONGRATULATIONS de MGMT, a produit le dernier album de Panda Bear. Néanmoins, il serait stupide de minimiser le plaisir de voir sur scène cette collaboration entre le membre d'Animal Collective et un musicien aussi mythique, que ce soit dans ses projets Sonic Boom/Spectrum mais surtout en tant que musicien des incroyables et toujours influents Spacemen 3. Au-delà du côté Dream Team de cette association, la collaboration joue parfaitement son rôle en direct, Panda Bear peut se concentrer sur sa seule guitare et son chant tandis qu'à côté de lui Sonic Boom traffique constamment, touchant, triturant, boostant, accélérant. Ainsi tout le monde y gagne, la voix ne s'oublie pas pour lancer les samples, tandis que le fond sonore se fait beaucoup plus riche, plus réactif et plus fin, grâce à l'attention que lui porte Sonic Boom.


L'image qui vient pour parler de la musique de Panda Bear est celle du tourbillon, tant pour sa dimension répétitive que pour son aspect fluide. Cette dimension est renforcée ici par des visuels qui tourneront au sens propre, montrant des tourbillons de couleurs, un couple faisant l'amour dans les montagnes russes et un requin hapant sa proie, le tout haché par le crépitement des flashs. L'ensemble du concert se donne comme un tout, ne connaissant presque aucune pause, jouant sur ce qui fait l'essence de la musique de Panda Bear, c'est-à-dire une base mélodique très répétitive, poussée jusqu'à une forme de transe, derrière laquelle s'épanouissent des paysages sonores. Comme dans un océan, où chaque vague est une répétition de la précédente mais est toujours unique et porteuse de nouveaux trésors. En live, tant Panda Bear que Sonic Boom, n'hésitent pas à aller encore plus loin aux creux des vagues, se gorgeant de l'écume sans même les briser. Bien plus que sur album, Panda bear s'autorise à transformer son chant en cri animal, en poussant la lancinance de son ton; Sonic Boom n'est pas en reste, emportant certains titres jusque dans des territoires quasi techno. Les chansons de TOMBOY s'enchaînent, et s'il faut retenir des titres en particulier, ce sera "You Can Count On Me" et "Last Night At The Jetty". Les boucles résonnent encore plus fort en live, on se prend vagues après vagues en fermant les yeux. A peine le temps de s'enlever le sel à la fin du set que le rappel nous met définitivement la tête sous l'eau avec deux titres de PERSON PITCH: "Comfy In Nautica" et "Bros". Monstrueux, magnifique, je m'envie moi-même d'avoir pu entendre ces chansons en live, encore plus belles et poignantes que sur album. Vous l'aurez compris, ce concert n'a fait que renforcer ma conviction que Panda Bear est un des musiciens les plus talentueux de nos décennies.

4 déc. 2011

TT Trip: un vendredi soir à la Superette

Photo: Julien Gremaud / DR

Avec une programmation deluxe, dans la salle sympa de la case à choc, la Superette avait tout pour réussir. Malheureusement l’éclectisme des artistes présents ne correspond pas toujours à celui d’un public, venu plus pour faire la fête que pour écouter de la musique.

La Superette, ca s’annonçait bien, on nous offrait des carottes et les groupes du soir étaient excitants. Le premier set assuré par les Suisses Obez et Dadaezm servait de bonne entrée en matière, avec un son hip hop dubstep tout ce qu'il a de plus agréable, malgré quelques remixes un peu trop osé comme Dolly ou Wycleaf Jean. Mais très vite, la machine s’enrayait. Le concert de Planningtorock commencent avec du retard et alors qu’on avait lu monts et merveilles sur la performance live de cette artiste, rien de bien spécial à signaler à part que la chanteuse a une tête bizarre, la fille aux synthé est assez cool, et à la rigueur les visuels sont vraiment biens. Mais sinon, le concert se déroule de manière habituelle et si c’est bien, on est loin d’être sur les genoux et encore moins sur le cul. C’est vrai que la chanteuse a une voix impressionnante et que certaines chansons s'affirment comme faisant partie des choses les plus fortes qu’on ait entendues ces derniers moments (notamment "Doorway" et "The Breaks"), cela ressemble à du James Blake en mille fois mieux et en véritablement hanté. La reprise de Guided By Voices, "My Valuable Hunting Knife" est juste incroyable et la référence fait plaisir. Néanmoins, le concert ne parvient pas à nous convaincre totalement. Pourquoi ? Certains indices auraient du nous indiquer une piste possible. Il y avait d’abord ce garçon aux lacets fluorescents, ce trio de petits mecs qui sont venus au premier rang pour se moquer de Planningtorock, et partout autour ces filles et ces types qui parlent sans cesse, au point que je me rappelle presque plus de la description de la nouvelle copine de Kevin que des paroles des chansons. A ces gens qui parlent aux concerts, j’ai toujours eu envie de dire, au risque de passer pour un vieux con, ce qu’un voisin avait laissé comme mot sous la porte de ma sœur : "l’adolescence est une période difficile, je vous prie de la vivre en silence". L’électro a produit un changement révolutionnaire dans les rapport entre artiste et public et ce fut très bien. Malheureusement, cela a évolué en un mépris pour les groupes, qui s’exprime par ces discussions incessantes et des insultes dès que la musique proposée fait preuve d’un peu d’originalité.


Cette faune de clubbers a nui de par sa présence constante lors de cette soirée à la Superette. Ainsi sur de la dubstep bien carrée, on a vu tout le monde se trémousser des heures durant sans trouver rien à redire, par contre, au concert de Koudlam, on a carrément entendu un « Pendez le ! ». Il est sûr que ce concert fut peut-être le show le plus vénère qu’on ait jamais vu. Dans cette fin de soirée de la petite salle du Queen Kong Club, Koudlam arrive avec son blouson, sa clope et son scotch avec dans les yeux une lueur de haine. Le début commence par un ensemble d’inédits beaucoup plus fâchés que les titres présents sur GOODBYE. Bye bye les flûtes et les sons xylophoniques, coucou les synthés froids et noirs pour un Koudlam en  mode définitivement Neon Judgement. Se développe alors une véritable atmosphère de haine entre public et artiste : aucun applaudissement, des doigts d’honneur qui se lèvent, un Koudlam qui a l’air d’avoir envie de partir le plus vite possible. On se dit que c’est horrible parce que, nous, on trouve que la musique que fait Koudlam est vraiment bien et que son concert, même s’il se contente de chanter sur les instrumentales qu’il lance d’un clic sur son ordi, on aimerait bien le voir dans des meilleures conditions. C’est alors que Koudlam lance "Love Song", le rythme devient dément, la voix agressive, le public se met à danser tout en continuant d'invectiver un Koudlam qui finit par envoyer une gifle acide au premier rang. Ce qui semblait horrible finit ainsi par donner une ambiance incroyable. Le reste du concert se continue dans ce climat fou d'agressivité et on finit par jouir de cette tension qui remplit toute la salle, surtout quand résonne "See you all". On ressort grogui avec ce concert qui pour une fois fut véritablement une baffe pour un public de la Superette, qui l'a bien mérité.