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31 août 2011

MUSIK TANK : Stephen Malkmus et l'art de la chanson pop




Illustration : front cover // TT



Le dernier album de Stephen Malkmus a été enregistré il y a une année (avant la tournée mondiale de Pavement) et est finalement sorti fin août chez tous les bons disquaires. Plus léger, plus pop et moins long que le disque précédent, Mirror Traffic – produit par Beck – est un assemblage serein, aéré et reposé du désormais père de famille de 45 ans.

Dans un entretien avec Les Inrocks, Malkmus avoue avoir écrit un album de ce qu’il sait bien faire et de ce que les gens peuvent attendre de lui : « c’est aussi pop que possible » nous raconte le chanteur de Pavement. « Je voulais quelque chose de plus concis, je voulais m’éloigner des trucs lourds et des successions de solos ». En effet, dès l’écoute des premières chansons, les longs solos guitares de Real Emotional Trash (2008) semblent être interdits sur son nouvel album. Malkmus prévient : « ma manière d’écrire n’a globalement pas changé. Je suis devenu parent et mari. Je n'ai plus l'âge pour certaines choses ». Une « range life » somme toute. Et comme par magie, l’ouverture du disque n’est pas sans rappeler l’énorme chanson de Pavement.


Car "Tigers" est une petite sœur de "Range Life" avec son riff étoilé dans lequel on a envie de se baigner et son couplet simpliste basé sur une succession d'accords majeur/mineur que tout compositeur pop a tenté mille fois (et s'est planté mille fois). Sauf que Malkmus n'est pas n'importe qui. Il est peut-être l'un des meilleurs songwriters des années 90 (Pavement) et l'un des rescapés indépendants (le bon indie attention !) qui sévit encore dans les années 2000. Et c'est en écoutant "Asking Price" et "Stick Figures In Love" qu'on accepte le génie du mec, encore une fois. Deux chansons qui valent à elles seules l'album tout entier, ou la carrière tout entière du plus cool des songwriters américains. Dans l'ensemble, les chansons sont plus courtes qu'usuellement, et l'album se rapproche dans ce sens de son premier disque (STEPHEN MALKMUS, 2001) tout en maniant mieux les rênes de son groupe, les Jicks, désormais membres officiels de l'équipe Malkmus. Et puis Beck dans tout ça ? Il est étrange et amusant finalement de voir que c'est deux branleurs géniaux sont parmi les plus inventifs compositeurs de notre temps et que l'un a décidé de produire l'album de l'autre. On aurait pu s'attendre à quelque chose de totalement fou, mais non. Beck respecte Malkmus et le laisse libre dans son pré, le surveillant par coup d'œil pour ne pas qu'il fasse de trop gros trous lorsqu'il plante ses graines. Le jardin fleuri qu'est MIRROR TRAFFIC est la confirmation que les chansons (leur structure, leur couplets et refrains) sont ce qu'il y a de plus importants dans le monde de la pop music indie. Beck a laissé champ libre au groupe pour surtout travailler les finitions et il aurait même passer plus de temps sur le mastering du disque que sur l'enregistrement (qui n'aurait duré que 5 jours). Beck est un finisseur, un perfectionniste à la fraîche, mais un mec sérieux quand il s'agit de contrôler le maître classique du royaume du low-fi.


L'album n'est pas parfait (la fin tire en longueur), mais c'est ce qui le rend exceptionnel. Il n'est jamais indigeste, toujours entre sublime et cool, entre m'en-foutiste et pointilleux. C'est cette distance qui le rend attractif et attachant ou comment passer d'une chanson qui sonne comme un BO d'un film des frères Farrelly ("No One Is (As I Are Be)") à une pépite rappelant les Beatles d'Abbey Road ("All Over Gently"). MIRROR TRAFFIC tombe comme un miracle dans le paysage musical d'aujourd'hui, présentant sur un piédestal le premier matériau de ce qui nous faisait acheter un disque à 15 ans : la mélodie. À 45 berges, Malkmus nous redonne une leçon. Merci. Merci mille fois.





27 août 2011

Cory Arcangel à Berlin




Illustration: Cory Arcangel, Drei Klavierstücke op. 11, 2009

«Je n'ai jamais été persuadé que ma place était dans l'art contemporain. Elle se trouve peut–être dans la comédie». De Buffalo, Etat de New–York, Cory Arcangel (1978) fait partie de cette génération redonnant corps à l'appropriation en tout genres. Bonne idée: en ce début de XXIème Siècle, on n'aura jamais autant eu de biens matériels. La Hamburger Bahnhof berlinoise exposait quelques uns de ses travaux récents, sous l'intitulé Here Comes Everybody.

Le pouvoir dérangeant de l'humour; c'est ainsi que la critique d'art Christiane Hitzeman caractérise la pratique artistique de Cory Arcangel. Située dans une salle adjacente à celle, principale, accueillant tant bien que mal les œuvres maousses de Richard Long, son exposition a de quoi détonner. Ce dernier y présentait en effet son "Berlin Circle". Le natif de Bristol, Grande–Bretagne, fait partie des figures de proue de cet art appelé Land Art, aux côtés de Robert Smithson ou Walter de Maria. Parmi les "monstres" présentés, on aura vraiment apprécié le mur arrière marqué d'une énorme éclaboussure de terre, toisant un autre cercle, en pierre lui, de douze mètres de diamètres, une peccadille pour son grand–frère haut d'une vingtaine de mètres. Cette pièce archi connue fait partie de la collection privée de l'institution sise en face de la Hauptbahnhof et permet ainsi d'effectuer un contrepoids intéressant sur la thématique abordée par l'exposition. On regarde tout cela avec politesse, eu égard aux fragments multicolores d'Arcangel.


Le Whitney Museum de New York exposant en ce moment même son récent travail Pro Tools, nous auront ainsi affaire à une réunion plus mince de fourres–tout médiatiques du nord–américain. Ouverture: Untitled Kinetic Sculpture # 1 (2010), soit un drôle duo d'étagères ondoyantes, à en donner le tournis. C'est tout bête, il suffisait d'y penser toutefois: insérer des roulements à l'intérieur des axes d'une étagère en aluminium et l'animer. Celui–ci n'est que le début d'une série de meubles similaires, rouges, blancs ou gris, agissant comme une étrange récurrence dans cet étage et comme introduction cyclique à une exposition centrée autour de la musique (et donc de ses vidéos). A notre gauche, Composition #7, explicitant une des pratiques d'Arcangel: le détournement de programmes informatiques ou de jeux vidéos, ici Frets on Fire  (jeu de musique similaire à Guitar Hero, mais en version gratuite) en prenant pour son grade. Au détour du site web de la Biennale belge Coutour 2011, exposant le même travail, on y apprend que le résident new–yorkais a remplacé la musique du jeu par celle minimaliste de "Composition 1960 #7" écrite en 1960 par La Monte Young. Composition #7 consiste en l’intervalle suspendu d’une quinte parfaite, si et fa dièse avec comme instruction de persister. Le jeu peut être appris par tout un chacun, mais son élément fondamental y est absent, les joueurs devant se contenter d’appuyer sur deux boutons seulement…


Here Comes Everybody présente en son cœur l'installation vidéo autour du pianiste Glenn Could, œuvre majeure d'Arcangel: A couple thousand short films about Glenn Gould, réalisée en 2007. Grâce à un programme créé sur mesure, il a ainsi pu amasser et combiner plus d'un millier de vidéos de guitar heroes en herbe, croyant en leur heure de gloire via leur prétendue virtuosité musicale, se filmant via webcam ou autre caméra, assis en face de leur ordinateur. Une pratique fort étrange pour tout novice catégorie youtubesque. En ressort une version hallucinante des "Variations Goldberg" de Bach. Ça donne ici aussi le tournis, mais pas le mal de tête. Glenn Could utilisait une technique réunissant sons captés et voix de personnes interviewées pour en faire des bandes sons publicitaires radiophoniques ou télévisuelles. Arcangel en fait de même, à sa manière: humoristique, forcément, avec pas mal d'autocritique, celui–ci passant parfois des dizaines d'heures quotidiennes à astiquer son manche de guitare.  A couple thousand short films about Glenn Gould pourrait s'apparenter à un travail quelconque de médias d'interactions, et pourtant: cette installation siamoise, à deux écrans aussi distincts que frères de sang (bouillant), est devenue la carte de visite d'Arcangel, trip vidéo dément à l'heure du grand n'importe quoi des clips musicaux. Et s'il fallait revenir à des formes aussi simples mais efficaces pour y reprendre goût? Dans le même sens, on notera aussi deux vidéos à ne pas oublier dans la ballade: Drei Klavierstücke, d'un procédé similaire, des chats jouant la pièce éponyme de l'Autrichien Schoenberg. Voilà de quoi s'amuser intelligemment avec tous ces lol cats polluant Internet. Jimmy Hendrix a aussi droit à sa part, avec une versio auto–tunée de son hymne américain, interprété à Woodstock, l'autre jour. Plus que des mises en abimes, Arcangel procède à un travail quasi–sociologique sur notre époque médiatique, sans maniérisme ni pédanterie. Et, en plus, son site officiel est une œuvre d'art Internet 1.0 à lui seule. A l'heure de Flash et des templates désespérément blancs, il fallait oser.








26 août 2011

TANKINO : Quand le blockbuster hollywoodien brille - Rise of the Planet of the Apes




Illustration: found
Comme à chaque décennie, le roman de Pierre Boulle est adapté au grand écran. Comme à chaque fois, on peut s’attendre au pire. De la remake télévisée japonaise de 1987 aux films de Lee Thompson dans les années 70, les singes ont l’air de toujours attirer l’homme au cinéma. Comme pour rattraper l’horrible long-métrage de Tim Burton en 2001, la 20th Century Fox a claqué plus de 90 millions de dollars pour retenter l’expérience.

Et c’est un jeune réalisateur quasi inconnu qui s’y colle, Rupert Wyatt, 38 ans, aidé tout de même par un casting mainstream à souhaits : James Franco (les trois Spiderman de Sam Raimi), Freida Pinto (la révélation bollywood de Slumdog Millionaire), John Lithgow (les séries Dexter et How I Met Your Mother), Brian Cox (Zodiac), Tom Felton (Draco dans les Harry Potter) et le meilleur d’entre tous : Golum (Andy Serkis) dans la peau du singe Ceasar. Donc oui, le cast donnera envie à plus d’un de voir ce blockbuster où l’on peut y croiser Tom Felton en non-Draco et les beaux yeux de Freida. Une fois le public de masse attiré en salles, il faut le garder ligoter à son fauteuil : une scène d’action qui arrive très vite et passe comme un courant d'air, une mise en situation simple et directe en montage alterné avec une séquence d’action qui ne suit qu’un seul singe, tomber amoureux d’un bébé monkey, le voir grandir… la sauce a pris, le public ne peut plus partir.

Rise Of The Planet Of The Ape va jouer là-dessus jusqu’à la dernière minute (et l’après-générique) du film : tout est contrôlé, mise en place de façon carrée et rythmée, minutes après minutes, jusqu’à l’apothéose qu’est cette scène finale sur le pont de San Francisco. Ca faisait longtemps qu’on avait pas vu une séquence de fin aussi réussie (et même mille fois réussie) dans un SF ricain (même Super 8 en est loin) car elle tombe à pic. Le tempo est graduel, tout monte en puissance gentiment afin de savourer le plus confortablement du monde le dernier quart d’heure du long-métrage – comme un dessert. En bonus, un gorille qui attaque un hélicoptère au vol : bluffant. Même les scènes lourdingues et mielleuses évitent la dégringolade, les accueillant avec une légèreté bienvenue qui vient calmer une des scènes d’action la plus réussie de cette année 2011 au cinéma. Pas besoin d’aller le voir en 3D, les couleurs sont plus belles et plus claires sans et l’effet de relief réside dans d’excellents plans composés où les singes numériques sont à chaque fois extrêmement bien conçus et dirigés par les mains de ces génies de l’informatique (je veux parler de ces geeks qui passent 18 heures par jour sur leur ordinateur pour créer les scènes de ce film). Au départ les singes numériques paraissent un peu trop lisses et on craint que les spécialistes sfx se réduisent à jouer avec les expressions faciales du singe tout au long du métrage. Même si les gros-plans sur leur gueule sont parfois un peu de trop, les séquences de regroupement de singes réussissent à surmonter le cliché facile d’attendrissement aux yeux doux des chimpanzés. Le film contient même de longues séquences muettes (évidemment, des singes) et celles-ci sont tournées de façon magistrale. Des clins d’oeils évidents à 2001 : A Space Odyssey ou à King Kong surgissent subtilement, sans être pédant et grandiloquent.


Ne commettons pas les erreurs que le film a su esquiver, restons brefs et allons droit au but comme l’est A Rise Of The Planet Of The Apes : sans fioritures ni romance, écartant toutes les inutilités qu’on avait l’habitude de croiser dans les films hollywoodiens de ces vingt dernières années, le prequel de La Planète des Singes est plus que réussi et laisse entrevoir un avenir radieux à ses futurs bébés. Le must-see à grand spectacle de cet été, sans nul doute !



25 août 2011

PULLY FOR NOISE – LE JOUR D'ÜBERREEL




Illustration: Überreel


Parmi notre mince sélection lors cette 15ème édition du For Noise, nous avons retenu une pétarade colorée de Überreel, un concert costaud des Wild Beasts et un grosse interrogation générale pour Blonde Redhead. Naturellement, nous avons manqué à l'appel du reste de la programmation, ne possédant pas encore le don d'ubiquité. Récit étriqué.

Jeudi: où, parmi nos propositions affichées peu avant sur Think Tank, figuraient tant Elbow que The Raveonettes. Nous n'avions ni piscine, ni poney, malgré tout nous nous égarons et ratons à l'insu de notre plein gré ces deux prestations. Sune Rose Wagner, moitié masculine des danois de The Raveonettes est annoncé malade et ne sera pas présent. Seule, Sharin Foo tient la baraque. Elbow, aperçu il y a bien trop longtemps, en 2003 déjà, tenait la grande scène en fin de soirée. Un concert épique, selon notre confrère estimé Yann Zitouni. Bouclage. Les nombreux spectateurs de cette 15ème édition fort fréquentée (6'000 au total) rentrent chez eux. Je le sais, car je les ai croisés en voiture; on s'active pour rejoindre la petite salle de l'Abraxas. Il est presque minuit, il faut se dépêcher, Überreel allument leurs amplis et ampilent leurs machines. Au jeu de la setlist, il est pour l'heure impossible de dresser un tableau des faits et gestes. Duo à la ville, trio sur scène – entouré de l'excellent Ghost Tape, le groupe a–t–il joué "I Wanna Have a Window", présent sur la 5ème compilation Rowboat? Finalement, peu importe. De Vevey, ces fin limiers jouent un krautrock de Venice Beach, des instrumentaux gonflés (à écouter, "The Knife"), des tubes transgenres chantés par Ghostape ("Untitled") ou à trois ("Gaby").


C'est amusant. L'air de rien, Überreel alignent les références et allongent la foulée comme un coureur Ethiopien. Et on y danse. Si si. Il faut regarder autour de soi dans cette Abraxas au plafond bas comme un cave anti–atomique ces gens heureux. C'est un peu facile à dire, mais on a en temps toute cette scpne Madchester qui nous trotte dans la tête, Happy Mondays en chefs de file. C'est clair, c'est en vogue en ce moment, alors que ressort l'album SCREAMADALICA de Primal Scream. L'heure est de nouveau à la danse sur synthé et aux samplers, ouste l'instrumentation classique. Un atout indéniable au moment des comptes toutefois: Überreel, en se jouant des modèles, gardent une qualité de d'écriture suffisante pour voir plus loin qu'un simple plan marketing. Ainsi qu'une exécution quasi irréprochable. Il va sans dire que la présence de Ghostape derrière le micro est un apport non négligeable. Sans dire que le groupe s'est cherché, il s'est aventuré dans de multiples pistes, styles et équipage, avec le risque de tout devoir écarter sur sa route pour revenir à l'essentiel. Cette formation aux milles idées semble trouver en cet été sa véritable identité, canalisant ses élans en une électro–pop bien troussée, humble mais efficace. Il a fallu ce concert au For Noise ainsi qu'au récent Paléo Festival pour que les médias grand public s'y intéressent; en gros, eux aussi y croient. Cet automne devrait sortir le premier album d'Überreel, forcément sur le label Rowboat. Think Tank suivra de près l'aventure. 


Didier, moitié de la formation originale (son alter ego étant Pat V, co–fondateur de Rowboat), aurait pu toutefois nous obliger d'assister au concert le lendemain de Twin Shadow au lieu de profiter du beau temps. Décidément… Le For Noise parlait de la formation de George Lewis Jr. comme d'un "groupe crucial". Ce même Didier avait d'ailleurs fait le déplacement spécialement pour ce futur grand ("Tyrant Destroyed" étant une piste explicative). Gros ratage donc pour la rédaction de TT. Une promesse: nous y reviendrons lorsque le successeur de FORGET verra le jour. Suite: Wild Beasts en net progrès scénique, sans pour autant être transcendants. "Lion's Share", "Bed of Nails" et "The Fun Powder Plot" en ouverture, esquissant ce que livre le groupe en 2011: des ponts aériens entre le récent SMOTHER et le très acclamé TWO DANCERS, plus accessible. L'ensemble sonne encore commun dans la jungle des groupes britanniques. Les sauvent des énormes morceaux comme "Reach a Bit Further", "All The King's Men" ou forcément "We Still Got the Taste Dancin' on Our Tongues". A cinq désormais sur scène, les Londoniens se font les crocs et pourraient bien tenir comme il se doit des grandes scènes en 2012, avec leur pop raffinée et leurs bonnes allures.


Attendu au tournant, Blonde Redhead possédaient 9 chances sur 10 de décevoir un public venu pour entendre le Blonde Redhead première génération (période fin des années 1990) et non le Blonde Redhead de PENNY SPARKLE. On aura donc vu pas mal de déçus quitter précipitamment la grande scène du For Noise. Douze morceaux joués et une bonne moitié issue de cet album. Pour notre part, nous aurons tout de même pris un certain plaisir. Certes, difficile de jouer les avocats du trio new–yorkais; c'était mieux avant. Mais pas seulement. Si tout cela sonne bien trop consensuel pour ces soit disant descendants de Sonic Youth, le concert est d'excellente facture en tenant compte des choix artistiques du groupe; setlist intéressante, croisant PENNY SPARKLE avec 23 et MISERY IS A BUTTERFLY, alternant Kazu Makino et Amedeo Pace au chant, morceaux très pop ("Not Getting There"), brûlots remarquables ("Spring and Summer Fall"), proprement hallucinants, et petite pioche dans le passé ("In Particular" de MELODY OF CERTAIN DAMAGED LEMONS). "23" est aussi joué, moment pris pour mesurer deux choses: 1– le frère Pace est toujours aussi alerte derrière sa batterie. 2–certes, mais pourquoi tant de pistes samplées sur ces morceaux (basse, choeurs, entre autres). Peut–on s'attendre à plus authentique pour une formation rock? Jouer à trois, c'est bien, mais au prix d'artifices? Dernier groupe vu du week-end: Trentemøller en groupe, histoire de donner plus de peps à son récent album, INTO THE GREAT WIDE YONDER. Trop? On pourrait en discuter longuement… Le Pully For Noise a pris un très gros risque: on aura rarement vu pareille soupe sur la grande scène, par trop de basses saturées, de ritournelles simplistes, attendues et plaintives. Le Danois a–t–il perdu la tête? Le dernier jour du festival présentait les revenants Death in Vegas, les très hype Crookers et puis l'excellent Saul Williams. Une 15ème édition pas molle du genoux, pas autant défricheuse qu'on aurait voulu, mais pas de quoi s'alarmer: le For Noise reste une étape à ne pas louper, où les groupes suisses (Oy, Honey for Petzi, Peter Kernel et donc Überreel) feraient presque de l'ombre aux internationaux. Une bien belle revanche.


20 août 2011

Nox Orae: le beau week–end




Illustration: Mathias Forbach + Charlotte Correia pour le Nox Orae
Huit groupes, deux soirs, plus de mille spectateurs. Et deux énormes baffes. Au total, un formidable inventaire pour cette édition 2011 du festival helvétique Nox Orae. En deux éditions et avec une seule scène, les organisateurs réussissent à placer la barre déjà très haut. Explication plus compréhensible que cette énumération suit.

Les faits d'abord: une cohérence dans la programmation, des choix artistiques risqués, une attention minutieuse aux visuels, poussant l'obsession jusqu'aux bracelets de pass, un sonorisation plus que satisfaisante, relayant complètement les – très – bonnes dispositions des groupes programmés. Voilà, en gros. Un constat: le festival Nox Orae doit subsister dans les prochaines années. Déjà pour toutes ces raisons d'ordres factuelles. Ensuite, parce qu'il concrétise la renaissance quasi miraculeuse du Rocking–Chair, le club veveysan curateur et organisateur de cet open air. Un travail de fond opéré par Joël Bovy et Maude Paley notamment, ces derniers ayant su intelligemment s'entourer pour redonner des belles allures à cette salle qu'on a trop souvent décrite comme maudite, sous ce pont de Gilamont bien trop loin du centre ville comme le prétendent les sceptiques repoussés par l'idée de marcher quoi, dix minutes? Dans même pas une semaine joueront les trop rares The Rapture, en exclusivité suisse pour l'occasion justement, par exemple. Histoire de situer ce nouveau rôle que joue désormais la salle.


A la base, le Nox Orae est donc une soirée extra muros, histoire de célébrer l'été, un peu, et les musiques actuelles, voire pointues, enfin, surtout pointues, avec une audience plus large. Alors que tout le monde musical hurle à la mort, qu'on parle des grands festivals comme de simple raouts,  que Lady Gaga s'impose comme la reine de l'industrie en faisant de la merde, ce qui 30 ans auparavant aurait été impossible, faire le détour sur les quais du Léman remet les pieds sur terre. Qu'on nous accuse de complaisance voire même de copinage; oui, ces gens, tout comme un groupe sur trois programmés font partie de proches de la rédaction de Think Tank. Oui, nous aimons par trop souvent parler des travaux de musiciens de la région, ou d'autres domaines d'ailleurs. Reste que si nous restons les bras croisés, qui d'autre le fera? De l'importance de relayer l'activité locale… Le reste suivra, naturellement.


Les groupes présents à cette seconde édition sont agréablement placés sur un mode faisant ses preuves: deux groupes locaux ou suisses en ouverture, puis un très expérimental ou confirmé, et ensuite du lourd. Ceci sans pour autant prétériter les premières parties, leur accordant suffisamment de place et d'attention pour que tout le monde ait assez à boire et à manger. Wolf & Rhino, de Vevey, ouvre le festival le samedi, avec un rock psychédélique exclusivement instrumental, joué par une formation très jeune, en progression constante. Fai Baba, de Zürich, ici aussi bien dégomme, avec des références communes, entre blues crasseux et grosses parties hallucinatoires. Suit le non moins stupéfiant Connan Mockasin que j'aurai presque zappé cette année si Vevey ne l'avait pas accueilli cette fin d'été. Antoine Tille, membre du RKC, décrivait ainsi le groupe formé autour du Néo–zélandais Connan Hosford: "(…) cet étrange  personnage propose des chansons pop psychédéliques déviantes, dont la durée dépasse souvent les 3 minutes réglementaires sans forcement tomber dans l’expérimental et ses 10 minutes réglementaires". Il y a du Syd Barrett, forcément, un peu d'Ariel Pink et pas mal de germes de beautiful loser dans les mains de ce jeune homme de 28 ans, proposant une musique ambiance fin de règne, d'où se détachent notamment deux morceaux d'exception, à caser bien au chaud dans nos petites mémoires: "Faking Jazz Together" et puis, ô le grand air, "Forever Dolphin Love", titre éponyme et royal de l'album récemment sorti. En dernières réjouissances, les new–yorkais de Crystal Stilts, à la fière réverbe se défaisant des clichés collant à ce style noisy bien trop tendance pour être honnête (Crocodiles au hasard, d'affreux voleurs) pour livrer un bon concert, pas incroyable non plus, la tête haute, le topomètre calé à 150km/h. Ce n'est pas l'Amérique, mais on s'y est presque cru.


Lendemain, météo inquiétante, belle descente aux enfers, c'était presque l'aurore boréale; entre Buvette et Destroyer, une déroute flippante du climat, accompagnant les derniers courageux lors du concert de ceux–ci. Les Canadiens, que nous avions pu voir à l’œuvre l'an passé au festival Heartland de Vevey, possèdent une fan base d'irréductibles. C'est fort, rythmé, glam, amusant, étonnant surtout. Il faut s'y faire, il faut aimer, je n'y peux rien, et pourtant ce n'est pas à cause du saxophone. Leurs aptitudes scéniques et techniques sont suffisamment hors–normes pour être saluées comme il se doit. On reprend dans le bon sens maintenant, avec le deuxième local du festival, Buvette, livrant ici quelques pistes sur un avenir radieux que plus personne se risquerait à remettre en cause. Un featuring avec Kurz Welle, quelques nouveaux titres comme l'excellent "Inner Wars" entourant un premier album anti–rides. Du bon Buvette, même pas perdu sur cette si grande scène pour un artiste solo. Ensuite se produisit le plus que side project d'un des membres des prolifiques Round Table Knights, Labrador City, "une brise d’indie-pop soufflant depuis la Capitale" de notre chère contrée, la Suisse, comme l'affirmait la programmatrice Maude Paley. Ouais, en effet, c'est très suisse–allemand comme rock. On lève toutefois le pouce après une heure de prestation. Voilà, aucun groupe n'a dépareillé durant ce festival: assez peu commun pour le relever. Non seulement les concerts furent excellents, mais c'est toute la configuration de la Nox Orae qui est à saluer. Après bon, c'est un peu une histoire de restaurateur ou d'experts en events, mais pour sûr que le cadre y joue beaucoup. Enlevez leur stade au Celtic de Glasgow et vous retrouverez une bande de péquenots sur un terrain. Sans pour autant être une dream team, les groupes de la Nox Orae formaient une belle famille, affiliation presque naturelle.


On aurait tous dû partir vivre ensemble sur une île déserte, avec électricité tout de même. Enfin, une fois que Electrelane eurent terminé leur chef d’œuvre. Sans doute le groupe le plus attendu, jouant à la tombée de la nuit, entre les gouttes, fraîchement reformé en cette année donc sainte. Electrelane fait partie de ces groupes qu'on craint par tant de talent et pourtant injustement ignorés du grand public. Comme remède, on recommanderait à toutes les radios de préférer enlever une Duffy, une Adele, une Rihana et une Zaz pour y mettre quatre fillettes de bon goût, du nom de Verity, Emma, Mia et Ros, amies d'enfance de Brighton, à la discographie parfaite et au parcours tortueux. Ca ferait du bien à tout le monde et c'est gratuit. Enfin, on veut bien s'engager à financer leur promotion. En 2007, cramé, le quartette finissait sur les rotules une tournée No Shouts No Calls du nom de leur dernier album (un successeur devrait sortir en 2012, sisi). Le Rocking Chair les avait accueillies lors de leur chant du cygne et, quatre plus tard, célèbre leur retour au grand air. Trop beau pour être vrai? Vous n'avez encore rien vu. "Gone Under Sea", de THE POWER OUT (2004) pour ouvrir un concert fantastiquement géré: on finira la tête à l'envers mais pas chancelant. De AXES (2005), l'élégant "Bells" puis "Two for Joy" entrouvrent la porte à la violence sourde du groupe. Et puis on danse timidement sur le splendide "Eight Steps". Nous y sommes: emmené par Verity Susman, véritable cheffe d'orchestre derrière son synthé, c'est tout le groupe qui touche cette chose qu'on appelle la grâce, que si peu de formations connaîtront dans leur carrière, calé, presque en symbiose. Les fleurs du mal, assurément. Ici et là, on remarque des larmes surgir de proches et d'autres. Cette beauté est dangereuse, Electrelane est vraiment hallucinant. En même temps, est–ce que cela étonne encore les connaisseurs? On retombe sur ses pattes avec les plus légers "To the East" (NO SHOUTS NO CALLS) puis "Birds" (THE POWER OUT), classiques des britanniques. On repart pour une série d'uppercuts avec notamment l'excellent post punk "On Parade" (THE POWER OUT),"Blue Straggler" (2001) ou encore "Only One Thing Is Needed" (du même album).


La fin est épique: nous en parlions récemment, Electrelane reprend du Bronki Beat, "Smalltown Boy", fabuleux tube homo de 1984. Autre époque: ces filles attentives à leur cause y mettent le feu; Jimmy Sommerville, c'est bien, mais rien n'est encore gagné semble se dire le quartette. "UOR" chie toujours autant, c'est beau comme sa guitariste Mia Clarke, simple et limpide. Et surtout ça préfigure "The Partisan" de Leonard Cohen, comme il en va depuis longtemps avec Electrelane, acte de bravoure, superbe hommage et morceau épitaphe de Verity Susman, si ce n'est le groupe en entiers d'ailleurs. Mieux encore: en rappel le groupe jouera le bien nommé "I Want To Be The President" (du EP éponyme en 2004). Que dire de plus? Ah oui, quel bien cela fait! Il va sans dire que l'on recommande l'entière discographie du groupe de Brighton à ceux qui les décrouvrèrent ce soir de Nox Orae. Pour les autres, il ne reste plus qu'à attendre une nouvelle tournée. Refaisons vite fait les comptes: ce festival doit vivre encore de longues années, prouvant par une simple équation qu'il a largement sa place et pourrait même sévèrement se voir rapprocher au modèle Kilbi Bad Bonn. Le travail porte ses fruits. Soutenons les choses sincères.

TANKINO : La Piel que habito de Pedro Almodóvar




Illustration : Affiche du film de La Piel que habito (détail) / TT

Ignoré par le jury du dernier festival de Cannes, le dernier film de Pedro Almodòvar met en scène Antonio Banderas dans le rôle d’un chirurgien plastique talentueux et réputé. Cette adaptation du terrifiant thriller de Thierry Jonquet « Mygale » (1984) réunit les différents ingrédients que le réalisateur espagnol affectionne particulièrement : un amour perdu, un suicide, un viol, des déguisements et des expérimentations pas très catholiques.

Pour son dernier long-métrage, Almodovar retrouve son acteur fétiche Antonio Banderas avec qui il avait entamé une collaboration en 1982 avec Le Labyrinthe des passions, un rôle qui lui avait permis de faire figurer Banderas pour la première fois au cinéma. Trente ans après, le voici à l’affiche de La Piel que habito dans lequel il incarne une sorte de Dr Frankenstein cherchant à rendre les êtres humains plus résistants grâce au progrès de la génétique. Dans une ambiance tirée aux couteaux et soutenue par une musique angoissante et magnifique, la première demi-heure nous présente les personnages sans vraiment trop savoir d’où ils sortent. Le film joue sur les retournements de situations, la surprise, et remonte le temps pour permettre au spectateur d’y découvrir l’envers de cette réalité étrange. La ravissante Elena Anaya (déjà aperçue dans Parle avec elle en 2002), incarne la femme qu’il garde emprisonnée dans sa villa et sur laquelle il expérimente de nouvelles lotions pour la peau afin de la rendre plus solide. Les secrets vont petit à petit se briser et la réalité éclater.


Comme dans la plupart de ses films, Almodovar aime s’amuser et l’homme déguisé en tigre qui intervient au début est ce qui démarque le travail d’Almodovar des autres : cette touche de folie hispanique rappelant le surréalisme de ces idoles, tel Buñuel. Même Le Titien fait son apparition parmi les nombreux tableaux qui ornent les corridors de la villa. Le célèbre tableau de la Vénus d’Urbin qui cache son sexe, une œuvre énigmatique, renferme à elle seule plusieurs réponses du film qu’on découvrira au fil des séquences. Tout au long de l’histoire, la peau et le juste-au-corps prennent de l’importance (le déguisement, la peau artificiel de Vera, Vicente qui rhabille un mannequin puis la fille du médecin) jusqu’à devenir une obsession pour le chirurgien qui rafistole son petit bonzaï avec des fers en acier dehors dans son jardin. Le travail chirurgical du médecin sort de son lieu originel, le cabinet, pour pénétrer dans la vie de l’homme et tenter de faire revivre d’une façon interdite et fallacieuse ses proches. La manipulation du corps sous toutes ses formes est au centre du film. Il pousse la réalité au bout de ses limites jusqu’à se demander qu’est-ce qui nous fait aimer les autres ? Une des plus belles acrobaties du film réside dans son final, où Almodovar réussit à apporter une beauté qui tombe de nulle part dans une scène qui a tout pour s’encoubler dans le pathétique.


Pour qui est un grand admirateur d’Almodovar, le film plaira. Il est dans la lignée de ses précédents, plus horrifique par moments, mais peut-être moins puissant et sauvage que d’autres de ces réalisations (Tout sur ma mère ou La Mauvaise éducation). La mise en scène reste extrêmement travaillée et belle (surtout les plans dans les escaliers et le salon de la villa) et il reste un des réalisateurs qui utilise le plus intelligemment le traveling latéral (la scène dans le jardin lors du mariage). Connu pour être un grand cinéphile et pour jouer au jeu des allusions dans ces films, c’est surtout Hitchcock ici à qui Almodovar semble rendre hommage : à l’enfermement de Rebecca (1940) ou de Fenêtre sur cour, mais aussi à la folie de Vertigo ou de Pas de Printemps pour Marnie (1964). Les emplacements de la caméra en hauteur (œil de Dieu) sont des clins d’œil directs au maître du suspens. La Piel que habito est un excellent thriller, très sombre et donc le film plus hitchcockien d’Almodovar ; et bien que le bon rythme du film ne permet aucun creux, il semble que l’Espagnol soit de plus en plus enfermé dans son propre monde, celui des faux-semblants, du déguisement et du rebondissement ultime. Commencerait-on à s’en lasser ? 


18 août 2011

LiTTérature: L’avenir du contrôle

Illustration: Charlotte Stuby
 
Pourquoi il faut lire le premier ouvrage de Damasio, et ce qu’on y trouve; polymère et protéiforme, votre Think Tank se diversifie vers la littérature. Fumiste ouvre le bal.


Le genre science-fictionnel a quelque chose d’interdit. On l’associe communément à un style mineur, un caprice, un plaisir de placard réservé aux boutonneux et autres amateurs de Comics. Qu’on s’y ouvre un peu et une autre barrière surgit : le préjugé de l’hégémonie anglo-saxonne. La SF c’est Orwell, Huxley, Lovecraft, voir Tolkien. Des mondes futurs, passés ou passés antérieurs, des créatures extra-terrestre ou mutantes jaillissant de l’océan, des zombies amateurs de cervelle : bref un univers de création compris entre l’archipel des délires de marginaux dépressifs et les rêves d’un enfant de six ans. En résumé : copie à revoir, sérieusement. Ainsi, pourquoi ne pas commencer par Damasio, Alain de son état, et par sa grande Zone du Dehors  ([1999] ; 2007) ?


Les avantages ? La langue tout d’abord, car quoi qu’on en dise les innovations néologiques et la syntaxe au stylet se dégustent toujours plus aisément dans son phrasé maternelle, (pied de nez par la tangente au soi-disant monopole anglophile/phone). Le thème ensuite, c’est là sa substance. 2084. Pas si loin donc. La terre est ravagée par des conflits chimiques. Des échantillons d’humanité ont migré vers le grand Haut pour recommencer, et bâti de gigantesques colonies sur les lunes et satellites habitables de la Voie Lactée. Elles portent toutes le même nom : Cerclon (I, II, III…) Parce qu’à Cerclon, tout tourne rond : robotisation et réglage au nanomètre prêt du quotidien des individus/rouages. Surveillance électronique centralisée 24 sur 24 sur toute l’enceinte de la cité circulaire. Mise en place d’un système organisé de délation public (voir le chapitre grandiose des tours panoptiques) des activités « anti-cercloniennes ». Abolition du concept de personne au profit d’un dieu de chiffres et de lettres, le Clastre, qui répertorie pour chaque habitant les moindres comportements conforme ou non à la majorité, selon les notes de ses supérieurs (combien de fois avez-vous souri aujourd’hui ? Vous êtes-vous bien brossé les quenottes ? Convivialité : + 20, Hygiène buccale : -10…) pour établir à terme un classement générique des emplacements sur l’échelle sociale, modifié par cycle de deux ans. Dès lors, « l’individu » n’a plus cours. L’ensemble du corps citoyen se décline sur les lettres de l’alphabet, la position occupée ainsi que le nombre de lettres vous octroyant un rang, une place dans l’organisation, du meilleur au dernier : les ministres se nomment A, B, C… et les prolos, couches profondes de la masse sociale, F-r-d-i-l ou Q-z-a-a-c. Antidémocratique ? Bien sûr que non puisque chacun peut grimper les échelons, évoluer et perdre des lettres ! Il suffit de faire un effort, travailler plus, sourire encore, complimenter, « avoir la peau qui plus vite à l’endroit des genoux devient sale » comme disait l’autre au grand nez, en somme ne pas faire de vagues… d’ailleurs pourquoi posez-vous toutes ces questions, le système ne vous apparaît-il pas parfait ? vous êtes-vous torché dans le bon sens aujourd’hui ? Attention, vous friser le déclastrage, ce serait fâcheux…


Car des fâcheux, il y en a. Des fâchés même. Face à Cerclon et son train-train totalitaire : la Volte, (jadis Evolte jusqu’à l’exécution de Zorlk). Un groupe de révolutionnaires buveurs de « brax » et lecteurs de Nietzsche, menés par Captp (à prononcer « Capt », il préfère). Leurs desseins : noirs pour Cerclon, subvertir, conscientiser, combattre la mollesse d’un système qui transforme le corps en automate, le cerveau en pudding. Et faire entrer un peu de la sauvagerie et de la beauté brute du « dehors », cet Ailleurs entourant la cité, brassé de hautes montagnes ocres et unique bastion naturel encore vierge de toute surveillance, intra muros et intra les esprits apathiques qui rendent Cerclon possible. En dire plus, parler du corps de la belle Boule de Chat, évoquer le regard des Tigres Pourpres, imiter l’argumentaire implacablement lisse et hypnotique du président A, esquisser la silhouette menaçante du « Cube », invoquer les blasons oniriques des villes libres de Mirajeu, Gomorrhe ou Virevolte, serait superflu et gâche-métier.

La Zone…c’est un roman de la révolte, pensé et mûri. Un texte qui pose, sur fond de Surveiller et Punir, la question du statut de l’émeute dans un monde peuplé de zombies technodépendants. Qu’est-ce qui grouillera sous la peau quand le moindre besoin sera rempli ? La recherche de la sécurité absolue, premier et plus nécessaire désir du citoyen selon Hobbes, a-t-elle rivé les fauteuils du pouvoir et contribué à assurer la place des fesses qui s’y calent grassement ? La Zone… c’est une langue vive et épineuse: un entrelacement d’argot parisien futuriste et gouailleur (Slift) et de tirades philosophiques au scalpel (Captp). Imaginer votre vieux prof de philo sous amphétamines et sifflant des brax à coudes rabattus. La Zone…finalement, c’est une éducation, plutôt le rappel brusque et violent du droit à réfléchir, du devoir de questionner, d’exacerber l’irrésistible volonté qu’a tout adolescent de griffonner des crobars dans la marge d’un bouquin de droit en classe de 9ème. Un long électrochoc (600 pages) à l’usage de l’esprit critique. À l’heure où l’Espagne est dans la rue et où il faut les souvenirs branlottants d’un ancien résistant (avec un grand R, quand même) pour nous rappeler d’y descendre, le roman de Damasio est une soupape. Alors allez-y, c’est encore les vacances et de toute façon, les plages sont pleines de blaireaux.


Alain Damasio, La Zone du Dehors, folio SF, Gallimard, 2009

17 août 2011

Pully for Noise 2011 – Preview




Illustration: Luz pour le For Noise 2010

15ème édition du toujours tip top festival suisse For Noise. Par le passé, nous nous souvenons de jours heureux, avec des prestations de groupes alors en pleine explosion, à l'instar des Kills, de Liars, de Deerhunter ou de fins limiers tels que Calexico, Dinosaur Jr, Jarvis Cocker ou encore Mercury Rev. Petite présentation de cette nouvelle édition, histoire de dire aussi merci pour toutes ces années d'investissement pour une musique de qualité.

L'an passé fut une année record pour le festival de Pully, dans les hauts de Lausanne. Avec Peaches, The National, Caribou ou The Fall, il y avait de quoi se pavaner. Mais pas sûr que son président, Olivier Meylan, ait fait la danse du soleil. On parlerait plutôt de confirmation du travail de fond effectué par les anciens de l'Abraxas depuis tant d'année, refusant de la jouer hype ou, pire, confortable. En 2011, l'homogénéité est encore de mise, avec une bien belle liste de noms noircissant la carte postale du 5, Chemin du Stand. 

TT recommande
Indéniablement, les new–yorkais de Blonde Redhead représentent l'intérêt numéro 1 de cette nouvelle édition. Et même si PENNY SPARKLE, sorti l'an passé, est largement en deçà de toute leur discographie, le trio garde une aura intacte, à la beauté naturelle, ayant su évoluer en 20 ans de carrière. Blonde Redhead a pour habitude de ne pas revenir sur ses premiers disques: au For Noise seront ainsi joués principalement des morceaux de ce dernier album, de mêmes que 23, ayant marqué  en 2007 un virage pop, ou l'excellent MISERY IS A BUTTERFLY (2004). Si vous attendez des titres de LA MIA VITA VIOLENTA (1995) ou, par exemple, "For The Damaged" (2000), ne soyez pas fâchés; dans tous les cas, la formation sait trousser des concerts denses, retournants et souvent surprenants. On conseillera toutefois de se plonger dans PENNY SPARKLE pour ne pas se retrouver déconcerté. Blonde Redhead, c'est vendredi 19 août, à 22h30.

La bonne affaire 2011
Nous en avions largement parlé fin avril: Wild Beasts sortaient alors leur troisième LP, intitulé SMOTHER. Un disque impressionnant, courageux, navigant entre les Smiths et Talk Talk, version XXIème Siècle, considérant avec attention l'électronique. Alors que leur passage à Lausanne en 2009 – au Romandie –  nous avait laissé sur notre faim, le quatuor est maintenant prêt pour l'épreuve du live, les morceaux en suffisance, comme des joyeuses munitions, bariolées, à la trajectoire imprévisible. " Nous n'avons jamais voulu être ces quatre types blancs jouant encore et toujours de la guitare. Nous aimerions être ce genre de groupe qui ne devrait pas exister" relevait Benny Little, guitariste du groupe lors de notre entretien téléphonique. Le groupe britannique ouvrira pour Blonde Redhead, ce même vendredi, à 20h45. La soirée parfaite?

Les sous–estimés
Pas besoin d'être sociologue pour dénoncer cette injustice: on peut faire partie des meilleurs compositeurs et arrangeur de la scène actuelle sans jouir de la même aura que Zaz. Elbow jouera ce jeudi 18 août, à 22h15, et prouvera encore une fois que sa valeur est inversement proportionnelle à ses ventes de diques. Si BUILD A ROCKET BOYS! (2011) est moins grandiloquent que THE SELDOM SEEN KID (2008) – le groupe en avait fait un disque live, joué par un orchestre symphonique – le groupe à Guy Garvey n'a pas revu ses ambitions et ses exigences à la baisse. En dehors de toute mode, Elbow fait sa route, où l'exceptionnelle qualité discographique finira tôt ou tard par frapper à la porte du triomphe. Je me souviens personnellement de leur concert en 2003 à Lausanne, en ouverture de Blur, alors en pleine tournéé Think Tank (l'album, pas le blog). Dans un cas de figure presque similaire, les danois de The Raveonettes seraient davantage connus pour s'être fait braquer leur matériel vintage que pour leur belle palette de disques s'il ne subsistait pas ce talent d'écriture – des pop songs jubilatoires ("Love in a Trashcan", au hasard) – et leur acharnement à s'activer sur la scène indépendante depuis bientôt une décennie. Entre noise et psychédélique, le duo de Copenhague compose des morceaux plus subtils qu'il n'en paraît, élémentaires et parfois suicidaires. A voir en ouverture de Elbow ce jeudi à 20h30.

Nos amis
On pourrait presque les caser dans chaque catégorie ci–dessus: de Vevey, Übereel est un duo d'érudits, aux milles vies antérieures, humbles mais pas coincés sur scène. Composé du co–fondateur du label Rowboat et d'un des membres du magasin de disques Bel Air (Lausanne), le groupe fait office de parrains de cette 15ème édition du For Noise. Jouant à l'Abraxas ce jeudi à minuit, Übereel trouve ici un espace parfaitement taillé pour son psychédélisme dompté. S'ils continuent comme ça, Didier et Patrick pourraient bien voir leur horizon s'ouvrir; avant cela, un album à finir. Cette date à Pully est donc une des dernières occasions de les voir sur scène avant un moment. Le samedi 20 août se produiront de même les locaux Honey for Petzi à 20h00: 2011 est l'année du grand retour d'une des formations piliers de la scène lausannoise, avec l'excellent GENERAL THOUGHTS AND TASTES. Si "Made of Concrete" fait partie des réussites de l'album, à placer parmi les titres pop les plus réussis de l'année, on aura toutefois affaire à plus tranchant pour un concert en mode rouleau compresseur. De quoi largement effrayer les groupes qui joueront à leurs côtés ce soir–là (The Antlers, Crookers, Saul Williams). On ne manquera non plus d'assister au concert du side-project de membres de Toboggan et de Velma, Meril Wubslin ce jeudi à l'Abraxas, 19h45.


Pour le tube
Death in Vegas fait partie de ces groupes à multiples casquettes, livrant des albums aussi électroniques que bruitistes. Si l'on ne sait pas trop quoi attendre du nouvel album de Richard Fearless, à paraître en septembre, nous retiendrons deux faits majeurs: 1– avoir les couilles d'appeler son premier LP DEAD ELVIS (1997). 2– avoir livré un tube définitif, mettant les rockeurs et clubbers d'accord, avec l'impeccable "Hands Around my Throat". En live, ça chie encore plus, alors on aura des remords en cas d'absence ce samedi à 23h00, pour terminer superbement cette édition anniversaire du For Noise Festival.

Les infos
Facile, For Noise Festival point ché ach. On s'y croise.

16 août 2011

KINO KLUB: Bronski Beat – Smalltown Boy (UK)



La récente reformation de Electrelane pourrait bien leur permettre de dépasser le statut de groupe indé culte; d'une beauté absolue, aussi fragile que fulgurant, le concert de Verity, Emma, Mia et Ros au festival suisse Nox Orae a planté tout le monde. Setlit en crescendo, maîtrise ahurissante, et, le plus remarquable, gêne apparente devant une foule de fanatiques/conquis; entre les classiques du groupe, une reprise de Bruce Springsteen ("I'm On Fire"), de Leonard Cohen, toujours jouée à mille à l'heure ("The Partisan"), et puis, en milieu de concert, cette surprise: "Smalltown Boy" des Bronski Beat, qu'on aurait presque oubliés si Jimmy Sommerville n'en avait pas fait partie. Un tube courageux, définitif, premier single de ce groupe ouvertement homosexuel, ce qui, en 1984, pouvait s'avérer périlleux. Double hommage donc pour ce nouvel épisode du Kino Klub, en attendant notre retour en images sur le festival Nox Orae.

15 août 2011

TANKINO : Lars Von Trier's Melancholia




Illustration : Giom



Plus lyrique et moins violent, plus humain mais dépressif, le dernier film de Lars Von Trier se décline en deux volets prenant chacun le nom d’une des deux sœurs interprétées magistralement par Kirsten Dunst (prix d’interprétation à Cannes) et Charlotte Gainsbourg. Sur fond d’apocalypse à retardement sublimé par la musique de Wagner, le provocateur réalisateur danois réalise son meilleur film.


Lars (Von) Trier est un emmerdeur. Contrairement à la majorité des réalisateurs de ce monde, le Danois aime aller à l’encontre des problèmes (réfuter les décors dans Dogville, 2003), à déraper juste quand il ne faut pas (« Je comprends Hitler » à Cannes) et à jouer avec le public de façon aussi malsaine qu’il dirige ses comédiens. Déjà dans The Idiots (1998), un de ces films dogmatiques (il fonde dans les années 90 le Dogme95 qui est une sorte de mouvement artistique selon des règles définies : filmer caméra à l’épaule, pas ou peu de montage) l’atmosphère instaurée par Lars était déstabilisante pour le spectateur qui ne savait plus vraiment comment comprendre le film, la frontière entre le docu et la fiction étant si mince. Dancer In The Dark (2000) – sa comédie musicale – fut remarqué à Cannes pour la qualité de ses scènes de danse et la réflexivité de la notion de musical : croire en la danse et à l’évasion pour sortir de la folie. La présence de Bjork n’était pas non plus insignifiante. Déjà Lars jouait à torturer ses actrices et l’artiste islandaise ne manqua pas d’écrire une lettre à Nicole Kidman pour la dissuader de jouer dans Dogville. Charlotte Gainsbourg en subira les frais dans Antichrist (2009) mais acceptera de poursuivre avec ces rôles masochistes. Cependant, Melancholia – le film qu’il définit comme son plus optimiste – se veut plus calme, moins « film d’auteur », moins dogmatique dans ce sens, ce qui voudrait donc dire plus agréable à l’oeil.

Dès le début en effet, Trier veut nous en mettre plein la vue avec une séquence d’introduction qui dure une bonne quinzaine de minutes présentant une succession de plans fixes surréalistes en slow-motion sur l’ouverture de Trisan et Iseult de Wagner. Séquence magistrale évidente, invoquant la puissance visuelle de Kubrick ou le lyrisme de Visconti, comprenant des citations effectives (Bruegel) ou déconstruites (Magritte, De Chirico), l’ouverture de Melancholia est une convocation des grands esprits du monde qui a pour fonction d’ouvrir un film ayant comme sujet (ou plutôt comme but) la fin du monde. Le choc est donc brutal lorsque le film commence réellement avec la première partie (« Justine ») et l’agression des plans caméra à l’épaule qui donne le mal de mer. Petit conseil, accrochez-vous aux sous-titres pour ne pas verser. Mais ce choix est tout à fait attendu et acceptable. Le diptyque mis en place par Trier n’est pas anodin et les deux parties se répondent intelligemment et subtilement l’une à l’autre ; elles définissent le caractère des deux sœurs ainsi que l’angoisse de chacune. Car plus qu’un film sur la dépression (Trier dira qu’il faut avoir connu la dépression pour savoir vivre), Melancholia est un film sur l’angoisse. Et sur ce sujet, peu de films lui arrivent à la cheville. Claire aime la vie et désire le meilleur pour le mariage de sa sœur Justine. Cette dernière, dépressive, tente de garder la face tout au long de la soirée mais n’y arrive pas. Le problème psychiatrique de Justine prendra encore plus de sens dans la deuxième partie, celle consacrée à sa grande sœur Claire qui angoisse à l’idée de voir cette énorme planète Melancholia rentrer en collision avec la Terre. La séquence où Justine remplace les tableaux abstraits en exposition sur la bibliothèque par des figuratifs qu’elle choisit métaphorise le combat entre les deux sœurs qui luttent finalement contre la même peur. L’immense coup de génie réside dans la structure du film, qui semble pourtant vue des centaines de fois, mais qui n’a que rarement été aussi bien utilisé. Rarement (jamais ?) au cinéma nous n’avons pu voir une aussi bonne simulation de ce qu’est la dépression : cette planète qui fonce tout droit sur vous et qui, par moments, s’éloigne pour vous laisser un peu respirer.

Lars Von Trier est un emmerdeur car il réussit ici son plus grand film et c’est celui qu’il dénigre le plus. « It is too beautiful » dit-il. Dans son entretien aux Cahiers du Cinéma, il préfère parler de son prochain film – qui sera un porno hard – que de celui qui sort aujourd’hui dans les salles. Durant l’interview, le journaliste tente de le faire parler de Melancholia et d’expliquer l’utilisation de Wagner ou des différentes peintures, mais Trier répond qu’ « il faut faire attention quand on utilise de la musique romantique », qu’il « ne regarde que très peu de films » et que « Kirsten Dunst est magnifique, génialissime, provocante ». Laissons de côté l’homme et gardons le film : Melancholia est une œuvre de grande envergure et aurait mérité la Palme d’Or ex-aequo avec The Tree Of Life (et autant Kirsten Dunst aurait pu partager son prix avec Charlotte Gainsbourg). Cette punition pour la persona non grata du dernier festival de Cannes donnera raison à Bergman quand il disait que Lars Von Trier sera un grand réalisateur quand il arrêtera d’être provocateur dans ses films. Avec Melancholia, Trier s’est enfin contenu, mais il n’a pas pu s’empêcher de faire le con en public. Bonne nouvelle, le Danois a annoncé récemment qu’il ne donnerait plus jamais de conférence de presse. Malick l’avait compris bien avant lui.



12 août 2011

TANKINO : SUPER 8




Photo : Julien Gremaud
Une bande de gosses désireux de soumettre un court-métrage en super-8 au festival de film de Cleveland devient sans le vouloir l’unique témoin d’un déraillement de train. Celui-ci semble avoir été provoqué par une mystérieuse voiture blanche. Leur caméra est tombée pendant l’incident et a continué de tourner. La bande s-8 révèlera la raison pour laquelle l’armée s’est déplacée dans leur paisible petite ville.

Super 8 est le dernier long-métrage réalisé par J.J. Abrams que l’on connaissait plutôt en tant que créateur et scénariste de la série Lost, Alias où Fringe. C’est aussi lui qui a écrit l’histoire de Armageddon (1998) et qui a réalisé Mission Impossible 3 (2006) ou Star Trek (2009). Rien d’extraordinaire jusqu’ici, si ce n’est qu’Abrams sait comment raconter une histoire et comment la montrer à l’écran – ou du moins à la télévision. Et on se rend vite compte que Super 8 est mené par un habitué de l’écriture scénaristique à rebondissements. L’histoire du film se déroule sans jamais créer de nœuds et les principaux personnages du film – les cinq enfants – emmènent le film jusqu’à son terme sans ennui. Au-delà de son scénario (qu’on a parfois un peu de mal à suivre tant Abrams veut tenir son spectateur en mouvement), le film est surtout un hommage au cinéma et aux films que tout ado qui a vécu dans les années 80 a pu voir en salle ou en rediffusion à la télé. Les posters des films de Carpenter dans la chambre des enfants ou l’image brute de la pellicule font penser à ça. Adams utilise la pellicule, mais surtout, il joue de la lumière dans tout le film avec l’effet de lens flare qui revient à tour de bras. Cet effet est provoqué par la lumière dirigée contre la lentille de la caméra. Elle a comme résultat une traînée lumineuse bleue ou des halos de lumières sur l’écran. La plupart des réalisateurs d’aujourd’hui évite cet effet parasite synonyme d’artificialité à l’image, ce qu’Abrams (et Spielberg et Lucas avant lui) utilise dans Super 8 d’une façon qui semble au départ un peu exagérée mais qui prend tout son sens dans le plan final du film.


Spielberg partout

L’effet de lens flare poursuit donc cette idée d’hommage aux films des réalisateurs qu’Abrams a chéri : George Lucas, Richard Donner mais surtout Spielberg, dont la patte est omniprésente (producteur du film rappelons-le) tout au long du film. Les cinq adolescents de l’équipe de film sont un souvenir des premières réalisations qu’a pu faire Spielberg, Jackson ou tout réalisateur devenu célèbre ou non. Le rapport à l’enfance, l’amour du cinéma, les extra-terrestres, les travellings aériens sur grue, tout est un clin d’œil au (meilleur) cinéma de Spielberg. Plus fin et intelligent que La Guerre des Mondes, Abrams réussit à retrouver l’ambiance que Spielberg avait su de façon magnifique instaurer dans ses films les plus universels : E.T. ou Rencontre du Troisième Type. Mais le meilleur réside dans les scènes d’actions où le « monstre » (qu’on ne voit pratiquement jamais jusqu’à la dernière demi-heure, comme dans Jaws) entre en scène. Ces séquences ne sont pas sans rappeler celle de Jurassic Park (l’enclos du T. Rex), et franchement, on retrouve la même force de mise en scène avec l’absence de musique, des sons extrêmement précis et mis en avant (les cris du monstre sont identiques à ceux des dinosaures de Jurassic Park), des situations de base simples (un policier qui prend de l’essence) qui deviennent infernales. Lorsque le gamin prend son vélo pour rentrer chez lui est un moment qui fera « tilt » à tous ceux qui ont eu 12-13 ans quand E.T. est sorti au cinéma (1982). Et l’extra-terrestre a le même but simple que celui dans E.T. : rentrer chez lui. Même la scène où Joe projette une pellicule lorsqu’il était bébé avec sa mère est touchante. L’usage du film super-8 apporte une nostalgie, certes simpliste, mais qui marche si on sait comment disposer la scène : le visage de la petite Alice au premier plan à gauche, Joe au second, le bruit de la bobine qui défile en fond, les larmes qui brillent dues à la lumière de la machine de projection. Spielberg aurait voulu tourner Super 8, mais il pensait que ce serait mieux de le faire réaliser par quelqu’un qui aurait vu ses films étant jeune.


Mélange de genres

Sa mission est réussie. Super 8 est un délicieux moment de bonheur et de nostalgie. De plus, le film parvient – au contraire de tout ce qui se fait aujourd’hui à Hollywood – à présenter un blockbuster déguisé en un film low-tech. C’est cette confrontation de deux genres qui fait la force et l’originalité de Super 8 : le film amateur prenant le dessus sur le film à gros budget. Car une fois l’histoire installée, les quarante-cinq dernières minutes ne sont que poursuites et effets spéciaux gigantesques, ce qui a déjà été vu mille fois mais qui est ici essentiel pour jouer la démesure et l’opposition des genres. D’ailleurs, la première partie aurait même pu être, en 2011, une simple production télévisuelle en tenant compte de l’économie de certains plans fixes qui sont (c’est rare) toujours utilisés à bon escient. Le film de zombies réalisé par les enfants dans le film aura même sa place au générique de fin – ou comment Abrams et son équipe se sont éclatés durant le tournage du blockbuster à tourner un film de zombies avec des allumettes.

Super 8 est le seul long-métrage hollywoodien qui sort cet été sans l’usage de la 3D. J.J. Abrams n’en voulait pas. Il n’en avait pas besoin. Il tourne un film comme en 1980. Est-ce que E.T., Gremlins ou Les Goonies avaient besoin de la 3D ? Pour ceux qui rêvent de revoir Stand By Me ou ce qui sera peut-être le E.T. de leurs enfants, Super 8 est du pain béni. Ce n’est pas révolutionnaire, mais un bol d’air frais cinématographique ravigotant et nécessaire qui peut prendre fièrement ses marques au milieu des Schtroumpfs 3D et de Green Lantern. Un film pour les trentenaires qui veulent redevenir ados durant 120 minutes ; un film qui donnera envie aux ados d’aujourd’hui de tourner le leur.

11 août 2011

TT TRIP : LOCARNO 2011




Illustration : Saïnath

Ce qu'il y a de bien avec le Tessin, c’est qu’on a l’impression de partir très loin (4h de train) pour rester en Suisse tout en se sentant en Italie. On traverse le Costa Rica sous des pluies diluviennes en prenant un petit train qui traverse des montagnes garnies de forêts touffues dont seuls quelques clochers rassurent quant à la vie humaine en ces lieux sauvages. Arrivés à Locarno, des affiches de films sont placardées sur le moindre réverbère ou murets, et la chaleur estivale a tout pour nous faire croire que nous sommes à Hollywood. Même Harrison Ford est là. Petite chronique d’un séjour helvético-californien.


Ambiance

Le concours international de courts-métrages présentait samedi quatre films nominés. Parmi eux, un seul vaut vraiment le détour : Végtelen percek, un film hongro-roumain réalisé par Cecilia Felméri. Durant une vingtaine de minutes, nous passons d’un personnage à un autre, tous employés ou patients dans un hôpital, pendant un instant de leur journée. L’originalité de l’affaire est que ces différents moments adviennent tous en même temps. Chacune des scènes axée sur un des personnages contient un défaut, une interrogation (souvent sonore), et la séquence suivante permet de l’élucider. Une petite réussite. Bora bora de Bogdan Mircia mérite aussi un petit mot pour son humour absurde posé sur de belles images avec sa troupe d’acteurs efficaces.

Pour sa 64e édition, le Festival du film de Locarno a décidé de jouer la carte des paillettes et des stars et n’a pas manqué la cible en invitant l’équipe du nouveau blockbuster hollywoodien Cowboys vs Aliens. Et il faut le dire, voir Harrison Ford en vrai, ça fait quand même quelque chose quand ado on a dévoré les Indiana Jones. Pour leur conférence de presse, les accès sont réservés. Mais TT a réussi à introduire un de ces chroniqueurs au milieu des journalistes européens. Les questions ne sont pas très percutantes et restent excessivement positives envers les acteurs. On n’osera en effet pas dire à Daniel Graig que son rôle dans le film se limite à des coups de poings ou à des courses poursuites sur des vaisseaux aliens. Olivia Wilde est plus que ravissante et s’avoue tout heureuse de jouer dans un western. Ford est très discret, parle lentement et semble plus concerné par son rôle pour le respect de l’environnement que par le film, bien qu’il avouera en fin de conférence de presse qu’il a passé « one of the best moments of my life working for this movie ». Plus tard, sur la Piazza Grande plus humide qu’une rue de Londres en octobre, les cow-boys et les extra-terrestres s’affronteront alors que sur la place de Locarno, c’est plutôt parapluies vs k-way. Nous reparlerons de ce film à la fin du mois quand il sortira en salles. Place aux coups de cœur.


DRIVE (par Saïnath)

Nicolas Winding Refn n'est pas le réalisateur le plus connus, pourtant il a tout d'un grand, avec cette aura, cette touche qui fait que chacune de ses oeuvres est atypique et en passe de devenir un film culte, si n'est pas déjà le cas. Il fait partie de cette catégorie si rare de réalisateurs qui possèdent une véritable identité visuelle tout en révolutionnant complètement leur univers à chaque film. Sa filmographie d'une dizaine d'années comporte notamment la fameuse trilogie Pusher, le silencieux Valhalla Rising et le génial Bronson.

Drive est son dernier film et sa deuxième réalisation américaine. Vendu comme un film de gangsters vu et revu, on se retrouve complètement pris au dépourvu avec ce qui pourrait être un film de Sofia Coppola trempé dans l'ultra violence d'un Tarantino avec parfois des aires de Kubrick. De Sofia, Winding Refn a le romantisme, la mélancolie et le lyrisme. Pour l'ultra-violence, on connaissait déjà un peu les goûts du danois en matière de fracassage de gueules. Drive c'est un film de justiciers, de héros parfait interprété magistralement par un Ryan Goslin mutique dans un Los Angeles magnifié, le tout secondé par une distribution parfaite. On se retrouve devant un écrin de nostalgie 80's sous un déluge d'electro-pop à base de synthés, une bande originale qui d'ailleurs, comme celle d'un Tarantino, est une compil’ qui restera sûrement dans les annales tout comme le film dont elle est issue. À l’arrivée, c'est un film d'action d'une classe inouïe, grâce à sa BO somptueuse et ses instants de bravoure, d'ultra violence et de lyrisme qui renvoie aux meilleures séries B des années 70/80, une sorte de monument du genre. Là où Tanrantino s'est planté avec Death Proof, Nicholas Winding Refn s’en sort haut la mains Aussi étrange que cela puisse paraître, le cinéma bis, avec Drive, rime avec film d'auteur et Cannes ne s’est pas trompé en décernant la palme du meilleur réalisateur à Refn. Une merveille de plus dans cette année 2011 si riche en cinéma qui finira sûrement sur l'étagère des films cultes dont on en reparlera encore dans 30 ans.





TERRI

Locarno a décidé de programmer dimanche après-midi le dernier film du jeune réalisateur new-yorkais Azazel Jacobs à 14h dans la plus grande salle indoor du festival. Terri raconte l’histoire d’un jeune garçon de 15 ans en sur-poids, qui doit s’occuper de son oncle amnésique. Terri ne cesse de se faire embêter à l’école à cause de ses « big tits » et arrive en retard tous les matins en cours en pyjama. Le directeur (joué par l’excellent John C. Reilly) demande à le voir une fois par semaine pour s’entretenir de ses problèmes et tenter d’y remédier. Terri va se lier d’amitié avec un autre élève qui suit aussi ces séances avec le directeur, le maigrelet Chad. Plus tard, Terri se rapprochera de la jolie blondinette de l’école, Heather. Terri est donc un teen-movie à l’americaine mettant en scène un jeune à problèmes.

Un teen-movie à l’ancienne, à la old school, un Breakfast Club moderne ou un Donnie Darco plus jovial (dans le bon sens). Les plans sont travaillés subtilement et le travail sur la lumière est superbe. Dans sa discussion d’après-projection, Azazel Jacobs nous dira que rien n’est laissé au hasard dans son film et que le défi était non pas de trouver un bon jeune acteur de 15 ans, mais de trouver ceux qui marchaient le mieux ensemble. À ce niveau, on peut dire que le réalisateur a fait fort. Les trois jeunes ados que nous suivons sont la grande force du film et certaines séquences sont juste parfaites : l’échange de messages sur bouts de papier à carreaux entre Terri et Heather pendant le cours de bricolage est filmé avec une finesse si parfaite qu’on a l’impression de revivre nos propres échanges de mots de l’école secondaire. Autre exemple : quand Terri quitte la voiture du directeur après l’enterrement, Chad, assis dans la voiture avec le professeur, allume la radio au moment où la voiture redémarre. Le professeur lui tape sur les doigts et éteint tout de suite la musique mainstreem et sucrée qui passait : « Ne touche pas à ça c’est ridicule ! » lui dit-il. Dans cette scène, Jacobs se moque des clichés hollywoodiens de façon extrêmement lucide et on imagine le réalisateur sourire derrière sa caméra. Malgré une histoire qui pourrait facilement glisser dans le film d’ados un peu lourd, Jacobs tient le scénario comme un chef, à la Coen pour les situations difficiles et absurdes, et à la Wes Anderson pour ses personnages touchants et persécutés. Un réalisateur à suivre, et un film qu’on espère voir sur les écrans romands avant la fin de l’année.