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29 avr. 2013

Sensuelle séduction: premières chaleurs

Photographie: Jan Lukas, "Der Sprung", in Walther Heering, "Das goldene Buch der Rolleiflex" (1936)
Alors qu’enfin tu restes avachi dans l’herbe, à suçoter des glaces, que de nouveau tu transpires sur la piste de dance, il est temps de s’enduire de douceur musical : Inc., Autre Ne Veut et Cassie sortent leurs plus belles chemises et leurs déhanchés les plus lascifs. Avec le soleil qui frôle ta peau, c’est tout ton corps qui est de sortie. Il est temps de dégainer tes atours les plus sensuels.

Chemise noire 
Tu te sens jouasses, le soir tu vends des sushis, mais dès minuit tu agites ta mèche, sur la piste tu te donnes des faux airs chics pour mieux faire n’importe quoi, ton sourire sent tellement la sensualité et l’enjailllement que tu ne peux triompher. Tu le sais au regard pétillant en face de toi. Pour te rapprocher définitivement, tu demandes au dj de passer Autre Ne Veut. Après deux premières sorties  réussies, AUTRE NE VEUT et BODY EP, Autre Ne Veut se lâche complètement sur ANXIETY. Dans le bon sens du terme : ce qui n’était qu’une touche R’N’B sur de la musique quelque peu bricolée explose désormais sous forme de chœurs, de claquements joyeux et d’une voix qui monte plus haut. Sorte de fils décomplexé d'How To Dress Well, Autre Ne Veut ose se débarrasser de tous les oripeaux indé. Il va donc falloir s’habituer à cet exact contraire de la précédante vague des garçons émus : finies les voix voicodée, coucou les garçons qui chantent très haut et pas toujours juste. Au contraire de son titre, ANXIETY exprime une forme d’euphorie, y compris dans les ballades sentimentales. Autre Ne Veut évite de surjouer des postures kitsch pour laisser éclater un élan de liberté s’exprimant dans une écriture d’une rare intelligence, laissant le pourtant très côté M83 à des années lumières. Il n’y a qu’à écouter les différentes rythmiques, le travail sur les voix ou la confection sonore de titres comme "A Lie" ou "I Wanna Dance With Somebody" pour s’en convaincre. Une seule déception : pourquoi n’avoir pas mis la version de "Counting" en featuring avec Mikky Blanco sur l’album. 


Chemise blanche 
Le soleil brille sur l’écume et de la mer et de la transpiration sur les poils qui s’échappent de ta chemise immaculée. Rien n’a été oublié : les palmiers ondulent, l’ombrelle virevolte dans ton daikiri. Pour couronner cette ambiance romantique, juste avant de délier le nœud d’un bikini, tu t’avances tranquillement vers ta platine et y dépose le vinyle d’Inc. Malgré les mêmes voix de jeune homme blanc converti au R’N’B, on ne retrouve pas du tout le même registre que chez Autre Ne Veut. Dans NO WORLD, il n’est pas question de dépasser le genre par une écriture pop très fine. Il s’agit plutôt de jouer avec la posture que ce style impose, balançant sans cesse entre le mauvais gout assumé (jusqu’au solo de guitare) et le romantisme de garçons sensibles. Tous les titres se vautrent dans des ambiances suaves au possible. A se faire serrer les poings sur le torses et porter son regard au loin. Le plus grand succès de NO WORD consiste à suivre à la ligne un seul et unique style, en véritable ayatollah de R Kelly sans pour autant qu’aucun des titres ne soit redondant. Ce R’N’B des plus pures, porté par une musique toute en volupté, rebutera sûrement des oreilles non converties. C’est bien dommage car malgré l’aspect cool de Inc., les deux frères ne font pas que poser, ils possèdent bien plus et cela se ressent dans "Black Wings", "Desert Rose" ou encore "Seventeen"


Rouge à lèvre 
La chaleur monte. Tu dégaines ton plus beau rouge vif, prêt à gober tout ce qui se trouve sur ton chemin. Tu es l’anthropophage, bien décidée à mordre les autres, autant parce que c’est bon que parce que rien ne peut te résister. La chaleur monte encore. Tu perces la foule avec autant de grâce que de puissance. La chaleur embue et fait se fondre les glaçons avant même la première gorgée. Dans le club, retentit la voix de Cassie. Certains titres comme "King of Hearts" laissait entendre tout le vrai potentiel de celle qui a été lancée très tôt comme une futur star du R’N’B américain. Sa nouvelle mixtape, ROCKA BYE BABY, vient prouver qu’elle a su profiter de la nouvelle vague hip hop pour durcir son style, devenu beaucoup moins chanté, gagnant en noirceur, en agressivité, et jouissant de productions moins mielleuse. Evidemment, c’est sur une mixtape, le nouveau miracle du hip hop. Dans quel autre genre musical peut-on trouver un exemple similaire ? Un format de distribution à la fois gratuit et exprimant une liberté expressive dingue que ce soit par les expérimentations, le nombre de collaborations ou encore la légitimité de reprises. On est pas loin de penser que ce qui est sorti de mieux niveau hip hop ces dernières années relève de la mixtape : Asap Rocky, Odd Future,… ROCKA BYE BABY joue dans la même ligue. Alors que les albums habituels de R’N’B américain féminin (Beyonce, Rihanne) restent difficile à écouter en entier, ici, aucun titre ne cède à la facilité. Tout sonne à la fois extrêmement mainstream mais déchainé, sensuel mais puissantm punchy mais attentifs à tirer le meilleur de tout ce qui fait actuellement en terme de production. Difficile de ne choisir seulement que quelques titres dans cet exercice proche de la perfection. Tout débute lascivement avec "Paradise", déjà caniculaire avec Wiz Khalifa et un flow mordant. Jeremih vient lui assurer un pic de sensualité sur "Sound of Love". "I Love It" plane sur une production en forme de transe sous calmant, n’en gardant que les pointes. Décidément, rien ne manque sur cette mixtape. Ni la chanson puissante-pétasse avec la très bonne reprise de "Do my dance", ni le single qui claque avec "Numb" avec la formule imparable : Rick Ross + flow plus rappé de Cassie + une production bien sombre. Vraiment un des meilleurs albums de R’N’B actuel. Plus fort que les premières chaleurs, déjà au top de l’été.



24 avr. 2013

The Grandmaster : il était une fois le kung fu

Illustration: Julien Fischer
Après deux chefs d’œuvre (In the Mood for Love et surtout 2046), Wong Kar-wai a décidé de s’attaquer à Ip Man, personnage fédérateur et idolâtré en Chine, et maître du wing chun, cet art martial chinois. Il aura fallu au réalisateur hongkongais six ans pour venir à bout de ce film, et de nombreuses heures de rushes balancées à la poubelle. Enfin presque, si l’on ne sort pas de la salle trop tôt…

L’histoire du film se résume en à peine deux lignes. Elle raconte l’histoire de Ip man et son apprentissage des arts martiaux des années 30 aux débuts des années 50 ainsi que sa rencontre avec une femme et son combat face à l’envahisseur japonais. C’est en somme ce qu’on appelle par chez nous une biographie filmée, un biopic. Sauf que Wong Kar-wai n’est ni Spielberg, ni Luc Besson, et que son récit se situe à des années-lumière de toute ressemblance figurée avec cette catégorie de films. Non. Wong Kar-wai est plus un peintre romantique, un écrivain lyrique, un réalisateur mélancolique dont les racines ont en commun les descendants de Friedrich ou Rimbaud, et dont la caméra et la narration voguent plutôt du côté d’un Malick asiatique, la confiture chrétienne en moins. Il est intéressant de voir d’ailleurs, dans le rapprochement entre ces deux réalisateurs contemporains, cette volonté de mettre en avant le pathos, l’amour perdu et la mélancolie dans tous ses états, jusqu’à oser une séquence où les deux personnages principaux se retrouvent à une table et discutent, la larme à l'oeil, pour mettre fin à tout espoir de relation possible entre eux.

Il faut attendre une bonne quinzaine de minutes pour reprendre sa respiration après l’ouverture dantesque de The Grandmaster. Histoire de rassurer rapidement le spectateur, c’est à une impressionnante scène de combat sous la pluie que Wong confie son film aux yeux du public, une fois passé l’étonnant et très pictural générique. Esthétiquement bluffant, la séquence met de côté les couleurs vives, pour se concentrer sur une aquarelle noire et grise, mais qui n’a jamais l’air d’être du noir et blanc. Le montage, extrêmement étudié (on dirait que les goutes d’eau tombent à des moments réfléchis), donne un mouvement tout à fait unique à la scène. Si le travail du chef opérateur français impressionne, il faut aussi rendre la pareille au monteur son, qui apporte une cohésion tout à fait exceptionnelle à l’ensemble de ces plans. Jamais barbant, les combats vont se suivre tout au long du film sans jamais devenir pédant. Ils notent à chaque fois la volonté première du réalisateur : je vais vous parler d’un type et de son talent. Le reste n’est que du décor.


Once upon a time in Kung Fu…
Mais attention, « décor » n’est pas péjoratif. Au contraire, là est l’originalité du film. Car si les scènes de combats sont esthétiquement renversantes, le reste du film se divise entre une sorte d’Il était une fois en Amérique version chinoise, dévouée au kung fu. Comme dans le chef d’œuvre de Sergio Leone, il est question d’époques, de transissions, de transmission, de relation impossible, et d’opium. Wong ira même jusqu’à reprendre une des compositions d'Ennio Morricone. Le récit se décline en différentes parties, avec un découpage très discret portant le nom des saisons sur une photographie à chaque fois différente où l’on retrouve Ip Man avec un groupe de personnes qu’il aura initié. C’est surtout la saison de l’hiver qui intéresse Wong Kar-wai, et le déclin d’une gloire. Malgré ce découpage, il reste difficile de quadriller un film aussi danse et qui peut difficilement se lire comme quatre parties distinctes. Bien au contraire, il semble que le réalisateur tente à tout prix d’éviter ce type de synthèse, préférant revenir lorsqu’on s’y attend le moins, sur un moment décisif d’une période sur laquelle le film est déjà passé.

Cette volonté se retrouve dans la façon dont le cinéaste cadre ses sujets : durant toute la première heure, les plans d’ensemble et extérieurs sont rarissimes, comme si il fallait empêcher le plus possible de laisser le regard du spectateur aller au-delà de ses personnages : ce qui importe c’est l’humain et comment l’art du kung fu est montré et exploré à travers les protagonistes. Il faut d’ailleurs attendre une cérémonie grandiloquente d’un enterrement pour voir des espaces, un lac et de la neige tomber sur la plaine. Une heure du film est alors déjà écoulée.


Une histoire de cadrage
Alors oui, le film raconte peu, montre beaucoup, et il faut avoir une certaine connaissance de l’histoire chinoise pour comprendre ce qu’il s'y passe. Mais même sans ça, The Grandmaster explore la perfection du geste, l’illusion amoureuse, l’ode à la femme et la fatalité du temps qui passe. Au fil des époques, la construction du cadre change, signifiant l’avancée du temps et des modes. Le plus bel exemple est celui de ce portait de l’actrice Zhang Ziyi qui, avec un mouvement arrière, laisse entrer dans le cadre une trentaine de visages de femmes derrière elle qui regarde dans la direction opposée. C’est feutré, la chaleur des corps mis ensemble a quelque chose d’apaisant. On est en 1930. Vingt ans plus tard, lorsque Ip Man arrive à Hong Kong, on lui offre le gîte dans une petite piaule humide. Le personnage est sur-cadré, on le voit à peine. A travers une fenêtre cassée, il quitte petit à petit la centralité du champ et bientôt de l’œuvre. On est en 1950. L’histoire bascule pour ne laisser que la transmission consciente du Grand Maître à travers une dernière photographie... en noir et blanc.






21 avr. 2013

GIFTT: Queen’s Festival, Neuchâtel

Illustration: Club Superette
Think Tank poursuit sa politique des petits cadeaux exigeants et funs avec 2 x 2 billets pour le Queen's Festival de Neuchâtel, organisé par la Case à Chocs pour la seconde fois et totalement auto-produit. Se tenant vendredi 26 et samedi 27 avril prochain, le festival ouvre se fraye un chemin multicolore et aux incursions tropicales. Le café du Queen Kong accueille le vendredi les espagnols de The Excitements précédés d'un DJ set du label français Palmwine Records. Le lendemain, la "Case" aligne les noms excitants et internations, entre les britanniques de Foreign Beggars, le jeune Sud-Africain Spoek Mathambo et notre nationale OY avec son tout frais nouvel album KOKOKYINAKA dont nous parlions récemment. Le vendredi c'est gratuit; les 2 x 2 billets mis au concours concernent donc cette soirée du samedi et sont à gagner ici (mention concours Queen's).


Vendredi 26 avril 2013 
Dès : 21:00 heures 
Tarif(s) : Entrée libre 
Groupes : 
THE EXCITEMENTS [rnb, soul / penniman records / ES] 
PALMWINE RECORDS [Dj set / tropical / palmwine records / FR] 
Lieu : Queen Kong Café

Samedi 27 avril 2013 
Dès : 21:00 heures
Tarif(s) : avant 22h : 20.- | en préloc : 22.- | caisse : 25.-
Groupes : 
FOREIGN BEGGARS [grime, hip hop, électro, dubstep / mau5trap / GB]
SPOEK MATHAMBO [african coochie pop / sub pop / ZA]
OY [afro house / creaked records / DE]JAAQ [rap / / CH]
Support :DJ FOXHOUND [Dj set / hip hop / capsule corporation crew / CH]
Lieu : Case à Chocs


Plus d'informations sur le site de la Case à Chocs 



15 avr. 2013

TT Speaches: février & mars 2013

Illustration: Guillaume Dénervaud



Vingtième édition des TT Speaches, périodique critique des sorties musicales du mois écoulé et tentative de recensement le plus exhaustif possible des LPs de qualité ou d'importance. Il en va ainsi: plus les mois passent, plus la tâche paraît ardue (combien d'albums passables pour un seul influent?) et le rythme insoutenable (on l'accorde, un Speaches n'est pas forcément mensuel). Voici donc le numéro 20, étalé sur les mois de février et de mars 2013, en attendant les jours tropicaux (nous y sommes presque).

Julien : "Track ID Anyone?". C'est par ce quote so 2012 que l'on débute ce nouvel épisode des Speaches, ossature musicale de Think Tank depuis trois ans. Quel morceau donc? Oui, c'est celui qui ouvre aussi les feux de AMYGDALA, album au nom compliqué du pas plus simple à prononcer auf deutsch DJ Koze. C'est simple, j'avais presque rangé Stefan Kozalla dans les rayons des "historiques" de l'électronique allemande, sortant ici et là des EPs inégaux et d'autres albums en roue libre. Pillier du label colognois Kompakt, Koze a aussi sorti des titres chez Get Physical et Freude am Tanzen avant de fonder son propre label avec Marcus Fink en 2009, Pampa Records (Isolée, Dntel mais surtout, surtout, THORA VUKK de Robag Wruhme, disque du mois de mars 2011 dans nos colonnes). AMYGDALA démontre un Koze fasciné par ce Gabor "Robag" Schablitzki, se livrant lui aussi corps et âme dans un album aux strates multiples et surtout ambitieux, à défaut d'être son SERGEANT PEPPER LONELY HEART CLUB BAND comme l'annonce sans coup férir le communiqué de presse. S'ils voulaient faire référence au collage de la couverture, conviant autant d'invités que de raison, c'est ok: Caribou est là sur le fameux "Track ID Anyone?" (convaincant), Apparat aussi sur "Nices Wölkchen" (déjà un peu moins bon), Dirk von Lowtzow (de Tocotronic) ou encore Ada pour le très passable "Homesick". Pas hyper enthousiaste par la venue de Matthew Dear sur "Magical Boy", on se reprend sur le surprenamment disco "My Plans" du même Dear. C'est surtout les tracks solos de Koze qui emportent le LP dans les hauteurs comme "Royal Asscher Cut", royal, "La Duquesa", racé et plus deep, ou ses featurings avec des artistes moins connus du grand public à l'instar de "Ich Schreib' Der Ein Buch 2013 (ft. Hildegard Knef)" et le final "NooOoo (ft. Thomerle & Maiko)". C'est pas Liverpool, mais voici la preuve qu'un DJ sait tenir la longueur sur un album.


Pierre : Pour appeler l’été, rien de mieux que d’écouter NOSTALCHIC de Lapalux. Douze tracks plus liquides les unes que les autres. L’écume sonore se tonifie en un chill trémoussant. Ici, chaque chanson est un cocktail obtenu en mélangeant énergiquement des sample de multiples titres. Du travail frénétique ayant sorti sa chemise à fleur. "One Thing", "Guuurl", "Without You", "Walking Words" : on pourrait multiplier les exemples qui font s’ouvrir les petits parasols dans nos verres, avant qu’on les sirote avec air coquin.


Julien : Sans transition avec l'hiver, tu nous sors l'album que les antis électro-love adoreront détester, ultra-classieux, suffisamment aventureux pour brouiller les pistes mais parfaitement efficace quand il faut rendre hommage au sexe féminin ("Guuurl").  Stuart Howard a sorti son premier disque fin mars sur le label Brainfeeder (du giron Ninja Tune) après avoir débuté par quelques EPs remarqués au début des années 10. Puisque tu as décidé de dévoiler un album charnel, je relance avec un autre pas des plus impassibles: NO BEGGINING NO END de José James est sorti le 22 janvier 2013, pourtant on n'a eu que très peu de retours sur ce tout grand album de soul, signé chez Blue Note, excusez du peu (Erik Truffaz sort aussi ses disques dans cette institution jazz américaine, tout comme Wayne Shorter ou Aaron Neville). James s'ancre dans une tradition très "ancienne école", entre Roberta Flack, Gil Scott Heron, tout en rappelant cependant un croisement de J Dilla et D'Angelo – ce qui ne parlera pas nécessairement aux kids. Voir le natif de Minneapolis sur quelques scènes estivales serait totalement justifié, tant James est un bon client d'un jazz moderne rejetant le vernis que les grands festivals du genre lui ont imposé, signant par là-même des morceaux de grande envergure comme "Trouble", "It's All Over Your Body" ou "Make It Right". De quoi redonner espoir aux plus déprimés des musiques actuelles (attention Charles Bradley revient lui aussi, j'en parlerai le mois prochain).





Pierre : Deux EP électros sorti ces mois-ci donnent à voir la crème des deux côtés de l’océan et fait sentir leur différence. A ma droite, côté US, Anthony Naples œuvre au sein de la scène électro de Brooklyn en plein boom, sort EL PORTAL avec sa belle photo de lion en noir et blanc. Ici, quatre titres house pleins de classe. Même en fin de nuit, tout le monde brille avec cette musique. A ma gauche, côté britannique, ça sent beaucoup plus la poussière chez DJ Rashad et son EP ROLLIN, sorti chez Hyperdub. Le titre éponyme donne le ton avec un R’N’B’ sous amphète. Les quatres titres partent d’un décor torride pour accélérer frénétiquement le pouls.


Raphaël : Anthony Naples est l'un des protagonistes d'une scène house américaine incroyablement excitante et qui semble balayer les carcans d'une Europe électronique parfois coincée dans son héritage. Si la scène est riche à Brooklyn, où elle commence à prendre une place prédominante, Washington a aussi son lot d'artistes qui, face à un climat moins propice, tracent leur voie. Maxmillion Dunbar, moitié des Beautiful Swimmers et co-fondateur du label Future Times, est sans doute l'exemple réussi de cette exportation. Son deuxième album, HOUSE OF WOO, te donnera envie de danser comme rarement, dans tous les sens et à toutes les heures: danse d'after-party ("Loving The Drift"), porn house pour soleil couchant, ("Peeling An Orange In One Piece"), house pumpy ("Ice Room Graffiti"), etc. Pourtant, Dunbar évite la facilité: les rythmiques tordues, démontées, ralenties puis accélérées et les clins d'oeil culturels foisonnants en font un album ludique, complice, mais jamais putassier, le résultat d'une digestion ample de décennies de musiques.


Julien
 : D'ailleurs Raphaël tu pourrais bientôt nous ouvrir une rubrique house américaine non? Il aura finalement fallu attendre la fin de règne de la scène indie, niveau crédibilité, pour que l'électronique finisse par se réimposer outre-Atlantique, si je schématise et invente un néologisme pour l'occasion. La grande question: aura-t-elle une âme aussi forte que celle de Detroit? THANK YOU FOR LETTING BE MYSELF pourrait être le mot d'ordre de cette nouvelle génération US aux platines. Du même nom qu'un vieux morceau de Sly And The Family Stone, c'est aussi le nouvel album de Omar S. Alex "Omar" Smith est justement un DJ de Detroit d'une autre génération que Naples de même que celle des  "fondateurs" de la scène, Derrick May, Kevin Saunderson, Juan Atkins entre autres. Aux côtés de DeepChord, Jay Denham, Omar S fait partie de la génération 2000 de Detroit, et cela se sent: "I Just Want (Mixed by Luke Hess)" ouvre l'album (le 4ème personnel, sur son propre label FXHE) et on manque de décoller entre nos murs une fois que l'intro revêche allume une house déflagrante. La force de frappe ("Hellter Shelter", "Its Money In The D"…) est subtilement entourées de tracks plus lights comme "Amalthea", l'electronica "DumpsterGraves" et le titre de fin de DJ-Set "The Shit Baby (CP-1 Played By D.Taylor)".


Pierre : Le meilleur tapoteur du moment, Araab Musik, revient avec une nouvelle Mixtape, FOR PROFESSIONAL USE ONLY. Et comme à son habitude, ça claque, ça tache et on l’aurait bien vu dans la bande originale de Spring Breakers. Cette mixtape rassemble des instrus, de qualité mais l'où on ressent le manque de chant. Le manque de rappeur. Car en effet, Araab Muzik laisse un peu côté la transe pour revenir à un son plus marqué hip hop avec des pépites comme "Getting 2 the Point", "Y.N.R.E." ou "Beauty" (c'est tellement meilleur qu'on met les liens des tracks avec les rappeurs.).


Julien : Je t'emboîte le pas: de ce très propre "Beauty", on transite par WOLF de Tyler, The Creator que l'on vient de recevoir et que l'on discutera le mois prochain pour passer au "Take a Fall For Me" de James Blake invitant RZA sur un album ressemblant lui aussi à une mixtape plus qu'à un album, l'absence de fondus enchaînés le distinguant de ce genre car OVERGROWN est un disque plus que versatile, tant stylistique que qualitatif. On devrait en reparler le mois prochain étant donné que ce LP n'est sorti que depuis une poignée de jours, relevons toutefois une certaine déception à mesure que Blake force la production et cherche à signer des chef-d'œuvres (les mêmes haters des morceaux de Lapalux devraient s'en prendre joyeusement au "Retrograde" annonçant l'album). Comme souvent avec Blake, on préfère quand le propos est soutenu par une rythmique hybride, témoignant d'une capacité à "laisser faire" ("Voyeur" ou "Digital Lion") plutôt que de "vouloir faire" ("Our Love Comes Back" ou le très R&B "Life Round Here"). Chers amis, je vous attends au tournant le mois prochain sur ce second album du britannique. Je passe aussi rapidement sur une autre déception (attendue): Atoms for Peace, super-groupe formé par Thom Yorke, Michael "Flea" Balzary, Nigel Godrich et d'autres musicos backing-band de R.E.M., Smashing Pumpkins ou David Byrne, sortait son premier LP fin février. AMOK débute avec une rythmique étonnante eu égard à l'héritage sonore iconique (maniérée?) laissé par Radiohead depuis le début des années 00 (KID A et AMNESIAC vieillissant plus que bien faut-il l'avouer). "Before Your Very Eyes..." ne tarde toutefois pas à dévier sur un lyrisme yorkien tant éprouvé et qui se déroule sur cet album qui semble dater des heures de gloire de Ninja Tune et Warp dans les années 1990. A l'instar de "Default", AMOK est un disque honorable, mais qui semble inopérant pour notre époque. Pire: les connaisseurs témoignèrent de ce LP comme d'un disque électronique fait par des rockers, ce qui, avouons-le, n'est pas le meilleur compliment qui soit. Ceci dit,  attestons de notre volonté de décloisonner les genres en avouant que Atoms for Peace ne rentre dans aucune de ces catégories, et heureusement: il atteste, au choix, de l'incapacité du "génie" de Radiohead d'aller voir réellement ailleurs, ou de son obstination que les plus grands fans sauront toujours défendre ardemment (vu leur nombre, on s'en méfierait). 




Pierre : Parfait pour les jours de brumes du printemps, comme son nom l’indique, THE FOG de Paco Sala. Après le très bon RO-ME-RO, cet album sort en version matérielle que sous format cassette à seulement 75 exemplaires. Cette volonté d’induire une rareté traduit à la fois l’aspect anecdotique du projet (il n’a été enregistré qu’en un mois et ne représente pas un album à part entière) et une quête vaine au moment du tout digital, le téléchargement étant possible sur le site du label contre une somme modique. Néanmoins, il y a bien quelque chose chez Paco Sala de l’ordre du trésor caché, ces objets musicaux qu’on chérit presque en secret, sans avoir besoin de les partager. Des merveilles d’intimité portée par une voix féminine aussi cristalline qu’étouffée, les mots ne s’entendent pas, ils se devinent. C’est tout le son qui plane dans un brouillard, la face cachée des scintillements eighties ou des synthés brillants de films de Carpenter : flutes, drones, clochettes, nappes sans noms, une merveille de romantisme.


Raphaël : Moins glam, moins romantique, à croire que je suis resté coincé en hiver: Prostitutes. Ca sonne comme un sale groupe de garage teenager en pleine rébellion, mais, en réalité, ça fout les boules. CRUSHED INTERIOR est un album d'électronique décharnée et neurotique. Jim Donadio, un type sur lequel on sait finalement très peu, délivre sous le prolifique alias Prostitutes des disques secs sur Opal Tapes ou, dans le cas présent, Digitalis, deux labels également radicaux. On est ici bien loin du clubbing -et Donadio le revendique au travers de son background noise/experimental-: post-indus dératisée et plaintes synthétiques brutes rappellent plutôt la dynamique d'un Pete Swanson moins distordu, mais certainement pas moins toxique. Si ça tabasse parfois machinalement ("Dial Tone Degradation"), si le club fantomatique n'est parfois pas si loin ("Jungle Wine"), Crushed Interior est avant tout fait de paysages sonores crissants et minimalistes jusqu'à l'os. Parfois, l'espoir semble pointer le bout de son nez (notamment sur l'explicite "Make a Hole, Look Out"), mais le disque en question recèle une dureté presque désertée de toute humanité, magnifique de brutalité figée et contenue.






Julien : Je prend le virage à 180° avec toi Raphaël pour aborder un autre album neurotique, presque hérétique, en tout cas sacrément iconique d'une époque dite de ralentissement rythmique: IMAGES DU FUTUR est le titre d'une ancienne compétition internationale d’animation par ordinateur soutenue par la fondation Daniel Langlois de Montréal. Fondateur de feu la compète, Hervé Fischer témoigne de sa disparition par ces mots: "C’est la fatalité du futur : il vieillit. Et sauf catastrophe finale, il passe aux archives". Son "exploration vers l’inconnu" résonne face aux états dépouillés décrits par ses concitoyens SUUNS (signés par le bien nommé label national Secretly Canadian). "A climate of excitement, hope and frustration" entoure l'élaboration de ce second album selon le chanteur Ben Shemie, gardant une présence nonchalante et quasi-stellaire derrière le micro du quatuor. Malgré quelques kitscheries psychés sur "Mirror Mirror" et de l'auto-suffisance sur le presque emo "Holocene City" ou l'ouverture noise "Powers Of Ten", IMAGES DU FUTUR est en tout point excellent, et c'est un euphémisme. Prenons ainsi pour exemple le titre succédant à ce dernier, "2020", reprenant le morceau-clé du premier album ZEROES QC, "Up Past The Nursery"pour l'articulant dans des spectres déments; "Edie's Dream" jouant sur les terrains de jeux - dangereux - abandonnés d'un Bowie, ou d'autres morceaux évoquant autant Suicide que Spiritualized. Et puis, Suuns fait du Suuns, sorte de rock hanté à l'instar du final "Music Won't Save You" dont on ne sait plus de quel métal il est fait - ces voix samplées! Le groupe passe le 8 mai à la Rote Fabrik zurichoise (plus quelques festivals?). Dans tous les cas, un joli jouet de remplacement au MBV de My Bloody Valentine, et actuel qui plus est.


Raphaël : En disque-miroir des Prostitutes, SOM SAKRIFIS du trio expérimental grec (violoncelle-contrebasse-oscillateurs) Mohammad. Composition quasi-monolithique divisée en trois actes, celui-ci se plonge encore un peu plus loin dans l'abysse. Drones grinçants entrecoupés de ruptures épileptiques et cordes tordues dessinent un univers lent et décadent à la Béla Tarr, suffisamment dissonant pour ne pas réveiller les fantômes tire-larmes du post-rock. 


Pierre : Tout le monde finit par se faire vieux : le chanteur de Wavves a désormais 27 ans. Lui le vilain petit con, qui qui sortait l’improbable WAVVES, enfumé et bruitiste, bien branleur, puis donnait un coup de barre pop très réussi sur KING OF THE BEACH. Trois ans après ce dernier, c’est donc au tour de AFRAID OF HEIGHTS. Et en 2013, à 27 ans, on est déjà un vieux punk. L’album délivre toujours ce style californien, mi glande mi prétention, des guitares et pas grand chose d’autre. Bien sûr il y a dans "Dog" ou "Demon to Lean On" quelque chose qui réveille en nous cet instinct adolescent, cette envie de tendre son doigt en souriant envers le monde entier. Mais AFRAID OF HEIGTS n’a plus la même énergie ou la même insouciance que ses prédécesseurs et on se lasse vite. A choisir, on préférait le petit con.






Julien
 : Ah oui, et j'oserai pas en dire autant pour David Bowie. THE NEXT DAY mérite son achat pour un titre: "Where Are We Now?". Après mon éloge du dernier - très love - Nick Cave and the Bad Seeds, vous allez m'accuser d'être devenu pantouflard. Ceci dit, même si ce titre est très proche d'un "Perfect Day" de Lou Reed lui-même proche d'une grande tradition de morceaux crève-cœurs anglo-saxons, il a participé de cet élan d'enthousiasme autour de la sortie de cet album bon mais assez inégal. L'histoire bowienne est revisitée en 57 minutes, pas forcément de la meilleure des manières ("(You Will) Set The World On Fire", "Valentine's Day", "If You Can See Me"), la voix faiblit par moment, compensée par la production maousse de Visconti et les longueurs inavouables. Pastiche? Du coup, on préfère quand Bowie rappelle ses successeurs, comme Arcade Fire ("Dancing Out In Space"), Foxygen ("How Does The Grass Grow"), Spencer Krug ("The Next Day") ou encore Richard Hawley. THE NEXT DAY a cette géniale idée que de s'en foutre du mythe David Bowie, alignant les titres "valant ce qu'ils valent", sans véritables trouvailles sonores mais sincères et au souffle vital presque surprenant.


Pierre : Nouvel essai, pas plus de résultat. Décidément, je n’arrive pas à comprendre l’intérêt des albums folks. Pourtant, WALKING ON A PRETTY DAZE de Kurt Vile avait tout l’air d’un album bien ouvragé. Mais toujours, cette impression d’une musique de feu de bois et de vielles pantoufles. On connaît l’album avant de l’avoir écouté. Tout est si tranquille, aucun souffle si ce n’est un vieux ronflement.


Julien : Je termine comme j'ai débuté ce 20ème Speaches, avec zèle et optimisme: OY est sans doute l'une des meilleures représentantes de la musique helvétique à l'International. La chanteuse d'origine ghanéenne gère comme personne les références multiples et a priori contradictoires - comment assembler new-wave et percussions? - pour signer l'un des meilleurs albums de l'année, car singulier et à de nombreux égards novateurs. Joy Frempong se profile comme la figure de proue de Creaked Records qui semble gagner en pertinence et en cohérence à mesure que les printemps passent (déjà huit pour le joli label lausannois et l'attente impatience du nouveau Larytta, entre autres disques des Dam Mantle, Julien Aubert, Consor ou encore Buvette). KOKOKYINAKA n'est pas l'album d'une métisse, exotique et amusant à jouer en soirée pour, à choix, passer pour érudit ou entamer une danse chamanique. KOKOKYINAKA consacre OY comme l'une des artistes helvétiques les plus justes musicalement, totalement libre, généreuse mais aussi conceptuelle – il faut écouter "Doondari" pour s'en convaincre, tout un programme, un mini-opéra contemporain faisant se "collisionner" psychédélisme, grime et pop music. Le grime est proche de nombreuses interprétations proto-baroques de OY, comme sur le très syncopé "Tortoise And Hunter". Joy Frempong se rapproche d'artistes comme Four Tet dans de nombreuses productions tout en évitant l'écueil d'une électronica intellectuelle et vaguement rythmique ("Si Tu Veux.."). Les tubes indés (le terme n'est ici pas usurpé) sont foison dans cet LP produit sur ses terres d'accueil berlinoises par son compagnon Lleluja-Ha. Variant les registres, OY termine ce brillant album avec deux morceaux entre le R&B classe de "Carry Me Home" et une comptine terminant les multiples incursions quasi-psalmodiées sinon récitées de OY - "Outro - 1st Class Bus" - rappelant irrésistiblement les tant influents Lost Poets, ultime preuve des strates infinies composant la musique de la dame (elle se produira le 9 mai au Rocking Chair de Vevey). Et j'y pense: eh les gars, on n'a pas parlé du nouveau Justin Timberlake?


Album du mois :
Pierre:       Paco Sala : THE FOG
Raphaël:   Prostitutes, CRUSHED INTERIOR
Julien:       Suuns, IMAGES DU FUTUR


Titres du mois :
Pierre:      Ciara, "Body Party"
                Dj Rashad, "Rollin" 
Raphaël:  Maxmillion Dunbar, "Loving The Drift"
                Pete Swanson, "Punk Authority"
Julien:      Mogadishu - Shades and Rays
                Tyler, The Creator, "Partyisntover / Campfire / Bimmer" ft. Lætitia Sadier & Frank Ocean


11 avr. 2013

The Place Beyond The Pines : Gosling et Cooper sous les sapins

Think Tank
Illustration: "The Place Beyond The Pines" (stills) / Julien Gremaud


Le réalisateur du drame romantico-pop Blue Valentine – injustement non distribué dans notre beau pays – n’a pas eu trop de problème cette fois pour que son film se retrouve un peu partout dans les salles. Il le doit à Ryan Gosling bien sûr. Mais fort heureusement, les deux hommes avaient déjà contribué ensemble et se connaissaient depuis belle lurette. Et ça se voit.

The Place Beyond the Pines est un film inégal. Il est formé comme toute bonne dissertation, avec ses trois parties désirées par le professeur : thèse, anti-thèse, synthèse. Sur la forme, Cianfrance confirme son talent, déjà aperçu dans son précédent opus ainsi que ses ambitions de réalisateur souhaitant jouer des coudes avec les Paul Thomas Anderson et James Gray, cette nouvelle vague de cinéastes qui s’affichent comme une relève plutôt classe. Cianfrance reprend donc Gosling et joue ironiquement sur l’horizon d’attente du spectateur : vas-y que j’te montre du Gosling tatoué et torse nu dompter sa bécane. Car on pourrait facilement faire le raccourci : Gosling passe, tel un ange, des cylindrées de Drive aux motocross de Pines, prolongement à benzine de l'icône made in US des années 10s... Des années deux mille dix.

Mais Cianfrance sait brouiller les pistes, et de façon plutôt réussie. Entre braquages et course-poursuite ultra réaliste (vue subjective à bord d’une voiture de flics), l’histoire connaît un point pivot bluffant et inattendu. Très fort. Ce type de changement qu'on avait aperçu avec l'excellent Looper, mais en plus fin, car il s'agit ici de focalisation et de réponse miroir de deux destins différents, de classe opposée. Cianfrance filme en très gros plans les visages de ses acteurs, comme pour montrer la moindre expression enfouie sous le quatorzième cil de l’œil gauche de Bradley Cooper afin d’y découvrir un détail qui pourrait faire changer le cours de choses. Ce qui, il est vrai, agace parfois (un conseil : évitez les premiers rangs).


Duel de pères
Le thème sous-jacent de Beyond the Pines est celui de la relation père-fils. Mais plus loin encore : de comment devenir plus fort sans un père et dans la difficulté d’aborder la vie sans cette figure masculine, si intense, si américaine. Car le film est bien un duel de pères qui tissent son chemin de bataille grâce à leur descendance respective. Là-dessus, le film s’encouble un peu et c’est là que le bât blesse. A vouloir trop bien s’appliquer à écrire la moindre trame narrative, le film perd de sa virtuosité entrevue lors de la première heure, où le réalisateur semble être en apesanteur. 

Film inégal donc, car très impressionnant lors de sa première heure et en decrescendo ensuite. Deux séquences sont à relever, celles qui se répondent en échos lorsque Luke (Ryan Gosling) prend le bébé dans ses bras et que Avery Cross (Bradley Cooper) fait de même plus tard : les deux hommes ne savent comment (se) tenir (avec) ce trésor du monde puisque chacun provoquera à jamais une marque indélébile dans la vie de cet enfant. Plus loin, lorsque Cianfrance désire montrer que le monde des cops est aussi malfaisant que celui des gangsters, il invoque en filigrane Scorsese avec l’arrivée de Ray Liotta et de toute une affaire de gangs qu’il vaut mieux cacher en surface. La scène du repas est délicieuse. Finalement, ce que réussit bien Cianfrance dans son film, c’est faire revivre ses idoles (Scorsese, le Eastwood de Mystic River) sans les imiter, mais pour pouvoir s’identifier à eux. Et mention à la bande originale qui vaut le détour !


4 avr. 2013

TT Books: TET A TET 2, transmediale 2013 & Schauspielhaus Zürich

Reproductions: Julien Gremaud

Septième épisode des TT Books et retour à la normal après le retour en long et en large sur Heute und Danach, ouvrage-bible sur la musique alternative dans les années 1980 en Suisse succédant au déjà génial Hot Love. Loin de toute posture nostalgique et d'un quelconque anachronisme avec nos activités web, cette rubrique entend témoigner de l'excellente vitalité des ouvrages imprimés dans notre paysage. On reste en effet en Suisse avec trois publications institutionnelles, programmes de théâtre ou de festival, ou catalogue d'exposition/aventure, sachant manier l'utile à l'agréable, de quoi en inspirer plus d'uns.

Publication TET A TET # 2

































Le principe de TET A TET repose sur un échange artistique international: en 2009 naissait la première édition de ce ”trait d’union par dessus les frontières” avec un workshop de plusieurs jours à Bishkek, capitale du Kirghizistan, en collaboration avec le Bishkek Art Center. Cinq natifs collaborent sur le thème de la montagne avec quatre Suisses; les artistes visuels Adrienne Scherrer et Simon Deppierraz, le photographe Yann Gross ainsi que le graphiste Régis Tosetti. Président de l'association Focus et à la base du projet, Shakyla Hussain avait forcément en tête une réponse helvétique à l'invitation. Elle prit des formes épiques en septembre 2011 à Vevey, sur les bords du Léman, avec les mêmes artistes kirghizes (Bermet Borubaeva, Nikolai Cherkasov, Anatoliy Kolesnikov et Dimitry Petrovskiy), reçus par un effectif helvète doublé. Le récit de l'aventure et de la création de l'exposition est splendidement documenté dans cet ouvrage qui ouvre cet article.Tiré à 150 exemplaires, le livre est l'oeuvre de Régis Tosetti qui répond ainsi à sa manière à l'invitation kirghize. Assisté pour l'occasion de Simon Palmieri, il fait de cet ouvrage une pierre supplémentaire à l'édifice de cet échange artistique: 80 pages imprimées sur du papier blueback transforment ce petit format (17cm x 22.5 cm) en un véritable poids lourd (par la grâce de ce papier publicitaire indestructible), permettant un dialogue idéal entre pièces reproduites, textes, témoignages de récits et biographies. Le catalogue est disponible aux librairies du musée de l'Elysée, du MUDAC à Lausanne et au Centre culturel suisse à Paris, en attendant par ailleurs une troisième édition qui devrait prendre des traits encore plus inattendus, décloisonnant brillamment grammaire et habitus en vigueur dans l'art contemporain.






























TET A TET#2, édité par Focus, Vevey (2012)
Graphisme: Régis Tosetti, Londres & Simon Palmieri, Berlin 
Impression: Lecturis, Eindhoven 
Tirage: 150 exemplaires
Commande: info@focus-art.ch

Programme Schauspielhaus Zürich Saison 2012 - 2013




























On passe de 150 exemplaires à 30'000, sans transition: édité chaque année par ses soins, le programme du Schauspielhaus de Zürich est la pièce maîtresse de la direction artistique d'un des théâtres les plus cotés de Suisse et le fruit du bureau Velvet.ch, qui a confié la conception actuelle du catalogue à Cornel Windlin. La Rolls du graphisme, en collaboration avec Gregor Huber, pas des plus maladroits non plus, pour une réalisation radicale et immédiatement reconnaissable, avec comme pièce centrale un rond récurrent. Le jury des bourses fédérales ne s'y était pas trompé, honorant le duo d'un prix en 2011 pour un travail débuté en 2009 déjà: "outre la typographie minimaliste – une seule police, déclinée en quelques tailles seulement – et les couleurs très réduites des affiches et programmes, c'est surtout l'emploi bien pensé des images en partie trouvées, en partie manipulées, de différentes origines qui ont une importance déterminante" relève ce même jury. C'est clairement ce qui est frappant pour le programme 2012 - 2013, pour une merveille de série photographique réalisée par Florian Kalotay dans la première partie de ladite publication traditionnellement réservée à une contribution visuelle. Du nom d'”Actors”, la série inaugurale lorgne clairement sur un double registre Philip-Lorca diCorcia et fresques contemporaines, rendant à Zurich ce qui lui appartient (urbanisme, classe certaine, grands airs), sans trop en faire pour une fois quand il s'agit de l'"unique ville suisse", si ce n'est cette recherche permanente du soleil (couchant), ce qui, pour les observateurs aguerris, pourrait ressembler à une imposture totale. "Le concept d'image des vues d'ensemble des années qui se révèlent être quasiment des 'scènes de la vie' impressionne par ses rapports toujours subtiles au théâtre et à ses thèmes" complète le jury des Swiss Design Awards
































Schauspielhaus Zürich Saison 2012-2013, édité par le Schauspielhaus, Zürich (2012)
Graphisme: velvet.ch / Daniel Peter 
Impression: Speck Print AG, Baar
Tirage: 30'000 exemplaires
Commande: http://www.schauspielhaus.ch


Catalogue transmediale 2013, BWPWAP Berlin





























On termine - déjà! - avec un autre graphiste établi, Manuel Bürger et son laboratoire composé de Timm Hänecke et de Daiva Tubutyté pour la conception de l'excellent ouvrage de l'édition 2013 du festival sur les cultures digitales Transmediales - nous y étions, et ce livre en était le "cadeau" d'accréditation. Le festival Transmediale 2013 de Berlin, intitulé cette année BWPWAP (”Back When Pluto Was A Planet”) fit interagir début février quatre fils thématiques avec le support papier parmi d’autres préoccupations comme les réseaux ou les utilisateurs; il présenta de même une exposition basée sur les outils créatifs de distorsion (”Tools of Distorted Creativity”) offrant une large place à une artiste avant-gardiste, Sonia Landy Sheridan (née en 1925) et son ”Generative Art” obtenu via une imagerie par des processus de machines. Dans la foulée, cette artiste ouvrira une classe sur les ”Generative Systems” à la School of the Art Institute of Chicago, plate-forme dynamique 89 pour les étudiants pouvant ainsi explorer et expérimenter à l’époque des technologies toutes nouvelles, ce tout en « contestant les structures éducatives afin de les réinventer ». Le livre présent est de cette trempe, totalement étonnant, foutraque tout en étant passionnant à consulter (ce qui est rare pour un catalogue/programme de festival), regroupant présentations des multiples fils thématique du BWPWAP, essais, biographies, reproductions mais aussi explications - bienvenues dans un festival ne brillant pas par sa lisibilité, ce qui est dommage au vu des conférences, débats et concepts présentés chaque année au Haus der Kulturen der Welt au mois de février. Jeune graphiste berlinois, Manuel Bürger livre un exemple probant d'une publication expérimentale pour un festival institutionnel, s'affranchissant des codes graphiques en vigueur dans de telles manifestations ayant trait aux cultures numériques tirant plus souvent vers le convenu voire le franchement ringard, pour signer un pavé (presque 400 pages) aussi léger que l'air.









transmediale 2013 BWPWAP, édité par transmediale Berlin (2013)
Graphisme: The Laboratory of Manuel Bürger
Impression: medialis, Berlin
Tirage: 1500 exemplaires
Commande: http://www.transmediale.de