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30 juil. 2011

Serra/Brancusi: Le Beau et la Bête

Illustration: vitfait

Une visite au défunt Ernst, ou parce qu’il n’est jamais trop tard. Encore visible pour un mois, l'exposition mirroir Serra/Brancusi fait partie des gros impératifs de l'année. Pour Think Tank, Fumiste y était.

Toujours impressionnante, toujours transparente, la Fondation B., design et plans signés Renzo Piano, enclose dans le petit village de Riehen et nichant dans la verdure. Deux géants y sont à l’honneur pour cette fin d’été : d’un côté Constantin Brancusi (1876-1957), le roumain mystique au « Baiser » centenaire (1908, première mouture), de l’autre Richard Serra (1939 -), l’américain des murailles intranquilles. Première rétrospective commune, première confrontation donc entre le maître défunt et le disciple d’un temps qui qualifiait son œuvre lors des brèves visites qu’il faisait à son atelier, de « catalogue de possibilités ». Il est difficile de saisir de prime abord le lien qui unit les deux démarches : le travail de Brancusi tient de l’art primitif, du masque, de la forme qui émerge par paliers de la roche pour s’accorder dans la simplicité (voir les diverses déclinaisons du « Baiser ») : une Babylone qui naîtrait vers l’Egypte. Pièces rondes, lisses et polies, miroirs à visages d’enfants, endormis ou criants. Serra c’est le mur, la paroi, le monument, la présence de cet acier brut et marron qui avance dans la violence. D’un côté la lumière, le fini et le rêve, de l’autre la courbe, le donné franc, la matière immédiate. La mesure et l’ivresse. La caresse et la claque.


Pourtant Apollon n’est jamais bien loin de Dionysos. Aussi petit à petit sent-on se distiller du combat chez Brancusi, et de même de l’équilibre chez Serra. Là où l’un exploite la forme pure jusqu’à la limite, la traque dans les retranchements de sa disparition, (l’élancement aérien d’une plume de bronze appelée « Oiseau » (1925)), l’autre livre une réflexion aigüe sur la valeur de l’espace dans la rencontre avec la sculpture, sur le malaise et la vision d’une forme qu’on prend pour une autre (voir « Strike : To Roberta and Rudy » (1971) cette paroi unique qui ne tient debout en diagonale que grâce à l’angle de la pièce, et qu’on prend tour à tour pour une plaque, une arête ou une incurve). De même les explorations de la forme féminine, parfois abstraites jusqu’à l’humour, de Brancusi rejoignent chez Serra les installations au plomb d’un rouleau tenant une surface plane contre un mur pour l’empêcher de tomber. Serra fait œuvre d’ancrage en suggérant constamment la chute (« House of Cards », 1986), Brancusi élague et dépouille la matière pour en extraire l’incorruptible essence. L’un use du solide pour révéler le vide, l’autre taille vers le sacré. En définitive, c’est à une discussion, une variation sur l’art, que nous invitent les deux sculpteurs. Comme on partage un pur malt avec un vieil ami.Brancusi Serra, Fondation Beleyer, Riehen, Bâle. Jusqu’au 21 août.

26 juil. 2011

TANKART: GREGORY CREWDSON A BERLIN

Gregory Crewdson, Untitled (Brief Encounter), 2006

Longtemps menacé de fermeture pour cause de gentrification excessive du centre berlinois, le c/o (ouvert en 2000) a tenu bon et peut désormais envisager le futur avec enthousiasme. Et pour cause: ces prochains mois, la super poste transformée en haut lieu de la photographie accueillera Anton Corbijn, Larry Clark, Arnold Newman ou encore les 100 ans de Condé Nast. Actuellement se tient une double exposition aussi proche qu'éloignée: Gregory Crewdson à l'étage, Sybille Bergemann au rez. Et une surprise pour terminer.


Mystères et anti-récits, contes de fées et cauchemars (américains). Jusqu'en septembre, le c/o présente deux artistes prestigieux, presque intouchables. Ici, des accrochages radicalement opposés, osés diront certains peut–être: des énormes tirages de 2m20x1m50 pour l'américain Crewdson dans la superbe halle de sport du centre de tri postal pour son travail le plus important (Beneath the Roses). Et puis des Polaroids, nombreux, encadrés et accrochés dans les couloirs serpentés du rez. Sybille Bergemann, récemment décédée, a, outre ses collaborations pour de nombreux journaux allemands, fondée en ancienne RDA l'agence de photographie de Ostkreuz tout en dressant des portraits hallucinants, souvent à la lumière naturelle. Le centre berlinois a rendu hommage à cette photographe en sélectionnant 140 Polaroids: une façon pertinente d'éviter la simple monographie pour explorer dans la frange les nombreuses années de pratique de Bergemann. Techniquement, l'appareil Polaroid est encore utilisé lorsque l'on doit vérifier notamment l'exposition lors d'un travail à la vraie, sans numérique. Ces sortes de brouillons, papiers magiques souvent maltraités car sous-considérés, à l'utilité ne dépassant pas le simple coup d'oeil vérificateur, sont toutefois gardés avec nostalgie. Au c/o, il y a donc un peu de cela, des portraits de mannequins, mais aussi des photos faites hors des séances de studio, fragiles, floues et personnelles. La somme est d'un réel intérêt, mélancolique, fables étranges avec ces poupées cassées côtoyant mannequins pimpants, petites filles fardées et fleurs fanées. Ambiance fin de fête foraine et journal vraiment perso; aujourd'hui, on parlerait de photographie vintage, ou, pire, arty. Ces Polaroids vieillissent terriblement bien, c'est-à-dire magnifiquement mal: de quoi peut-être ne pas trop se lasser devant de nombreux paysages et natures mortes en sorte de snapshots pas toujours des plus intéressants. L'ambiance qui en ressort est cependant captivante et permet d'entrer d'une autre façon dans le travail de Sybille Bergemann.


On monte les marches et, si l'ambiance reste, on va dire, mystérieuse, on passe à un tout autre format: à l'américaine? Oui, d'une certaine manière, psychologiquement aussi. Trois travaux présentés pour cette exposition de Gregory Crewdson, montée en partenariat avec deux institutions culturelles de Stockholm et Copenhague. Autour du travail phare, Beneath the Roses, on trouve un vieux trip photographique ressorti des cartons, Fireflies, ainsi qu'un reportage récent, Sanctuary. Ce dernier traite des studios romains de Cinecittà, qui connurent autant le cinéma sous l'ère Mussolini, les westerns spaghettis que les productions ringardes de la télévision italienne. En noir et blanc, un clin d'oeil à la fascination de Crewdson pour le cinéma, à celle des ambiances glaciales, sans âmes, brisées mais rigides. Le paradoxe du New-Yorkais représenté dans une série en frange de son travail habituel, une sorte de discours sur son discours. On a tout de même l'impression de voir davantage honnête travail de diplôme qu'une haute voltige crewdsonnienne, hormis peut-être l'image construite de l'entrée de Cinecittà, reprenant le dispositif imposant qui a fait la renommée du bonhomme. Vite vu, Fireflies parle de vacances d'été passées dans le Massachusetts à capter des mouches dans la nuit, entre noir complet et reflets étranges. Là aussi, un lien - cette obsession de la lumière – avec l'oeuvre de Crewdson. On y vient: Beneath the Roses est sa série la plus iconique, vaguement plagiée lors de chaque concours d'une certaine importance, à caser entre Lost et Edward Hopper pour faire court, d'une taille indécente. 17 tirages de plus de 2 mètres de larges y sont accrochés, avec une entrée flippante, réunissant dans un triangle magique trois photographies parmi les plus efficaces: Untitled (RBS Automotive), Untitled (Merchants Row) ainsi que, en face, Untitled (Worthington Street). Trois tirages pour résumer un Gregory Crewdson au meilleur de sa forme: une Amérique anonyme, léthargique, fantasmée et pourtant paumée, mais avec cette lumière si particulière. Dans la grande pièce, la salle de sport revue pour accueillir les images XXL, la suite de Beneath the Roses, où l'on entre dans ces faux appartements (les images documentant la création des images sont à voir à l'entrée), ou, dans le jardin des gens. Encore une fois, tout ce qui fait le succès du New-Yorkais, cette rigueur dans le cadrage et dans les éclairages, cette richesse dans la mise en scène (peut-on parler de perfection), du cinéma fixe mais grand format pour épater ses amis. 



Comme chez Bergemann, un splendide travail sur une certaine scénarisation créant de fait ambiance et cohérence. A l'inverse, outre les format, une toute autre approche de l'humain, puisque, finalement, c'est un peu près à ça que sert la photographie. Le travail de portraitisation distingue radicalement les deux photographes, non contemporains faut-il le rappeler, comme dans un mur mental entre cinéma vieille époque et cinéma de blockbuster et donc nord–américain dans une plus large mesure (on associe souvent les séries de Crewdson au cinéma de Lynch notamment). Or donc, deux façons diamétralement opposées de voir l'homme, entre fantaisie, nostalgie et humilité chez Bergemann (on y décèle un vrai altruisme, détaché toutefois de toute emphase), et état paranoïaque, perte de repères et simples prétextes chez Crewdson: l'éclairage des acteur en étant la preuve, l'homme est au centre des pièces du photographe, et pourtant on n'a pas franchement envie de s'y attarder, au contraire des architectures et dramatisations tip tops des scènes de Beneath the Roses. Avant d'atterrir à Berlin, cette série était présentée à Baden Baden, côtoyant les sculptures humaines de Duane Hanson, posées au milieu des pièces. On y parlait de réalités troublantes dans cette double exposition. Mais là où les mines figées et par défaut des personnes de Hanson sont légitimes et presque obligatoires, celles, presque pareilles des figurants des scénettes de Crewson sont parfois incompréhensibles et même carrément pénibles (prenez celle de la maison en feu, presque grotesque, ou mieux encore, la version emo 21ème Siècle d'Adam et Eve, Forest Cleaning). On rapproche souvent son travail à celui de Jeff Wall. A y regarder de plus près, le travail sur la gestuelle (en existe–il une chez Crewdson?), sur les intentions et attitudes, ainsi que les visages est, sinon meilleure, tout autre chez Wall. J'ai refait trois fois le tour de 
Beneath the Roses avec toujours ce même constat de frustration résultant d'une dichotomie entre ces tableaux maîtrisés avec bravoure et ces personnages dans un par défaut pas franchement convaincant. Heureusement que les voitures sont là, sisi. On y parle de cauchemars américain, de psychose et de solitude; ne devrait-on pas se contenter de parler du travail de scénarisation, de création de scènes entières, entre faux reportages et vraies mises en scènes (ça serait déjà suffisant)? Une exposition à voir de toute façon, rien que pour la taille des tirages, ainsi que pour l'apparté sur les Talents du c/o, partie résultant de concours annuels. 




Cette fois–ci, pour la 23ème édition, le travail déglingué et super du duo Timotheus Tomicek / Kathrin Schönegg, étiquetant des petites définitions de la vie. Il y a des photographies animées et encadrées dans des parures foldingues, des projections, une balle de ping–pong exposée et se réveillant dans un numéro de voltige chaque cinq minutes, des défis insurmontables de dominos, le tout dans une esthétique soignée, rappelant des peintures néerlandaises. Cette didactique est très amusante, assez enfantine mais suffisamment subtile pour faire son chemin. Bien vu; à retrouver sans doute très prochainement dans un espace à l'envergure plus conséquente. En bonus: la meilleure carte postale du monde de la Tour Eiffel. Prometteur. Notre titre d'article est donc trompeur: il y avait largement plus qu'un Gregory Crewdson au c/o de Berlin.

24 juil. 2011

MUSIK TANK : Back to Amy Winehouse

Illustration : Giom











































Pauvre Amy. On aurait beaucoup voulu la voir sur scène, au moins une fois, se déhanchant sur "Rehab" sans jamais vraiment bouger les pieds de devant son micro droit. Son jeu de scène n’avait rien de très exceptionnel, car c’était elle, son corps, sa coiffure, ses yeux de panthère et au-dessus de tout sa musique. Car si la chanteuse a plus fait parler d’elle par ses excès et ses concerts annulés, la diva motown de l’an 2000 a réussi l’exploit d’écrire un des meilleurs disques de ces vingt dernières années.

En 2003 est sorti l’album FRANK. Un disque r’n’b avec quelques bonnes idées et une voix qui prédisait du bon. S’il fut accueilli sagement par la presse et le public, c’est en 2006 avec BACK TO BLACK que Amy Winehouse devient une des chanteuses les plus demandées et  les plus applaudies de la planète. Avant le scandale, avant la dépression, avant la gloire et les escapades surréalistes avec Doherty dans le petit matin gris de Camden Town, Amy est une voix, Amy est une compositrice complète et douée. Chacun des titres de BTB sont des compositions pur-sang, enlevées au ciel et arrachées à l’esprit malade de la diva blanche et diabolique. Sur la rythmique de "Baby Love" des Supremes, tambours de temples romains et voix d’outre-tombe ouvrent l’incroyable "Back To Black", son morceau le plus sombre. Il n’est pas sans rappeler les plus grandes chansons des Shangri-La’s où est étirée au maximum la puissance d’une voix de femme jusqu’à la perdre dans les instruments, enveloppant l’auditeur, les paroles et la musique dans un univers motown qui est au-delà du disque, au-delà de la piste de danse, au-delà du monde – ce genre de chanson qu’on écoute aujourd’hui en frémissant. Tentez l’expérience : très fort dans votre appartement, et de préférence isolé.


Nous évoquions les Shangri-La’s car, comme elles, Amy revient souvent sur l’amour dans ces chansons. Sur la fin de l’amour bien sûr, sur la séparation, sur l’écume des sentiments – sur la perte. N’est-ce pas assez explicite que le titre qui suit BTB se nomme "Love Is A Losing Game" ? Titre jazzy et nostalgique d’une époque révolue qui réussit à ne jamais tomber dans le cliché du vieux traditionnel repris maintes fois à toutes les sauces. Amy reste dans un paradigme simple et dans lequel elle assure comme une petite reine, connaissant les règles de son art musical sur le bout des doigts et les fautes à ne pas commettre. Elle maîtrise parfaitement l’histoire de ses chansons, vie de tous les jours, la sienne et celle de madame-tout-le-monde en Angleterre, récit dont elle est l’héroïne vaincue ("Wake up Alone") et respirant les notes pluvieuses éclaboussant sa proéminente chevelure noire afin de donner plus de corps à sa maigreur qui la dévore petit à petit. Instable psychologiquement, âme sentimentale meurtrie, féline sensuelle, grande romantique à coup sûr, Amy ne s’est jamais mieux racontée et dévoilée que dans ses chansons, tout un gardant un secret imperméable à chaque fin de morceau. Sa vie privée et ses déboires ont fait d’elle une cible facile pour la presse, mais la musique, que certains ont trop facilement oublié, est et sera toujours la plus belle armure qu’une artiste est capable de dresser devant son corps – We put it in writing, but who writing for, just us on kitchen floor ("Some Unholy War").


Le sort voulait qu’Amy Winehouse se produise en Suisse, au Paléo Festival, le soir du matin de sa mort. Retrouvée sans vie dans son appartement londonien, elle est partie en ne nous laissant musicalement d’elle que deux albums, dont un chef d’œuvre. Les vidéos de son dernier concert à Belgrade le 18 juin 2011 devraient être retirées de Youtube. Nous ne voyons qu’un corps sans équilibre qui ne peut plus chanter ses paroles, aidé par un public qui chante ses propres chansons et qui ne comprend pas ce qui est en train de se passer sur scène. Amy prend son micro et se déplace vers son musicien choriste qui essaye de lui redonner confiance. Il la prend dans ses bras. À chaque seconde, Amy peut craquer et s’effondrer. Elle ne chante pas, parle, se tourne vers son guitariste, son visage se transforme ; elle se retourne, regarde le public avec un air déjà bien loin. Elle s’assied, se couche, se relève, tente de faire face à une foule de 40'000 personnes et ne sait plus quoi faire de ses bras trop grands et trop tatoués. Amy chante à côté du rythme et donc ce n’est plus Amy. Au Paléo, peut-être se serait-elle transformée en cygne noir ? Qu’importe, aujourd’hui, on peut imaginer Janis, Jim, Kurt et les autres l’accueillir dans leur bande très fermée et la voir jouer au billard et boire des coups avec eux, ses yeux noirs gorgés de larmes qui se déversent une dernière fois sur des millions d’orphelins :


We only said good-bye with words
I died a hundred times
You go back to her
And I go back to…


19 juil. 2011

MIX TTAPE: ikke (FR/CH)

Illustration: Vincent Delaleu
Think Tank célèbre l'été avec une nouvelle mixtape: 100 minutes mixées par ikke, franco-suisse vivant à Lausanne. Vincent Delaleu est graphiste, récemment diplômé et organisateurs de multiples soirées dédiées à la cause de l'électronique. Ici, "un fist à l'ancienne, pas très clean, brutal mais efficace comme le vétérinaire, du graphisme auditif, de la narration sonore" pour un DJ set contenant des pistes de Rudolf, Boo Williams, Norm Talley, Roman IV aka Roman Fluegel ou encore Paul Johnson. Ce qu'il y a d'intéressant, c'est que ikke se considère avant tout comme un collectioneur: "j'utilise le mix pour apprendre la musique et son histoire. Pour peut être un jour produire des choses plus sérieuses…". 


 

13 juil. 2011

KINO KLUB: VILLAGERS, THE BELL (IRL)



Villagers, groupe dublinois emmené par Conor J. O'Brien réussissant à éviter tant le style Corrs qu'à faire de l'excellente musique, était présent la semaine passée au Montreux Jazz Café, à la suite des Vaccines. Réalisé par la télévision interne du festival, Montreux Jazz TV, réunissant tant des professionnels que des stagiaires d'école de multimédia, ce clip/session présente un groupe de grande valeur, jouant "The Bell", à venir sur un futur nouvel album. L'une des meilleures choses entendues en 10 jours de festival. A l'interview, notre amie Laura Leishman de la radio française Le Mouv, sévissant en tant que journaliste pour cette chaîne éphémère (au même compte que le susnommé).

11 juil. 2011

LP : 1995, La Source

Illustration: MARKUS MARYS
Un chiffre, une année. 1 9 9 5 grimpe tout en haut des ventes avec un rap old school. Alors c’est quoi ces petits cons qui font du rap qui fait plaisir à des vieux cons comme nous ? Le rap était mieux demain !


Ça commençait à bruisser de partout. Genre, en France y a un truc qui casse tout. Et donc sorti en tout fin du mois de juin, voilà LA SOURCE de 1995. Un album à l’opposé de l’ultra-modernisme du hip hop américain de Waka Flocka à Shabazz Palaces. Avec 1995, tout est dit dès le nom du groupe et de ce premier EP. Un retour au rap des années 90. Et je ne vais pas me plaindre. A vrai dire, les années 2000 ont fait mal à la scène hip hop française, que ce soit via la commercialisation du slam ou la simple adaptation du son américain. Par contraste, les années 90 ont fini par symboliser un âge d’or du hip hop français. Oui bien sûr, il y a eu plein de trucs hyper nazes, avec des tubes horribles à répétition, genre Menelik, et de gros ringards pour quarantenaires travaillant dans l’édition, en bref Mc Solaar. Mais en même temps que ce mainstream niais, existait un hip hop de qualité et qui se vendait bien : NTM, IAM, Assassin. Mais alors pourquoi 95 et pas un autre chiffre ? 1995, c’est l’année où sort La Haine, L’HOMICIDE VOLONTAIRE d’Assassin, PARIS SOUS LES BOMBES de NTM, et se fonde ATK, collectif qui rassembla jusqu’à 27 membres. Derrière 1995 et en featuring sur un titre, on retrouve aussi Zoxea des Sages Poètes de la Rue, dont le premier album sortait justement en 95.


Au delà de ces références, et même si le groupe avait choisi un autre nom, le lien avec ce hip hop old-school s’impose direct dans le son de 1995. Les voix de Shurik’n, Akhenaton et Rock’in Squat sont samplées. Mais c’est surtout l’ensemble du son qui nous fait penser à ces belles années : un flow assez lent mais chanté, des paroles pas trop vulgaires, un beat ultra simple, très peu d’effets, une sorte d’anti-crunk. 1995 refuse les gros beats surboostés pour adopter une rythmique tchick tchick boom. Il y a ce choix de la simplicité, où n’importent plus que la technique du flow et les lines. La formule pour distiller ce bon son est des plus adéquates: un dj Lo aux platines et surtout cinq rappeurs aux styles différents, complémentaires, et aux blases un peu niais face auxquels SCOR16, 2LEUZE, voir même 6-TITE ne font pas si mauvaise figure que ça. La dream team de 1995 est donc composée de NEKFEU, avec sa voix basse et sa grosse technique, ALPHA WANN, au flow puissant et très rythmé, FONKY FLAV’, aussi accrocheur que ses presque homonymes, SNEAZZY, qui va plus dans le chant avec son timbre un peu minet, et enfin Areno Jaz au phrasé enfumé. Une fois de plus, il n’y a rien de mieux dans le hip hop pour donner du punch à une chanson que de faire varier les rappeurs. On retrouve ainsi l’esprit collectif du genre, où chacun fait son beau à son tour, en interaction avec les autres, et non pas ce star-système où un gros pose ses couilles du début à la fin, laissant tout juste une meuf ou un mec soul assurer le refrain. Ce premier EP, LA SOURCE, sans rien révolutionner, sans grande ambition, prend direct des allures de classique avec huit titres imparables. Ça commence par une chanson manifeste "La source", où le groupe cite ses références, balance un refrain qui met tout le monde d’accord : On prend le rap à la source/ Rime sample et flow/ 1995/ L’équipe qui te met des gifles au micro. On ne compte pas les punch lines qui tuent de naïveté : Vrai j’ai niqué des marqueurs mais j’ai dit que j’étais rappeur/ Donc je prends le mic fédérateur/ Et je vais le kicker avec ardeur. N’en déplaise à Diallo, la rime est toujours à l’ordre du jour. Surtout 1995 emploie un verlan de grande cuvée et ose finir la chanson par un petit chant kitchissime r’n’b : 1 9 9 5 on arrive dans ce putain de biz/ à la source on va chercher des putains de hits. Déjà conquis par ce premier tube, c’est "La flemme" qui vient enlever les derniers doutes. De la bonne chanson de branleur, dont la source a déjà donné "Passe passe le oinj" de NTM ou les plans séquences de La Haine. Il est question de branlette pour de bon sur un sample lancinant. Tu veux un autre hit ? Y a "Le Milliardaire", titre de fête bête à la Skins, où de nouveau on ne peut s’empêcher de kiffer les paroles : On va pisser dans ta baraque/ Chiller sur ton canap. Quand tous nos potes sont ivres/ On fout le boxon vite même si nos poches sont vides. Ouais ouais ! Ces trois titres auraient suffi à faire aimer cet album, de plus 1995 ne commet pas de fausse note : deux titres très IAM "Laisser une empreinte", "Réflexxxion" et un mystique à la Assassin, "Je brille", où heureusement la fille en featuring ne fait pas dans les trémolos mais peuple juste l’arrière-fond du titre de son chant.


Mais alors quoi ce rap old-school, c’est juste un truc réactionnaire ? C’est bien sûr ce que beaucoup diront, et la vérité que personne ne songe à nier, c’est qu’avec 1995 il y a un véritable retour à un style qui semblait dépassé. Néanmoins, ce genre d’éternel retour fait partie de la façon dont évoluent les différents courants musicaux, les Strokes n’ont rien inventé mais ils ont sorti un bon album et contribué à un changement dans l’évolution du rock à un moment où ce dernier était au plus mal. Alors pourquoi bouder son plaisir ? 1995 font de très bonnes ventes, alors même qu’ils sont indépendants. Et après toutes ces années à écouter du rock et de l’électro, ça fait du bien d’entendre des paroles en français bien fresh. Ça donne juste envie de mettre sa casquette, de prendre son marqueur et de partir casser des gueules au club 41.

10 juil. 2011

Tankart: Du mur au cosmos, un "colonel" à l’Art Brut

Illustration: Think Tank / Collection de l’Art Brut, Lausanne



Lorsqu’on interne pour la première fois Fernando Nannetti en 1956, on ne peut le faire taire. Il se rebelle, tempête, hurle, nourrissant ses délires hallucinatoires de protestations et d’invectives. Trois ans. L'exposition est en ce moment au Musée de l'Art Brut de Lausanne et s'appelle « colonel astral » (jusqu’au 30 octobre). Pour le coup, Think Tank recrute un nouveau contributeur.

En 1958, cet orphelin de trente-et-un an est alors transféré à l’asile de Volterra, dans l’arrière-pays toscan, et soudain c’est le silence. Un mutisme de dix-sept ans. Solitaire et taciturne, Nannetti se cloître en Nannetti et s’édifie un sanctuaire pour échapper à l’asile. À deux reprises, par saccades ou par vagues (de 59 à 61 puis de 68 à 73), il compose sur les murs de l’immense cour intérieure de l’institut une longue fresque énigmatique (70 mètres), creusée à l’aide de la boucle de ceinture de son gilet d’interné, criblée de signes, grêlée de symboles et de croquis. Il sépare le produit de chaque jour par une délimitation qu’il trace dans la pierre, comme on ouvre une nouvelle page dans un livre inconnu. Si un obstacle surgit, il l’évite (ainsi peut-on encore discerner les figures immobiles des patients catatoniques, dont l’empreinte est laissée en clair sur la paroi au-dessus du banc sur lequel on les laissait, et que Nannetti a patiemment contourné)[1]. Œuvre intime (Nannetti crypte son écriture pour en masquer la signification et quand on l’interroge, il renvoie le curieux à ses propres oignons), travail de longue haleine, labeur d’appelé. Car c’est bien à un appel qu’il faut répondre, celui qu’adresse à Nannetti l’ensemble du cosmos par la médiation de ses voix intérieures. La pellicule perméable qui sépare ce monde-ci de ceux qui l’environnent, et qu’il s’agit pour celui qui s’attribue la fonction d’ « ingénieur astronautique minier du système mental » de faire traverser.


C’est à une immersion verbale, visuelle et vibrante que nous invite le deuxième étage de la Collection. De l’étroite salle dans laquelle sont reproduits en résine des morceaux choisis du livre astral de l’ « artiste » et dont une voix cachée nous chuchote des extraits en italien, à la longue frise photographique qui reproduit et traduit l’ensemble de l’œuvre morcellée, loufoque et lumineuse. « Fou », ce « colonel » autoproclamé l’était sans doute. Du moins les sains d’esprit devaient-ils s’en convaincre pour s’assurer aussi de leur propre santé. Les déterminations médicales ont cependant peu de poids devant les écrits minéraux de Nannetti. Ceux-ci nous confrontent plutôt à une évidence simple : la poésie enjambe toujours les barricades. 

Fumiste

7 juil. 2011

TT SPEACHES / JUIN 2011

Illustration: vitfait
TT Speaches: 30 jours, beaucoup plus de sorties. A chaque début de mois, l'écurie de Think Tank ouvre un post commun et le publie en son terme. De nouveau, on n'a pas dû tellement trier pour trouver de quoi remplir ses journées.


Pierre: Cette fois si c’est officiel, on sue et avant l’été où l’actualité musicale risque d’être plus marqué par les grosses machines festivalières que par la sortie de bons disques, le mois de juin s’est révélé riche de plein de bons albums et de surprises dans les différents styles.

Julien:  oui en effet, mais on sent l'effet grosses tournées estivales, quantitativement ce n'est pas le mois de février ou octobre. Pour ma part, j'en ai profité pour ressortir pas mal de vieux disques, pas mal de Pulp, de Mobb Deep, de Violent Femmes ou encore de Stone Roses au point de me faire surprendre par la fin du mois. Mais, pour une fois, je crois qu'on se rejoint sur l'album du mois. C'est, c'est, c'est…























Pierre: Surtout ce mois-ci est sorti un album qui risque bien, en effet, d’être le premier à faire l’unanimité dans la catégorie album du mois: la tuerie Shabazz Palaces, BLACK UP. A vrai dire, depuis le début de l’année, je ne me rappelle pas d’un truc qui soit à la fois une claque instantanée et qui tienne sur la longueur. C’est donc à nouveau dans la catégorie hip hop que l’on retrouve quelque chose où le format album signifie quelque chose, là où tant le rock que l’électro ne semble qu’enchaîner des morceaux sans les lier ni les assembler un une structure intelligente. Surtout, le début de BLACK UP est le truc le plus percutant que j’ai entendu depuis bien bien longtemps. "Free Press and Curl", "An echo from the hosts that profess infinitum" et "Are you… Can You… Were you ? (Felt)" sont trois chansons qui mettent tout le monde à l’amende. Un mélange parfait d’un son aux influences dubstep avec ses basses profondes et ses rythmes charcutés. Là où Lil' B se fait trop guimauve et Tyler The Creator trop buté, Shabazz Palaces passe au niveau supérieur et tabasse comme Raging Bull, avec un buste et des poings d’un roc mais porté par un jeu de jambe fin et une stratégie bien pensée. Franchement, tout est de la bombe, tant le flow puissant mais se permettant de partir dans le sentimental, que les basses, la diversité des tempo et la qualité des mélodies. Dès la première écoute "Free Press and Curl", ça m’a mis à genoux. Ces plaintes spectrales, ce roulement de moissonneuse, ce "I’m free" jubilatoire, ces montées vertigineuses, ces voix additionnelles incroyables puis cette fin en forme de nouveau départ en forme de coup de grâce, putain c’est trop bon ! Toi même tu sais. Les banderilles sont posées et peut alors commencer la danse corps à corps où les gestes se font plus lents et plus beaux. Au milieu de sons mortels, d’autres instruments, piano ou percussion, imposent leur finesse. Shabazz peut alors même se permettre de nous entraîner dans des danses soul avec "Recollections of wraith" et sa voix féminine. Chaque titre est intelligent et fin mais n’oublie jamais de taper. Aucun son n’est en trop, chaque élément, vocal ou instrumental, ajoute une dimension aux chansons. Bref, pour moi, y a pas moyen, BLACK UP est sans aucun doute le meilleur disque de ces six premiers mois de 2011. Et je vois pas trop comment quelqu’un pourrait lui voler le titre de l’année. Et c’est pas le dernier titre qui me fera changer d’avis. Ouah, tellement de diversités, des voix féminines superbes, un sample incroyable, le hip hop se porte très bien. Tu partages mes louanges, Julien ?


Julien: ô que si, plutôt deux fois qu'une. Je me revois d'ailleurs il y a peu halluciner devant le vieux clip noir/blanc "Belhaven Meridian" (2009) en compagnie de notre cher illustrateur vitfait, grand connaisseur de hip hop. Il n'y a pas grand chose à dire sur ce LP: c'est une tuerie qui effectivement va tout défoncer. Un grand regret: ne pas posséder de sound system digne de ce nom pour totalement apprécier ce BLACK UP. A noter par ailleurs que l'album est sorti sur le label indé Sub Pop, plutôt habitué à placer du rock ou de la folk: gros gros coup pour la maison de Seattle, qui, de plus, permettra à son voisin Palaceer Lazaro de diffuser largement son travail. Quant nous parlions de lame de fond du dubstep et autres musiques hantées… A propos, savais–tu qu'il s'agit du cousin de Gonjasufi?


Pierre: Non. La belle famille! J'espère qu'il s'en sortira mieux en live que son cousin. C'est droôe parce que Gonjasufi c'est aussi un projet rock sorti sur un label peu habitué au genre. Il s'agissait de Warp, qui sort ce mois-ci le nouveau Battles. Le concert à la Kilbi m'avait moyennement plu et GLASS DROP ne m'a pas retiré toutes mes appréhensions. Le départ du chanteur se fait décidément sentir et les quatre titres avec des chanteurs en featuring restent faibles avec une voix sans intérêt et sans impact sur la chanson malgré la qualité des invités (Gary Numan, Kazu Makino de Blonde Redhead). Par contre, au niveau des titres instrumentaux, on trouve du pantouflard mais aussi du très très bon comme dans "Africastle". Les Battles se font moins indus pour laisser naitre un son plus estival, presque tropical parfois au milieu des déferlements de batteries et des claquements de guitare. GLASS DROP n'est pas si difficile d'écoute malgré une certaine complexité mais se révèle malheureusement vite lassant. Tyondai Braxton, reviens!


Julien: sans les voix, mais avec du son de haut vol, je rapprochais LP au premier effort du producteur londonien SBTRKT, actuel fer de lance de la scène dubstep. Un EP fort remarqué était sorti à la fin de l'an passé, intitulé STEP IN SHADOWS. Le titre éponyme, écoutable sur Soundcloud, avait très très bien marché auprès des DJs avec ses gros breaks, sa production accessible et sa propension à tirer sur la house. A ce propos, "Colonise" était véritablement taillé pour les platines, avec sa grosse rythmique croisée aux bons plans house des années 90 (ça aussi, à surveiller de près, cette résurgence du tout nineties). Loin d'un titre aux basses amples comme "Hide Or Seek", le premier extrait de l'album – "Wildfire" – éponyme de ce remixeur de M.I.A, Basement Jaxx ou Mark Ronson (signé chez Young Turks), pouvait faire peur: un featuring de Yukimi Nagano des Little Dragons, assez opportuniste, aux beats aussi faciles que ne l'était la production. Vachement plus inspirant, on notera le méga pop 80's "Pharaohs" avec Roses Gabor en featuring, de quoi briller sur les dancefloor cet été. A l'instar d'un des premiers cartons du Londonien, Look at Stars, on retrouve ici un talent évident pour tailler des morceaux accessibles et pourtant pas gratuits ainsi que pas mal de culot à mélanger jungle, house et grime, à l'instar de Rekorda. Une marque moins indélébile que Shabazz mais parfaitement dans l'air du temps, à placer entre Joy Orbison, ESKMO ou Scuba. Son LP se veut plus personnel, forcément, plus expérimental et moins ancré pour le dancefloor, genre je fais la différence en une track. L'effort n'atteint pas le premier album de Mount Kimbie par exemple, excellent duo aussi éclectique que rigoureux – et jeune qui plus est – mais fait plus dans le FM comme sur le titre "Something Goes Right", pas loin d'un Jamie Woon ou de Magnetic Man. A retenir toutefois l'excellent free–jazz "Ready Set Loop" ou le très 8-bit "Go Bang". Pas mal de déception quand même, mais à coup sûr un petit succès commercial. Sisi, le dubstep possède désormais ses produits dérivés qui se vendent bien mieux que ses concepteurs. Pour terminer, toujours dans le même rayon, DJ Bombé a récemment mis sur le net, sur Soundcloud pour être plus précis, une mixtape croisant des titres de James Blake et de Drake. Le résultat vaut le détour, dans le style mash–up pas si mal foutu. Voilà Pierre, tu veux passer à quelque chose de radicalement différent, n'est–ce pas?























Pierre: J’enchaîne avec deux vois féminines tout droit sorties de la scène indé. La toute bonne surprise vient pour moi d’EMA. Si j’ai pas été conquis d’emblée, il faut reconnaître que PAST LYFE MARTYRED SAINTS est des plus agréables. Dans un registre proche de Best Coast, tout en simplicité rock, EMA penche moins du côté Avril Lavigne de la force. Cela me fait penser à l’antifolk du début des années 2000. Loin de la prétention réac du folk et ses florilèges de guitares barbants, on est ici dans un retour à une écriture moins ampoulée et une revendication d’une forme de naïveté. "California" n’a rien de bien différent mais la candeur y est donnée avec une telle justesse qu’on ne saurait y renoncer. On songe aussi au "After Hours" et pourquoi ne pas croire en cet amour chantée d’une voix brisée sur "Marked". Au fond, on a bien envie d’avoir 22 ans et que tout soit cristallin sans être kitch. C’est ce qu’EMA parvient à faire, exprimer des choses hyper caca-miel mais avec un petit quelque chose de lo-fi qui lui donne ce qu’il faut de teinte désespérée et naturelle. Et la production des guitares est plutôt pas mal. A l’opposé de ce franc-jeu, la nouvelle prêtresse underground Maria Minerva, tout droit venue d’Estonie, sort TALLIN AT DAWN. Ici les déclarations d’amour sont étouffées dans des nuages psychédéliques. Cela ressemble beaucoup à tout ce qui se fait dans la scène californienne depuis Nite Jewel. Les voix planent, les sons sont volontairement de mauvaise qualité et des collages incessants viennent perturber le cours de chaque titre. Il y a pas mal de moments assez biens, cela sonne cool au possible mais un doute m’étrille, est-ce que au fond ce n’est pas surtout vraiment chiant.


Julien: belle surprise effectivement que cet album de EMA. De quoi facilement retourner sur place Florence and the Machines, pour qui j'ai toutefois pas mal de respect. Ton commentaire serait complet si tu n'avais pas oublié de préciser qu'elle sera de passage le 30 septembre au Bad Bonn de Düdingen, salle de concert qui devrait encore une fois jouer les premiers rôles à la rentrée: parmi les quelques dates annoncées, il y aura aussi Steff La Cheffe le 2 septembre, Timber Timbre le 25 août ou encore Omar Souleyman le 15 septembre. J'en profite aussi pour faire un détour par le Fri–Son qui vient de lacher quelques noms prestigieux, notamment Fleet Foxes, Wye Oak ou Digitalism. Ô la belle rentrée!























Julien: J'ai peu écouté d'albums de rock, alors j'aimerai bien que tu complètes mes propos ok? Bon, je commence avec le moins pire, Ty Segall (cover ci–dessus) qui ouvre son album avec un morceau à la beauté proche de vieux titres de Blur / John Lennon ("Goodbye Bread", quel nom!), un solo de guitare que n'aurait pas renié Graham Coxon. "California Commercial" fait dans le garage nonchalent du haut de sa minute 18 secondes, un–deux riffs et puis c'est bon. Pas franchement ébouriffant, "Comfortable Home (A True Story)" me semble pourtant plus bandant que n'importe quel titre de l'album de ces insupportables compères de WU LYF. C'est surtout rigolo et on s'imagine bien tenter le coup du refrain un pied sur le tabouret l'autre sur la table, la chope en l'air. De nouveau du Graham Coxon sur le tube indé "You Make the Sun Fry". Il y a un peu de Helter Skelter ici, et franchement on pourrait faire pire dans le genre hommage. Le reste s'écoute franchement sans trop se poser de question, c'est toujours mieux que Beady Eye (même avec l'affreux "Where Your Head Goes"). Le duo montréalais Handsome Furs a lui sorti son deuxième LP, SOUND KAPITAL (toujours ces vieux gags avec la Russie, terre de leur première production). J'ai sauvé cet album dans les sorties rock du mois totalement subjectivement: Dan Boeckner est un des membres d'un de mes groupes sacrés, Wolf Parade, ce groupe qui fait tout et n'importe quoi avec un génie évident, Boeckner étant le mec qui chante à en crever, à mille à l'heure, les pulsations à 200 sans faire semblant comme ces types de WU LYF. Handsome Furs n'est pas Wolf Parade, et ça se saurait. A peu près les mêmes instruments, sans la batterie – remplacée ici par une boîte à rythme – beaucoup de synthés aussi, mais des formats bien plus accessibles sans pour autant être niais. J'avais pas mal aimé leur deuxième jet, FACE CONTROL, direct et brut, je considère celui–ci comme honnête, pas renversant mais écoutable à la rigueur sur sa terrasse ou au volant un vendredi soir, le tube "Repatriated" à placer au bon moment, avant de se garer, l'ampli à fond pour embêter les rat kids. A écouter aussi le final "No Feelings", ambitieux, dans sa longue montée, direction, si seulement, un nouvel album de Wolf Parade? A part ça, j'ai lancé un pavé dans la mare: WU LYF donc Pierre, que tu avais vu à Londres…


Pierre: Effectivement, j'étais du voyage et encore marqué par quelques très bonnes premières chansons comme "Split it Concrete Like The Golden Sun God" et l'effervescence, ca m'avait presque plu même si les promesses de voir un groupe incroyable étaient largement déçues. En gros, leur son était assez banal et le chanteur ressemble un peu trop à une minette échaudée. Je ne vais pas revenir une énième fois sur le discours de WU LYF et leur démarche qui consiste à se présenter comme une fondation indépendante et subversive. Si cette dernière est intéressante, la question n'est pas de juger de sa sincérité ou de son côté marketing. Le problème, c'est qu'à force de mettre en avant cette posture, WU LYF entre dans une logique de mise en scène spectaculaire alors que dans l'industrie pop, la vraie subversion passe justement plus souvent par le refus de la mise en scène. Mais plus important encore, qu'en est-il de leur musique? C'est peu dire que GO TELL THE FIRE TO THE MOUNTAIN est au mieux une déception, au pire un gros navet. Même les titres connus comme "Heavy Pop" ou "Concrete Gold" pâtissent d'une production affreuse qui met beaucoup trop en avant la voix dont les trémolos ont perdu toute leur force émotive pour n'être plus que des roucoulements surjoués. Les limites du groupe sont criantes, tant au niveau des mélodies, que des qualités instrumentales. Enregistrer dans une église n'implique pas forcément d'avoir un son céleste. Je ne suis pas sûr que les gars de WU LYF fassent semblant, si ce n'est pas le cas, tant mieux. Mais ce qui est certain, c'est que leur musique reste d'une platitude qui a beaucoup de peine à tenir la longueur d'un album et qu'on a beaucoup de peine à écouter aussi longtemps. Ma foi "Split it Concrete Like The Golden Sun God" restera un éclair de 2010. Quand les espoirs ne sont pas réalisés, il nous reste encore les promesses. Pour revenir sur les autres groupes que tu mentionnes Julien, au Handsome Furs que je trouve quand même un peu dégoulinant de synthé, je préfère le Ty Seagall. C'est clair aucun des deux ne part dans des directions inconnues. Mais dans ce cas-là je suis plus touché par l'américana moderne du second que par la pop très 80's des premiers. Il faut aussi dire que la pochette-tête-de-chien est très réussie. Je me répète speaches après speaches mais pour moi il y a presque que les américains pour jouer de la guitare comme cela s'est toujours fait mais en donnant l'impression que tout est à chaque fois nouveau. Des albums comme GOODBYE BREAD, j'en ai entendu des centaines. Il n'empêche que cet album ne perd en rien sa force évocative. Que ce soit sur des chansons lentes au gout de bal de prom, aux plus rapides d'adolescence fâchée, la musique de Ty Seagall exerce sur moi la même fascination que les hamburgers. Ca a toujours presque le même gout mais c'est toujours bon et ca me fait penser aux Etats-Unis.
























Julien: la clôture de ce Speaches ne m'a pas permis de digérer pleinement le troisième album de John Maus, et pourtant sa valeur – importante – saute aux yeux dès la première écoute. Notre cher ami Vincy Vince m'avait fait part de son amour pour le premier titre extrait du LP, "… And The Rain". Sans trop à quoi s'attendre pour la suite, on avait nous aussi apprécié. La suite, ou plutôt le reste? Ah… c'est presque encore mieux! Il y a tout d'abord l'ouverture, "Streetlight" avec ce fameux clin d'oeil aux Talk Talk qui avait valu à lui seul un Kino Klub, ses loops, et sa bonhomie. "Quantum Leap" fait se lever Ian Curtis de son cercueil – cette voix! – en créant une relique candide de Joy Division. Isolé de l'album, on pourrait toutefois croire à un manque d'inspiration – la basse y est quand même suffisamment remarquable pour sauver le titre. WE MUST BECOME THE PITILESS CENSORS OF OURSELVES tient bien son rang, et son nom: citiation du philosophe français Alain Badiou (merci au frère de ce même Vincy Vince) pour nommer ce 11–titres, multiples collaborations avec les cultissime Ariel Pink ou Panda Bear au début du 21ème Siècle, un autre monde, une bonne douzaines de sorties physiques indépendantes entre 1991 et 2005: John Maus est plus un vieux limier qu'un mec à la Twin Shadow, professeur de philosophie et érudit appliqué. Cela s'entend et on imagine bien la scène. "Head For The Country" ressort les cadavres des garçons coiffeurs pour mieux les passer à la tondeuse, on y danse encore très volontiers, et les exhibe dans le fantômatique "Keep Pushing On", à la voix de ténor new–wave. C'est très bizarre, mais on y croit. D'autant plus que, si la production est aussi exigeante que cohérente sur les 11 titres, on passe de spectres sonores radicalement éloignés, des instrumentaux claquant sec comme un coup de bambou et des tubes tassés sous une montagne d'effets. WE MUST BECOME THE PITILESS CENSORS OF OURSELVES est sans aucun doute en lice pour la place de meilleur deuxième album de l'année, après qui l'on sait, et il est paru chez Upset the Rythm (Xiu Xiu, Gay Against You ou Former Ghosts).


Pierre: Je suis un peu dans le même cas que toi Julien, je n'ai pas assez écouté ce John Maus pour m'étendre dessus mais ce qui est sûr, c'est qu'il est un des indispensables de ce mois de juin. Un album hypnotiquement pop, dans lequel on navigue sans savoir vraiment si on y est entré pour de bon ou pas. A écouter et réécouter sans urgence pour découvrir toujours plus. Ma foi, je redescends sur terre avec deux albums beaucoup plus facile. Il semble bien loin ce premier concert où j'ai découvert Yacht en 2007 à la Flèche d'or. Le duo sort maintenant son troisième album SHANGRI-LA. A force de désir pop, le groupe est malheureusement passé du bricolage qui ne ressemblait à rien à des tubes à paillette qui ressemblent à beaucoup de choses. Il leur reste bien sûr une certaine candeur, des mélodies rigolotes et on peut peut-être sauver quelques chansons comme "Dystopia" mais la formule Yacht semble bien avoir atteint ses limites, les deux voix se répondent sans y croire vraiment et on est bien loin de la jouissance irrépressible de "Psychic City". Buzzé un peu partout et surtout en France, via Kitsuné, Is Tropical sorte leur album NATIVE TO pour une pop pas du tout tropical. Les reproches que j'ai à leur faire sont les même que ceux attachés au label mentionné. Ca prend tout de suite, ca pue le tube mais c'est totalement dénué de surprises et de variations. Le tout est beaucoup trop fluet pour retenir l'attention plus de quelques secondes. A ce moment-là, sur une autre planète, y a aussi un nouveau Brian Eno qui est sorti, DRUMS BETWEEN THE BELLS, en collaboration avec le poète Rick Holland, c'est par moment très beau mais, la vérité, j'ai pas le courage d'en parler. Toi, t'oses te lancer Julien?


Julien: pas mal décriés, les danois de Figurines continuent coûte que coûte et reviennent avec un quatrième album cet été. Souvent considéré comme brouillon, sans véritable style ni talent, le trio de Copenhague n'est pas vraiment de ces groupes pour qui ça a marché instantanément. On en serait presque soulagé remarquez… FIGURINES pourrait pourtant mettre pas mal de monde d'accord, même s'il faut déjà passer le stade j'aime le glam. Entendu sur la radio nationale, "Hanging From Above" tranche radicalement avec le reste de la programmation de la dite chaîne: si on enlève le refrain, pas folichon, on tient là un excellent titre, à la production luxuriante mais classe, au bridge à la Queen, des falsettos et des violons, le tout sans atteindre l’écœurement comme chez le vieux Arcade Fire, période BLACK MIRROR. On pense ici aux très futés Islands. "The Great Unknown" n'est pas inintéressant, au contraire, permettant de laisser planer la voix de Christian Hjelm, sorte de BG intemporel, sur une structure proche du Pink Floyd première étape/Syd Barrett, toutes proportions gardées. On y reste: "New Colors" (ce clavier!) pourrait bien figurer comme mon titre du mois, archi–taillé pour la scène et présentant un Figurines bien plus ambitieux que par le passé. Et surtout sachant aller droit au but. Au fond, Figurines est autant actuel (les descendants de Clap Your Hands Say Yeah! et compagnie) qu'à l'ouest, comme figé dans un vieux rêve SMILE - THE PIPER AT THE GATES OF DAWN, sans paraître aussi dramatiquement appliqué que MGMT. Figurines sera à l'affiche de la traditionnelle soirée danoise au Jazz Café, le samedi 9 juillet. La belle affaire, qui est plus accompagnée de Reptile & Retard, pour qui on m'a dit le plus grand bien.























Julien: passons maintenant à l'électro, avec une grosse pointure à l'appel ce mois: le Viennois John Tejada, résident en Californie, vient de paraître chez Kompakt son sixième album, PARABOLAS, si l'on compte bien (sans doute plus, entre les sorties non–officielles et autres). Joli coup pour le label de Cologne, qui pourrait bien finir comme label de l'année à force d'aligner les recrutements de haut vol (Clams Casino, Sasha Funke, WhoMadeWho, etc.). Si vous ne connaissez pas ce producteur, sachez qu'il fait partie d'un des monstres sacrés de la musique électronique, toujours en haut du tableau des ventes chez Beatport, encensé par Resident Advisor entre autres, passant de la deep house à la techno. En 12 titres, Tejada passe du très deep 90's (l'ouverture "Farther And Fainter", résonnant encore dans ma tête à l'heure se coucher), aux interludes proches de Boards of Canada ("The Dream", "The Honest Man"), ou à l'électronica d'un Aphex Twin période POLYGON WINDOW ("Mechanized World") pour revenir à des compositions presque pop ("Timeless Space" ou"The Mess And The Magic") sans vraiment se prendre le chou. Il y aussi le clinquant "A Flexible Plan", cathédrale d'effets pour dancefloors, ou le génial "The Living Night", proche de Pantha du Prince ou autre Nathan Fake. Surprenant pour du Tejada, apôtre d'une presque dance music? A voir, surtout que lui succèdent les petites bombes de fin d'album, "Unstable Condition" qui devrait faire un ravage à Berlin, ainsi que "Uncertain End" pour terminer sur une note plus house. Think Tank évite le clivage des genres et applaudit des deux mains quand le travail est bien fait, comme sur ce PARABOLAS, splendide LP d'été. Sa collègue de label, Ada, souvent présente sur les compilation Kompakt Total et reconnue pour son premier album BLONDIE, vient elle de sortir un nouveau disque chez le discret mais excellent label berlinois Pampa, distribué par Namskeïo (Robag Wruhme, Axel Boman, Isolée ou Die Vögel): du nom de MEINE ZARTEN, le 9–titres n'est pas de ces grosses productions, mais est plutôt bricolé avec âme et cœur (la comptine "Likely", les nu–soul folk "The Jazz Singer" et "2 Likely" ou "Interlude", discret et classieux, l'intro "Faith"), souvent, mais sait lâcher de bon titres trempés et aériens, comme "Happy Birthday" ou "On The Mend", magnifique morceau tout en strates. Un disque d'ambiant plus que de l'électronique, bien que suffisamment varié pour parvenir à rejeter toute étiquette.


Pierre: J'interromps ton passage électro par une interlude beaucoup plus rock, voir carrément punk avec Fucked Up. J'ai beau travaillé sur ce genre, j'en suis pas un grand fan et surtout ça fait longtemps que j'ai pas entendu un truc bon dans les groupes contemporains. Et bien Fucked Up font véritablement exception. C'est sûr que ceux qui ne supportent pas le punk auront de la peine avec DAVID COMES TO LIFE où le rythme se fait bien dûr et la voix rocailleuses du chanteur découragera les non-initiés. Il n'empêche que cet album vaut la peine parce que justement il dépasse le côté réactionnaire du punk Oi! en choisissant une démarche inventive et intellectuelle. Cet album évoque via divers narrateurs l'amour, la mort et la rédemption en quatre actes dans l'univers des années Thatcher en Angleterre. Derrière une façade de batterie et de guitare qui envoie sec, l'écriture se fait plus réfléchie qu'il n'y paraît avec de grandes variations dans les rythmiques et l'apport de différents chanteurs. Comme quoi, le punk n'est pas totalement mort et j'arrive presque à vraiment apprécier un groupe avec un chanteur metal. Quand l'ambition artistique est là, on peut faire des exceptions. Pour revenir dans un style plus électro, passons à FM Belfast de Reykjavik, qui revienne avec un second album DON'T WANT TO SLEEP. Un album envers lequel il y a peu de reproches à exprimer, mais peu de louanges également. Si le son scintille à souhait pour l'été, les tubes ont disparu et dès la troisième chanson je me rends compte, que faute d'accroche, je n'écoute plus vraiment. Pour partir se baigner, autant réécouter "Synthia" de leur précédent album.


Julien: plus proche de chez nous, le Genevois Crowdpleaser vient de placer un nouveau pion à son très long parcours et a signé pour le coup chez les canadiens de Turbo Recordings pour paraître ce LP éponyme. Turbo possède certains fleurons de la bonne humeur (Chromeo, Erol Alkan, 2ManyDjs, Matias Aguayo, Tiga) et d'autres certainement plus tranchantes (Seth Troxler, Jori Hulkkonen, Boys Noize). "Spinelli" vaut largement le détour dans un style proche de ses compatriotes Rizzoknor ou d'Extrawelt, entre free-jazz et minimale, "Hang out (For Paul)" aussi, vachement plus dans la tangente, presque dub et pourtant pas du tout hors–sujet, et que dire du tube afrobeat "Nenekri" passant après un truc aussi deep et vicieux que "Together We're Strong"? Au centre du schéma Crowdpleaser, un but: faire danser à tout prix la foule, sans se prendre la tête sur les étiquettes. C'est assez réussit ma foi, pour autant qu'on veuille descendre dans ce trip ("My Grandmother Could Tell You That" replacera le propos à la minimale pour les plus peureux ou l'excellent "Jonx" tirera tout le monde vers la techno). Distribué par Namskeïo, CROWDPLEASER va marcher, c'est certain; où comment danser autrement qu'avec les débilités de David Guetta. Pour terminer ce bref détour par l'électro, nous avons reçu au début du mois, BODY LANGUAGE vol. 10, mixé par les bien connus M.A.N.D.Y. et paru sur leur label Get Physical (nous avions parlé d'Audiofly le mois passé, artiste lui–aussi signé par le label berlinois). La série des BODY LANGUAGE est une sorte d'équivalent des compilations TOTAL KOMPAKT, mais pour danser car il y a vraiment du groovy ici  ("Discoshit" de Kid Bliss, imparable), du Maceo Plex remixé par Nicolas Jaar, mais aussi du Booka Shade, Soulclap ou encore Kollektiv Turmstrasse, sans manquer de passer par la case minimale avec l'excellent Marc Houle ou Extrawelt. Une bonne compilation, très house mais pas dénuée d'intérêt pour autant. On vous dit: quand c'est bien fait, ça mérite qu'on s'y attarde.



Disque du mois
Pierre: Shabazz Palaces, BLACK UP
Julien: Shabazz Palaces, BLACK UP


Singles du mois
Pierre: Jealov, "DNR"
           Gal Costa, "Nao Identificado"
Julien: John Maus, Quantum Leap


Et ce dont on n'a pas pu parler ce mois, notamment:
Arctic Monkeys, SUCK IT AND SEE
Jonny, JONNY
Woods, SUN AND SHADE
Bon Iver, BON IVER
 

4 juil. 2011

TANKINO : Intrusion dans la meute : ANIMAL KINGDOM !

Illustration : Animal Kingdom (David Michôd, 2010)

En Australie, Animal Kingdom a tout raflé : pas moins de dix récompenses aux Australian Institute Awards (les Césars australiens) dont celles de meilleur film, metteur en scène, scénario, acteur et actrice. En 2010, le film a notamment été accueilli comme une petite bombe que personne n’a vu venir chez les critiques européens et outre-Atlantique. Puis le festival de Sundance lui a décerné le Grand prix du meilleur film étranger afin d’asseoir la réputation de ce long-métrage psychologique et sombre, illuminé par une horde de comédiens aussi méchants qu’excellents. En avant-première sur TT, le film sort mercredi en Suisse.

Après des études de philosophie et de littérature à l’Université, David Michôd fraîchement diplômé se fait embaucher au service de l’Education de l’Etat de Victoria. Une courte année plus tard, il se rend vite compte qu’il ne veut pas finir fonctionnaire toute sa vie. Il flippe et décide d’entrer à l’école de cinéma de Melbourne où il y est accepté sans qu’il s’y attende vraiment alors qu’il n’était à l’époque pas un passionné de cinéma. Au sortir de son école, Michôd n’a aucun plan de carrière. Il se fait embaucher au Inside Film Magazine et devient vite rédacteur en chef. Ce poste lui permet de rencontrer des personnes influentes dans le milieu. Il se rend même à Cannes en tant que journaliste.

« Mais j’aurais voulu m’y rendre la première fois dans la peau d’un cinéaste », regrette-t-il gentiment. Les dieux du cinéma ont entendu la prière silencieuse du jeune trentenaire puisque le voici aujourd’hui aux rangs des meilleurs réalisateurs du cinéma australien rivalisant même avec Jane Campion aux derniers Awards australiens. C’est donc en 2010 que tout change pour Michôd avec la sortie de son premier film au titre équivoque et déjà culte : Animal Kingdom. Filmé le plus souvent caméra à l’épaule, le film ne nous laisse pas un infime moment de répit dès les premières secondes d’ouverture. Tous les ingrédients se mettent en place dès le premier plan où l’on découvre Josh assis sur un fauteuil devant la télé avec à ses côtés sa mère, morte d’une overdose. La séquence est violente dans l’esprit, mais ne montre rien. Et c’est ce qui fera une des forces du film. Josh, à pas 18 ans, orphelin, va rejoindre sa grand-mère et ses oncles dans une maison des quartiers durs de Melbourne. Nous allons suivre durant deux heures cet ado, enfermé dans ce corps de titan surmonté d’une face de hooligan ; une tête plus rectangulaire qu’ovale, déjà creusée par les décès familiaux et terrorisée par la vie qui se présente devant lui. Josh rejoint donc ce qui lui reste du cocon familial, dans ce royaume animal gouverné par la vampirique grand-mère blonde. Au milieu de cette faune, « J » sera inévitablement mené à devenir l’un des leurs. C’est l’esprit de famille du Parain de Coppola, revisité, plus malsain, et déplacé sur le continent des kangourous. Enfermé dans cette voie qui le mène à braquer une arme sur des jeunes péteux du quartier et à défendre ses oncles contre les flics, Josh évolue dans cet univers cloîtré et sans issue dans lequel sa petite amie va malheureusement faire irruption.

Les yeux rivés au sol, les épaules rentrées, un seul avertissement : éviter les fauves. Telle est la posture imposée par le réalisateur pour l’acteur James Frecheville qui incarne parfaitement Josh. Amené par son destin au sein de la meute, le film nous montre l’embarras, la peur, l’aliénation d’une famille dirigée par la ténébreuse Janine Cody et son comportement ambigu envers ses fils. Michôd filme un drame sombre, une tragédie shakesperienne, remplie de canicule, surplombée par le soleil australien, dans les quartiers petit-bourgeois de Melbourne, où drogues, trafic de stupéfiants et gang de rues se retrouvent. L’irruption au sein de cette famille se fait de façon très intelligente par paliers (on découvre les oncles un par un dans un mouvement limpide) et avec un rythme qui ne connaît aucun temps mort : les scènes violentes surgissent sans jamais tomber dans le cliché « attention ça va tacher ! ». Tout en retenue, l’atmosphère du film – son point fort – réside dans cet assemblage de séquences de dialogues, de slow-motion assuré, d’une musique originale culminante, et de l’irruption soudaine du personnage qui va faire basculer l’histoire. Préférant lire des livres plutôt que de regarder des films, David Michôd nous sert un film dense, romanesque, digne d’une adaptation d’un bouquin de James Ellroy qu’on aurait oublié de publier. Ses influences ? Du Paul Thomas Anderson et du Michael Mann. On retrouve du Punch-Drunk Love (2001) dans cette ambiance glauque mais subtile, enrichissante dans sa démesure et orgasmique dans ses non-dits. Animal Kingdom est une œuvre pleine qui tourne depuis une année dans les cinémas du monde entier. Mercredi enfin, le film sort en Suisse. A must-see !


1 juil. 2011

Musique hantée live : showcase Tri Angle au Sonar

Illustration: vitfait
Après plusieurs volets consacrés à la musique hantée sur Think Tank (ici et ), il est clair que j’allais pas rater le showcase du label le plus actif derrière cette lame de fond musicale : Tri Angle, bien représenté par oOoOO, How To Dress Well et Holy Other. Histoire de vivre de mes propres oreilles une séance de spiritisme musicale.


Malgré le soleil et des artistes attendus sur d’autre scènes du Sonar, je me suis quasiment enchainé à l’intérieur de la salle où se déroulait ce showcase tellement j’étais excité. A l’intérieur du musée d’art contemporain, où soudain on se permet de fumer entre disciples au parfum, on s’apprête à recevoir de plein fouet une série de concerts où les beats se feront lents, les danses macabres et l’ambiance spectrale. Il n’est que 17h30 quand oOoOO font leur entrée, le soleil tape dehors mais on oublie tout ça pour se retrouver dans une cave et que minuit sonne. La première surprise du concert de oOoOO vient de la présence d’une chanteuse sur scène à côté du dj. Alors que je ne pouvais imaginer cette voix que comme l’émanation d’un esprit du fond d’un vieux sample, se dresse une présence réelle bien que voilée de draps fluo. Cette incarnation de ce qui semblait être un rêve amène son lot de déceptions. La voix sonne trop claire et trop en avant, et j’ai attendu en vain qu’elle soit ralentie pour entonner les meilleures titres du groupe que sont "Sedstummin" et "No Shore". Néanmoins, les rythmes lugubres font se pencher les têtes envoutées par les chants de sirène. Si les beats claquent, le son n’est pas assez fort pour que s’ouvrent vraiment nos entrailles. Le concert, malgré de (très) grands moments comme "Hearts" et "Burnout Eyes", ne décolle pas vraiment.


Au tour du second grand mage de l’équipe Tri Angle : How To Dress Well, qui se pointe tout seul avec sa moustache et son marcel, se contentant de balancer ses chansons les unes après les autres sur son ordinateur. J’entends déjà ceux qui crient que c’est de la merde de karaoké. Mais non, How To Dress Well se la donne tellement à fond que ça passe très bien. Malgré quelques problèmes de sons et de drogues, la voix du mec est tout bonnement incroyable. Cet espèce de cri-soupir, qui semblait ne pouvoir être que le fruit de multiples heures de studio, apparaît tel quel en live. Si quelqu’un se demandait encore si How To Dress Well avait un côté R’N’B, le doute n’est plus permis. Il se secoue langoureusement en se caressant le torse et ça vocalise un max. Petit à petit, la salle se vide, le public étant décontenancé par une musique très américaine. En effet, pour comprendre How To Dress Well, il faut se plonger dans ce bagage collectif R’N’B, méprisé en Europe mais presque universel là-bas, et sentir comment How To Dress Well le remodèle dans un être nouveau, torturé et sensuel à la fois. Au milieu de nombreux inédits, les meilleures titres de LOVE REMAINS nous rendent tout miel, y a même plus besoin de prendre du MDMA : "My Body", "Suicide Dream 2" et surtout une version incroyable de "You Hold The Water" avec une impro libidinale sur le passage musicale. Tout sourire, How To Dress Well quitte la scène avec une nouvelle chanson plus rapide et plus joyeuse qui fait espérer un prochain album tourné vers des horizons encore plus pop.


Le dernier à monter sur l’autel était moins connu de nos services, normal son EP, WITH U, vient tout juste de sortir et ce fut la baffe de ce sonar. Un concert véritablement hanté par une silhouette caché derrière son capuchon. Le son est incroyablement intelligent et j’ai juste hâte d’obtenir ce fameux EP. Les beats hachent, les samples de voix résonnent magnifiquement. Ces moments incroyables où le tempo ralentit pour prendre plus de puissance et de profondeur. Bref le concert qui convainc définitivement que la musique hantée peut prendre forme en concert. Pour conclure, rien de tel qu’une vidéo de Holy Other !