Illustration: Saïnath |
Considéré par tous comme un chef d'oeuvre du cinéma, Baraka s'est offert une nouvelle jeunesse en sortant en haute définition dans l'anonymat le plus complet. S'il fallait une oeuvre à envoyer dans l'espace afin qu'il se fasse l'ambassadeur de l'espèce humaine auprès d'une potentielle forme de vie extra-terrestre, ce choix s'arrêterait probablement sur Baraka; sublime poème en musique et en images de Ron Fricke.
Œuvre universelle, difficile d'en faire une critique tant ce film touchera différemment la perception de chacun sur le monde dans lequel nous vivons. Une éclipse dans le ciel, l'immensité et la beauté de l'Himalaya, un singe qui se réchauffe dans l’eau, les cultes religieux des hommes, à la fois si différents mais si proches, des regards fixes d’hommes et de femmes mutiques confrontés à une caméra étrangère, des cérémonies de tribus qui communient spirituellement, une virée parmi les étoiles, des événements miraculeusement filmés, les beautés et les horreurs de ce monde, le miroir de l'homme et sa place, minuscule face à la terre, mais qui tel un parasite, la consume comme un cancer, malgré toute la beauté qu'il a quand même pu lui apporter. Complètement calqué sur le concept des Qatsi de Godfrey Reggio, mais au message plus universel, plus humain, sur l'homme, ses croyances et sa place, contrairement à la trilogie Quatsi (Koyaanisqatsi, Powaqqatsi, et Naqoyqatsi) qui bien qu'ils soient très proches, portent un regard pessimiste sur l’avancée de la technologie sur la nature et l'homme. Baraka est sorti en 1992 où il a su imposer ses sublimes images de documentaire sans mots, comme Koyanisqatsi avait réussi à le faire en 1983. Le cinéaste, Ron Fricke, qui avait déjà travaillé comme directeur de la photo sur les deux premiers chapitres de la trilogie Qatsi de Reggio, se refusant de faire une énième production Imax, monta un projet exceptionnel mêlant les paysages grandioses à des instants de vie humaine, frénétiques et émouvants. Le cinéaste est par ailleurs en train d’achever son dernier ouvrage, Samsara, suite indirecte de Baraka où il sera question de naissance, de mort et de renaissance.
En Sufi, Baraka signifie «souffle de vie». Difficile de trouver un titre plus noble pour définir cette sublime succession d’images qui subjuguent le regard et aiguisent les sens. Animé par une puissance tellurique, ce film majeur ne dure qu’une heure trente et pourrait durer une éternité tant il regorge de richesses, de couleurs, de visages et de beautés, toutes glanées sur cinq continents. Bien que le film fête bientôt ses 20 ans, il est toujours le reflet d'une société qui est toujours la nôtre, et le miroir du siècle passé. Un trip unique, étrange, pénétrant, sensuel et poignant. L’état de grâce en cinéma existe. Surtout lorsqu’il prend la forme d'un opéra cosmogonique où l'hymne à la nature et l'obsession pour une harmonie perdue règne en toute placidité. Une seule vision du Baraka, de Ron Fricke suffit pour marquer et amener à penser qu’il est possible d’atteindre une dimension métaphysique et méditative. Il appartient à ces miracles, vertigineux et rares, qui procurent cette sensation apaisante de danser avec les anges. Le documentariste virtuose est parti à la recherche des plus belles choses visibles en Tanzanie, en Inde, en Chine, au Brésil, au Japon, au Koweït, au Cambodge, au Népal, dans les cieux, autour de nous et ailleurs.
Malheureusement, comme dans tout équilibre, il y a le Ying, et le Yang, la beauté du monde laisse sa place à sa misère. Lorsque Fricke nous montrent les "slumdogs" qui farfouillent dans les décharges indiennes, les hommes des villes entassés dans des HLM comme des animaux en batterie, ils nous ramène brutalement à la réalité et nous montre tout en étant impartial les inégalités entre les pays développés et ceux du tiers-monde. De la même façon qu’il n’élude pas les différents génocides, juif ou cambodgien, et n’hésite pas à procurer un malaise réel lorsqu’il s’agit de sonder l'abyme que nous avons nous-même à créer au fil du temps. Les images, toutes tirées du quotidien, rendent compte de cette ambivalence en célébrant le monde dans sa douce horreur et sa choquante beauté. Ainsi que les liens entre l'homme et la nature qui nous unissent tous. Simplicité, émerveillement, universalité, trois mots qui suffisent à décrire ce chef d'œuvre.
Mais pourquoi diable est-ce que je vous parle de ce film? Pour bénéficier de toute sa magie, il aurait fallu le voir son format d'origine, en Imax (à savoir un écran géant de 22m sur 16 avec une pellicule en 70mm), ou simplement au cinéma. Une oeuvre qui, tel le meilleur des vins, perdrait de sa saveur en VHS, DVD ou Divx, subissant la dure loi de la compression d'image. En effet, le film a été scanné en 8K dans les laboratoires de FotoKem Labs, un des seuls au monde à posséder une machine capable d'une telle opération. Une restauration à une telle résolution peut sembler fortuite, puisqu'un Blu-Ray ne permet de s'approcher que d'une résolution 2K, mais n'est pourtant pas innocente et apporte ses bénéfices. A l'instar des transferts DVD réalisés à partir de masters haute définition, celui d'un Blu-Ray réalisé à partir d'une source 8K permet d'obtenir une fidélité accrue des détails de l'image et une fluidité beaucoup plus naturelle. Le résultat est tout simplement à tomber à la renverse, le 70mm choisi par le réalisateur se retrouve transcendé, avec un niveau de détail jamais vu, une profondeur de champ à donner le vertige dans les plans aériens. Mais plus important encore, ce niveau de détail permet de retranscrire toute l'âme du film en lui-même. Voir des images de qualité photographique s'animer, c'est tout simplement la sensation que cela procure, comme si l'écran était une fenêtre sur le monde et ce film justifie à lui seul un investissement dans cette technologie, pour tous les amoureux d'images et de cinéma.
Le film est intégralement disponible en HD sur YouTube si l'on cherche un peu, malheureusement entrecoupés en tranches de 15 minutes. Alors profitez-en, éteignez les lumières, mettez-vous en plein écran 1080p et bon voyage.