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15 févr. 2011

TANKINO : BLACK SWAN

Illustration: vitfait
S'il ne fallait trouver qu’un mot pour définir Black Swan, dernier film de Darren Aronofsky, ce serait sans doute le terme éprouvant. En effet, Black Swan est avant tout une expérience sensorielle à vivre, une caractéristique subjective certes, mais finalement assez rare de nos jours. Un film magistral, viscéral, terrifiant et brillant.

Darren Aranofksy est un cinéaste qu’on pourrait qualifier d’ovni dans le paysage hollywoodien, proposant toujours ses propres visions, sans jamais vendre son âme aux grands studios qui dominent l’industrie (bien que cela s'apprête à changer vu qu’il se verra prendre les reines du prochain Wolverine qui fera le bonheur du geek que je suis). Avec un début de carrière réussi mais un peu inégal : Pi, un premier film brillant mais oubliable, un second Requiem For A Dream ambitieux mais trop démonstratif, puis The Fountain, un bijou pour ma part, qui divise par son côté ésotérique et qui fut réalisé avec brio malgré un budget réduit de moité, puis, un quatrième film, The Wrestler, rompant totalement avec le reste, drame sociale et intimiste, embellit par la magnifique performance de Mickey Rourke. Darren Aronofsky se devait de rassembler avec sa nouvelle œuvre ses fans cinéphiles de la première heure et le public académique ayant apprécié l'expérience The Wrestler. Ce défi, il le remporte haut la main, que ce soit sur le fond ou sur la forme, et propose ainsi à son public ce qui est sans aucun doute son meilleur film, dépassant largement l'ambitieux The Fountain et le touchant The Wrestler. Darren Aronofsky envoûte dès les premières secondes de son Black Swan, immergé dans un noir rugueux, la caméra poursuit au plus près un cygne blanc sous projecteur dans un ballet effréné. La sublime musique de Tchaïkovski remixé avec soin par Clint Mansell nous introduit un lac des cygnes revisité, déshabillé, un show d’excellence viscéral et réel. Se basant sur les codes des contes de fée bien que nous somme plus proche d’Edgar Poe et des Frères Grimm, en les pervertissant à l’extrême, rite de passage, parcours initiatique, mère castratrice, doppelganger, transfiguration, pureté et virginité, Black Swan est une boîte à musique où une petite ballerine n'en finit pas de tourner en rond au milieu des miroirs sur une comptine angoissante. Ces symboliques enfantines paraîtront comme de grosses ficelles d’un scénario qui somme toute pourrait paraître grossier pour ses détracteurs.


Mais Black Swan, c'est avant tout une performance. Celle de Natalie Portman qui trouve, sans aucun doute possible, son meilleur rôle à ce jour et qui nous offre là ce qui restera peut être comme le rôle de sa vie. Car bien que les seconds rôles soient extrêmement bons (Vincent Cassel et surtout Barbara Hershey), c'est avant tout le cygne blanc qui domine le film de sa superbe. Passant du visage angélique à celui de terrifié, passant des larmes inconsolables à la fureur meurtrière inévitable, Natalie Portman prouve une bonne fois pour toute qu'elle est bien l'une, sinon la meilleure actrice de sa génération, une chose que tout les prix du monde ne sauraient récompenser à sa juste valeur. Il faut dire aussi qu'avec un tel scénario, l'actrice portait véritablement le succès du film sur ses épaules. Car Black Swan est, comme l'était The Wrestler, le portrait intimiste, physique et psychologique d'une personne parmi tant d'autres, un film donc totalement subjectif, où le spectateur est contraint de limiter sa vision à celle du personnage principal. Quand on regarde Black Swan, on pense forcément au Perfect Blue de Satoshi Kon, au mythe du fantôme de l'opéra, à Alfred Hitchcock, à William Friedkin, à Roman Polanski et l'œuvre de Tchaïkovski bien entendu, autant de références jamais utilisées dans l'excès qui rendent le film intéressant, unique et profond. Il est étonnant de se rendre compte à quel point Black Swan, en terme de mise en scène, s'inscrit parfaitement dans un déroulement logique de continuité dans la filmographie d'Aronofsky, qui propose là un subtil mélange entre The Fountain (pour les plans au cadre très travaillé) et The Wrestler (pour la caméra épaule, la pellicule granuleuse et l'utilisation du plan-séquence). Du coup, dès la première scène, on se retrouve spectateur d'un spectacle saisissant: celui d'une danse filmée en steady-cam où la chorégraphie se trouve, à la grande surprise de tous, magnifiée par cette caméra qui se rapproche des danseurs tout en tournoyant autour d'eux, scène qui ne fait qu'écho à quelque chose de bien plus puissant : le final du film qui trouve une apothéose puissante avec la naissance du cygne noir et de sa métamorphose.


Avec Black Swan, nul doute que Darren Aronofsky signe là une œuvre majeure, que ce soit pour sa propre carrière ou pour le cinéma américain du 21ème siècle. Expérience sensorielle intense, véritable chant d'amour à l'art et pamphlet sur les démons intérieurs de l'être humain, Black Swan est un film complexe, poétique et effrayant sur la notion d'artiste, ses motivations et finalement sa recherche interminable de la perfection. Cet équilibre trouvé entre une multitude de tons permet d’exposer un corps qui souffre lors de la création pointilleuse d’un spectacle à la manière de The Westler, Aronofsky colle intimement le dos son héroïne afin de la suivre dans les méandres de sa psyché. Un jeu de miroirs et d’oppositions signant l’aboutissement formel de son auteur, Aronofsky clone son sujet d’une mère obsessive regrettant ses choix passés à un Winona Rider en star déchu fantomatique en passant par Mila Kunis, véritable aimant noir sexy et impulsif. Des doubles poussant Nina dans ses retranchements, autant de déclinaisons de son propre soi auxquelles elle tente désespérément d’échapper.


Un ballet granuleux et charnel sans cesse en mouvement envoûté par une bande son magistrale, porté par le regard intense de Nathalie Portman qui trouve son plus grand rôle. Black Swan adopte la structure majestueuse de son opéra, cette œuvre classique phare est transportée dans un New-York contemporain, dont le récit est celui d’un ange vierge piégé dans le corps d’un cygne blanc désirant la liberté mais dont seul le véritable amour, sous la forme d’un prince pourra briser le sortilège. Récit qui deviendra tragédie quand survient le jumeau maléfique: le cygne noir. Aucune surprise à l’horizon, tout est annoncé. Pourtant, Aronofsky rend captivant un monde rigide en traversant différent genres cinématographiques, un film mutant oscillant entre l'horreur, le fantastique, le drame psychologique, l'épanouissement corporel et l'aboutissement de soi à travers l'art.

“I felt it. I was perfect.”