Illustration: Giom |
La plupart des fans de Wild Beasts ont pris l'affaire en marche, alors que le quatuor britannique sortait son deuxième album, le fameux TWO DANCERS. Le groupe est des plus discrets et, pourtant, il pourrait vraiment parader. Avec SMOTHER, Wild Beasts allonge son collier de perles et autres pactoles, avec dix morceaux à la cohésion renversante. En mars, Think Tank avait lancé un coup de fil à Benny Little, guitariste émérite entre autres qualités. Extraits.
"Désolé, je n'entends pas très bien, je sors d'une séance de répétition avec le band et il y a du bruit à Londres. En plus il pleut, tu vois…". Co–fondateur du groupe, Benny Little possède ce flegme si britton. Il faut s'y faire, ainsi qu'à cet accent hors–norme, aussi rapide qu'un citoyen de la Capitale et couplé à un natif de Kendal. Wild Beasts répond de ce certain exotisme: groupe singulier, qui dure (formé en 2002 sur les bancs d'école) et qui produit vivement depuis son premier fait d'arme, LIMBO PANTO en 2008. Trois album en moins de trois ans, même pas peur: "nous avons fait une longue tournée consécutive à TWO DANCERS, entre 2009 et 2010. SMOTHER aurait pu sortir l'an passé déjà si nous avions pu rejoindre le studio plus rapidement. Et puis, tu passes d'une folie de la tournée au calme du break, il a fallu être efficient et pro actif, ne pas se laisser tomber dans cette routine tournée–break. Au final, on s'en fichait des conseils qu'on nous donnait". Avant l'arrivée en 2005 de Tom Flemming en tant que batteur, le groupe s'appelait alors Fauve. Si le nouveau nom reste bestial, il a pris des allures acérées: "cette référence au mouvement artistique a fini par nous lasser avec le temps. Surtout, Fauve n'était pas aussi cool que Wild Beasts. C'est anglais, lyrique, punchy, spontané et triste en même temps". Il est vrai que Wild Beasts serait un nom tout trouvé à un groupe maniant la violence directe, cheveux longs et grosses bottines. "C'est clair, on n'est pas si sauvages si tu prends la signification première du nom. Mais il y a un rapport d'affection, surprenant aussi". Dans "Bêtes sauvages", il faut y voir une toute autre violence: celle du courage, introvertie, cette recherche du beau, l'audace, et les intentions mélodiques revendiquées.
Alors, forcément, on ne pouvait éviter le rapprochement avec The Smiths. Avec sa voix haut perchée, rivalisant de falsettos et autres lyrismes luxuriants, Hayden Thorpe n'a pas son pareil dans le monde de la pop, hormis peut–être le fou furieux Spencer Krug, leader génial de Wolf Parade et Sunset Rubdown. Se revendiquer de Steven Morrissey, maître artificier des Smiths, ne se fait pas à la légère, cela se mérite et peut radicalement changer votre destin. "En Angleterre, The Smiths représentent bien plus qu'une influence. C'est un point de départ. Un peu comme Radiohead. Ces groupes ont indiqué la voie à suivre, celle d'une écriture exigeante, de compositions surprenantes et de mélodies éclatantes. Blur est aussi un exemple à suivre, d'autant plus qu'ils sont très drôles. Je les ai toujours adorés". On y vient: Wild Beasts est un groupe à qui on pourrait lancer des fleurs à défauts d'offrandes païennes, un groupe qui devrait déjà figurer sur le trône d'Angleterre si le cruel destin réservé à cette pop intrépide ne reproduisait pas son éternel schéma, celui d'un culte voué par une petite frange d'initiés. Il s'agit ici d'un constat, non d'épate; une plus large diffusion serait profitable à l'ensemble de la population surtout depuis que undeground (relatif) et mainstream s'entrecroisent (lire notre article à ce propos). Nous méritons tous mieux qu'une Lady Gaga alors que l'on cache tous ces trésors émérites.
"Nous avons adoré enregistrer ce nouvel album, sans sentiment de dur labeur. On y a mis beaucoup de chaleur et de bonnes énergies. A l'époque de TWO DANCERS en 2009, nous ne savions pas encore trop où nous allions. Cette fois–ci, la difficulté était de se dégager de cette pression inhérente aux bonnes critiques du dernier album. Je crois qu'on a réussi, enfin, on n'est pas encore sorti de la machine. Ah, tu me dis que tu l'as écouté vingt fois déjà, alors qu'il ne sort que dans deux mois? Me voilà rassuré, ça ne doit pas être si mauvais que ça (rires). Tu sais, c'est toujours difficile de réécouter ses propres albums a posteriori". Nous avions effectivement bien préparé l'interview, comme il se doit quand on a affaire un un gros calibre. Seulement, SMOTHER a mis du temps à se révéler, alors que son grand–frère TWO DANCERS était vachement plus direct, rempli de tubes immédiats à l'instar de "We Still Got The Taste Dancin' on Our Tongues" ou "All The Kings Men", avec quelques petites baisses de régime ("When I'm Sleepy" ou "Underbelly"), à la limite du hors–champ de l'album. SMOTHER gagne en densité, en profondeur et en finesse. Notre patience n'eut d'égal que notre ravissement au final. Little et Thorpe gardent leur art de l'ouverture, avec "Lion's Share en échos à "The Fun Powder Plot" (précédent LP), les chordes vocales plus que préservées, renforcées. Un petit peu de piano aussi, c'est nouveau. On pense à Editors: Wild Beasts vole au–dessus de la masse New–Wave pour se rapprocher d'un Echo and The Bunnymen moderne, à l'heures des rythmes digitaux. L'électronique est elle sous–jacente, il suffit d'écouter ce sample de fin de titre ouvrant sur "Bed of Nails", morceau brave et luxuriant, valsant sur fond d'arpèges et de rythmes tribaux en second plateau.
Tom Fleming (basse) prend lui aussi la parole, comme d'habitude, en dompteur de Thorpe l'extatique, notamment sur le très raffiné "Deeper". "Loop The Loop" vaque dans le même environnement, intime, presque angélique. "Plaything" en appelle aux productions récentes de James Blake. "Si nous sommes avant tout des musiciens, nous considérons l'apport de l'électronique avec beaucoup d'attention. C'est une nouvelle expérience dans notre laboratoire. Mélanger percussions digitales et vrai batteur: en voilà une nouvelle piste pour nous. Malgré tout, nous resterons toujours un vrai groupe, un 4–piece". Et de poursuivre: "James Blake est devenu un artiste majeur, il joue une musique de machine avec une rare candeur". Plus classique, "Albatross" est le premier single de l'album, parfait morceau introductif même si un peu trop prévisible. On lui préférera "Reach a Bit Further", tortueux, chanté à quatre voix, aux multiples textures, réunissant cette douce froideur à la XX et la croisière mélancolique de Beach House, autres groupes majeurs d'une pop alternative. Finir sur "End Come Too Soon" et envisager un final royal sur scène: voilà un bel épilogue sous forme d'espoirs, alors que leur passage à Lausanne en 2009 nous avait laissé sur notre faim. Trop tôt? Avec SMOTHER, le quatuor est prêt pour l'épreuve du live, les morceaux en suffisance, comme des joyeuses munitions, bariolées, à la trajectoire imprévisible. " Nous n'avons jamais voulu être ces quatre types blancs jouant encore et toujours de la guitare. Nous aimerions être ce genre de groupe qui ne devrait pas exister". En précisant particulièrement apprécier le travail de Talk Talk, leur métamorphose graduelle, leur vista imprévisible. Benny Little le concède: il est possible de détester Wild Beasts comme nos ancêtres ont pu haïr Talk Talk. Il est toutefois fort probable que le groupe ne cessent de gagner des intentions de vote, avec un nouveau chapitre trépidant à son carnet de voyage.