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15 sept. 2011

A mort la World Music : l’Inde au pouvoir

Photo: Matthieu Lavanchy
Deuxième volet de notre exploration anti-folklorique de la musique non-occidentale, après l’évidence de la présence africaine dans la modernité culturelle, cette fois on se penche sur le cas beaucoup moins prosélyte de la culture indienne.

Il paraît que la fin de l’hégémonie américaine, c’est pour bientôt et que ce seront les BRIC (Brésil, Russie, Inde, Chine et Afrique du Sud) qui donneront désormais le la au niveau mondial. Je dis pourquoi pas ! Il n’y a pas un été où je ne me languisse devant une chanson brésilienne (cette année c’était "Nao Identificado" de Gal Costa), les DJs russes dépotent sur leur passage (ils en ont donné la preuve lors du dernier Sonar), en Afrique de Sud, les BPM atteignent des rythmes déments (par exemple le Shangaan Electro des Tshetsha Boys ou de Zinja Hlungwani) et la Chine... Bon la vérité c'est que j'ai trouvé que ça. Du côté de l’Inde et de ses différentes populations, j’avais déjà parlé (ici) de la génialité de la musique tamoule, où Giorgio Moroder est égalé, tant en ce qui concerne la musique que la moustache. Malheureusement, depuis, peu de choses me sont parvenues du continent indien et je me contente de rêvasser sur des albums de vieux films de bollywood comme Disco Dancer. Et tiens tiens, tiens une des premières stars originaires du Tiers-Monde vient de ce continent. Je pense ici à M.I.A., qui, malgré les reproches qu’on peut lui faire, reste une des personnes du gratin musical les plus intéressantes. Qui d’autre continue à soutenir un mouvement considéré comme terroriste (les tigres de libération de l’Elan Tamoul) ? Qui d’autre a donné une leçon de swag à Lil Wayne, Kanye West et Jay Z en chantant enceinte lors des Grammy Awards ? Surtout M.I.A., je le dis et le répète, c’est deux albums parmi les plus réussis et les plus intelligents des années 2000, Arular et surtout Kala.


Les échos de ce pays sur le point de nous gouverner tous, au point de nous faire pisser assis, se font entendre également chez des musiciens curieux ou conscients de leur nécessaire adaptation, c’est selon. A chaque fois, on perçoit le potentiel provenant des particularités de cette langue, qui sonne à la fois hyper fluide et forte de syllabes découpées. Son sample accentue encore ces données pour obtenir une matière sonore à la sauce relevée mais douce, quelque chose comme une spiritualité hystérique. Dans cette dernière catégorie, "Benny Lava" de Ryan Hemsworth met la gomme. Dès l’intro, t’as envie de balancer ton ordinateur par terre pour sauter sur la table et y danser frénétiquement. Toute la chanson tape fort avec des beats pas trop réfléchis. Quand viennent les voix féminines, il est bien possible que tes voisins aient déjà appelé la police. Dans un registre plus savant, Kuxxan Suum fait du travail sur la voix, le centre même de la chanson et emporte l’auditeur dans une ronde méditative et dansante, surtout quand l’omniprésent son dubstep fait son apparition en fin de boucle. Avant de sortir son acclamé Lucky Shiner, Gold Panda avait déjà gratifié nos oreilles d’un titre, qui reste selon moi un de ses meilleurs : "Quitters Raga". Ici on assiste à un exercice stylistique, une sorte de pastiche musical, reprise des différents éléments caractéristiques d’un genre musical, art dans lequel le DJ anglais assure pas mal. Pour s’en persuader, il suffit d’aller écouter son "Greek Style". Comme son nom l’indique, "Quitters Raga" joue tout en finesse avec les différents éléments de la musique indienne, que ce soient des instruments comme la cithare ou des voix, qui se retrouvent hachés menu à un rythme qui part droit vers l’extase. Le terme "Raga" désigne d’ailleurs un type de mélodie de la musique indienne classique, dont le sens est associé au déroulement du jour ou des saisons, mais aussi à la quadrilogie super de la passion, de l’amour, du désir et du plaisir. Avant Gold Panda et déjà en 1983, il existe un disque passionnant où raga et musique électronique sont mêlés, ça s’appelle "Ten Ragas to a Disco Beat", c’est signé par Charanjit Singh, ça date de 1982 et c’est ressorti l’an dernier en vinyle chez Bombay Connection. Le musicien en question utilise des instruments plus habitués à la catégorie acid house pour jouer des mélodies Raga. Le résultat consiste en dix chansons bizarres et futuristes, où les vieux sages seraient d’anciens ordinateurs faisant claquer leur clavier et dont les mélodies charmeraient leurs câbles au point de les voir onduler dans les airs.


Je déborde un peu et fait fi des frontières pour passer au Moyen-Orient. Now Again sort une compilation de Kourosh Yagmei au titre très séducteur de BACK FROM THE BRINK : PRE-REVOLUTION PSYCHEDELIC ROCK FROM IRAN. Ce chanteur, qui mélangea musique occidentale d’un côté et irano-persane de l’autre, fut tenu au silence par le pouvoir dans les années 80 et 90. Si la compilation sur deux disques peut finir par lasser, elle affirme une nouvelle fois, après la magnifique compilation sortie chez Finderkeeper, la puissance mélodique de la musique persane, avec un titre comme "Gole Yakh" à fondre en larmes. Et c’est finalement cette incroyable mélancolie que l’on retiendra, plutôt que les titres s’essayant aux expérimentations et aux sonorités plus marquées du côté occidental. Au rayon concert, ce jeudi 15 septembre, le Bad Bonn de Düdingen peut se targuer de la venue de la star la plus cool d’un pays en pleine révolution : Omar Souleyman. Distribué par les très avisés Sublime Frequencies, le déplacement s’impose pour voir si le moustachu aux lunettes assure aussi en dehors des fêtes syriennes.