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19 oct. 2011

MUSIKUNTERSTADL: Dans la Tente & Peter Kernel

Photo: Julien Gremaud

Think Tank soutient la scène locale et helvétique et ressort le projet personnel de son chef de rubrique pour cette cause. Musikunderstadl: la musique sous l'étable, preuve que l'on peut être suisse, indépendant et surtout intéressant en musique. A l'honneur pour débuter, du bourbine et du tessinois, avec Dans la Tente et Peter Kernel. D'ores et déjà passionnants.

Vous souvenez–vous des années 80 en Suisse, la ARF de Zurich (Groupe d'Action Rote Fabrik), les révoltes dans les principales villes alémaniques durant quasiment une décennie, et même à Lausanne (Lôzane Bouge)? Vous souvenez–vous qu'à Genève, bien avant Artamis, il y avait un terreau alternatif impressionnant? Vous souvenez–vous d'une époque où la Suisse avait les crocs et s'exportait culturellement encore (Yello, Fischli&Weiss, Grauzone, Celtic Frost, John Armleder, Young Gods, Roman Signer ou encore Tinguely), avant de songer à importer (Art Basel, Montreux Jazz Festival et compagnie)? Non bien évidemment, seuls les magazines nous décrivent cette période où la culture n'était pas mise en boîte ou en sachet. C'est un paradoxe aujourd'hui: alors que Beyeler marche du tonnerre, que le Paléo Festival pète la baraque, que Pro Helvetia est plus présente que jamais et que les nombreux concours fédéraux ont un succès qui se renforce d'année en année, il devient de plus en plus difficile de s'extraire non seulement de la meute mais de s'exporter. On ne choquera personne en déclarant qu'il n'y a jamais eu autant d'artistes, terme hybrides comprenant les vrais et les autres,toute la masse de producteurs culturels. A l'avenir, nous essayerons de rapprocher nos divers préoccupations des activités helvétiques: notre pays est hyperactif culturellement, et pourtant son champ d'action ne franchit que rarement ses frontières. Musikunterstandl ne demande pas la pitié et ne marginalise pas les artistes suisses mais, au contraire, les met en valeur en leur donnant une rubrique bien méritée. Il est l'heure de se secouer messieurs et mesdames les grands trésoriers culturels et programmateurs de festivals. Il est temps de dépoussiérer vos programmations et inventaires: au lieu d'un Deep Purple, pourquoi pas un Honey for Petzi? Et, aussi, en passant: on se passera volontiers des Rambling Wheels. Voilà, parenthèse fermée. On attaque?


De Lucerne, Dans la Tente pourrait représenter "le futur avec leurs jolis clins d'œil au passé". Nous le prédisions en janvier 2011, lorsqu'était sortit un vinyle deux titres ainsi que son clip rappelant l'émission So it Goes de Granada TV. Bien que dans la lignée du EP de 2009 KNIGHTS, "As Long As The Heart Keeps Beating" présentait un groupe toujours aussi leste mais moins jovial. Beaucoup moins jovial. A commencer par les titres des morceaux. Et de l'album pour cette année 2011: DID WE LIKE IT SO FAR OR HAVE WE JUST PERSEVERED? en guise de référence à la situation décrite en introduction de cet article, allez savoir… On peut être bon, signer de splendides titres et vendre peu. Ou pas du tout. En fait, tout le contraire du marché actuel, suivant la donne établie des années 80, et, de fait, la fameuse fracture grand public et indépendant: vendre en faisant du rock, ce n'est plus troquer son âme au diable, non mais bien pire, c'est arriver à en perdre son éthique. Raccourci oblige: on choisit une voie parallèle: celle de la dèche contre intégrité artistique. Donc, reprenons, Dans la Tente fait partie de ces groupes qui ne vendent que très peu mais qui, heureusement, jouissent d'une certaine renommée et de bonnes critiques. Ainsi, cet album (signé chez Goldon Records) concrétise leurs premiers pas remarqués. Et amène le quatuor vers une envergure conséquente: comme une métaphore de la bonne santé de la musique suisse, c'est un au revoir à ces années 80 tant décisives sur tous les plans. "Plus profond, plus chalereux" était la devise du groupe avant d'enregistrer ce 9-titres. Plus personnel aussi. En ouverture, "Ritual" ne dément pas nos propos avec des prétentions de grands garçons, eux qui semblaient à l'étroit dans leur chambre d'ados, période KNIGHTS. Ainsi, de suite, "Nothing But Leaving", s'impose comme un véritable hymne ténébreux pour Dans la Tente, à la grandeur pastorale et aux arrangements subtils. Du rock d'adulte, dorénavant. Ambitieux sans être maniéré ni pédant. On pense parfois à Wilco pour cette quête des grands espaces, mais aussi aux Talking Heads pour la belle rythmique (le très réussi "Between Me and Tomorrow" ou à la grâce mélancolique des Smiths époque fin de règne ("Drunken Heart", magnifique). Et puis, en fin d'album, on oscille entre l'allégresse sobre ("Decayed") ou sereine ("Aquanaut"). Dans la Tente signe un album remarquable et foutrement produit. Puissent leurs prétentions passer l'épreuve de la scène (on n'a encore jamais été convaincu) et, effectivement, ils seront vus comme le groupe du futur en Suisse.


Le Tessin ensuite. Quoi? Sisi. Peter Kernel sonne sec et tutoie notre vertige. Parmi les groupes remarqués cet été, le trio n'est pas le plus maladroit. "Anthem of Hearts" en impose mais brouille les pistes: du "rock primaire" comme ils l'avouent, pour mieux contrer nos attentes, finissant en chœur étourdissant. Barbara Lehnhoff d'abord, en ouverture, puis Aris Bassetti sur "I'll Die Rich at Your Funeral" au chant, et ainsi de suite. La fille a du Slits et du Pixies dans les chordes, le gars du Spencer Krug (meneur de Wolf Parade notamment, qui a récemment invité Peter Kernel en tournée). Bon signe. Autre particularité: le groupe a signé WITH DEATH & BLACK HEART sur le label français – très ouvert à l'international – African Tapes (pour preuve: Extra Life, Honey for Petzi ou Aucan). Avec ce deuxième album, le trio a su trouver le bon compromis entre violence sourde et accessibilité, rappelant dans ce brio, forcément, les mythiques Sonic Youth. Après, on n'annonce pas que Peter Kernel va en vendre des tonnes, non. Toutefois, ces douze morceaux en mettent plein la vue, avec la tête. Ils auraient pu faire du Blood Red Shoes, ils se placent du côté du bal des vaincus et irréductibles d'un style trop souvent bafoué. "It's hard to be Tessiner..." relevait notre ami Christophe Schenck dans sa chronique sur Peter Kernel. Outsiders d'un pays lui–même outsider sur la scène musicale: et si la force vive se trouvait, avec les luzernois de Dans la Tente, dans ce trio a priori éloigné de tout réseau suisse–allemand du showbiz? Le mois prochain, nous aborderons la sortie d'album simultanée de deux groupes en "The" de la région orientale du Léman: The Mondrians et The Awkwards. 


Dans la Tente joue prochainement à l'Amalgame d'Yverdon (mardi 25 octobre).
Peter Kernel sera au Romandie de Lausanne le 26 novembre.