Illustration : Pierre Girardin |
En attendant les grosses sorties de la rentrée (Tintin, The Artist ou le dernier Cronenberg), arrêtons-nous sur quelques films plus discrets. Nani Moretti nous présente un pape en quête de foi tandis que les rimes de Baudelaire et les accords de Lee Moses résonnent dans une maison close parisienne du XIXe siècle. En conclusion, la très attendue comédie des réalisateurs Ficarra-Requa qui avaient fait une bonne impression avec leur premier film I Love You Philipp Morris.
Le dernier film du réalisateur-acteur Nanni Moretti met en scène un pape qui vient de se faire élire par les cardinaux du monde entier au Vatican à Rome. Avant de se présenter au peuple sur la place St-Pierre, une crise d'angoisse lui tombe dessus et le future pape fait marche arrière. Cette situation unique et inattendue rassemble les cardinaux qui ne voient aucune autre solution que d’appeler un psychiatre réputé de Rome afin de reconduire le pape dans le droit chemin. Le travail du psy sera difficile et met tout le Vatican en émoi, puisque le peuple et le monde catholique attendent toujours de voir qui sera le nouveau représentant de Dieu sur terre. Le film joue donc pendant une heure et demie sur cette situation embarrassante. Lorsque le psy demande à rentrer chez lui le soir après avoir eut une première discussion avec le pape, voit sa demande réfutée : toute personne sachant qui est le nouveau pape n’a droit à aucun contact avec le monde extérieur. C’est donc une suite de scènes humoristiques et légères qui vont voir successivement les cardinaux jouer aux cartes ou participer à un tournoi de volley ball organisé par le psychiatre. Nanni Moretti, qui incarne le médecin, va donc en quelque sorte changer de costume, laissant celui du psychiatre académique au profit d’un organisateur de loisirs, d’un coach sportif qui demande à ses joueurs de jouer tous les coups à fond lors de parties de volley ball, et ce malgré leur soutane.
Nanni Moretti réalise donc ici une œuvre pleine, intelligente et dont la mise en scène esthétique et douce englobe parfaitement les différents genres du film : le drame, la comédie et le cinéma d'auteur. Malgré quelques petites longueurs, les points forts du film sont le choix des acteurs. Michel Piccoli qui joue le rôle du pape tient peut-être ici son rôle ultime : son phrasé italien, sa présence imposante et paradoxalement réconfortante, ses gestes et son visage enjolivent la pellicule et nous montre un pape humaniste et apeuré du monde qu’il va devoir aider. Nanni Moretti, en parfait opposé, personnage extraverti, bavard et qui ne cesse de parler de son ex-femme, fait rire et sourire – comme si sa présence derrière la caméra n’était pas suffisante, tant le charme et la qualité de son jeu d’acteur lui demandent de passer devant l’objectif. Tous les autres archevêques, prêtres et cardinaux, sont joués par des comédiens inconnus (sûrement issus du théâtre) et qui forment un tout cohérent et parfait – une comedia dell'arte moderne. Pour finir, ajoutons que si le film en entier est plaisant et réussi, la première demi-heure est tout simplement magistrale. Le générique qui présente la "montée des marches" des archevêques vers le conseil, l'échec des journalistes de leur poser des questions, la scène du conseil, la nomination, la scène dans le noir, ces différentes séquences valent à elles seules le déplacement. La langue italienne vous fera ensuite rester.
Habemus Papam de Nanni Moretti, Italie, 2011 (4/5)
L'Apollonide : vrai huis-clos raté
La France souffre et son cinéma avec. La bande-annonce de L'Apollonide était pourtant une merveille (chanson de Lee Moses à plein tube, travelling lent et kubrickien découvrant de magnifiques prostituées de la fin du XIXe siècle, corps en monstration, lenteur envoutante, décors feutrés) et on attendait quelque chose de ce film déjà présenté en mai à Cannes. Si l'ennui commence dès les premières minutes, il est rattrapé au bout d'un quart d'heure par un scénario qui semble enfin prendre place et mettre de côté une suite de plans voyeurs qui commençaient à être pénible. Le film semble donc (enfin) démarrer vers la vingtième minute avec l'arrivée d'une jeune fille de 16 ans qui désire travailler dans l'Apollonide, maison close réputée du tout Paris de la fin du XIXe siècle. Une fille et collègue va lui apprendre le métier, lui donner des conseils et des avertissements sur comment recevoir un client, s'occuper de lui, se laver et s'entretenir. Le problème du film est son (manque de) scénario. Alors qu'en France on essaye souvent de trop le travailler et de le compliquer inutilement, ici il est absent. Et ce qui pourrait être sa force en est doublement sa faiblesse. On comprend ce qu'a voulu montrer Bertrand Bonello : la vie, rien que ça, dans une maison close à l'aube du XXe siècle en dissimulant la caméra, à la manière d'un voyeur, entre les rideaux, derrière les meubles ou caché derrière une vitre. En découle une tentative de recréer les poèmes baudelairiens à l'écran. Mais Baudelaire, bien que classique parnassien, ne serait pas tombé dans cette monotonie mielleuse et le goût de la surprise et de la transfiguration est imperceptible dans le film de Bonello. Malgré de beaux costumes et une volonté de garder le spectateur enfermé dans cette maison travaillant ainsi l'esprit glauque et intéressant du huis-clos (rares sont les fois où nous sortons de la maison), le film se perd dans un abrutissement de nœuds poussiéreux et indigestes. Et du coup, qu'est-ce qu'on s'emmerde… Aucune scène ne vient casser le non-rythme imposé par Bonello, qui espère à des moments jouer au jeu des masques (Eyes Wide Shut en filigrane, en complètement raté) ou celui de la perversité (mieux vaut revoir Last Tango in Paris) en utilisant une ambiance faussement baudelairienne (La Chevelure est si loin). L'idée de placer ce film à une époque où le modernisme voit ses premières lueurs éclater était intéressante, mais ce concept n'est pas assez exploitée, sauf dans les toutes dernières minutes du long-métrage. Il n'est cependant pas possible de considérer L'Apollonide comme une daube sans non, car le dernier plan du film est une jolie et fine manœuvre et la BO est excellente.
L'Apollonide de Bertrant Bonello, France, 2011 (2/5)
Attendu au tournant : Crazy Stupid Love
N’a de crazy que son nom, la soi-disante meilleure comédie romantique de l'année (proclamée par plusieurs critiques) part d'une idée somme toute déjà vue et revue : un couple qui se sépare, le mari étant devenu routinier et sans surprise. Cal Weaver (XXX), le mari, traîne alors dans les bars et fait la rencontre de Jacob (Ryan Gosling) qui va lui promettre de faire en sorte que la femme qui l'a quittée regrette son choix. Jacob va donc faire de Cal un homme à femmes. Autour de cette histoire principale, se trouve plusieurs petites romances secondaires : celle du fils, celle de la baby-sitter, celle d'une future avocate, celle de la femme de Cal. Ces diverses petites histoires sonnent bien et le film joue parfois sur la réflexivité quand Jacob réussit enfin à ramener chez lui une femme qu'il pense réussir à aimer vraiment et qui n'étant pas habituée à ce genre de situation, demande à Jacob quel est le scénario adéquat pour ce type de scène. Au-delà de quelques répliques rigolotes et d'un casting cinq étoiles (Kevin Bacon qui surgit sans crier gare, Julianne Moore irréprochable, Ryan Gosling en master class de drague, Emma Stone en beauté intouchable), le deuxième film de la doublette Ficarra/Requa n'arrive pas à dépasser les clichés franchement lourdingues. La séquence de fin fait littéralement s'écraser le film.
Il s'agit de cette fameuse séquence où le héros, celui qui a ramassé coups et blessures de toutes parts pendant tout le film, se retrouve comme par hasard devant tous les protagonistes de l'histoire, dictant un discours de ministre de la culture sous prozac qui demande le pardon et le rachat devant les membres de sa famille, ses voisins, ses amis, etc. Ce type de scène qui utilise le discours moralisateur, archétype qu'on croyait avoir été banni des écoles de scénaristes, marque à elle seule l'incapacité de savoir écrire une fin de film et donc l'absence nette de talent des scénaristes. On ne sait pas comment reconstruire le puzzle, alors on met notre héros face aux caméras, avec sa gueule triste de chien battu pour le bénir de ses pêchés et l'applaudir sur une musique mainstream pop qui sort de nulle part. Un peu triste de voir la deuxième réalisation Ficarra-Requa si convenue alors qu'ils avaient marqué les esprits avec leur premier film, I Love You Philipp Morris, long-métrage qui touchait vraiment le cœur d'un problème sans s'en détourner et sans tuer le rythme. Crazy Stupid Love est sauvé par ses acteurs qui représentent le grand avantage du cinéma américain sur le reste du monde : on peut faire de la merde, mais ça reste regardable.
Crazy Stupid Love de Glenn Ficarra et John Requa, USA, 2011 (2/5)
Crazy Stupid Love de Glenn Ficarra et John Requa, USA, 2011 (2/5)