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31 oct. 2011

TANKINO: Tintin par Spielberg, Le Secret de la Licorne

Illustration : Pierre Girardin
Le film le plus attendu de l’année est sorti cette semaine en Suisse et les producteurs n’y sont pas allés par quatre chemins pour la promotion du film : parmi (ou en plus ?) des 135 millions de dollars de budget du film, 100 millions auraient été uniquement investis dans le marketing et la publicité du long-métrage d’animation. Sorti exceptionnellement en Europe deux mois avant les Etats-Unis, Spielberg nous met à l’épreuve… 


En Europe donc, les critiques sont souvent sévères pour tout ce qui touche au patrimoine du vieux continent : Le Monde a descendu le film (« C’est raté. »), tout comme Libération (« Il [Spielberg] atteindrait avec Tintin un paroxysme du tout-faux »), tandis que du côté des Inrocks ou du blog Critikat.com, on est plutôt en joie. La production du film tient à ce que le film ait de bons échos en Europe pour pouvoir prévenir l’Amérique du bon accueil reçu chez nous. Mais finalement, les critiques ont-elles vraiment leur mot à dire dans un film qui, de toute façon, va connaître un succès commercial certain ? Qui ne va pas emmener ces gamins voir Tintin au cinéma si, en plus, c’est en 3D ? Parfait pour les gosses ! Et puis la grande majorité des jeunes de 20-30 ans veulent à tout prix voir ce que Hollywood a fait de son héros d’enfance. Et comme si les producteurs ne s’y attendaient pas, Peter Jackson a officialisé la semaine passée qu’il réalisera bien une suite (Le Temple du Soleil). Spielberg a vraisemblablement bien joué la comédie quand il a fait croire à tout le monde qu’ils verraient comment le premier volet marcherait avant d’en faire une suite. Les chiffres de spectateurs sont à peine tombés que Jackson, en plein tournage de The Hobbit a déjà donné son feu vert.


Mélange d’histoire
Il semblait alors tout de même peu probable, avouons-le, que Spielberg nous ponde une merde. Oui, on craignait des libertés quant à la bande dessinée et à son histoire. Oui, on craignait que le capitaine Haddock soit trop sobre. Oui, on craignait que Spielberg américanise le tout. Sur ce dernier point, il y a matière à discuter (les coupures de journaux en anglais sont énervantes). Sur le reste, Steven a vu juste. La motion capture est une franche réussite et disons-le tout de suite avant que vous courriez au cinéma, la version 3D est (encore une fois) obsolète. Tintin reste donc en 2D, gonflé tout de même légèrement plus que sur les planches d’Hergé. Il est plus rond, moins poupon et peut-être un brin trop dicaprionesque. Si les Dupond-t ont des tronches qui font plus penser à Mario Bros qu’à ceux d’Hergé, Haddock, lui, est réussi de fond en comble : son phrasé, ses insultes légendaires (il faut bien entendu voir le film en vf) et ses maladresses sont bien là et il relance au moindre temps mort qui s’installe, comme dans la BD, le rythme du récit – la séquence où il narre l’histoire de son arrière-grand-père est d’ailleurs une des meilleures du film.

Le fan du reporter belge à mèche s’est senti trompé et un peu perdu de savoir que Tournesol ne figurerait pas dans le film. Si Spielberg a choisi de reprendre l’album du Secret de la Licorne, comment pouvait-il s’arrêter juste avant que la bande parte chercher le trésor dans les fonds marins ? Comment faire la Licorne sans l’expédition maritime, sans le requin sous-marin ou les équipements « pompés » les Dupont-d ? Spielberg et ses scénaristes ont réussi à ce niveau un joli coup et les reprises du Crabe incrustées dans le Secret sont d’une ingéniosité remarquable (la malle qui envoie littéralement Tintin dans un autre album) qui est mise à profit par l’outil qu’est l’animation. Cette technique permet de grandes libertés et Spielberg s’amuse. On le voit bien quand Haddock raconte son histoire, passant sans cesse du narrateur ivre à l’histoire mise en scène sur le navire. Faire revivre Hergé en caricaturiste au début du film, planter la Castafiore à la fin et l’épisode de la rencontre Haddock-Tintin sont de véritables cadeaux enchantés offerts par le film où l’on a l’impression de retrouver des amis que l’on aurait plus vus depuis longtemps. Quelques maladresses subsistent, comme le trop-plein d’actions à la fin (le combat de grues est clairement inutile) ou la séquence où nous assistons à un concert de la Castafiore : la liberté de Spielberg passe au-delà de l’imaginaire d’Hergé, sans vraiment le respecter, et c’est franchement médiocre. Si la première heure très « européenne » du film est réussie (il faut arriver à temps pour le générique !), la dernière demi-heure – plus américaine – sent un peu trop le gros blockbuster et déplaira aux Tintinophiles. Pour se rattraper, Spielberg fait de l’auto-référence (Jaws, Indiana Jones) et réussit tout de même un plan-séquence (bon ok c’est de l’animation) de plus de 6 minutes dans la course-poursuite dans la ville marocaine : époustouflant.


Jeu de miroirs
Tintin est un bon film d’action et s’en plaindre serait faire preuve de pédanterie. Il est facile de le descendre tant on l’a attendu, tant Hollywood a préparé le gros carburant et tant Tintin fut pour chacun de nous un héros propre à notre enfance. Le voir au cinéma, c’est le trahir d’une certaine façon et une adaptation sera toujours un risque, quel que soit le médium de base. Pour Tintin, passer de la BD à la motion capture n’est pas négligeable et apporte même une nouvelle vie  à l'oeuvre d'Hergé. La séquence dans le désert est sublime, du quasi jamais vu pour un film d’animation, tout à l’opposé du kitsch d’Avatar. Il est fort possible que Jackson réussisse un meilleur film que Spielberg, moins délicat, plus ironique et plus tranchant et on s’en réjouit. Comme pour ne pas trop se dévoiler, Spielberg utilise dans tout son film un artifice plaisant : le jeu des miroirs. Tout est réflexion (à deux sens) dans son film. Souvent les personnages sont vus indirectement, à travers une flaque ou un verre brillants. Car en fait, Spielberg n’a jamais voulu exhiber des acteurs dans ses films : du requin de Jaws au dinosaures de Jurassic Park (sans compter les extra-terrestres de E.T. et de Rencontre du troisième type ou tout prochainement un cheval dans War Horse), le réalisateur semble fuir l’acteur, le personnage, l’identité. Si avec Indiana Jones Spielberg avait alors trouvé un type de héros qui lui plaisait, Tintin était alors le héros parfait qu’il attendait. Hergé aurait-il aimé cette adaptation ? On ne le saura jamais. Mais là où il remerciera sans doute Spielberg, c'est de (peut-être) réussir à rendre Tintin aussi connu en Amérique qu'en Europe. Décembre nous le dira.

Les Aventures de Tintin - Le Secret de la Licorne de Steven Spielberg, USA, 2011
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