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9 janv. 2012

Agenda pour une fin du monde

Illustration: Isabelle L. et  M.S. Bastian

Un aller-retour par Neuchâtel et son musée etnologico-graphique pour y voir une expo dans l’air du temps, consacrée au post apocalyptique. Ce jour-là, le temps l’était aussi, mais Fumiste avait pris son parapluie.

Ces temps-ci, c’est sur toutes les lèvres. L’humanité, selon la prophétie des Mayas, l’écroulement des marchés, les caprices du climat, touchera-t-elle bientôt à sa fin ? Du pain béni pour qui sait s’y prendre et à Neuchâtel ils ont su assez bien. Intitulée gaillardement « What are you doing after apocalype ? », l’exposition constitue le deuxième volet d’un projet thématique triple, voulu et pensé par deux groupes de têtes, celles en charge du musée et celles enseignant en faculté d’ethnologie à l’université locale. Après « le bruit » donc, « l’apocalypse », préfigurant une troisième facette conclusive qui mettra à l’honneur « le secret ». Qu’il se présente sous la forme classique d’un déambulement de vitrines où flottent des objets hétéroclites ou d’une carte blanche laissée à des artistes contemporains (le cas ici, en l’occurrence), ce projet vise à susciter par le vecteur du décalage, de l’inattendu, un questionnement, un malaise peut-être (mais de ceux qui construisent) et sans doute la suggestion que l’ethnologie s’applique de tout temps et à tous les peuples, y compris le nôtre. En somme, un but s’apparentant beaucoup aux volontés de l’art en général.


Le spectateur curieux (et détrempé) intègre tout d’abord un couloir aux murs recouverts de larges plaques de mousse synthétique (vestiges de l’ancienne exposition « bruit ») dont les séparations rappelleraient les zébrures laissées après un tremblement de terre. C’est à la première partie de l’exposition, nommée  à l’interne Bastokalypse et composée de cinq salles réalisées par les biennois Isabelle L. et  M.S. Bastian que nous ouvre cette atmosphère feutrée. Y sont offerts au regard une sélection de figurines en plastiques, issues des étagères enfantines des artistes, de Batman à Gluto (l’ectoplasme verdâtre et bâfreur de la série Ghostbusters), sorte de « transferts » nous dit-on, de véhicules transcendant leurs seules valeur d’objet vers une autre réalité, un Imaginarium personnel chez les plasticiens à l’œuvre. Porte ouverte donc sur leur subjectivité et rappel que, l’apocalypse n’ayant pas (encore) eu lieu, la fiction reste le moyen privilégié d’en questionner l’après. La salle suivante demande à gravir une série de marches où sont inscrites les titres de tubes. Des années 50 à nos jours, ils parlent tous de la fin prochaine. La joie enfantine du spectateur sera comblée par le fait que ceux-ci s’enclenchent au moment où le pied actionne la marche. Ainsi, sur un accueil brusque du Final countdown de Europe, on passe d’enjambées en petit pas des Doors à Tom Waits à la manière d’Indiana Jones dans La dernière croisade (bémol, au terme du parcourt pas de Graal mais une chanson de Didier Super).

Une série de tuyaux d’aération sortant du sol ou du plafond caractérise l’installation suivante. C’est la salle du discours, au sens académique et autoritaire du terme : discours sur la fin, la toute fin, traitant des aspirations et desseins de l’homme, ses échecs, ses succès, et assumés par divers enregistrements audibles dans la bouche surgissante des boyaux métalliques. De Deleuze à Boltanski en passant par la dernière interview déprimante de Lévi-Strauss, artistes et penseurs y dispensent leurs vues, leurs opinions, au point que chaque voix se mêle et se dissolve dans la masse verbeuse. Plus de sens à proprement parler, que du parler. On s’induit à penser que c’est à nouveau l’incertain qui est souligné ici, la tendance à s’interroger qui, si elle y prépare, ne calmera jamais l’angoisse du moment venu. C’est à Houellebecq, dont la petite stalagmite personnelle est placée en bout de salle, qu’est accordé le dernier mot poétique (?) et grinçant : « Comme un week-end en autobus / comme un cancer à l’utérus…». Encourageant.
Après avoir passé un périscope (annonciateur de la dernière installation), on pénètre la salle polémiste, celle mettant en lien système économique actuel, politique  et possible apocalypse. Passant en revue les divers objets et traces des causes possibles de cette dernière (du Sida à la société libérale), elle dresse une liste non exhaustive sur fond d’extraits textuels, des approches au fil des époques de l’idée même de fin, fin de l’art, fin de l’homme, fin de la civilisation. Méticuleuse et innovante, l’installation relativise tout autant qu’elle conscientise le rôle du spectateur dans la société, laissant à Montaigne (dont une bribe d’Essai transparaît sur un écran blanc façon moniteur principal dans Star Trek) l’ultime bravade sceptique : parlant de l’homme, de ses ambitions gouvernantes sur le monde et sur autrui, il déclare « Qu’il montre lettres de cette belle et grande charge ! »
On termine avec humour en faisant face à un gigantesque sous-marin, échappé de la période soviétique et planté le nez en avant dans la salle adjacente. De la main de François Burland, la réalisation majestueuse joue sur les époques, les genres, les peurs aussi, l’artiste explique ainsi (dans l’une des vidéos distribuées au hasard parmi les gravas produits par le pseudo atterrissage du mastodonte et relatant la genèse du projet) que petit on avait mis un point d’honneur à l’effrayer contre les « rouges », qu’assembler babioles et bout de bois avait été pour lui un moyen de conjurer la peur. Au sein du grand foutoir de Burland, on saisit peut-être ainsi une bribe du message global : si le concept de fin en lui-même est illusoire et débouche toujours sur un autre commencement (avec ou sans l’homme), l’apprivoisement des craintes par la création/réflexion reste un bon moyen de ne pas merder jusqu’au bout.


"What are you doing"…introduit une lutte, non contre la fin elle-même, mais contre une réaction par rapport à la fin. Un entraînement à penser qu’il y a toujours un ailleurs et donc un à faire. Au terme c’est à un poète (un vrai) que la dernière salve d’avenir est laissée. Sur un morceau de Rimbaud on traverse un rideau où défilent des images sans fin de la banquise fondante. Le spectateur disparaît, le monde reste.


What are you doing after apocalypse ? / Musée d’ethnologie de Neuchâtel / jusqu’au 26 juin 2012.