Illustration: Charlotte Stuby |
Beach House, sentiments sensuels, grandes prétentions et ultra-séduction. Bloom, quatrième album, est peut-être bien le bon, celui d'une génération de l'après-tout. Quand il n'y a plus rien, qu'il y a-t-il? Beach House, la consécration des impressions, l'archétypique groupe indépendant. Bloom, l'esthétique, la mélancolie. Et la production.
N'est-ce qu'un hasard? les phénomènes musicaux récents sont tous féminins ou leadés par une demoiselle – nous nous sommes suffisamment attardés sur Grimes, Julia Holter ou dans une moindre mesure Little Dragon. Une piste: en 2005, The Futureheads reprenaient Kate Bush et son "Hounds of Love" (1985), remportaient tous les suffrages dans la course au titre le plus cool de l'année. Aujourd'hui, ce sympathique groupe britannique – encore actif – regarde au loin un armada féminine, se revendiquant de Bush dans des tournures acceptables au mieux (de Florence and the Machine à La Roux) n'ayant souvent pour seul mérite que de remplir la case indie laissée vacante par un mouvement Rock'n'roll (2000–2007 approximativement) vidé de toute sa substance. Il est rare dans ces colonnes de mettre un artiste en avant. Pourquoi le groupe Beach House plus qu'un autre? Parce que ce duo représente le climax de cette tendance à la douce pop mélancolique et rêveuse, witch house, after-pop, new-wave 2.0., chillwave. Apparus dans cet entre-deux de genres et de styles, les Américains rassemblent toutes ces sous-catégories sous l’étendard d'une forme de spleen nonchalant et faussement négligé, exécuté avec pas mal d'appoint et de réalisme: la dream pop, substitut soft et cool à une jeunesse n'ayant pas connus de grands mouvements musicaux, moins love que la tendance à la sensuelle séduction, plus fréquentable que sa lointaine cousine la tech house, et moins pompeuse que l'entourage du rock canadien.
Beach House a ce mérite légitime d'exister depuis 2006. Ça n'aurait pu durer qu'un seul été, comme tant de formations. Dès le départ, les influences sont solides et affirmées: BEACH HOUSE cite Big Star et Françoise Hardy, la Stratocaster du guitariste Alex Scally sonne comme une guitare hawaïenne asthénique, Victoria Legrand s'impose comme une diva aussi proche de Nico que d'une Kendra Smith. Ce premier disque étonnant de maturité et de détachement posait une formule six ans après reconnue et maintes fois citées (les excellents Lower Dens récemment): des pièces élégiaques et magnifiquement sobres, inébranlables et pourtant si aériennes, de plus en plus orchestrées au fil des albums (le second, DEVOTION est sans doute le meilleur) vertueusement livrés chaque 24 mois. Dans la discographie beach housienne, on remarque de fait une rupture sonore dès TEEN DREAM, laissant la petite tristesse intime des débuts pour l'éclatement des émotions et des impressions esthétiques. Beach House hausse la cadence et arrange fièrement, mais avec une production toujours plus présente, au grand dam des premiers suiveurs. Fort heureusement, et personne ne nous contredira, Beach House conserve ses qualités d'orfèvres. Les prétentions elles sont toute autres.
Il faut reprendre les titres "10 Mile Stereo" et "Norway" (issus du précédents LP) pour introduire l'épique BLOOM: grandes envolées lyriques et royales et à la sage délectation. C'est quand une formule se répète qu'elle rencontre la consécration: récemment, on m'a fait remarqué que BLOOM avait accueilli les meilleures notes du plateau lors de sa sortie quand j'avais exprimé mon scepticisme sur la créativité de cet album. La première impression est souvent la bonne, fut-il encore qu'elle ne reste pas figée. Certes, l'intro "Myth" reprend allègrement les plans de guitare de "10 Miles Stereo", les choeurs de "Lazuli" sont calqués sur ceux de "Norway", "Wild" s'inscrit comme la face B du final "Take Care", mais faire la liste des répétitions serait aussi injuste que d'accuser l'irascible artiste peintre Sean Scully de redites expressionnistes. Beach House n'étonne pas: il poursuit sa parade sensuelle et agréable à l'oreille. Les titres s'enfilent les uns après les autres, en effet excellemment produits, joliment luxuriants et accessibles dans cette redite amoindrie des Smiths ou plus polie de Sunset Rubdown. On note quelques réussites, là où le duo va franchement à fond dans le lyrique ("Troublemaker" et le final "Irene"), se détachant de sa bonhomie rêveuse et de ses petits effets. Car le problème avec cette formation de Baltimore est ce conformisme contemporain à l'heure de l'ultra-like, de l'essort de Pinterest et d'autres bêtises sociales, l'anti-prise de position se cachant sous les envolées sociologiques de chaque "participant".
BLOOM est le triomphe des (bons) sentiments, l'indie cool sans prise de risque, linéaire et passe-partout faisant l'unanimité dans les rédactions – on notera toutefois que nos collègues de l'excellente webradio allemande Byte FM émirent eux aussi de nombreuses critiques. Quand il n'y a plus de styles musicaux dominants, après une décennie 2000, menée par des barrés (Animal Collective) et un cracké (Pete Doherty), déjà en manque d'originalité et d'audace et en attente d'un renouveau qui n'est pas encore venu, c'est l'horizon dégagé pour les produits sans aspérités et jolis. Mais mince, quand tout est fini, n'est-il pas venu le temps de faire n'importe quoi, en tout cas d'arrêter avec le trendy (lire notre article sur les "mélanges sacrilèges" et autres musiques ennuyeuses notamment)? A l'instar du hip hop dans les années 2000, l'indie rock semble se vautrer dans la monotonie et le presque réactionnaire. La surproduction de BLOOM n'en est que plus parlante quand tout se fige. Et puis cette question cruciale: est-ce que ce concept fumeux de dream pop ne fait-il pas tout simplement bien rire les vieux?
Beach House, BLOOM, Sub Pop, 2012 (sorti le 15 mai)
Beach House a ce mérite légitime d'exister depuis 2006. Ça n'aurait pu durer qu'un seul été, comme tant de formations. Dès le départ, les influences sont solides et affirmées: BEACH HOUSE cite Big Star et Françoise Hardy, la Stratocaster du guitariste Alex Scally sonne comme une guitare hawaïenne asthénique, Victoria Legrand s'impose comme une diva aussi proche de Nico que d'une Kendra Smith. Ce premier disque étonnant de maturité et de détachement posait une formule six ans après reconnue et maintes fois citées (les excellents Lower Dens récemment): des pièces élégiaques et magnifiquement sobres, inébranlables et pourtant si aériennes, de plus en plus orchestrées au fil des albums (le second, DEVOTION est sans doute le meilleur) vertueusement livrés chaque 24 mois. Dans la discographie beach housienne, on remarque de fait une rupture sonore dès TEEN DREAM, laissant la petite tristesse intime des débuts pour l'éclatement des émotions et des impressions esthétiques. Beach House hausse la cadence et arrange fièrement, mais avec une production toujours plus présente, au grand dam des premiers suiveurs. Fort heureusement, et personne ne nous contredira, Beach House conserve ses qualités d'orfèvres. Les prétentions elles sont toute autres.
Il faut reprendre les titres "10 Mile Stereo" et "Norway" (issus du précédents LP) pour introduire l'épique BLOOM: grandes envolées lyriques et royales et à la sage délectation. C'est quand une formule se répète qu'elle rencontre la consécration: récemment, on m'a fait remarqué que BLOOM avait accueilli les meilleures notes du plateau lors de sa sortie quand j'avais exprimé mon scepticisme sur la créativité de cet album. La première impression est souvent la bonne, fut-il encore qu'elle ne reste pas figée. Certes, l'intro "Myth" reprend allègrement les plans de guitare de "10 Miles Stereo", les choeurs de "Lazuli" sont calqués sur ceux de "Norway", "Wild" s'inscrit comme la face B du final "Take Care", mais faire la liste des répétitions serait aussi injuste que d'accuser l'irascible artiste peintre Sean Scully de redites expressionnistes. Beach House n'étonne pas: il poursuit sa parade sensuelle et agréable à l'oreille. Les titres s'enfilent les uns après les autres, en effet excellemment produits, joliment luxuriants et accessibles dans cette redite amoindrie des Smiths ou plus polie de Sunset Rubdown. On note quelques réussites, là où le duo va franchement à fond dans le lyrique ("Troublemaker" et le final "Irene"), se détachant de sa bonhomie rêveuse et de ses petits effets. Car le problème avec cette formation de Baltimore est ce conformisme contemporain à l'heure de l'ultra-like, de l'essort de Pinterest et d'autres bêtises sociales, l'anti-prise de position se cachant sous les envolées sociologiques de chaque "participant".
BLOOM est le triomphe des (bons) sentiments, l'indie cool sans prise de risque, linéaire et passe-partout faisant l'unanimité dans les rédactions – on notera toutefois que nos collègues de l'excellente webradio allemande Byte FM émirent eux aussi de nombreuses critiques. Quand il n'y a plus de styles musicaux dominants, après une décennie 2000, menée par des barrés (Animal Collective) et un cracké (Pete Doherty), déjà en manque d'originalité et d'audace et en attente d'un renouveau qui n'est pas encore venu, c'est l'horizon dégagé pour les produits sans aspérités et jolis. Mais mince, quand tout est fini, n'est-il pas venu le temps de faire n'importe quoi, en tout cas d'arrêter avec le trendy (lire notre article sur les "mélanges sacrilèges" et autres musiques ennuyeuses notamment)? A l'instar du hip hop dans les années 2000, l'indie rock semble se vautrer dans la monotonie et le presque réactionnaire. La surproduction de BLOOM n'en est que plus parlante quand tout se fige. Et puis cette question cruciale: est-ce que ce concept fumeux de dream pop ne fait-il pas tout simplement bien rire les vieux?
Beach House, BLOOM, Sub Pop, 2012 (sorti le 15 mai)