Looper est le quatrième film de Rian Johnson, dans lequel s'affrontent Bruce Willis et Joseph Gordon-Levitt, deux acteurs jouant le même personnage (Joe) avec 30 ans d’écart. On y parle de télékinésie, de la fin du monde, de courses-poursuites, et de machines à remonter dans le temps. Un plot qui sent le blockbuster pourri à plein nez. Et pourtant, on tient ici l’une des merveilles de l’année.
La science-fiction est un monde étrange. Parfois ça casse, même si l’image, les effets spéciaux et la fan attitude sont au rendez-vous (Prometheus) ; parfois c’est loupé même si la base est de qualité (Marcel Aymé pour In Time de Andrew Niccol) ; d’autres fois on adulte alors que le scénario et les personnages sont ridicules (Star Wars) ; puis enfin, il y a, une fois par décennie, une bombe, une explosion, un cataclysme, un volte-face, l’exception qui confirme la règle. Looper contient ainsi tous les éléments qui plairont aux fans de science-fiction, mais aussi un nombre important de points forts qui séduiront le novice. Explications.
Diptyque
Déjà, il y a Joseph Gordon-Levitt. Dans son meilleur rôle, avec une aura immense, une gueule de plus en plus mûre et tranchante, incarnant une sorte de sosie d'Anthony Perkins dans Le Procès. Il y a aussi le Bruce Willis que l’on aime, qui n’en fait pas trop, inattendu et vieillissant, dans un rôle écrit pour lui, entre Pulp Fiction et L’Armée des douze singes. La distribution est parfaite, allant jusqu’à embaucher Jeff Daniels dans le rôle du grand méchant patron. Côté féminin, la distribution est plus discrète et il faut d’ailleurs attendre la moitié du film pour voir apparaître le figure penchante de Gordon-Levitt. Looper se décline d’ailleurs en deux volets : le premier, aérien, intense, extraordinaire et masculin. Soirées entre mecs, drogues, prostituées et fric se reflètent. Tout va très vite sans jamais perdre le spectateur, offrant un rythme tarantinesque à un film de science-fiction alors que l’on attendait plutôt une ambiance à la Bourne Legacy et cie. Que nenni ! La première heure fait même penser à Fight Club, à du très bon Fincher quoi, sans le copier.
La deuxième partie est basée sur l’attente, sur la recherche de l’enfant-élu (Matrix n’est pas loin non plus), sur la défense du territoire, et le basculement du destin. Le second volet est ainsi résolument féminin : calme, plus doux, éloigné de la ville et protecteur. Mais la transition n’est pas violente du tout. Tout est fait en sorte de bien guider le film sur un scénario écrit à l’encre d’or. Le voilà, d’ailleurs, la plus grosse prouesse du long-métrage de Johnson : son script.
Un Inception sans Dafalgan
Car honnêtement, après le joli mais tremblotant The Brothers Room (2009), on pouvait craindre le pire pour Looper. Dans son précédent film, les idées générales étaient bonnes, mais l’ensemble trop ennuyant et tout partait un peu trop dans tous les sens. Ici, Johnson réussi l’impossible : tenir un scénario cohérent avec des machines à remonter dans le temps. Durant toute la première demi-heure, on craint de ne pas bien comprendre alors qu’en fait, le rythme imposé de tomber dans une réflexion inutile. Looper est alors conçu comme un labyrinthe pour enfant, faisant croire à la difficulté sans jamais être pénible. C’est du Inception sans Dafalgan, c’est du Spielberg réussi, pour adulte, du Fincher applaudi.
Le scénario n’est pas une adaptation littéraire d’un K. Dick ou d’Orwell, et on pourrait y croire ! Non, tout est venu de la tête de Rian Johnson, dans la droite lignée de La Jetée de Marker. Sans rien vouloir dévoiler, le film joue d’une manière extrêmement convaincante sur le changement de focalisation du personnage Joe (entre le Joe du présent et celui du futur) et ne s’emploie pas à la simple course-poursuite des deux personnages au milieu de barrières temporelles. Le film est va plus loin, est plus malin, plus altruiste, comme le montre la majorité de ses plans, jamais "m’as-tu vu", toujours façonné de manière singulière et percutante. Looper peut ainsi sans problème être considéré comme le meilleur film de science-fiction depuis Minority Report ou le premier Matrix, avec classe et sans redite. Et ça remonte à plus de dix ans. Chaque décennie disait-on !