Illustration: Mathias Forbach |
Julien : Quatrième édition pour ce festival itinérant, entre les continents, de Toronto à Vevey, en passant par Berne et Lausanne cette année. L'exploit étant d'avoir su s'ancrer dans le paysage culturel helvétique avec un tel mode opératoire. Hors norme Heartland? La première édition qui s'était tenue dans la vétuste salle Del Castillo de Vevey en 2010 fut émouvante pour le cadre et l'atmosphère qui s'en dégageait, avec l'impression d'assister à une drôle de résidence artistique plutôt qu'un énième festival. Les valeurs sûres Timber Timbre et Destroyer livrèrent des concerts de haute tenue; déjà embarqué dans l'aventure, Owen Pallett y présentait son projet Final Fantasy, alors que des groupes comme Broken Social Scene, Do Make Say Think, The Acorn ou encore les artistes Buck 65 et Eric Chenaux se succédaient dans cette Embassade éphémère du Canada. En 2010, j'interviewais le fondateur du Heartland, Pascal Roth, qui m'avouait: « On a fonctionné à l’inverse des grands festivals: on a passé trois mois entièrement sur le line-up. On n’a jamais pensé sponsors et même espaces de production scénique. Tout c’est joué sur les dates de tournées nord américaines. On n’a travaillé que sur la disponibilité des groupes, en cherchant le meilleur week-end possible pour réunir le maximum d’artistes ». Cette exigence artistique s'est perpétuée d'éditions en éditions, en passant par Berne et le Dachstock, pour une édition 2012 estampillée 15ème anniversaire du label Constellation Records. Lausanne accueille donc un Heartland Festival qui prend cette année des allures synthétiques et avant-gardistes.
Pierre : Il faut dire la vérité. Les précédentes éditions du festival nous avait moyennement conquis. L’option folk et rock canadien avait beau trouver son public, la ligne nous semblait à nous trop monochorde et un peu trop senteur cheminée. Pour cette édition, Heartland s’éparpille pour notre plus grand plaisir dans plusieurs lieux de Lausanne (le Métropole, le Romandie, le Bourg et même la salle Paderewski) et dans des styles plus variés. S’il fallait trouver une colonne vertébrale à cette programmation vertigineuse, ce serait une forme de noirceur magnifique. Reste par rapport aux anciennes éditions un air de société du bon goût musical. On se frotte les yeux devant une programmation avec autant de groupes aussi rares qu’excellents. En plus, le festival évite le piège de la trop forte concentration en le tout étalant sur plusieurs soirs. Retour sur les coups de cœurs de la rédaction.
Julien : Je parlais plus haut de la présence d'Owen Pallett et de son ombre qui a toujours plané sur le festival. A Lausanne, il sera le curateur exclusif de cette édition protéiforme, à fortes tendances électroniques comme l'annonçait le communiqué de presse: « Après avoir travaillé avec des groupes aussi célèbres que arcade Fire, Pet Shop Boys ou Grizzly Bear (…) il a sorti une série d’albums et de EP ambitieux et classieux, qui ont séduit l’aristocratie rock autant que les pontes du classique ». Plus qu'un musicien exigeant, Pallett est en train de s'imposer comme un directeur artistique érudit et parmi les plus intéressants de son époque, s'affranchissant des genres musicaux et de l'ordre établi: en réunissant Fuck Buttons, Clark et Diamanda Galas sur une même affiche, le Canadien ouvre des horizons rarement vus dans notre pays, tout en participant de l'actualité musicale en programmant Demdike Stare, Prince Nifty, Micachu et de la consécration de These New Puritans, groupe de Southend-on-Sea que l'on n'attendait plus à pareil fait.
Julien : Je parlais plus haut de la présence d'Owen Pallett et de son ombre qui a toujours plané sur le festival. A Lausanne, il sera le curateur exclusif de cette édition protéiforme, à fortes tendances électroniques comme l'annonçait le communiqué de presse: « Après avoir travaillé avec des groupes aussi célèbres que arcade Fire, Pet Shop Boys ou Grizzly Bear (…) il a sorti une série d’albums et de EP ambitieux et classieux, qui ont séduit l’aristocratie rock autant que les pontes du classique ». Plus qu'un musicien exigeant, Pallett est en train de s'imposer comme un directeur artistique érudit et parmi les plus intéressants de son époque, s'affranchissant des genres musicaux et de l'ordre établi: en réunissant Fuck Buttons, Clark et Diamanda Galas sur une même affiche, le Canadien ouvre des horizons rarement vus dans notre pays, tout en participant de l'actualité musicale en programmant Demdike Stare, Prince Nifty, Micachu et de la consécration de These New Puritans, groupe de Southend-on-Sea que l'on n'attendait plus à pareil fait.
Pierre : Malgré des débuts très mode, These New Puritans ont su utiliser chacun de leurs albums comme des étapes pour toujours se réinventer. Cela donne en 3 temps: un premier concert lausannois dans le tout récent nouveau Romandie, avec un set aux faux airs de pop rock en pleine vague avec un tube qui parle d’Elvis ; ensuite, un concert martial dans le cadre de l’électron où les percussions et la violence de HIDDEN balayèrent une salle à moitié vide. Pour Heartland, These New Puritans viendront déployer la beauté de FIELD OF REEDS dans un Métropole apparemment assis. Les cuivres, les cœurs et les pianos devront assurer en live ce que l’album avait montré: le statut de nouveaux Divine Comedy, portant l’écriture jusqu’à des sommets bouleversants.
Julien : Quelle transformation en cinq ans pour cette formation! Il est vrai que leur venue au Heartland tombe à pic. On passe à l'autre excellente nouvelle de la programmation, auteur cet été un album malade, impérieux et sacrément radical, sorte d'électronique industrielle nouvelle génération, délestée de tout le décorum de ses prédécesseurs, entre Jon Hopkins et A Place to Bury Strangers:
Pierre : Fuck Buttons fait en effet partie des groupes que je souhaite voir depuis de nombreuses années, ayant raté leur passage presque clandestin au Bad Bonn. Leurs trois albums sont sans fausse note. Avec le récent SLOW FOCUS, le duo prouve que le délire procuré par la diffusion de leurs titres lors de la cérémonie d’ouverture des Jeux Olympiques de Londres ne les a pas fait dévier de leur radicalité sonore. Ce concert s’annonce comme une rare occasion d’écouter en Suisse un live électronique d’un psychédélisme vivace, loin des clubs.
Pierre : Pour certains, la musique indu et Throbbing Gristle font office de religion. Sleazy décédé, Genesis P Orridge totalement barré, Chris and Cosey restent seuls à perpétuer la face carrée de cette musique industrielle. Peut-être moins fou et sentimental que Genesis, Chris and Cosey n’ont pourtant jamais failli et continuent de délivrer une musique ultra expérimentale tout en ayant une influence extrêmement large. PlanningToRock reste pour sa part un projet musical des plus mystérieux. Malgré des titres en prise féroce avec le son actuel comme "Doorway", elle reste confidentielle. On ne comprend toujours rien à son nez mais impossible de l’oublier car régulièrement des piques viennent nous rappeler son existence, que ce soit une reprise de Guided By Voices, un rework de The Knife ou un titre récent pour le moins étrange.
Raphaël :Si Chris & Cosey sont les survivants magnifiques d'une scène industrielle qui, aujourd'hui encore, conserve toute sa pertinence, ils sont aussi parmi ceux qui ont entrebâillé la porte de la techno voici plus de trois décennies. Une formation dont le statut presque mythique n'a d'égal que l'impact massif de leur musique. Une édition de Heartland étonnement bien fournie en grincements, avec également Demdike Stare, penchant plus technoïde de l'approche industrielle. Miles Witthaker et Sean Canty délivrent, depuis quelques années, des disques abyssaux, foisonnants de références païennes et ésotériques. Leurs multiples projets communs ou solo, notamment associés au label MODERN LOVE (Andy Stott, Claro Intelecto, etc.), semblent dans la continuité d'artistes comme Coil, radicales et exigeantes.
Pierre : On se plaint souvent du manque de soirée avec dj hip hop et R&B en Suisse. Bonheur car Heartland se terminera au Romandie avec Total Freedom. Le DJ de Los Angeles représente un des producteurs les plus créatifs de sa catégorie. Actif au sein du génial label Night Slugs (Fatima Al Qadiri, Ngunzunguzu, Kingdom, la crème quoi), son récent mix pour Dummy ou sa prestation au Boiler Room font saliver les oreilles d’avance.
Raphaël : C'est d'ailleurs un rayon qu'on pourrait retrouver durant le dj set de Micachu, géniale allumée londonienne au CV (presque) trop imposant pour espérer un peu de fraîcheur: soutien de Björk, sorties sur le label de Matthew Herbert, etc. Pourtant, encore une fois on citera Boiler Room, le sien, 100% fait de son propre matériel, pour référence: productions hip-hop lo-fi baveuses, beats boiteux et abrasifs risquent bien faire mal là où ça fait du bien.
Sounds Quixotic & Owen Pallett Present Heartland 2013: Gotham
Salle Métropole, Lausanne. Du 24 au 28 septembre 2013
http://www.heartland.ch
Julien : Quelle transformation en cinq ans pour cette formation! Il est vrai que leur venue au Heartland tombe à pic. On passe à l'autre excellente nouvelle de la programmation, auteur cet été un album malade, impérieux et sacrément radical, sorte d'électronique industrielle nouvelle génération, délestée de tout le décorum de ses prédécesseurs, entre Jon Hopkins et A Place to Bury Strangers:
Pierre : Fuck Buttons fait en effet partie des groupes que je souhaite voir depuis de nombreuses années, ayant raté leur passage presque clandestin au Bad Bonn. Leurs trois albums sont sans fausse note. Avec le récent SLOW FOCUS, le duo prouve que le délire procuré par la diffusion de leurs titres lors de la cérémonie d’ouverture des Jeux Olympiques de Londres ne les a pas fait dévier de leur radicalité sonore. Ce concert s’annonce comme une rare occasion d’écouter en Suisse un live électronique d’un psychédélisme vivace, loin des clubs.
Pierre : Pour certains, la musique indu et Throbbing Gristle font office de religion. Sleazy décédé, Genesis P Orridge totalement barré, Chris and Cosey restent seuls à perpétuer la face carrée de cette musique industrielle. Peut-être moins fou et sentimental que Genesis, Chris and Cosey n’ont pourtant jamais failli et continuent de délivrer une musique ultra expérimentale tout en ayant une influence extrêmement large. PlanningToRock reste pour sa part un projet musical des plus mystérieux. Malgré des titres en prise féroce avec le son actuel comme "Doorway", elle reste confidentielle. On ne comprend toujours rien à son nez mais impossible de l’oublier car régulièrement des piques viennent nous rappeler son existence, que ce soit une reprise de Guided By Voices, un rework de The Knife ou un titre récent pour le moins étrange.
Raphaël :Si Chris & Cosey sont les survivants magnifiques d'une scène industrielle qui, aujourd'hui encore, conserve toute sa pertinence, ils sont aussi parmi ceux qui ont entrebâillé la porte de la techno voici plus de trois décennies. Une formation dont le statut presque mythique n'a d'égal que l'impact massif de leur musique. Une édition de Heartland étonnement bien fournie en grincements, avec également Demdike Stare, penchant plus technoïde de l'approche industrielle. Miles Witthaker et Sean Canty délivrent, depuis quelques années, des disques abyssaux, foisonnants de références païennes et ésotériques. Leurs multiples projets communs ou solo, notamment associés au label MODERN LOVE (Andy Stott, Claro Intelecto, etc.), semblent dans la continuité d'artistes comme Coil, radicales et exigeantes.
Pierre : On se plaint souvent du manque de soirée avec dj hip hop et R&B en Suisse. Bonheur car Heartland se terminera au Romandie avec Total Freedom. Le DJ de Los Angeles représente un des producteurs les plus créatifs de sa catégorie. Actif au sein du génial label Night Slugs (Fatima Al Qadiri, Ngunzunguzu, Kingdom, la crème quoi), son récent mix pour Dummy ou sa prestation au Boiler Room font saliver les oreilles d’avance.
Raphaël : C'est d'ailleurs un rayon qu'on pourrait retrouver durant le dj set de Micachu, géniale allumée londonienne au CV (presque) trop imposant pour espérer un peu de fraîcheur: soutien de Björk, sorties sur le label de Matthew Herbert, etc. Pourtant, encore une fois on citera Boiler Room, le sien, 100% fait de son propre matériel, pour référence: productions hip-hop lo-fi baveuses, beats boiteux et abrasifs risquent bien faire mal là où ça fait du bien.
Sounds Quixotic & Owen Pallett Present Heartland 2013: Gotham
Salle Métropole, Lausanne. Du 24 au 28 septembre 2013
http://www.heartland.ch
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