Illustration: Enrico Boccioletti (http://www.spcnvdr.org/) |
Une culture post-digitale s’interprète parfois comme un basculement entre digital et matériel, une hybridation commune. Ainsi, les données et les codes finissent par s’incarner dans des marchandises en route pour le marché.
La matérialisation du digitale s’incarne dans des formats dont le caractère imparfait, rude, donne une impression de concrétude à l’inverse de la pureté de l’abstraction digitale. A l’instar de ce qui se passe pour Néo à la fin du premier Matrix, c’est soudain le corps du code qui nous apparaît par la grossièreté de sa confection. La face html d’internet se dévoile à nos yeux dans son aspect le plus nu, sans le moindre écrin. Il est la marchandise sans le merchandising.
Ce format grossier se déploie en musique dans le mp3. Décrié comme vulgaire, compressé, le mp3 est pourtant omniprésent. Produit de mauvaise qualité, il inonde le marché de sa matière première, boueuse et populaire. C’est cet aspect qui lui permet de retrouver une forme concrète. Libéré de ses atours sacrés, dépourvu du besoin de faire vendre, il se passe de main en main, traine au fond des poches. Il s'échange au marché. Ce processus se réalise clairement dans les pays non-occidentaux, à la pointe de matérialisation du digital. La pauvreté des hardware implique une appropriation des software à travers leur désacralisation collective. Le label Sahel Sounds a rassemblé ces marchandises à travers deux compilations intitulée: MUSIC FROM SAHARAN CELLPHONES. Ici, la musique se partage, s'échange, s'écoute à l'aide de téléphone portable. Les cartes mémoires de tous deviennent la trace de musiques hors des centres de production, partagées collectivement: le nomadisme du bluetooth. Les titres recensés proviennent des différents espaces du Sahara: Abidjan, Alger ou Bamako. Les chansons de groupes hors radar dessinent ici une pop improbable dans un mélange irrespectueux tant des traditions régionales que des standards internationaux. Plus que les beaux titre de guitare berbère, de rap, ou de pop enfantine, ce qui fascine dans ces compilations, c'est la déréalisation du vocoder concrétisé grâce à son usage cheap: "Tahoultine", "Anar", "Hwa Heda" et "Waihidjo" sont toutes des merveilles d'un auto-tune sorti des studios pour venir sur terre pour prendre possession de corps. Une pop enfin sortie de l'écrin commerciale pour reprendre ses habits de marcheurs. Le post-digital prend ici la forme d'une vitalisation du digital dans les zones restées en périphérie de sa révolution.
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