Illustration: vitfait |
Apparitions sonores et autres manifestations occultes: un spectre hante la musique, le spectre des Salem, oOoOO, White Ring et autre Balam Acab.
Différents noms auront été dégainés pour tenter de caractériser ces phénomènes inexpliqués qui viennent peupler les cimetières de l’industrie musicale : « Witch House », « Drag »,… Si le nom importe peu, force est de constater de véritables similitudes entre ces différentes formations. Celles-ci ont toutes en commun d’avoir renié la sainte Trinite Elvis, Beatles et Michael Jackson pour confier leurs âmes à une trinité diabolique : le dubstep, le hip hop crasseux et les groupes électro-gotiques comme Fever Ray ou Crystal Castles. Ce mélange donne une musique sombre, rythmée, sale, deep, saccadée, pleine d’une ambiance inquiétante mais habitée. Bien sûr chacun a ses particularités. Ecouter Salem donne l’impression d’assister à une soirée de spectres, tandis que oOoOO ressemble plutôt à un spectre de soirée. A l’écoute du EP de ce dernier, on plonge tout de suite dans des méandres pleins de succubes et d’apparitions merveilleuses. « No Shore » nous avait déjà bouleversé par son ambiance incroyable de vieux bayou triste à en pleurer. Sur tout l’EP, le new yorkais déverse des nappes sonores époustouflantes. Les spectres des soirées passées viennent nous hanter et on les revit avec douceur. Burnout Eyes, Sedstuming, Hearts sont des chansons d’une magnifique mélancolie. Balam Acab joue lui aussi dans la cour de la grande douceur. Le nombre de BPM est ridiculement petit. Pourtant, il y a bien une cadence puissante qui prend dans le fonds de la poitrine. Sa musique, c’est comme si on passait un vinyle de dubstep en 33 tours au lieu de 45 et qu’on découvrait alors une richesse sonore cachée. Alors que tout sonne au départ comme une électro bizarre et underground, on est surpris par la finesse et la complexité sonore de titres comme Big Boy ou See Birds (Sun). Voilà qui est commun aux différents groupe de ce mouvement: cette présence commune du lo-fi et de la richesse de sons, d’une forte variété des matériaux sonores pour un style très particulier.
Le groupe le plus connu de ce qu’on appelle la Witch House est sans aucun doute Salem. La sortie d’un premier CD, King Night, venait confirmer les attentes générées par des titres comme Whenusleep ou Ohk. Rien à dire, Salem c’est du lourd. Dès la première chanson, King Night, les basses tabassent, les avalanches de drones et de chants grégoriens plongent l’auditeur dans une espèce de cathédrale gothique en transe. Il faut l’avouer, c’est assez effrayant mais tout aussi captivant. La tension ne baissera pas de tout l’album, et les poils hérissés ne sont pas près de retomber. King Night s’impose comme un album véritablement passionnant, véritable ovni au sein de la musique actuelle, mais son influence est sur le point de convertir de plus en plus de fidèles. Au milieu des titres inquiétants, aux airs de messe noire, viennent se déchainer des titres invoquant le hip hop le plus noire et le plus sombre. Sick, Tair et surtout Trapdoor sont de véritables tueries. Le hip hop devient soudain une musique déviante au possible, où des crissements de pneu accompagnent la voix et le son le plus deep qu’on ai jamais entendu.
Il est difficile de ne pas voir dans cette musique obscure l’exact contraire de l’ère fluo kids de la fin des années 2000 où tout n’était que jouissance ostentatoire, plaisir de la consommation et naïveté revendiquée. Comme un air de décadence. Chez Salem et compères, la dimension festive n’a pas disparu, mais elle apparaît torturée et sombre, en rejet du modèle dominant et des beats faciles. La caractérisation de la musique de ces groupes comme occulte prend alors un autre sens. En effet, de nombreux sociologues ont pointé du doigt les points communs qui existent entre occultisme et subculture. L’occulte est le fait de personnes appartenant aux marges de la société, il est l’expression d’une déviance face au modèle dominant. Ainsi, selon Edward A. Tiryakian, la culture occulte se nourrit d’une perte de confiance vis a vis des symboles établis et du rejet de l’institutionnalisation des ces derniers en une identité collective.
L’arrivée de spectres venant hanter la musique actuelle pourrait donc être le signe d’un refus des modèles établis du domaine musical, des formes institutionnalisées de faire la fête. Danser sur du Salem, voilà une expérience forte, comme celle de s’éclater sur du dubstep. La musique hantée, c’est au moins une musique qui a une âme.
I gotta feeling that tonight’s gonna be a creepy night, a creep, creep, creepy night.