Illustration : Maxime |
Attendu le 27 février prochain comme le messie lors de la cérémonie des Oscars avec pas moins de douze nominations, The King’s Speech n’est que le deuxième film du réalisateur (très) britannique Tom Hooper. Une proie facile pour la critique cinématographique qui n’a pas manqué de descendre le film en attaquant cette « machine taillée pour les Oscars » (Télérama) ou en comparant l’écriture du film à un épisode de La Petite Maison dans la Prairie (les Inrocks) … Si les Français ont commencé gentiment d’applaudir les super-productions américaines (Avatar, The Social Network), il semble que la haine et la jalousie pour leur cousin britannique ne s’arrêteront pas demain. Remettons les compteurs à zéro et remontons en 1939.
Le film narre l’histoire d’Albert duc d’York qui n’était pas destiné en premier lieu à devenir roi d’Angleterre. En effet, son frère Edouard VIII, l’aîné de la famille, ayant préféré se marier à une femme divorcée, n’est pas autorisé à devenir roi. Le costume royal revient donc à son petit frère, et cela, à la veille de la Seconde Guerre Mondiale. Mais le cadet voit la montée sur le trône comme un cadeau empoisonné : ce dernier souffre de bégaiement ce qui l’empêche d’assurer les différents discours nécessaires à sa fonction. Après qu’il ait consulté nombre de médecins et subi des traitements plus que farfelus, la femme du futur roi lui conseille d’aller voir un spécialiste australien réputé dans le domaine. Celui-ci a en effet réussi à guérir des soldats revenus du front mutilés psychologiquement par la violence de la guerre qui avaient perdu la voix . Lionel Logue a donc pour mission de faire retrouver la voix au roi, ce qui permettrait de redonner confiance à un peuple qui en a fort besoin dans ses heures sombres de l’Histoire. Le film nous montre donc une histoire politique, royaliste et quelque peu dramatique, mais qui parle surtout d’une amitié qui se tisse au fil des mois et des séances d’élocutions entre Lionel Logue et le futur roi. Bien que le film comporte quelques erreurs historiques (que s’empressent de corriger les critiques), Tom Hooper nous montre le combat d’un homme contre lui-même, contre son handicap, contre sa peur. S’il est vrai que The King’s Speech enjolive de façon un peu lèche-cul la monarchie (Dumbeldore dans le rôle du papa du roi reste excellent), il faut prendre un peu de recul sur le discours politico-social du long-métrage pour y trouver son essence brute. Tout le film parle de l’importance des médias dans la politique, dans cette époque moderne où la communication détient un rôle majeur et primordial pour les présidents, les premiers ministres et les rois. Souvent revient en gros plan le fameux microphone par lequel le roi devra s’exprimer. Cet instrument qui est pour George VI l’oreille du Diable et le porte-parole d’une voix qui ne s’exprime que par bribes entrecoupées de soupirs et de craintes. La séquence d’ouverture où le prince doit parler au public londonien pour l’inauguration de la Wembley Exhibition Arena vise à nous montrer l’angoisse et la gêne non pas du mauvais parleur, mais celle du peuple. Et c’est par cette honte, que le roi au cours du film, va essayer de vaincre son handicap.
Certes le film comporte une narration linéaire et quelques fois trop scolaires. Maintes scènes sont plutôt faciles et filmées sans grande conviction. On dirait un peu un grand film pour la télévision. Et cela est facile à exécuter pour un réalisateur qui a longtemps été un salarié de la BBC, la première chaîne britannique. Donc, en effet, douze oscars pour un grand film de télé, ça fait mal. L’épreuve est donc de mettre de côté cette distinction qui aveugle le regard critique du spectateur (et qui le pervertit) pour ne voir que le film, les scènes, les acteurs, la réalisation et la musique. Celle-ci justement est parfois utilisée à bon escient (l’ouverture, la déclaration de guerre), parfois en trop, voir le speech final du roi qui est gâché par la présence trop en avant de la musique. La qualité de prestation de l’acteur australien illumine l’ensemble et là, on respire, là, on sourit. On sourit et on rit. Car c’est ici que les Anglais sont les meilleurs, dans leur humour – humor ! – avec lequel le scénariste ne peut s’empêcher de jouer entre quelques bonnes répliques (« Fuck, fuck, fuck, shit… tits ! ») et l’amusante opposition de style entre Lionel Logue et Albert que tout semble séparer. Et parmi quelques jolies scènes et plans intéressants (le roi qui se présente devant la chambre de ministres et qui regarde autour de lui ses ancêtres, en peinture, qui le contemplent), le film malheureusement manque un moment de frôler le « climax » ou moment mythique : le futur roi regarde avec sa famille un reportage sur les anciens couronnements. La bande projetée en noir et blanc montre ensuite, un peu par hasard, un discours d’Hitler qui s’adresse à des milliers de soldats. Un champ / contre-champ s’établit petit à petit entre George VI et Hitler, où le premier voit devant lui un orateur doué et qui représente la grande menace qui pèse déjà sur l’Europe. La double interprétation du personnage que nous renvoie le film laisse le spectateur perplexe car divisé entre peur et éblouissement. La scène coupe très vite, peut-être de peur d’y montrer une lecture dangereuse pour les millions de spectateurs qui vont aller voir The King’s Speech dans les salles ? Là où le film aurait pu faire scandale, il se rabat sur lui-même pour éclipser rapidement le mécanisme qui avait pourtant été mis au point de façon assez surprenante : suivre pendant plus d’une heure et demie un homme qui ne sait pas parler et qui voit, soudainement, terrorisé durant quelques secondes, Hitler s’exprimer devant le peuple d’une façon impériale – quelle dualité ! Le jury des Oscars se laissera-t-il avoir ?