Photo: Pierre Raboud |
Cela fait plus d’un an que le nom de WU LYF est partout, au point que le mystère qui entoure ce groupe paraît de plus en plus factice. Alors posture artistique forte ou stratégie commerciale hype ? Pour le juger, rien de mieux qu’un TT Trip à Londres.
WU LYF est un de ces objets musicaux qu’on ne sait pas vraiment comment prendre, tant à des moments il paraît n’être qu’une émanation de blogs à la recherche de la nouvelle sensation. Pour un groupe qui n’a encore sorti aucun véritable disque officiel, ils ont déjà une communication au point et une posture ultra définie : très peu d’interviews, des vinyles seulement vendus via leur site ou à leurs concerts. WU LYF signifie World Unite Lucifer Youth Foundation (en gros l’union mondiale de la fondation de la jeunesse luciférienne). Un myspace hors service. Un site qui ne dirige que vers un (très beau) mystérieux clip. Finalement on arrive à en trouver un autre bouillonant où on nous propose de rejoindre la fondation, avec la promesse de recevoir non seulement un vinyle mais aussi un drapeau et une marque d’allégeance. Différents textes cotoient des collages dans un style et un ton assez post-situationiste autour des notions de « Play », de « Dirt », de « Heavy Pop », et de « Lucifer ». On nous présente carrément LYF comme une alternative à la vie. Un nouveau discours, en soi pas inintéressant, sur la subversion venu de jeunes gens dans des cafés ou des galeries, pourquoi pas ? Après tout, à une époque où la posture artistique se résume le plus souvent à l’énonciation « je crée dans mon coin, je n’ai rien à dire sur le monde mais je fais de belles mélodies », un peu de discours ne fait pas de mal. Pas qu’on croie vraiment qu’en rejoigant WU LYF on va changer le monde. Mais au moins poser qu’on veut le changer. Si cette pratique sera difficile à tenir, cela reste honorable pour un groupe de continuer à vendre ces vinyles sans distributeur institutionel, échappant ainsi aux « shackles of monetary driven interest ».
Voilà ça fait tout un paragraphe où il a été peu question de musique, mais bon WU LYF l’ont bien cherché. Pourtant ce qui faisait que j’étais tout excité à l’idée de les voir, c’est bien et avant tout les premières chansons qui avaient perçé. A couper le souffle, elles avaient marqué mon année 2010. L’article dithyrambique de Libération sur leur concert à l’excellent MIDI festival l’été passé n’avait fait qu’attiser ma curiosité à vif. Le concert londonien se déroulait dans les Corsica Studios, une petite gallerie. Partout sur les murs et les retours, il y a des affiches semblables aux décorum du site, avec paroles et enfants en furie. Ce soir, c’est bar et projection dans la première salle et concert dans la seconde petite salle. La première partie, Eternal Fags, jouent au pied de la scène. Ce duo punk ne brille pas par leur technique mais l’envie de donner le maximum et un brin d’insouciance font que finalement c’est parfait pour chauffer la salle qui est de plus en plus bondée. Sur scène, le joli clavier en bois et la croix marquée du sigle LYF sont soudain dévoilés et le groupe entre sur scène. WU LYF, c’est donc finalement un quatuor, moins gravure de monde qu’on le pensait et craignait. Y a un bassiste rondouillard torse nu dès la deuxième chanson, un guitariste chemise sur T-shirt et un un batteur à la cool. Bon, c’est clair que le chanteur au clavier fait le bouleau, dans le genre charismatique maigrichon à foulard. Ce qui me rassure d’emblée, c’est qu’en live, WU LYF laisse de côté tout le discours situ. Pas de mise en scène pompeuse avec des diables ni de psaume sur la jeunesse subversive. En plus, les mecs se prennent pas trop au sérieux. On sent plus de la timidité que de la pose et quand le guitariste se lance dans un solo, c’est gaiment que tout le monde se moque de lui. Au fil du concert, je me rends compte que WU LYF n’est finalement pas un groupe exceptionnel ou mystique comme aurait pu le faire croire le bouche à oreille frénétique et leur propre communication. C’est juste un bon groupe tribal pop à la candeur épique. Dans toutes les chansons, on sent cette simplicité et cette envie d’exprimer des émotions fortes. Je pense évidemment d’abord à la voix du chanteur. Sur certaines chansons, c’est clair qu’elle est un peu trop manièrée et agace. On ressent ce que je désignerai comme l’impact négatif d’Anthony and the Johnsons sur la musique actuelle. Pour faire bien comprendre qu’on est ému, on est pas obligé de mettre autant de trémolo dans sa voix. Mais sur les bonnes chansons de WU LYF, la voix est juste hallucinante, encore plus vibrante en live que sur album, sans rien perdre de sa beauté. Comme au bout du rasoir, sur un fil entre le sanglot et le cri, elle te colle au sol, remue ton intérieur et tu dis merci. Ce qui fait que ce groupe mérite d’être écouté et vu, c’est qu’il a produit des chansons vraiment incroyables, à la force sentimale époustouflante pour une formation aussi jeune. Heavy Pop et Split It Concrete Like The Colden Sun God sont deux chansons magnifiques, puissantes, envoutantes, jamais lassantes. Et pour ça, peu importe la hype, peu importe leur posture, peu importe leur âge, je suis prêt à rejoindre WU LYF.