Illustration: Pierre Girardin |
En plein cœur des Etats-Unis, c’est-à-dire dans le trou du cul du monde, une fille part à la recherche de son père. Une quête douloureuse. Un vrai western moderne. Deux ans après le magnifique The Road, c’est de nouveau d’un réalisateur inconnu (Debra Granick) que vient la très bonne surprise du cinéma américain indépendant. En même temps cette fois on était prévenu, Winter’s Bone a gagné le grand prix du jury à Sundance.
Avant toute chose, la photographie de Winter’s Bone est juste vraiment magnifique et rappelle furieusement celle du génial (ah oui c’est vrai je l’ai déjà dit qu’il était super ce film) The Road. Ici aussi, on est scotché par cette esthétique de fin du monde. A la saison morte, les feuilles et la campagne n’oscillent qu’entre le marron et le gris. Ceux qui sont venus voir des loups criant à la lune auxquels l’affiche du film fait penser seront déçus. A l’exacte contraire du Los Angeles de Sofia Coppola, Winter’s Bone donne à voir un centre des Etats-Unis hors du monde, presque hors de la vie. Les êtres qui le peuplent ne sont là que pour survivre et les écureuils pour être écorchés. Chacun vit dans sa petite maison individuelle, plus proche de la caravane que de la maison, où si la pauvreté est toujours là, la chaleur peut exister. Ce monde semble totalement détaché du monde extérieur, si ce n’est via le trafic de méthamphétamines. La présence de cette drogue dans la région montre l’impact négatif de l’économie globale sur cette région reculée. Ses marques se lisent tant dans la pauvreté et la dureté des gens que dans leurs aspects physiques. Rappelons que ce le ravage provoqué par la présence des meths sur les régions rurales des Etats-Unis a été plus d’une fois analysé. C’est au milieu des maisons brulées, des picks-up, que se déroule la quête de l’héroïne de 17 ans, Ree, interprétée par Jennifer Lawrence, bouleversante par la simplicité de son jeu et par l’émotion que ses mains dans les poches et son regard contiennent. Elle doit partir à la recherche de son père, pour lui demander de se présenter à la justice, car sa fuite causerait la perte de la maison pour Ree, sa mère malade, son frère et sa sœur. Cette quête aura un tempo plutôt lent et se concentrera dans des distances très courtes, c’est à peine si l‘on a besoin d’une voiture. Comme dans toute quête, les étapes se font au rythme des différents personnages, tournant autour du père, toujours absent, véritable spectre, entre vie et mort, entre héro et traître. De son frère, Teardrop, interprété magnifiquement par John Hawkes, jusqu’au terrible Thumb au physique de buffle, en passant par les femmes au visage de toxico, chaque rencontre se fera dans la violence et le sang, que ce soit celui de la parenté ou des coups. Le corps impressionnant de Thumb sera peut-être le seul à être montré de façon distincte dans le film. Car Winter’s Bone montre avant tout des visages, filmés de près. Lieu d’émotions, marqués par la drogue ou les blessures, ce sont en eux que se jouent les tensions entre les personnages de la quête, toujours entre la menace et la compréhension, mais c’est également sur eux que la joie peut parfois se lire.
La quête de Ree dans cet univers noir se donne véritablement à voir comme un western moderne, que ce soit par son rythme très lent, ou par sa façon de présenter toute relation entre individus comme une forme de duel, mais surtout dans sa morale. Dans ce monde, chacun doit faire ce qu’il a à faire. Ree doit chercher son père mais ne doit pas le dénoncer, Teardrop doit couvrir son frère et le venger au cas où, les femmes doivent éloigner les curieux. Ici les comptes se règlent entre hommes, ce sont eux qui décident même si au final, seules les femmes seront amenées à faire le sale boulot. Ce patriarcat est un des éléments qui donnent une coloration forte du film. À l’instar de ce qu’avait fait Jacques Audiard avec Un Prophète, Winter’s Bone ne porte pas un jugement sur les personnages qui le peuplent. Il les montre existant dans une situation donnée, chez Audiard la prison, ici le monde rural marqué par la pauvreté et le trafic de meths, et agissant en conséquence. Ree sait ce qu’elle doit faire, trouver le moyen de garder sa maison pour rester auprès de sa famille, et si tout le monde ne la laisse pas faire, tout le monde la comprend, et comprend même qu’elle doit aller jusqu’au bout. Pour triste que semble être cette quête, elle finira pourtant non sans un certain bonheur. Au lac sombre, se substitueront le feu des souvenirs et la réconciliation, magnifiquement filmée dans un moment de banjo où la réalisatrice évite l’écueil de la pâmoison finale du splendide pour rester dans le registre qui fait la force et la beauté de ce film, un réalisme bouleversant de lyrisme. C’est bien là le côté incroyablement réussi de Winter’s Bone, qui se tient sans cesse entre le mythe et la réalité, entre la quête initiatique et le décor naturaliste. À l’inverse du misérabilisme ou de l’austérité qui marquent la plupart des films portant sur des réalités sociales définies, Debra Granick réussit l’exploit de faire un portrait de la réalité dans ce qu’elle a de lyrique, sans pour autant que cette dimension en anesthésie la matérialité à force d’esthétisme emphatique.
Ah oui ! J’ai failli oublier de dire que la musique, elle aussi très belle de sobriété, est signée par Dickon Hinchliffe de Tindersticks. Encore un bon point pour Winter’s Bone.