MUSIQUE      CINEMA      ART + LIVRES      POST DIGITAL

23 avr. 2011

MUSIK TANK: Musique tamoule

Illustration: Pierre Girardin
Voilà qu’un petit label français, Cartilage Consortium, dégaine PLAY THAT BEAT MR RAJA, une sélection de chansons issues de l’industrie cinématographique tamoule entre 1985 et 1991, ce monde magique où toutes les filles sont jolies et tous les hommes ont des moustaches. Onze titres qui semblent presque faux tant ils sont géniaux, bizarres, improbables, et qui nous font nous demander comment un compositeur aussi génial que Illaiyaraaja peut être aussi méconnu en dehors de l’Inde.

A vrai dire, ca faisait un moment que j’attendais ce vinyle. Deux chansons avaient percé en 2010, et c’est sans hésiter que j’en avais mis une, "Vikram Vikram", au sommet de mon top chansons de l’année. Mais voilà suite à des « plantages dans la presse », le LP a pris du retard et est enfin distribué via Honest Jon’s Record. A l’instar du travail grandiose que fait Sublime Frequencies aux Etats-Unis, c’est un petit label occidental, basé cette fois à Paris, qui s’occupe du travail de sélection et de diffusion de chansons que nos oreilles n’auraient pas pu connaitre autrement. On n’en serait mort plus pauvre. Ce label, c’est Cartilage Consortium, qui avec PLAY THAT BEAT MR RAJA sort son troisième LP et qui s’occupe aussi d’un blog défrichant dans les terres incongrues des différents continents, avec des groupes français, italiens ou tropicaux. Au début, je pensais les contacter pour savoir comment ils avaient fait cette compilation, où ils avaient trouvé les titres et s’ils étaient des connaisseurs de culture tamoule en générale. Mais au fond, ce n’est pas vraiment cela qui est important. Au contraire, ce qui fait le délice d’une telle compilation, c’est justement son côté trésor découvert presque par hasard. Au fond, on ne sait pas grand chose de cette musique qui semble sortie de nulle part, les quelques présentations de la pochette suffisant pour l’écoute. Au final, ça me va très bien de garder le caractère mystérieux de cette présence de musique tamoule dans ma boîte aux lettres par l’intermédiaire d’un label.


Tout dans PLAY THAT BEAT MR RAJA fascine. C’est étrangement génial et génial d’étrangeté. Tous les sons semblent incongrus, fous. Ca donne même envie de voir les films. Ces titres délurés finissent parfois à ressembler à de l’hyper pop incroyable, sorte de mélange improbable et bizarre des grands maitres de la pop sci fi ou absurde, de Giorgio Moroder à Frank Zappa en passant par Space. Sur les onze chansons, huit sont composées par Illaiyaraaja. On ne peut que s’incliner face à ce génie mélodique et expérimental, totalement exubérant. L’instrumental "Title Music" est une fanfare délirante, "Vikram Vikram" un Michael Jackson sous acide frelaté. Véritable touche à tout, ses chansons explorent l’ensemble des possibles musicales, traversant le cabaret, la musique électronique, le funk, la pop, dans la passion de renouveler la musique par tous les moyens disponibles ou à inventer, que ce soit sur des thèmes musicaux jouissifs ou des chansons pop efficaces. Une chose qui m’émeut dans la musique indienne et tamoule, c’est la force émotionnelle des duo masculin/féminin, une bande son kitch de l’amour mais exécuté avec une foi dans son caractère absolu qui fend le coeur. Dans ce registre, "Thakkum Thalaangu Thattom", "Puthiya Utagille" et surtout "Chittu Kuruvi" font office de brise glace, mon cœur fond. A part Illaiyaraaja, notons aussi l’excellente "Cola Cola Coca Cola", avec une voix féminine, délice psychédélique où la partie instrumentale balance entre amateurisme et grandiloquence. A écouter en secouant la tête sur ses rollers.


Pour finir cet article, j’aimerai dire quelques mots du sort qui est réservé aux Tamouls dans certaines parties du monde. Rappelons que ce groupe ethnique, présent surtout en Inde et au Sri Lanka, est souvent réprimé et ses membres font partis des populations les plus pauvres et les plus exploitées. Au Sri Lanka, on compte ainsi 1'000 meurtres pour la seule année 1983 selon SOS Racisme. Les Tamouls se réfugient alors dans le nord du pays et les Tigres de Libération de l’Îlam Tamoul (LTTE), groupe armé révolutionnaire d’influence marxiste, prend le contrôle de la région de Jaffna et exige l’autonomie du peuple tamoul. Après 26 ans de dures et héroïques années de résistance marquées par les assauts incessants du gouvernement raciste cinghalais, en 2009, l’armée défait les LTTE dans toutes leurs villes et les pousse à la reddition, tuant dans le même temps plusieurs dizaines de milliers de civils tamouls. Ces massacres se sont passés il y a seulement deux ans. Ils ont été peu reportés dans la presse occidentale et semblent déjà oubliés. Cette compilation est un prétexte de dénoncer une fois de plus cette injustice et ces crimes et comme le rappelle le tigre sur la pochette de PLAY THAT BEAT MR RAJA : vive les tigres de libération de l’Îlam Tamoul.