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22 avr. 2011

TANKART: Tony Oursler à Milan

Illustration: Artificial Hazard, Tony Oursler, 2010


Deuxième escapade à Milan pour le grupetto Think Tank, ciblée cette fois–ci Foire du Meuble (ou Semaine du design selon les traducteurs), festival électro–rock Elita, puis quelques galeries et musées, dont le Padiglione d'Arte Contemporana qui présentait une large rétrospective de l'art vidéo biscornu de l'Américain Tony Oursler. 

Milan n'est plus Milan lors de la Semaine du design nous dit–on. C'est en partie vrai: c'est très international, on s'amuse à croiser des têtes connues, à déambuler dans des showrooms aussi fantaisistes qu'épatants, on visite les stands d'écoles d'art allemandes, néerlandaises ou suisses (à noter l'excellente présence de la HEAD de Genève, avec un projet supervisé par Matali Crasset, fort remarqué et confirmant le retour en force de cette institution du bout du lac, alors que d'autres se ghettoïsent dans le quartier chic par trop d'arrivisme), mais une chose reste. On apprend à connaître cette ville avant tout par ses terrasses, ses petits apéros bienvenus, sa bonne ambiance, enfin l'Italie quoi. Notre fidèle guide locale Natalie nous a proposé cette fois–ci une exposition de haut–vol: l'artiste new–yorkais Tony Oursler (1957), au Pavillon d'Art Contemporain, le PAC, sous le nom Open Obscura, curaté par Gianni Mercurio (deux belles monographies sur David LaChapelle et Keith Haring notamment) et le critique d'art Demetrio Paparoni. «De même que la technique du collage a évincé la peinture à l'huile, ainsi le tube cathodique remplacera la toile». Fort de ce constat signé Nam June Paik, Tony Oursler s'ancre dans ce concept a priori abstrait d'installation vidéo, où l'image se maque à la forme, à l'objet, des poupées sculptées ici. Bien des situations rappellent des scénographies de théâtre ou de cinéma dans lesquelles des hommes opressés, dérangés, marginaux, s'expriment sur leur destin*.

Au PAC, Tony Oursler exposait une série d'installations de ces dix dernières années, tout comme ses projets musicaux et liés à Internet. Première pièce et premier fait d'importance: "Untitled", réalisé en 2010. Une sculpture hybride, en matériaux de récupération, des bijoux fait de bric et de broc qui y pendent ainsi que des petites fenêtres à projection, où la vidéo se perd, y effectue des applats multicolores. A droite, un billet de 5 Dollars américain avec un Abraham Lincoln bavard ou encore des tickets de lotto à gratter, à gauche des cigarettes se consumant (Marlboro, Camel, Winston, Parliament, Salem, Marlboro Light, American Spirit), pièce de 2009, puis l'ouverture dans le grand espace du PAC, avec le grand–œuvre de Oursler: Open Obscura donc, reprenant ce concept de vidéo installation pour le pousser à l'extrême dans une focalisation sur l'œil, un œil ici aussi bavard, dérangeant, barré que forcément fascinant. Des yeux, il y en a ici une dizaine, ça fout les jetons dans ce brouhaha surnaturel. Il y a du Big Brother, mais aussi du Otto Dix (Les Joueurs de Cartes), du Freud, du Gary Hill ou encore du Kubrick. En voisinage direct, Pet Series ne manque pas d'arguments. Rarement la frontière entre représenté et spectateur n'a été si étroite. Plus qu'un Jeff Koons, on a envie de toucher ces petits bonshommes psychédéliques, comme un bon trip au LSD que seul Radius apaisera. Une ampoule, un bruit sous–jacent. On pense ici à l'exposition de Simon Depierraz au CAN à Neuchâtel où il avait créé une pièce entière appelée StardustHotel N°2, en miroirs cassés, Mag–Lite et boule à facette. Tony Oursler laisse aussi respirer et c'est tant mieux, nous voici presque dans un étrange film, acteur et spectateur en même temps, amusé devant ces grandes pièces fixes sur lequel s'animent des images, ces animations fantomatiques, cette joyeuse confusion portant le nom de Extrude Lock (2011) magnifiée par le sens du détail et de la citation de Oursler. On fut cependant stupéfait devant la série de petites installations Peaks (2010), proche de la perfection, avec ces mini–beamers astucieusement disposés sur des tiges de métal face à des petites scénettes. Complétement dément. Un théâtre miniature à l'ancienne, comme ces boîtes à musique qu'on remontait inlassablement, une salle d'opération miniature, psychanalyse ou, du moins, une légère descente dans la psyché humaine; comme ça donne vachement moins en photo, allez jeter un coup d'œil au site de Tony Oursler, bien documenté et alimenté en vidéos. Peak parle de cette obsession de la technologie, son fétichisme, son isolation conséquente; librement inspirée des théories de Masahiro Mori sur la robotique, Tony Oursler semble parti dans une nouvelle exploration des tréfonds de notre âme version Internet, où, si tout est plus rapide, l'accumulation rend l'analyse d'autant plus difficile. Et l'œuvre plus fascinante.


Open Obscura propose finalement de redécouvrir une série de clips désaxés tournés par Oursler: "Empty" pour David Bowie (2000), "Master Mix" pour Beck (1998) mais aussi des séquences pour et avec la fine équipe de Sonic Youth, toujours dans les bons coups, avec Kim Gordon sur "Singing Dummy" (1995) et "Tunic" (1990) ou "Solo" (2005) avec Thurston Moore. La meilleure façon de prendre congé d'une exposition dont on a autant à apprendre qu'à fantasmer, dans un délire Pop Art, muti–référencé mais sacrément osé et irrévérencieux, à la limite du kitsch pour mieux s'assumer en tant que pièces singulières, sans queue mais avec une tête et de gros yeux. Et aux manettes du projet, une tête bien faite, celle de Tony Oursler, qui a l'âge de nos parents mais démontre par A+B qu'on peut être un vieux limier artistique et encore avoir le cœur et l'envie d'un gamin de 20 ans. 
* tiré d'un ouvrage introductif que l'on recommande: Art Vidéo, Sylvia Martin, Editions Taschen, Cologne, 2006