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6 mai 2011

LP: TUNE–YARDS – W H O K I L L

Photo: Julien Gremaud
Quelle époque vit–on! De tUnE-tOwN, tUnE–yArDs signe un album intitulé W H O K I L L  avec des titres comme "Es–so", "Gangsta" ou "Powa". Voici les rois du blaze?

Alors que d'autres compilent du Joy Division et du Joy Division pour sonner comme du Joy Division, certains semblent avoir signé un pact de non–agression anti–daté, postulant une liberté créative totale, diktat humble autorisant mais alors tout instrument, toute couleur, tout effet. On bannit aujourd'hui le saxophone? Parfait, on en place dans chaque morceau! On reprend Fela Kuti à toutes les sauces? Créons donc notre comédie musicale créole! Pas sûr qu'avec un tel pédigré tUnE–yArDs soit en mesure de prouver l'authenticité de son certificat de naissance sur sol américain. Et pourtant: de Nouvelle–Angleterre, Merrill Garbus fait partie de cette génération fourre–tout, enfants des posts–modernistes et élevés aux banquets de Wu–Tang, Violent Femmes, Moldy Peaches, Outsider Art, World Music et cover songs. Brièvement, un tas de sonorités peuvent se rapprocher des productions de Vampire Weekend; en porte–à–faux, tUne–yArDs s'extrait du format FM et opte pour les morceaux à tiroirs multiples, totalement libres, tenant par magie, ou par talent. Dans une excellente interview donnée à Magic, elle s'étonne carrément qu'un label ait bien pu s'intéresser à son cas: "le premier album (BiRd-BrAiNs ndlr.) était tellement brut, si lo-fi, et pourtant il nous a permis de tourner et de signer sur un label comme 4AD, c'est fou!". Avec le bassiste Nate Brenner, Garbus a un peu revu son matériel de base, garde ses petits confettis mabouls mais gagne en puissance par une production soignée, que certains regretteront comme ils l'ont fait avec le dernier LP d'Ariel Pink.


"Ladies and gentlemen, Merrill is playing at the...". "My Country" sonne, résonne, et ça détonne au son de percussions, de loops chantés ou l'inverse, il n'y a pas vraiment de rocher auquel se rattacher, le fleuve nous projette sur une Terre Neuve, celle des héritiers de Talking Heads et compagnons de jeu de Gruff Rhys (Super Furry Animals). Il y a du futé, on a vraiment envie de sortir le parasol et de se marrer quand entre en jeu le xylophone. Ça va vite ce tour du Monde en 210 secondes. Et on n'a encore rien vu, "Es–so" prend des bases jazz avec un contre–bassiste et se fait en réminiscences, guitares en mute, écœurées. On embarque sur une pirogue du tonnerre tunnée sans doute par Terry Gilliam. "Gansta" ne porte pas son nom pour rien, c'est un hip–hop de cocotiers nains interprété par Nate Brenner. Une drôle de performance, du reggae cubiste, dans un dédale de trompettes écarlates. Là, on sent que pas mal d'amateurs vont mettre la flèche à droite, ou appeler au secours.  tUne–yArDs sait heureusement creuser plus loin que son math–lo–fi, via le brillant "RiotRiot", où même si la cassure survient, c'est pour terminer sur un ska de bon aloi, accueillant, ou encore sur "Powa", rappelant du Paul Simon accompagné par les Breeders. Et puis, bon, mon morceau préféré, qui fout les jetons en plein après–midi caniculaire, c'est "Wooly Wooly Gong", épuré comme un CocoRosie sans les artifices plastiques, introduisant une chanteuse–conteuse de grande envergure, imaginative comme St–Vincent et détachée comme Florence Welch.


Nous avions récemment introduit le single du LP (distribué par Musikvertrieb), "Bizness", que d'aucun décrivent comme véritable tube. On y retrouve ce sens perturbé de la mélodie, cette rythmique faite de bouts de bois ainsi qu'une multitude de trouvailles sonores, ramassées sur le bord des routes tropicales pour mieux terroriser le concept de chanson. On y termine par de l'Auto–Tune raclant une forêt de trompettes. Ça y est, on tient ici un exemple d'excellente World Music! Les recettes de tUne–yArDs sont malgré tout hyper simples, relevant d'un amour pour les choses banales, traduites par lo–fi mais pas seulement. Pas de révolution de production, au contraire, si ce n'est quelques effets stéréo amusants, quelques coups de mute ou des constitutions bancales de loops, que Merrill Garbus avouait monter sur Audacity il y a encore peu. Cette jeune fille nous ravit dans cette attitude candide, face aux observateurs prostrés, se ravissant de l'éthique punk consistant à ne pas savoir jouer d'instrument. Elle s'inscrit plutôt dans une position bricole, connaissant bien plus que les bases techniques – quelle voix surtout! – mais composant toutes ses perles au ukulélé (le tribalol "Killa"), usant des nouvelles technologies pour en retirer sa simplicité même, à l'instar d'artistes vidéos incultes de la caméra et pourtant brillants. C'est un peu cela le nerf de la guerre chez tUne–yArDs, bien plus que ses explications casse–gueules sur l'orthographe de son vocabulaire (sa référence à M.I.A.) ou son lien évident avec l'afrobeat. Un métissage réussi version XXIème Siècle. On aimerait bien que ce LP puisse dériver jusqu'à Kinshasa, histoire de connaître leur avis sur la question. En tout cas, vu d'ici, c'est un grand succès. A retrouver dans tous les bons best-of 2011. Ou pas.