MUSIQUE      CINEMA      ART + LIVRES      POST DIGITAL

7 févr. 2012

Lygia Pape à la Serpentine Gallery

Installation: Lygia Pape, Livro do Tempo (Book of Time) 1961-63, © Projeto Lygia Pape

Presque une année jour pour jour après notre visite à l'exposition de Philippe Parreno, la Serpentine Gallery fut de nouveau un des points clés de notre périple glacial à Londres. Fondatrice du mouvement Néo-concret, Lygia Papa occupait l'entier de la demeure, pour une splendide rétrospective.

Comme l'an passé, l'art contemporain était de nouveau au centre de nos attentes londoniennes. Paraphrasons donc notre article de 2011, car, encore une fois, nous avons été passablement déçus: "après quelques jours passés à Londres, nous commencions à désespérer de voir une bonne expo d’art contemporain". Si, à bord d'un flamboyant pédibus 8 places, nous manquions de braquet pour se diriger à la galerie Saatchi, où quelques noms nouveaux de l'art contemporain allemands étaient réunis sous l'égide de l'exposition "Neue Gesamtkunstwerk: new art from Germany", nous ne pouvions manquer le détours par Hyde Park: toujours curatée - avec succès - par notre compatriote Hans-Ulrich Obrist, la Serpentine Gallery semble encore plus retirée des grandes rues avec cette neige tombant dans la City. Un jour avant le Jubilé des 60 ans de règne de la Reine Elizabeth, le parc était curieusement calme et épargné par la violente bise qui soufflait au centre. A se demander si c'est le courant tropical venant de la Serpentine qui aurait annihilé cette cruelle brise polaire. Décédée en 2004, Lygia Pape est effectivement hors-circuit occidentaux et classiques, et pourtant: née en 1927, la Brésilienne fait partie des artistes les plus influents que son pays n'ait jamais pu compter. Dans la lignée des travaux du peintre suisse Max Bill et de Theo van Doesburg, Pape n'a pas seulement donné une descendance sud-américaine au mouvement Concret mais aura dépassé ces associations symboliques pour l'appliquer à son champ d'action: les rues de Rio de Janeiro, les chocs sociaux et culturels dans un pays aux racines multiples, les années 60 et 70 et leur héritage, etc. D'espaces magnétisés, Lygia Pape développe un langage transdisciplinaire, visuellement forte, souvent sensuelle, où l'abstraction n'est pas toujours de mise.


Ainsi en va avec la première installation vidéo: "Eat Me" (1975) accueille le spectateur à la brésilienne, avec une bouche / performance au boc d'époque, sur fond de musique psychédélique. Qui pourrait de fait s'imaginer que derrière cette projection bien libidineuse se trouve la somptueuse installation "Tteia"? Explicitant au mieux cette notion d'espaces magnétisés, "Tteia" est une toile de fils se détachant de la pénombre par un éclairage parfaitement maîtrisé. Magnétique dans les deux sens: aussi frustrante que belle, cette installation encourage à rentrer dans son espace, à la manière des pièces d'Olafur Eliasson mais reste totalement hermétique au visiteur premièrement. De plus, elle semble tenir en équilibre, sans début ni fin, au jeu des lumières. S'il serait pompeux d'appliquer cette pièce au développement urbanistique du Brésil et plus particulièrement de sa ville toute-faite, Brasilia, on ne peut s'empêcher de penser à ce pays-clé du BRIC ou, en tout cas, à une sorte de tension-répulsion qu'éprouve Lygia Pape pour son pays. Car de modernité tape à l’œil, elle sait aussi en montrer les faces plus humaines voire désunies via ses quatre autres installations vidéos.


L'art Néo-concret de Pape se manifeste surtout à travers ses tableaux et sculptures, où la salle recueillant la série des "Sem título" (Untitled) agit en échos de sa pièce maîtresse et véritable œuvre de toute une vie, "Livro do Tempo" (image d'ouverture de l'article): exécutée entre 1961 et 1963, elle se compose de 365 éléments comme autant de jour de l'année; ce livre des temps articule comme un système mathématique des formes élémentaires, casses-tête pour les expressionnistes ou autres pressés, dans des couleurs élémentaires où, pour s'amuser, on reconnaîtra nombre d'emprunts ou des résonances logotypiques à des marques ou des sociétés. Plus que les déclinaisons, c'est le rythme dans le nombre d'étapes qui sidère et envoûte, au risque d'énerver par cette impossibilité récurrente dans l’œuvre de Pape de se fixer à l'installation, de trouver un point d'entrée voire un échappatoire. Comme dans un Pollock, on se plonge dans cette démultiplication de lignes et de traits de coupe sauf qu'ici, c'est carré et implacable.


Joyeuse et hermétique, conceptuelle mais sensuelle, la rétrospective londonienne de Lygia Pape occupe soigneusement les différentes ailes de la Serpentine Gallery, regroupant a priori les disciplines alors pratiquées par la Brésilienne pour mieux décontenancer et, de fait, tenter d'exprimer au mieux certaines idées esthétiques, éthiques et politiques formulées par une artiste plus obsédée par l'invention de nouveaux langages que de s'attribuer une quelconque place dans l'art d'alors.


En collaboration avec la Serpentine Gallery, cette rétrospective est organisée par le Musée national et Centre d'Art Reine Sofia de Madrid. Visible jusqu'au 19 février 2012.
Les images de l'exposition sont visibles ici.
© 2011 Jerry Hardman-Jones, Projeto Lygia Pape and Museo Nacional Centro de Arte Reina Sofía