Illustration: ROW99 |
L’underground actuel ne serait-il pas une forme de sacralisation des déchets ? Les sons bizarres, les productions à l’arrache et les mélanges sacrilèges sont portés au rang de chef d’œuvre, l’authenticité prétendue étant à ce prix. Ces démarches pourraient sembler vaines si elles ne donnaient pas parfois des résultats à couper le souffle voir même à faire danser. Deux exemples ici avec Death Grips et Trust.
Les frontières entre mainstream et underground s’étant fortement atténuées, certains groupes ont choisi de partir dans la surenchère en ce qui concerne la brutalité des productions, la crasse et l’étrangeté. Ceci parfois pour le pire, quand des formations s’enferment dans les pires clichés d’une musique ennuyeuse qui n’a d’expérimental que le nom. Parfois pour le meilleur, quand ces groupes ne nient pas le mainstream mais l’emmène le plus loin possible en le pervertissant.
C’est ce que font Death Grips avec le hip-hop. Que ce genre musical soit déjà à la pointe avec Shabazz Palaces et ASAP Rocky n’est qu’un prétexte qu’il fallait saisir pour aller encore plus loin. Le mot qui semble le plus approprié pour décrire la musique de Death Grips est brutalité. Il y a chez eux une violence certaine, le chanteur prenant une voix bien fâchée tandis que les sons se font volontiers agressifs. Il est difficile de rester neutre en écoutant THE MONEY SHORE. Mais brutalité aussi dans le sens de matériel brut. En effet, Death Grips, c’est un chanteur black, un batteur et un troisième délégué aux différents samples. Et dans ceux-ci, on retrouve beaucoup d’enregistrements à l’arrache: des bribes de conversation, des bruits dans la rue, le tout enregistré simplement à l’aide d’iPhones ou de caméra. Le tout est mélangé avec des extraits de vidéo Youtube. Ces enregistrements volontairement sales produisent un son trash au possible, se servant dans les déchets à portée de main pour produite quelque chose à la fois extrêmement complexe de multiplicité et directement brutale par sa violence. Ce broyage de sons divers rappelle un peu KALA de M.I.A. pour sa capacité à puiser dans les musiques urbaines des Tiers et Quart-Monde, l’effet Mir Laine de Diplo en moins. Death Grips en parlent en terme de "future primitivism." On retrouve en effet à la fois une énergie brute, très primitive, au sein d’une musique dont l’ancrage dans la matière présente et l’aspect hybride est extrêmement moderne. Il en est de même pour le flow du chanteur qu’on pourrait placer dans le registre hip-hop mais qui ne ressemble à rien de ce que l’on a entendu jusqu’alors. Mais si Death Grips deviennent un des groupes actuels les plus passionnants, c’est parce qu’ils ne laissent pas leur brutalité trash s’enfermer dans une expérimentation ennuyeuse et inaudible. Au contraire, ils la branchent sur une musique beaucoup plus pop. Le terme est peut-être ici un peu fort pour désigner un groupe aussi peu FM. Il n’empêche que la plupart des titres parviennent à séduire grâce à des rythmes entrainants ou en insérant des passages plus propres. Comme sur "The Fever" où les hurlements évitent toute frustration grâce à un refrain monstrueux, où Death Grips semblent soudain avoir switché sur une piste tube électro. THE MONEY SHORE sonne comme un bricolage au gros scotch noir, dans le bon sens du terme. Ce pilonnage dément donne aussi bien des titres presque faciles comme "I’ve seen footage" mais aussi des trucs vraiment méchants et bruitistes ("Lost Boys") et surtout au milieu des titres aux samples sans concession tout en étant délicieux à l’écoute. Jetez vous sur "Get got", "Hustle Bones" et "Punk Weight".
Comme Crystal Castles, Trust, pas le groupe français donc, viennent de Toronto. Et cette origine commune se traduit ici par une très forte similarité au niveau musical. On a souvent parlé d’électro-punk pour ce son salement minimal, syncopé et frustre. Parfois, la ressemblance prend même des airs de plagiat sur des titres comme "Dressed For Space" ou "Bulbform". La spécificité de Trust réside dans un son beaucoup moins haché, avec un rythme plus lent que celui de Crystal Castles. Les parties vocales sont assurrées par un homme, dans un registre très cold wave, qui fait ici penser ici assez logiquement à Cold Cave, une voix qui en agacera plus d’un. En fait, la vérité c’est qu’on a beaucoup de peine à s’emballer pour un début d’album sans originalité ni énergie. Mais petit à petit, les qualités de ce TRST vont se montrer. Chez ce groupe, il n’y a pas d’agressivité, ni de violence trash mais une fétichisation de la tristesse, une mélancolie magnifique et les musiques qui vont avec. Trust se veulent épiques et y réussissent cent fois mieux que the Big Pink par exemple. C’est ainsi que, quand personne ne regarde, Trust se laissent aller à des penchants italo-disco, que ce soit sous forme de balade ("Candy Walls"), ou de tube aux synthés reconnaissables entre milles ("Chrissy E"). Trust est un duo homme-fille. Et c’est parfois la deuxième qui chante. Pour notre plus grand plaisir. Ainsi "F.T.F." représente le titre le plus réussi de TRST, magnifique par son ambiance glaciale, ces synthés mal fichus qui se permettent pourtant les montées les plus épiques. TRST ne plait pas de façon constante mais séduit parfaitement quand il parvient à enlacer deux genres qui ont en commun des sons entre kitsch et produits à l’arrache mais surtout une capacité à bouleverser.