Illustration : Charlotte Stuby |
Wes Anderson est talentueux. Pour preuve, il est l’un des seuls réalisateurs à rendre Owen Wilson touchant. Ami d’enfance des frères Wilson (les autres frangins jouent régulièrement dans ses films), le jeune Wes n’a que 27 ans lorsqu’il réalise son premier long-métrage, l’excellent Bottle Rocket. Les bobines se suivent sur un bon rythme (1 tous les 3 ans) dont de véritables réussites, comme Rushmore (1998) ou La Famille Tenenbaum (2001). Mais ce qu’il faut souligner chez Anderson, et ce qui se confirme dans son nouveau film, c’est cet aisance du montage, de l’atmosphère bon enfant sur des situations qui devraient nous rendre tristes, et la capacité à rendre réelles et sensibles des scènes ridicules. A la manière d’un Woody Allen, les histoires que nous racontent Anderson tombent de nulle part, et il faut d’abord les accepter pour pouvoir ensuite tranquillement les apprécier. Moonrise Kingdom donc, c’est l’histoire de Sam, scout orphelin, qui décide de s’évader de son camp avec une fille de 12 ans. Le coupe d’ados pré-pubères se perd dans les bois et leur fuite déclenche l’alerte dans le monde des adultes : les parents de la fille, la police, une assistance sociale et bien entendu le head chief du campement scout duquel le petit Sam s’est évadé. Leur fugue va faire naître une idylle chez ces deux jeunes originaux.
Wes Anderson filme l’enfance comme un adulte nostalgique. Les nombreux plans qui nous montrent des intérieurs de tente (déjà visible dans La Famille Tenenbaum), idéalise toutes ses cachettes que nous fabriquions enfants. Sauf qu’avec son film, Wes sort ce divertissement de la chambre traditionnelle de jeux, pour l’installer à l’air libre. Ce déplacement géographique n’est pas anodin. Le générique d’ouverture, filmé à la manière de La Vie Aquatique, nous montre les différentes pièces dans laquelle vit une famille et chaque chambre est une fermeture et une ouverture. La maison familiale devient un jeu de cache-cache, mais aussi une célébration du cinéma : la table à manger se met au service de la caméra, permet de se rabattre pour permettre les travellings latéraux. Les couloirs ne servent plus de passage entre les différentes pièces, mais deviennent un accès au dispositif filmique. Ainsi, Anderson, pour l’ouverture de son film, nous avertit que les lieux que nous croiseront durant 90 minutes sont créés pour le cinéma et qu’il s’amusera à les filmer comme un enfant qui court après son sujet, pour mieux le comprendre. Comme les contes (les Grimm, Perrault, Henderson), les intrigues s’invitent au récit pour faire avancer l’action. Ici, Anderson crée des lieux qui permettront à son sujet d’évoluer : un lac, une île, un personnage-narrateur qui explique les lieux, des scouts bizarres, des parents inattentifs, une tempête à l’horizon.
Godard et le Carnaval des Animaux
Perfectionniste du cadre et de l’image, chaque plan est construit comme un tableau : symétrie, choix des couleurs, placement des personnages ou irruptions de monuments créés par l’homme dans un paysage naturel, tout est réfléchit dans le monde visuel d’Anderson. Si le scénario et surtout sa fin manque un peu d’épaisseur, l’imagerie du conte pour enfants mélangée à celle du film d’enfants sont bien présents. Il y a un petit côté Stand By Me(1986) en coulisse, du Hook (1991), et c'est justement ces allusions au cinéma qui rendent le film très intéressant. Le couple perdu dans les bois et écoutant de la musique rappelle celui de Badlands (Malick, 73) et la recherche de liberté nous ramène à la Nouvelle Vague, au Jules et Jim de Truffaut mais, surtout, au Pierrot Le Fou de Godard réalisé… tiens ! en 1965, date fictionnelle de Moonrise Kingdom. Le grand clin d’œil est celui de la plage, où les deux jeunes se retrouvent dans une baie où ils installent leur campement. La plage devient leur lieu, entre l’eau et la terre, où ils vont se raconter des contes, des histoires, comme Belmondo et Anna Karina. Parsemé de belle musique (du frenchy Françoise Hardy au Carnaval des Animaux de Saint-Saëns), les deux jeunes tourtereaux vont alors découvrir leur corps, se toucher et s’embrasser. L’évocation sexuelle extrêmement connotée ira jusqu’à perforer le lob de l’oreille de la fille d’une boucle d’oreille formée d’un petit insecte accrochée à un hameçon. Suzy se met à crier, du sang coule le long de son corps et les amants s’endorment dans leur tente.
Film d'ouverture de la 65e édition du Festival de Cannes, Moonrise Kingdom est une réussite au niveau visuel et du jeu d’acteurs mais, comme dit plus haut, pêche un peu dans sa fin. Mais l'objet est fort sympathique et se trouve être le prolongement logique de l’œuvre en construction du réalisateur. Avec un casting en lettres d’or qui se suffit à lui-même (Bruce Willis n’est jamais aussi génial que quand il joue un looser), le réalisateur démontre l’incapacité à devenir libre tout en restant enfant. Les adultes empêchent toutes décisions venant des enfants et pourtant, il sont traqués, épiés et manipulés par leur progéniture. Dans ce genre de long-métrage, il est intéressant d’y voir la continuité du créateur. Wes Anderson, dès Bottle Rocket, est l’artisan d’une œuvre passionnante où se mêle désillusions (La Famille Tenenbaum en est l’exemple le plus parfait et le plus puissant), nostalgie de l’enfance, irruption du conte (déjà dans Fantastic Mr. Fox) et loosers ambitieux. Sans passer par une école de cinéma, Wes Anderson, avec sa licence de Philosophie en poche, s’est lancé dans un cinéma en marge d’Hollywood où il a pourtant réussi à attirer certains des plus grands acteurs du milieu. Sa signature s’est faite au fil des années. Avec le recul, il est – avec Scorsese – l’un des réalisateurs sachant le mieux utiliser la musique préexistantes dans ses long-métrages (voir l’ouverture de Darjeeling Limitedavec les Kinks ou la scène du bus sur These Days de Nico dans Tenenbaum) mais aussi le slow-motion, qui avertit toujours la fin de ses récits. Dans Moonrise Kingdom, Anderson ne faillera pas à la règle, même si cette fois, il nous tend un petit piège…
Moonrise Kingdom de Wes Anderson (Etats-Unis, 2012)
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