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30 sept. 2012

documenta à Kassel, matricule 13

Photo: Sanja Ivekovic, The Disobedient (The Revolutionaries), 2012
On visite l'impérieuse ville de Kassel début juillet pour une documenta que l'on annonce d'ores et déjà très politisée (ou positionnée), mais aussi critiquée; on attend la fin de cette treizième quinquennale pour revenir sur une réunion manifeste, au passé prestigieux, lourd et quasi-intouchable. Cette dernière volée, chapeautée par Carolyn Christov-Bakargiev, eut-elle les épaules suffisamment solides devant l'attente? Et, plus globalement, y-a-t-il des enseignements à en tirer?

Kassel ressemble à toutes ces villes provinciales ouest allemandes au fort développement dans les années 1960-1970. La documenta - puisqu'il faut l'orthographier comme cela, ou alors dOCUMENTA - se charge de la faire vivre internationalement depuis 1955. Sinon, pas grand chose à relever si ce n'est des zones piétonnes commerciales, pas mal de désuétude et des jolies montées. Nous sommes hébergés par des locaux, l'occasion de vivre l'aventure au plus près du palpitant, boire des bières avec notamment Norman Teague, concepteur de la maison/œuvre d'art Huguenot au plein centre-ville, tester les barbecues géants avec l'enveloppe budgétaire de notre école d'accueil et disserter sécurité avec des agents de police en monocycles électriques. En groupe, on prend toujours les choses plus à la légères, on discute et ainsi on ne ressent pas ce qui sera de prime abord critiqué à l'heure des comptes: se jouant dans un périmètre volontairement vaste, cette exposition n'évite pas l'écueil de la dispersion. Pis: des travaux de valeur très inégale se côtoient inconfortablement. Mais cela, nous le remarquerons, après trois jours d'arpentage enthousiaste. On dit qu'à chaque documenta se dégage des œuvres fortes et marquantes pour les prochaines décennies. Et si Pierre Huygues, avec son chien à pate rose et sa sculpture corps-abeille faisait partie de celles-ci? Elle est dans tous les cas un des moments captivants d'une ballade dans le parc aux allures de marathon. On relèvera, entre deux coups de foudre - mortel à Kassel - l'installation géante de Sam Durant, "Scaffold", pièce aussi étrange qu'imposante, juxtaposition postmoderne de potences. Le tout flotte, soutenu par des structures métalliques. Le ton de l'explication est sévère. Un peu plus loin, le Japonais Shinro Otake dévoile une autre installation d'envergure avec "Mon Cheri: A Self-Portrait as a Scrapped Sheld": baraque bancale, bizarre, repère de pêcheur-aiguiseur de jantes. Dans l'arbre d'en face, des bateaux reposent comme des limbaux, ambiance d'après cataclysme, dans une esthétique peu considérée. Giuseppe Penone lui construit une réplique d'arbre grandeur nature, amputé de ses branches, une pierre en trophée abscon. Sans doute LA pièce absurde de Kassel, cochant une des quatre cases/positions artistiques revendiquées par l'ancienne conservatrice en chef du Castello di Rivoli à Turin, Christov-Bakargiev: celle d'être assiégé (aux côtés d'être sur scène, être porteur d’espoir ainsi qu'être en retrait).




A l'heure des super-écuries de l'art contemporain, des biennales maousses et des installations XXL, la documenta prend déjà un risque certain de rester ce qu'elle est et de se produire à ce fameux rythme singulier, à savoir - seulement - deux fois par décennie. Alors oui, s'il y a des niveaux très distincts dans les travaux présentés, attendant du lourd ou de l'alléchant, on prend son mal en patience. Trois jours de visite(s) paraît soudainement trivial: chaque pièce, terminée et souvent conséquente, demande un certain niveau d'attention. De fait, on proposera certains entretiens fleuves parus dans des magazines à gros tirages pour ainsi dégrossir et se faire un avis objectif sur ce que fut réellement cette 13ème édition de Kassel - on a pour ainsi dire tout entendu de facto, et souvent du très négatif de gens du milieu. Ici à Think Tank, nous éviterons l'analyse rhétorique et rigoureuses des différents niveaux de lecture de cette exposition importante, si ce n'est majeure, pour mieux prendre le parti de l'escapade, avec, toujours en tête, cette question cruciale: que peut-on encore tirer d'une telle manifestation, entourés le reste de l'année de tant d'indécence du monde de l'art contemporain?



On pourrait certainement répondre qu'elle permet de dégager des tendances déjà observées (la prédominance de l'installation, le retour de la peinture comme pratique dominante) mais aussi de confirmer ou de consacrer des acteurs récents et attendus de la branche; Körpys et Löffler, Kader Attia, Tacita Dean, Yan Lei, Ramon Ondak ou Janet Cardiff. Cette Canadienne marque les esprits, avec deux installations sonores - une dans les arbres du parc, une autre en iPod embarqué sur les quais de la Hauptbahnhof. On était aussi très impatient de voir l'occupation d'une maison entière située au-dessus de cette gare, où tant d'anciens dépôts abritent une frénésie de travaux: la chypriote Haris Epaminonda, établie à Berlin, y présentait avec Daniel Gustave Cramer "The End of Summer" sur trois étages d'un ancien bâtiment communal, complètement fermé à toute intrusion de lumière extérieure. On y rentre comme dans une fouille archéologique méditative; ce musée imaginaire fait à quatre mains regroupe des pièces autant filmiques que physiques, artefacts culturels groupés ou dispersés, voire carrément cachés. Tout ceci pourrait prendre des allures du cool contemporain; on reste toutefois fasciné par Epaminonda et sa quête incessante de sens, entre retrait et faits scéniques.



L'art parade moyen: les petites surprises sont incessantes, encore faut-il les trouver. En revance, on est pas mal déçus par les passages obligés, Fridericianum et palais de Bellevue - même si les moteurs dénudés de Baryle, le coup de vent de Ryan Gander ("I need some meaning I can memorise (The Invisible Pull)" ou encore la pièce conséquente de Kader Attia ("The Repair from Occident to Extra-Occidental Cultures") font partie des hauts-fait de l'édition 2012. Avec "The Disobedient (The Revolutionaries)", Sanja Ivekovic part de l'absurdité de la propagande SS et d'une démonstration à Kassel même de la nécessité antisémite, illustrée par un singe emprisonné dans une cage de fils de fer. Si elle n'est pas des plus esthétiques, la cage/armoire faisant face à cette trace raciste présente une confrérie historique de singes en peluches, célébrités, politiciens ou penseurs (de Rosa Luxembourg à Walter Benjamin). Un peu plus loin, Ramon Ondak présente sobrement ses "observations", entre le geste de support moral, l'esthétique du soin dentaire et le mouvement, comme intention de message à autrui, œuvre mémorielle autant que de situations, galerie d'un vocabulaire neutre subtile, clé d'accès et d'intentification des différents niveaux d'observation, de lecture et d'interprétation que la réalité offre. On retiendra de même une grande quantité d'installations filmiques de grande qualité au-dessus de la gare sans pour autant se rappeler de tous les noms - on aura noté Javier Tellez, "Artaud's Cave", même avec son décors parfaitement kitsch (une grotte grandeur nature pour arriver dans l'espace de projection, sisi), Clemens von Wedemeyer, et le coup d'épate, caché dans l'arrière salle d'un magasin C&A: relayé par un sound-system de club, à 60BPM, glacial comme des pièces musicales du label Ostgut Ton, "Room of Rythms" Cevdet Erek livre une pulsation/partition univoque, sculpturale, concrète et solitaire. Dans la baie vitrée trônent fièrement des lettres géantes néons "Reduziert" (réduit), faisant écho au minimalisme, au vide et, forcément, à cette enseigne ringarde d'habits. On sort de la pièce, on croise des habitués du magasin qui n'envisageraient pas une seconde y mettre les pieds. Une fois rentré, on s'empresse d'en parler à d'autres qui ne trouvèrent pas l'installation, mais qui eux nous récitèrent d'autres travaux d'artistes manqués. La documenta nous dépasse, on se réjouit d'avoir fait notre catalogue personnel et gratuit de l'aventure, et, poliment, on hésite à dire du mal d'un tel "titan", fusse-t-il éparpillé (c'est peut-être d'époque…). 

Toutes les reproductions © Julien Gremaud


Sam Durant, "Scaffold"
Giuseppe Penone, "Idee di pietra"



Llyin Foulkes, "The Lost Frontier"
Haris Epaminonda et Daniel Gustave Cramer, "The End of Summer"
Haris Epaminonda et Daniel Gustave Cramer, "The End of Summer"
Theaster Gates Hugenot 
Shinro Otake "Mon Cheri: A Self-Portrait as a Scrapped Sheld"
Andrea Büttner, "Little Sisters: Luna Park Ostia"

Gustave Metzger, "Too Extreme. A Selection of Drawings by Gustave Metzger"

Sanja Ivekovic, "The Disobedient (The Revolutionarie)"
Janet Cardiff and George Bures Miller



Thomas Bayrle, "Carmageddon"
Thomas Bayrle, "Carmageddon"

Thomas Bayrle, "Carmageddon"
Geoffrey Farmer, "Leaves of Grass"
Ramon Ondak, "Observations", 1995/2011
Ramon Ondak, "Observations", 1995/2011
Ramon Ondak, "Observations", 1995/2011 (close-up)
             

12 sept. 2012

Festival de Locarno : 1 mois après

Le 65e Festival du Film de Locarno c'était il y a 30 jours. Cet événement a offert une panoplie de prix divers tant honorifiques (Delon, Ornella Muti) que qualitatifs (Leos Carax). Retour en large diagonale sur la principale moitié de la dizaine locarnesque.

Un festival de films n’est pas comparable à un festival de musique actuelle. On peut par exemple sans problême demander aux guichets de la billetterie de déposer son sac et de venir le rechercher plus tard. Dans la salle, qui remplace alors la fosse du public, boissons (même non alcoolisées) et nourritures sont prohibées, idem que les sonneries des téléphones portables. Aller tout devant n’est non plus pas un problême ; même pis, le premier rang assure souvent les derniers sièges de libre. Quand au milieu du film on manque de s’endormir (ce qui peut aussi arriver lors d’un mauvais concert) à peine levé, un aimable membre du staff vous éclaire, comme si vous étiez subitement une star, vos pas guidés et rendus importants aux yeux de tous pour empêcher une maladroite chute devant les deux ou trois cent spectateurs de La Sala concentrés à ne pas décrocher de ce court-métrage hongrois en noir et blanc qui a tout l’air d’être du Sokourov mais qui en est finalement très loin. La grande scène (la Piazza Grande) connaît une voie de secours au cas où une tempête de pluie s’abat sur le Tessin (ce qui arrive souvent). Le film est alors déplacé dans l’immense et affreux auditorium Fevi où le mec qui s’occupe du son doit être la résurrection du sound engineer de la tournée 2007 de Black Rebel Motorcycle Club. A ce moment oui, on est presque comme à un concert et on frise même le larsen. Par contre, comme en musique, la critique est semblable. Locarno 2012 avait beaucoup de promesses, en a confirmé quelque unes mais aussi eu son lot de déception et même de honte.


La blague
Le film d’ouverture par exemple, The Sweeney (Nick Love, 2012). Pur film d’action british, l’idée du film n’est pas désagréable mais l’application est inintéressante, poussive et lassante. Une bande de super-flics (pour la plupart d’anciens délinquants) réussit à détourner une série de hold-ups qui sévissent à Londres. Malgré une séquence assez étonnante de fussillade-poursuite sur Trafalgar Square, rien à retenir du film d’ouverture si ce n’est la poitrine de l’actrice principale qui permet d’oublier l’horrible prestation d’un diva helvète qui entonna l’hymne nationale suisse une heure avant sur la Piazza Grande : 8 minutes de souffrance. The Sweeney a partiellement rattrapé le coup, restant un bon film d’action pour ceux qui aiment l’action, les poursuites dans les villes et les affaires de flics gentils vs flics méchants. On aurait préféré voir un long-métrage comme Lore en ouverture, de la réalisatrice australienne Cate Shortland, projeté le lendemain, et qui raconte la fin de la Deuxième Guerre Mondiale d’un angle rarement exploité : celui d’enfants allemands livrés à eux-mêmes et laissés seuls par leurs parents nazis. Une mise en scène discrète renforcée par deux excellentes jeunes actrices, ce film a de grandes chances de connaître un très bon accueil public en Europe. La qualité sur la Piazza est donc illégale puisque le troisième soir, le dernier Soderbergh (que l’on peut franchement commencer à surnommer Sodermerde), montra le pire au public venu nombreux en ce premier soir de week-end (je préfère ne même pas en parler). En première partie, la magie naïve et adolescente des réalisateurs de Little Miss Sunshine (Dayton et Faris) avait réussi son tour avec Ruby Sparks, l’histoire allenienne d’un écrivain qui rencontre la fille qu’il a créé dans son roman.


Wrong
On en attendait beaucoup dans les larges bureaux de Think Tank du dernier long-métrage de Quentin Dupieux. Nous qui avions adoré Rubber et dont les blagues de Steak illuminent à chaque fois les petits-déjeuners de l’équipe des chroniqueurs de notre loft, l’histoire d’un jeune trentenaire, Dolph Springer, qui se lève un matin et remarque qu’il a perdu son toutou. L’ouverture, les 25 premières minutes sont bonnes. Gags absurdes, clichés ricains et personnages originaux sont au menu mais l’histoire pêche assez vite. Il faudrait que notre cher ami Quentin cesse une bonne fois pour toute de vouloir tout faire dans ses propres films : l’image, la musique, le scénario et le montage. Le film manque aussi de folies et d’explosions narratives. Le retour d’Eric (de Eric & Ramsy) est le bienvenu en jardinier et l’homme qui repeint des voitures est sublime, mais la mayonnaise a de la peine à prendre dans Wrong comme si quelque chose n’avait pas fonctionné (c’était peut-être le but aussi) et nous ne doutons pas du potentiel de Q.D. qui persévère dans un style qui permet de déceler la création d’une œuvre dont le meilleur est à venir.


Et les Suisses dans tout ça ? Si les court-métrages sont plutôt pénibles (si ce n’est le léger mais plutôt réussi L’Amour Bègue de Jan Czarlewski) Simon Baumann et Andreas Pfiffner nous ont concocté un truc tout frais et réjouissant : Problem Imageest une sorte de documentaire sur le problème d’image qu’ont les Suisses avec leurs voisins européens. Interviews et mise en abîme du travail de documentariste composent ce film original et extrêmement bienvenu dans un paysage souvent trop sérieux que les productions helvètes ont tendance à favoriser. Pour terminer, notre coup de cœur (non actuel) de cette moitié de festival reste un film proposé dans la rétrospective Otto Preminger de 1963, Le Cardinal qui retrace durant 3 heures la vie d’un homme désireux de gravir les échelons au sein de l’Eglise catholique tout en restant accroché à un idéal amoureux rencontré à Vienne durant sa retraite obligée. Difficile quand on voit ce type de monstre du cinéma de parler de ce qui est sorti durant cette année 2012 à Locarno. Cependant, donner le Léopard d’or à un film à petit budget – que nous n’avons pas vu puisqu’il était projeté en deuxième partie de festival – tourné dans l’appartement du réalisateur en utilisant des moyens rustiques pour les effets spéciaux (des draps pour faire des fantômes) est une idée plus que délicieuse. Un plaidoyer pour le retour à la simplicité, c’est ce que La Fille de Nulle Part semble vouloir exhiber, un film de Jean-Claude Brisseau qui devrait sortir à la fin de l’année en Suisse.


8 sept. 2012

"Rater mieux", Darren Roshier et Adrien Défago à Neuchâtel

Illustration: Adrien Défago et Darren Roshier
On en oublie peut-être, de ces endroits exigus où ce qui se crée se laisse un peu oublier pour n'apparaître réservé qu'aux aficionados. Qu'à cela ne tienne ! Sous l'initiative du curateur Martin Jacob, allez vous perdre entre deux murs au Centre d'Art de Neuchâtel (CAN) et vous plonger dans une exposition à deux têtes (et deux barbes), visible une petite semaine encore...

Le mot est de Beckett : ne surtout pas réussir, ne pas vouloir totaliser, finir, aboutir mais toujours remettre la pièce sur le métier en nourrissant un seul espoir, celui de rater mieux. Passé le poncif culturel on entre dans le vif du lieu, de la pièce, de l'endroit. Un dédale de parois blanches et branlantes (façon White Cube bricolé) qui commence par une programmation, un programme plutôt : des lignes de fuite sous forme de commandements ironiques, insistant tous sur la nécessité d'essayer, de ne pas se prendre au sérieux, de tenter, d'échouer, de rebondir. Le ton est donné, et relancé, mis en exergue par le dialogue entre deux postes de télévisions qui enserrent ensuite le visiteur au détour du prochain couloir : Adrien Défago et Darren Roshier y conversent, entre potes, devisent sur les phrases qui s'affichent au mur précédent. Au fur et à mesure le discours se disloque et bringuebale, c'est qu'ils se moquent, les deux comparses, de cette forme autoritaire que représente la vidéo explicative sensée transcrire une objectivité neutre, inscrire l'artiste dans le blanc d'une histoire où les références se côtoient comme des statues mortes. Le ton, c'est là le premier indice, fendard et candide sous les atours du sérieux, invitant le spectateur à en rire aussi, à se détendre, à laisser la capillarité prendre le dessus sur les expressions lourdes et pétries de réflexion qu'une exposition d'aaaart est sensée susciter. 


C'est ensuite que s'ouvre la grotte, le gros du travail des deux déglingueurs. Pelle-mêle. Des toiles, trois portraits hiératiques de Darren Roshier tout d'abord, ses "prises de positions", sosies délirants en format mondial, grotesques et salutaires. Des dessins d'Adrien Défago, soutenus par du scotch parce qu'"il y a plus de scotch que d'idée", et qu'il faut bien que ça tienne. Des vidéos, aussi, de choses que ce dernier sais presque bien faire : jongler ou se contorsionner sur le sol dans l'espoir d'accomplir des abdominaux. "Le titre de ce tableau est inscrit au dos", indique un cadre au-dessus de nos têtes, et en le retournant on pariera que le dos dit la même chose. C'est cette tautologie aussi que l'exposition raille : l'art pour l'art, l'art en soi qui s'assèche et passe son temps à se mordre le dos.


Bref, plutôt que de la création, c'est de l'artiste et de son statut que nous parle "Art moyen vs ISMISM..." de la déification dont il a fait et fait l'objet aujourd'hui, allant jusqu'à l'assimilation à ces "héros" modernes que prétendent être nos capitaines d'industrie, (pensons à Damian Hirst, qui cumule les deux casquettes). C'est sans circularité pourtant que le projet de Darren Roshier et Adrien Défago s'adresse au spectateur, mais dans une répétition inlassable de blagues potaches, de bourrades et de vannes finaudes qui toutes ont pour but de ne pas réussir, de célébrer la rature, le brouillon, largement plus producteurs dans l'entreprise créative. Et avec cette suggestion libératrice qu'on peut aussi faire de l'art en fumant des clopes et en se donnant des claques dans le dos.

Fumiste

Art moyen vs ISMISM ou presque, CAN, Neuchâtel, jusqu'au 16 septembre...

6 sept. 2012

Electrosanne 2012

Photo: Daniela Droz et Tonatiuh Ambrosetti pour Electrosanne Festival 2012
Difficile d'échapper aux dissertations et spéculations sur la rentrée ainsi qu'à la très médiatique récupération culturelle de celle-ci. On rentre partout, maintenant. Et c'est important de le faire savoir. Seulement, pour qui suit attentivement une activité toujours plus dense, on remarquera qu'au final, on ne marque plus de pause réelle entre saison et "hors-saison". Nonobstant cette évidence – aussi parce que l'activité des collaborateurs de Think Tank fut vive cet été – on marque notre reprise éditoriale régulière par une contribution au programme officiel d'Electrosanne Festival: nos coups de cœur publiés à coté d'incontournables comme Resident Advisor, Tsugi ou Sound Pellegrino, détaillés ci-dessous, à plusieurs comme de tradition ici-même.

Julien: Electrosanne a évité l'effet de séduction pour mieux se positionner et ainsi mériter son nom de festival international des cultures électroniques dans une ville proposant tout et n'importe quoi – quoi qu'on en dise, la véritable culture électronique n'a pas vraiment pris racine dans le canton de Vaud. En huit ans, ce dernier a su décloisonner les genres et s'imposer à même la place publique locale, avec du qualitatif, convaincant au passage certains clubs jugés soit peu fréquentables (le Mad), trop rock (le Romandie) ou réservés à une faune locale typique (la Ruche) de se joindre à lui. Electrosanne grandit bien et s'aligne dans un champ électronique de pointe et pourtant suffisamment varié pour contenter le clubber. Sans bluff ni grosse communication; à ce propos, l'affiche de la nouvelle édition, signée comme depuis quelques années par le duo Daniela Droz et Tonatiuh Ambrosetti joue de sophistication à coups de stroboscopes photographiés et non simplement maîtrisés sur ordinateur. C'est limpide, étonnant et paraphant parfaitement l'identité d'Electrosanne – qui s'ouvre toujours plus aux disciplines parallèles (à lire en fin d'article).


Pierre: Chaque année, Electrosanne, c’est un pari : celui de faire jouer des formations et des djs électro de qualité dans un espace public compliqué que ce soit en terme de qualité de son ou de l’attention de la foule. Néanmoins, la volonté d’ouverture et la gratuité ainsi que la programmation alléchant font que chaque année on a envie d’y croire. Malgré une réputation de musique pointue, la vérité c’est qu’on a presque eu de la peine à trancher pour donner nos 7 coups de cœur au sein de Think Tank.


Nguzunguzu / samedi 8, 22h (Place de l'Europe)
Pierre: Leur set lors du dernier Kilbi fut un des moments forts du festival. Une de leur mixtape tourne en boucle dans ma tête. Impossible donc de rater leur set samedi soir. Le top d’une électro gangster, très US, mais presque introuvable en Europe. C’est méchant, les basses claquent et au fond de la ruelle, c’est tous les genres qui se retrouvent entrechoqués dans un grinder bien bien kiffant.

Raphaël: Alors qu'on entend encore relativement peu parler d'eux ici malgré un excellent nouvel EP intitulé "Warm Pulse", il semblerait (je n'en ai pas été témoin moi-même) que la réputation de leur dj sets ravageurs se répande à toute vitesse. A priori, un des highlights du festival, avec enfin de l'électronique qui va claquer sans même frôler la beaufitude.


Jam City / samedi 8, 20h30 (Place de l'Europe)
Pierre : Avec CLASSICAL CURVES, Jam City a sorti un des albums les plus bizarres de cette année : à la fois bordélique, utilisant plein de sons divers et plus ou moins appropriés, et extrêmement entrainant. Une musique qui porte le fun dans sa dimension la plus exquise. Notre curiosité en est d’autant plus titillée et Electrosanne permettra de voir si ces deux dimensions cohabitent réellement en live où si du bidouillage et de la danse un seul peut sortir vainqueur.

Larytta / jeudi 6, 19h (Place Centrale)
Pierre : Electrosanne n’oublie jamais de programmer les meilleurs produits locaux. Le concert de Larytta au For Noise, il y a déjà quelques années, puis leur album de 2008, DIFFICULT FUN, constituent des preuves indubitables : Larytta fait partie des formations les plus inventives, mêlant intelligence et plaisir. En live, c’est encore plus coquin, leur maitrise musicale parvenant à se donner les traits du relâchement le plus complet.

Julien: Inventifs, mais aussi frustrants pour de nombreux suiveurs, avec une présence très mesurée. Ces mecs auraient pu devenir des stars indés, ils préfèrent s’activer dans le champ artistique contemporain et l’apprendre aux plus jeunes, faisant de Larytta un parfait projet parallèle. Au fond, ils ont bien raison.


Om Unit / jeudi 6, 19h30 (Place de l'Europe)
Raphaël: Renforçant un line-up clairement orienté bass music à Electrosanne, Jim Coles alias Om Unit tombe à pic. Il vient de sortir un (très bon) album, AEOLIAN, au profil sombre et lourd, catapulté par des beats assez lourds qui témoignent d'accointances encore bien vivaces avec le hip hop. Sci-fi pour amateurs de basses tordues et des pulsions déstructurées sur la place de l'Europe.


Axel Boman / jeudi 6, 01h (Mad)
Julien: Le Suédois Axel Boman signe les tracks d'entrée de set ("Cinquenta"), de rigueur techno ("Arcimboldo") et de réjouissances deep-house ("Purple Drank") sur un plateau, la house venue du nord comme avis à moitié trompeur: Boman ne joue de toute évidence pas dans le registre de ses compatriotes et supergroupe europop Swedish House Mafia. Posté hier sur son Souncloud, ce mix devrait présager du meilleur et faire honneur au label allemand Pampa l'ayant signé en 2010, musique de fête finaude, co-propriété de DJ Koze.


Todd Terje / vendredi 7, 23h30 (Place de l'Europe)
Raphaël: Auteur de "Ragysh", l'avant-dernier tube des clubs cools (et parfois moins cools..), Todd Terje déploie, question labels, un joli bagage: de Soul Jazz Records à Smalltown Supersound en passant pas Permanent Vacation, rien à dire. Voilà pour la crédibilité. Maintenant, on se dit qu'il faudrait aller guigner là-bas, du côté de la Place de l'Europe pour savoir ce que le norvégien (qui partage d'ailleurs la scène avec son collègue Prins Thomas)a à offrir. La question reste ouverte, tant patte disco ultra cheesy et joyeusement pupute peut mener du pire au meilleur et inversément, assez rapidement. Suspense.


Moomin / vendredi 7, 01h (Ruche)
Julien: la présence de Moomin à Electrosanne n'est pas une surprise. Sebastian Genz fait un peu tout juste dans le registre minimale "accessible", signant chez Smallville un LP remarqué (THE STORY ABOUT YOU), évitant la production à tout-va ou les remixes-parce qu'il faut en faire, et alignant les clubs les plus cohérents du circuit allemand (Robert Johnson à Offenbach, Conne Island à Leipzig, ://about blank à Berlin), prêt à s'exporter. Il suffira juste de prendre son temps et que les habitués de la Ruche parlent plus doucement pendant le set.

Shazam Bell / samedi 8, 17h (Place de l'Europe)
Julien: Shazam Bell fut un peu la bonne surprise helvétique en 2011, à son échelle, inspiré et prometteur pour une première approche dans le champ électronique. Le concours national Demotape Clinic ne s’est pas trompé en sacrant le Lausannois dans la catégorie électronique lors de sa dernière campagne. La scène Red Bull Music Academy lui offre l'ouverture du dernier soir de cette belle édition d'Electrosanne.