Illustration: Giom |
Julien: Et l'on débute immédiatement avec l'album - unanimité du mois…
Pierre: Je crois que l'on sera nombreux à s'accorder sur le fait que LUXURY PROBLEMS d'Andy Stott restera sans aucun doute comme un des tout grands albums de cette année 2012. Après deux premiers EP déjà excellents (et chroniqués sur Think Tank: ici), le producteur anglais met la barre encore plus haut en sortant un album plus accessible et en ajoutant des nouveautés sans pour autant que son style ne perde rien en terme d'intégrité, gardant cette grâce d'une techno d'un monde où le club n'existerait pas et où la dureté des beats des turbines ont fini par atteindre un nirvana dans un rythme presque lent. Les nouveautés se voient d'abord par un usage plus fréquent des voix dans de nombreux titres. En l'occurrence, il s'agit d'une voix féminine, apparemment celle d'une professeure de piano. Cette dernière détient une forme d'amateurisme limpide qui permet à la musique d'Andy Stott de se donner plus directement sans pour autant céder à toute tentation FM ou de son surproduit. Le résultat procure des effets plutôt inattendus. En effet, on ne pensait pas qu'Andy Stott puisse écrire un véritable tube. Pourtant, c'est bel et bien ce qui se passe avec "Numb": un titre magnifique, séduisant, qui hisse cette musique assez froide, faite de samples nerveux et de basses rugueuses, à des hauteurs inattendues. En partant aussi fort, Andy Stott permet ensuite à LUXURY PROBLEMS de laisser résonner cette première candeur, pour la faire s'étendre dans des directions multiples, que ces dernières soient plus sombres ("Lost and Found", "Up The Box"), teintées par une disco hantée ("Luxury Problems", "Sleepless") voire carrément dream-wavesque avec l'ultime "Leaving". Cette effervescence apporte une variété qui ne nuit en rien en la qualité. On savait tout le talent et le potentiel d'Andy Stott. En osant s'aventurer ainsi, il a plus que prouvé ce dernier et on attend déjà la suite avec impatience.
Julien: "Numb", décrit sur Internet avec pas mal de pertinence comme étant entre Theo Parrish et Sade. On n'en demandait pas tant pour débuter ce dernier Speaches régulier de l'année. Vogue Italie a bien compris l'enjeu du disque en réquisitionnant Stott pour sonoriser un shooting vidéo de Kate Upton. C'est un peu le paradoxe: la musique de cet Anglais est tellement hermétique et singulière qu'elle en devient attractive pour les faiseurs de tendances. Nous ne sommes en même temps plus à une surprise près au niveau mercantile. Plus concrètement, LUXURY PROBLEMS est un disque solitaire tout de même, à protéger du bruit environnant. Ainsi, "Sleepless" ou l'éponyme "Luxury Problems" déploieront tous leurs spectres subtiles. Fascinant. Et en plus la pochette est aussi belle qu'une photo de Shirana Shahbazzi. D'ailleurs celle qui suit n'est pas en reste…
Julien: "Numb", décrit sur Internet avec pas mal de pertinence comme étant entre Theo Parrish et Sade. On n'en demandait pas tant pour débuter ce dernier Speaches régulier de l'année. Vogue Italie a bien compris l'enjeu du disque en réquisitionnant Stott pour sonoriser un shooting vidéo de Kate Upton. C'est un peu le paradoxe: la musique de cet Anglais est tellement hermétique et singulière qu'elle en devient attractive pour les faiseurs de tendances. Nous ne sommes en même temps plus à une surprise près au niveau mercantile. Plus concrètement, LUXURY PROBLEMS est un disque solitaire tout de même, à protéger du bruit environnant. Ainsi, "Sleepless" ou l'éponyme "Luxury Problems" déploieront tous leurs spectres subtiles. Fascinant. Et en plus la pochette est aussi belle qu'une photo de Shirana Shahbazzi. D'ailleurs celle qui suit n'est pas en reste…
Raphaël: Comme bien souvent, Think Tank accorde une place considérable à la musique hantée. Pour ce mois, après Andy Stott, c'est avec Raime que l'on descend sous terre. QUARTER TURNS OVER A LIVING LINE, premier album des Londoniens, n'est pourtant pas tout à fait inédit: on y retrouve une bonne moitié de morceaux déjà sortis sous forme d'EPs sur Blackest Ever Black, massive écurie d'outre-tombe. Plus question de danser sur cette musique-là, logique convergence ralentie de ce qu'il peut rester de la deuxième génération dubstep -les Shackleton et autres- et d'indus au teint pâle. Litanies métalliques s'approchant parfois de la mélancolie du post-rock ("Your Cast Will Tire") et célébrations tribales (L'évocateur "Exist In The Repeat Of Practice") forment une musique fascinante dans laquelle répétition et attente sont à la base de toute dramaturgie. Une telle place est laissée au silence, au vide, que les réactions émotionnelles et physiques provoquées par l'entrée abrupte d'une nappe ou d'un élément percussif sont décuplées, leur nature massive aidant. A l'instar d'Andy Stott, dont le parallèle se poursuit effectivement jusqu'à la pochette, une musique labyrinthique qui provoque l'ouverture d'innombrables portes, sans jamais rencontrer d'évidences.
Julien: Admirable! A propos, on peut écouter son récent DJ set pour la Boiler Room ici et sur le site officiel de l'"institution", entre dub, jungle et forcément indus, Cabaret Voltaire, Photek ou Danny Weed dans la set list. Dans un registre pas très éloigné, ici aussi transgenre, Volker Bertelmann avait livré sous son nom d'artiste Hauschka SALON DES AMATEURS en 2011 (Fatcat Records). Le même label sort ce mois-ci un LP de remixes, toujours bon à prendre (vendre) avant la fin de l'année. Surtout qu'il n'y a pas que des hm… amateurs parmi les invités: Michael Mayer pour un "Radar" linéaire et solide, proche des ritournelles à la Sascha Funke; Matthew Herbert (impeccable "Sunrise"), Ricardo Villalobos et Max Loderbauer pour un "Cube" étonnamment électronica; Vladislav Delay avec le glaçon techno "Subconscious"; ou, plus love, avec Vainqueur ("Ping"). Et, pour terminer, le noisy Alva Noto qui retourne complètement le même "Radar" enjoué de Mayer. Ça reste toutefois difficile à écouter comme un véritable disque. On laisse de côté l'électronique pour faire un crochet avec quelques excellentes formations à guitares.
Pierre: Maintenant que de la part du rock, on ne peut plus attendre guère d'inventivité, je pense qu'il faut considérer ce genre comme une forme d'artisanat (on relance bientôt le débat sur Think Tank). Ce qui implique qu'il est composé de tacherons et de bons artisans. Clinic fait assurément partie de cette dernière catégorie. J'avoue découvrir par des hasards promotionnels cette formation historique signée chez Domino dès 1999. Il n'empêche, FREE REIGN sent le travail bien fait et l'âge de la formation ne saurait être perçue comme une tare du moment que ce n'est en aucun cas l'innovation qui est recherchée ici. Leur post-rock se nourrit aux meilleures influences (Suicide, Pylon) et évite l'écueil du son ampoulé pour laisser vivre une qualité toute en modestie. Voix hargneuse, synthé lo-fi, batterie nonchalante, c'est décidément dans les vieilles marmites que l'on fait encore les meilleurs veloutés.
Julien: Clinic est effectivement un excellent groupe, complètement sous-estimé (snobé?) par toute la cour rock des années 2000. "Misty" ouvre l'album et l'on retrouve comme tu dis une patte, un grain et pas mal de nonchalance qu'on croyait à tout jamais perdue pour tant de formations. En 2010, la formation de Liverpool avait sortie le classieux et pop BUBBLEGUM, que j'avais classé juste avant BLACK NOISE de Pantha du Prince dans le palmarès de l'année. Depuis, on a arrêté avec cette idée de palmarès chez Think Tank – vous verrez bien ce qui vous attend – et Clinic semble avoir encore pris de l'envergure, bien qu'à l'époque ils risquaeint de s'aventurer sur les traces de Lou Reed ou de Simon and Garfunkel. Avec FREE REIGN, Clinic penche plus comme tu l'as dit vers Suicide, mais aussi The Specials, The Fall et aussi Kraftwerk. On a vraiment envie de foncer droit dans le mur avec un tel disque sous le bras ("For the Season" en clip de fin). Je vais arrêter de te paraphraser Pierre, et proposer un disque pas des plus inintéressants: MELODY'S ECHO CHAMBER est le premier album solo de cette artiste éponyme. Le genre de meuf au tumblr assez cool pour devenir méfiant, qui plus est louée par Rock&Folk qui a tant laissé de plumes dans ses aventures parisiennes incestueuses. Toutefois, si on regarde un peu plus loin, on remarquera que Melody a un nom, Prochet, et qu'elle eu un groupe qui fit long feu après son premier LP: My Bee's Garden, formation hexagonale plus que respectable. Plus qu'une wannabee donc, en tout cas suffisament attractive pour attirer le beautiful loser Kevin Parker, le convaincre de quitter ses recettes magiques appliquées à Tame Impala – LONERISM fut enregistré dans une chambre parisienne, tout seul – enfiler les onze titres dans son cerveau pour mieux les repositionner dans le sillage de sa formation australienne. Une petite coquetterie bien sûr, mais le disque de Melody's Echo Chamber n'est pas une éphémère mièvrerie dream pop. Au contraire, il y a assez de stupéfiant et de particularité pour que ce "debut LP" tourne pas mal – notamment l'éclatant "Quand vas tu Rentrer?" ou "Bisou Magique". Bon, Parker s'amuse pas mal sur certains titres et aurait pu veiller un peu plus à éviter les effets rapprochant le projet à Tame Impala ou Broadcast. Sinon, c'est parfait pour draguer – ou tout oublier et prendre la route…
Raphaël: The Soft Moonfait également partie de ceux qui ont judicieusement su reéxploiter le rock, mais pas celui pour draguer. Après un premier album percutant en 2010, majoritairement instrumental et parcouru de drones et de percussions harassantes, on nous avait promis un album plus sombre, plus radical et plus personnel. Si l'aspect personnel reste parfois difficile à déceler, les deux autres points sont aisément remplis : l'écoute de morceaux comme "Want" ou "Crush" suffira à en convaincre les sceptiques. Peut-être encore plus qu'auparavant, es références sont revendiquées haut et fort, new-wave comme shoegaze, et pleinement assumées. Pourtant, l'efficacité de la production et l'originalité des structures suffisent pour réactualiser cette musique dont la beauté ténébreuse est sans précédent. Dévastateur, ZEROS reste pourtant un album jouissif et donne inexplicablement envie de sortir avec une batte de base-ball et de casser des gueules.
Julien: ZEROES est intéressant à mettre en perspective avec BANKS, premier album de Paul… Banks, ancienne voix d’Interpol. Le brilliant groupe new-yorkais qui perdit des plumes au fil des LPs dans les années 00 avait livré avec TURN ON THE BRIGHT LIGHTS l’un des albums sur lequel s’est appuyé le rock pour son retour médiatique en 2001. Retour médiatique, et, au-début, en partie créatif – bon ok, on bâtissait ici aussi sur des recettes toutes faites. Reste qu’Interpol, retour du genre ou non, s’était affirmé comme une formation des plus classieuses avec une poignées de titres de haut standing, jusqu’à faire jubiler feu John Peel (on peut encore retrouver les titres joués lors d’une Peel Session en 2002, année de sortie du fameux debut album). Toutes ces petites parenthèses pour brièvement aborder BANKS donc. Parce que cela confirme ce que l’on craignait dès le second album d’Interpol: ce mec est un drôle d’oiseau, capable du meilleur comme du pire, et qui n'était sans doute pas, c’est définitif, la tête chercheuse du quatuor. Il suffit d’écouter l’infâme ”Another Chance”, pastiche malhabile des spectres sonores lynchiens, l’éreintant titre FM ”The Base”, ou encore les sous-sous Interpol ”Over My Shoulder” et ”Paid for That”. Paul Banks se met en abîme mais oublie au passage toute la subtilité des premiers essais de sa formation d’origine. C’est fatiguant, grassement produit et sans réel recul (hormis peut-être le spectorien ”Arise, Awake”).
Julien: Je poursuis avec la surprise du mois: RATS fait en effet l’affaire pour annuler tant de complaintes et d’emphase inutile. Second album de Balthazar, que j’avais émis d’écouter lors de la sortie d’APPLAUSE en 2010. Erreur doublement réparée avec une petite éloge pour la simplicité et la justesse de RATS. Et ceci même avec une entrée en matière ”The Oldest of Sisters” poussive, titre FM certes, mais plus mauvais sur l’entier des dix morceaux. Parce que la suite, elle, est presque royale, emmenée par Maarten Devoldere (quelle voix!) et Jinte Deprez au chant, soutenus par l’intégralité d’un groupe émanant du meilleur de la Belgique pop: dEUS, Absythe Minded et Zita Swoon. On retient surtout l’excellent et limpide ”Later”, le stellaire ”The Man Who Owns The Place” et ses chordes seyantes, le folk ultra-british ”Listen Up” et le final ”Sides”, très Lou Reed, avec l’apport vocal substantiel de la violoniste Patricia Vanneste. Second LP de pop étincelante, presque totalement réussi, qui ne vend toujours que très peu, à placer à côté d’autres dignes défendeurs nationaux de la cause, les très regrettés Girls in Hawaii. Pour terminer le référencement pop, n'oublions pas Mac deMarco, splendide branleur à la limite du too much référentiel (Pavement, Bradford Cox entre autres), arty et cool. Cela dit, 2 (c'est le titre du disque sorti chez Captured Tracks – Beach Fossils, Blouse, Holograms, DIIV, etc…) allie attitude/poses et compositions d'excellente facture, malgré cette négligence apparente qui lui attireront son lot de haters. Il n'a toutefois pas à s'inquiéter: des titres de la trempe d'un "Ode to Viceroy" circuleront aisément sans l'imagerie et les gimmicks. Pas mal d'italiques en cinq lignes pour professer sur un (probable) futur grand songwritter.
Julien: ZEROES est intéressant à mettre en perspective avec BANKS, premier album de Paul… Banks, ancienne voix d’Interpol. Le brilliant groupe new-yorkais qui perdit des plumes au fil des LPs dans les années 00 avait livré avec TURN ON THE BRIGHT LIGHTS l’un des albums sur lequel s’est appuyé le rock pour son retour médiatique en 2001. Retour médiatique, et, au-début, en partie créatif – bon ok, on bâtissait ici aussi sur des recettes toutes faites. Reste qu’Interpol, retour du genre ou non, s’était affirmé comme une formation des plus classieuses avec une poignées de titres de haut standing, jusqu’à faire jubiler feu John Peel (on peut encore retrouver les titres joués lors d’une Peel Session en 2002, année de sortie du fameux debut album). Toutes ces petites parenthèses pour brièvement aborder BANKS donc. Parce que cela confirme ce que l’on craignait dès le second album d’Interpol: ce mec est un drôle d’oiseau, capable du meilleur comme du pire, et qui n'était sans doute pas, c’est définitif, la tête chercheuse du quatuor. Il suffit d’écouter l’infâme ”Another Chance”, pastiche malhabile des spectres sonores lynchiens, l’éreintant titre FM ”The Base”, ou encore les sous-sous Interpol ”Over My Shoulder” et ”Paid for That”. Paul Banks se met en abîme mais oublie au passage toute la subtilité des premiers essais de sa formation d’origine. C’est fatiguant, grassement produit et sans réel recul (hormis peut-être le spectorien ”Arise, Awake”).
Julien: Je poursuis avec la surprise du mois: RATS fait en effet l’affaire pour annuler tant de complaintes et d’emphase inutile. Second album de Balthazar, que j’avais émis d’écouter lors de la sortie d’APPLAUSE en 2010. Erreur doublement réparée avec une petite éloge pour la simplicité et la justesse de RATS. Et ceci même avec une entrée en matière ”The Oldest of Sisters” poussive, titre FM certes, mais plus mauvais sur l’entier des dix morceaux. Parce que la suite, elle, est presque royale, emmenée par Maarten Devoldere (quelle voix!) et Jinte Deprez au chant, soutenus par l’intégralité d’un groupe émanant du meilleur de la Belgique pop: dEUS, Absythe Minded et Zita Swoon. On retient surtout l’excellent et limpide ”Later”, le stellaire ”The Man Who Owns The Place” et ses chordes seyantes, le folk ultra-british ”Listen Up” et le final ”Sides”, très Lou Reed, avec l’apport vocal substantiel de la violoniste Patricia Vanneste. Second LP de pop étincelante, presque totalement réussi, qui ne vend toujours que très peu, à placer à côté d’autres dignes défendeurs nationaux de la cause, les très regrettés Girls in Hawaii. Pour terminer le référencement pop, n'oublions pas Mac deMarco, splendide branleur à la limite du too much référentiel (Pavement, Bradford Cox entre autres), arty et cool. Cela dit, 2 (c'est le titre du disque sorti chez Captured Tracks – Beach Fossils, Blouse, Holograms, DIIV, etc…) allie attitude/poses et compositions d'excellente facture, malgré cette négligence apparente qui lui attireront son lot de haters. Il n'a toutefois pas à s'inquiéter: des titres de la trempe d'un "Ode to Viceroy" circuleront aisément sans l'imagerie et les gimmicks. Pas mal d'italiques en cinq lignes pour professer sur un (probable) futur grand songwritter.
Pierre: J'ai toujours beaucoup apprécié le travail de Zombie Zombie. Que ce soit leur premier album avec une reprise incroyable de "Nightclubbing" et un univers plein de mort-vivants que le disque suivant reprenant John Carpenter poussait encore plus loin. C'est encore meilleur en live: Etienne Jaumet et Neman excellent décidément dans l'art du krautrock. Ainsi, Zombie Zombie reste avant tout l'alliance de deux musiciens de talent: une batterie plus précise qu'une boîte à rythme et un expert en thérémine et autres nappes électronique. La rencontre parfaite entre maîtrise cosmique et métronomie sauvage. Sur RITUELS D'UN NOUVEAU MONDE, ils parviennent à nouveau à dessiner une atmosphère sci-fi, délivrant de la grande "kosmische musik" en véritables experts, de ceux qui se refusent à toute forme de vantardise pour donner à entendre leur travail comme si c'était quelque chose de simple, appelant des cadences quasi-primitives. En plus de très bons titres du genre ("L'âge d'or" ou "Illuminations" par exemple), Zombie Zombie se font même plus groovy avec deux titres avec voix: le single "Rocket #9" et une nouvelle reprise déjantée, cette fois de New Order, avec "The Beach".
Julien: A noter que "Rocket #9 est aussi un remix du Sun Ra Orkestra. Doublement cosmic du coup! Pas moins haut perchée, la musique de Nathan Fake a rapidement irradié sur toute la scène techno et de l'IDM. STEAM DAYS n'est que le troisième album du Britannique, mais son empreinte est assez profonde (des EPs aussi en tous points remarquables, notamment DINAMO sorti exceptionnellement chez Traum en 2005. Le nouvel LP du mec de Norfolk, figure majeure de Border Community, garde une patte assez distincte: une electronica incisive, trop "casse-cou" pour être de la techno, mais avec des beats robustes. Fake, c'est aussi des mélodies synthétiques ultra-présentes, en filigrane de structures parfois complexes et de titres hyper radicaux ("Harnser"). L'album est sorti il y a plus de six semaines, mais il semble parfaitement s'insérer dans notre recensement de fin d'année, tout comme il est à mettre en perspective avec des artistes à l'honneur le mois passé tels que Lone et Flying Lotus. Fake n'est peut-être par contre plus aussi irréprochable qu'en 2005-2006, avec un album qui n'est ici pas des plus novateurs. Michael Mayer lui aussi fait figure d'épouvantail de la scène électronique, fondateur du label Kompakt, encore omniprésent dans le champ minimal et techno, même si là aussi la concurrence est devenue utra-compétitive. Professionnellement, Mayer c'est donc un label, un magasin de disques affilié au siège à Cologne, des contributions journalistiques, du booking via la même entité et une rangée de remixes souvent victorieux – voir ci-dessus, pour Hauschka. En terme d'albums, Michael Mayer prend son temps: MANTASY n'est que le second album, succédant à TOUCH en 2004. Si ce quarantenaire n'est pas des plus subtils dans la recherche de titres, le disque est toutefois plus qu'estimable, sans grandes prétentions mais assez développé et varié pour qu'on sente qu'il ne l'a pas fait pour s'amuser (tenter la bombe rétro-techno avec l'éponyme "Mantasy", le free-jazz "Rudi Was a Punk", l'hyper club "Voigt Kampff Test" ou des titres sensuels comme "Good Times" ou "Sully"). Non plus pas à la rue, mais comme un sentiment de ne plus être dans le groupe de tête. On le voit tout au long de ce Speaches: les artistes maniant l'électro avant déviance ou hardiesse imposent de nouveaux standards de qualité pour une électro que l'on annonce parfois prétentieuse et suffisante. En pourtant (voir encore ci-dessous)…
Julien: A noter que "Rocket #9 est aussi un remix du Sun Ra Orkestra. Doublement cosmic du coup! Pas moins haut perchée, la musique de Nathan Fake a rapidement irradié sur toute la scène techno et de l'IDM. STEAM DAYS n'est que le troisième album du Britannique, mais son empreinte est assez profonde (des EPs aussi en tous points remarquables, notamment DINAMO sorti exceptionnellement chez Traum en 2005. Le nouvel LP du mec de Norfolk, figure majeure de Border Community, garde une patte assez distincte: une electronica incisive, trop "casse-cou" pour être de la techno, mais avec des beats robustes. Fake, c'est aussi des mélodies synthétiques ultra-présentes, en filigrane de structures parfois complexes et de titres hyper radicaux ("Harnser"). L'album est sorti il y a plus de six semaines, mais il semble parfaitement s'insérer dans notre recensement de fin d'année, tout comme il est à mettre en perspective avec des artistes à l'honneur le mois passé tels que Lone et Flying Lotus. Fake n'est peut-être par contre plus aussi irréprochable qu'en 2005-2006, avec un album qui n'est ici pas des plus novateurs. Michael Mayer lui aussi fait figure d'épouvantail de la scène électronique, fondateur du label Kompakt, encore omniprésent dans le champ minimal et techno, même si là aussi la concurrence est devenue utra-compétitive. Professionnellement, Mayer c'est donc un label, un magasin de disques affilié au siège à Cologne, des contributions journalistiques, du booking via la même entité et une rangée de remixes souvent victorieux – voir ci-dessus, pour Hauschka. En terme d'albums, Michael Mayer prend son temps: MANTASY n'est que le second album, succédant à TOUCH en 2004. Si ce quarantenaire n'est pas des plus subtils dans la recherche de titres, le disque est toutefois plus qu'estimable, sans grandes prétentions mais assez développé et varié pour qu'on sente qu'il ne l'a pas fait pour s'amuser (tenter la bombe rétro-techno avec l'éponyme "Mantasy", le free-jazz "Rudi Was a Punk", l'hyper club "Voigt Kampff Test" ou des titres sensuels comme "Good Times" ou "Sully"). Non plus pas à la rue, mais comme un sentiment de ne plus être dans le groupe de tête. On le voit tout au long de ce Speaches: les artistes maniant l'électro avant déviance ou hardiesse imposent de nouveaux standards de qualité pour une électro que l'on annonce parfois prétentieuse et suffisante. En pourtant (voir encore ci-dessous)…
Raphaël: D'ailleurs, cette électronique peut même s'approcher du conceptuel sans céder à la moindre once de suffisance. L'exemple le plus frappant -mon gros choc du mois-, est QUANTUM JELLY, de Lorenzo Senni. Une fois de plus, me voici avec un artiste italien. Celui-ci sort sur les tout-de-même impressionantes Edition Mego (responsables entre autres des excellentes sorties d'Emeralds, Fennesz, Mika Vainio ou encore Oneohtrix Point Never). Ici, le concept est au centre de l'album, sans pour autant voler la vedette au contenu lui-même. Fasciné par la hard trance, celui-ci développe une musique qui en exploite les fondamentaux tout en les replaçant dans un contexte radicalement différent et bien plus expérimental. On pénètre les morceaux en pleine montée, mais n'aboutit jamais. Pas de percussions non plus, un seul synthétiseur, une seule prise, pas d'over-dubs. Le geste est répété mais n'est aucunement soumis aux traitements studio habituels. Les lignes de synthétiseur féroces mutent, évoluent lentement sur les longues plages «Makebelieve»ou «Digital ∞ Tzunami», invasives et bouleversantes de simplicité, inscrites dans un format aussi troublant que pertinent. La justesse du commentaire comme la radicalité de QUANTUMY JELLY laissent pantois.
Pierre: Un nouveau Ital sort également ce mois. Je peux le dire d'emblée, Daniel Martin McCormick représente selon moi la crème de la crème de la musique actuelle, produisant peut-être la musique la plus intelligente (le superlatif n'est pas volé) tout en donnant en live ce son comme quelque chose d'extrêmement dansant. La première critique d'album que j'ai écrite de ma vie portait sur STEAL YOUR FACE de Mi Ami, le groupe lui aussi génial dont fait partie Daniel Martin McCormick aka Ital, album qui déconstruisait les différents genre pop pour mieux se les approprier. Et parmi les meilleurs concerts auxquels j'ai assisté ces derniers temps, figurent tout en haut de la liste ceux de Mi Ami à la Java et Ital au Bourg. Le nouvel Ital, DREAM ON, continue la conversion electro et club de McCormick. A la première écoute, on se dit que le live a pris une telle importance (un titre est même présent sous sa forme "Live edit") que l'écoute album devient dispensable. Pourtant en portant une oreille plus attentive, on se rend compte de la réflexion qui gouverne toujours l'écriture des différents titres. A l'instar de ce qui se faisait avec Mi Ami, on retrouve chez Ital ce discours sur la musique au sein de la musique. On devrait parler de meta-house ou de meta-club, tant ces genres se donnent ici dans une auto-réflexion. La répétition rythmique se présente à la fois comme énergie corporelle et questionnement de ses limites face à l'irritation auditive. Chaque son, chaque sample est travaillé, détruit, reconstruit pour donner naissance à une musique qui tient en même temps du joyeux bordel et de l'intelligence fulgurante.
Julien: C'est clair que tu perçois la relative politesse des artistes sus-cités une fois mis en perspective face à Ital et sa danse disloquée et sur-puissante (la bombe "Boi"). Pas mal aussi, l'album de Legowelt, artiste que l'on retrouvera bientôt dans nos colonnes. THE PARANORMAL SOUL place un peu de House dans ce Speaches de novembre, avec aussi ici pas mal d'aplomb et de dynamisme. "Clap Your Hands" ouvre le nouveau LP du Néerlandais (sorti sur Clone) et ouvre ses influences américaines à la rudesse techno. Le vétéran de La Haie (Danny Wolfers de son vrai nom) signe la bonne surprise électro de la fin de l'année, non pas qu'on aurait douté de ses qualités certes. Toutefois, après presque 20 ans d'activité de DJing pour presque le double de 12", Legowelt sonne plus qu'actuel, se mettant en perspective sans maniérisme. Le LP est une sorte de techno triomphante, tonique et hymnique, à l'heure où la nouvelle livraison de Paul Kalkbrenner est attendue fiévreusement par les fans d'electro-stadium – le bien-nommé "On a Cold Winter Day" agira comme rempart efficace au décorum glouton du natif de Leipzig.
Pierre: Dans un autre registre qu'Andy Stott, la vraie bombe de ce mois pour moi, c'est GOOD KID M.A.A.A.D CITY de Kendrick Lamar, prouvant que la scène hip-hop continue de donner naissance à une série ininterrompue de nouveaux surdoués. Ici, franchement, le mec écoeure les concurrents tant il semble capable d'être le meilleur dans tous les domaines, excellant dans tous les registres variant productions old-style et hyper-pointues. Son flow a la puissance d'Asap Rocky, la jouerie narrative de Danny Brown, la sensualité de Shabazz Palaces, la gang-credibility d'ODD Future. Il a déjà en featuring Drake ou Dr Dre avec qui il fait jeu égal. L'album est construit en suivant une cohérence narrative, s'y accrochant pour varier parfaitement les styles. Fermez les yeux, c'est simple, vous ne trouverez rien d'autre que des bombes. Le single "Backstreet Freestyle" part d'un sample hyper rigide et simple pour mieux laisser le flow (gros comme la tour Eiffel) de Kendrick Lamar tout détruire sur son passage. Pour prouver juste après qu'il est capable aussi bien de poser des titres plus introspectifs ("The Art of Peer Pressure") au point d'évoquer le rap donneur de leçon à la Nas sur "Good Kid". Mais surtout, Kendrick Lamar sait balancer des titres jouissifs entre le chill enfumé de "Bitch Don't Kill My Vibe", ou la sensualité débridée de "Poetic Justice". Sans respect aucun, il va chasser sur les terres de The Weeknd avec un sample évoquant Beach House sur "Money Trees" ou celles de Clams Casino sur "Swimming Pools (Drank)" pour chaque fois mettre à l'amende les propriétaires des lieux. Franchement monstrueux.
Pierre: Flume n'a que 21 ans, vient d'Australie et avec son premier disque, il se permet de sortir un album rempli uniquement de tubes. Et c'est peut-être là le problème. En effet, la première approche est facile et l'accroche prend directement. Le tout a été conçu parfaitement, délivrant une sorte de post-chill wave, basée sur les même sonorités pop mais plus rythmées. Le souci, c'est qu'on a l'impression d'entendre un de ces albums enregistrés par de vieux producteurs, qui connaissant les ficelles et les recettes par coeur, les appliquent à la perfection mais sans surprise et sans aspérité. On imagine la musique pouvoir passer partout: en club, à la plage, au supermarché. Malgré de vrais tubes comme "Sleepless" et surtout "Insane" (le vrai bon titre de l'album), la musique de Flume manque cruellement de ce supplément d'âme et sombre souvent dans une facilité très vite écoeurante.
Julien: Oui, l'écoute de ce disque est effectivement assez déstabilisante et confirme encore un peu plus que l’aseptisation gagnera toujours les genres novateurs, passé un certain temps. Dans un genre pas très éloigné mais nettement plus authentique, Monokle s'annonce comme un des noms à suivre en 2013, concrétisant la montée en puissance irrépressible de la Russie (Pierre tu en parlais l'an passé en direct du Sonar). SAINTS est annoncé dans le mois et devrait livrer son paquet de bombes. Le jeune DJ de Saint-Pétersbourg est déjà sur toutes les langues en Allemagne et en Angleterre. On termine avec un groupe qui ne fait que de s'améliorer - ou en tout cas de s'affranchir de sa 8-bit originelle…
Pierre: Comment considérer en effet Crystal Castles? N'est-ce qu'un groupe ayant vulgarisé des formes beaucoup plus subversives d'electro-punk? Ou représentent-ils un groupe emblématique pour notre génération, comme certains l'affirment? Difficile pour moi encore de trancher. Il reste que le groupe a survécu à sa première hype beaucoup mieux que la plupart des formations dans ce cas, a jeté à la gueule de tout le monde une violence et une hargne qui semblaient sincères à une époque où la musique se faisait de plus en plus gentillette, tout en réhabilitant Mylène Farmer, avec un son mélancolique et syncopé, qui prédisait le bon temps d'une certaine musique hantée actuelle comme Holy Other. Avec III, Crystal Castles ne se réinventent pas mais font converger les deux premiers albums et confirment ce que leur influence sur de nombreux groupes impliquaient déjà, à savoir qu'ils ont su construire un style qui leur soit propre. Ce dernier, à rebours de toute sensualité, de toute communion, s'affirme comme repli, confrontation, une énergie sèche entre panique et agressivité. Le tout rendu avec un sentiment de supériorité. Alex Glass n'est plus obligée de crier pour faire passer cette attaque sonore, les samples toujours aussi punk suffisant amplement. La mélancolie de II se trouve ainsi fusionné à l'énergie folle du premier album. En fait, Crystal Castles, c'est une sorte de rêve Emo, les aspects clichés (mort, haine, solitude) et faciles du genre sont sublimés pour exprimer une force évocatrice, soudain sidérante. On parle quand même d'un album qui s'ouvre sur un son proche des trailers du dernier alien ("Pague"), rend inaudible des tubes potentiels ("Insulin") et garde toujours la même hargne ("Wrath of God", "Pale Flesh". Respect.
Disques du mois
Pierre: Andy Stott, LUXURY PROBLEMS
Kendrick Lamar, GOOD KID M.A.A.D. CITY
Raphaël: Lorenzo Senni - QUANTUM JELLY
Andy Stott, LUXURY PROBLEMS
Julien: Andy Stott, LUXURY PROBLEMS
Raphaël: Lorenzo Senni - QUANTUM JELLY
Andy Stott, LUXURY PROBLEMS
Julien: Andy Stott, LUXURY PROBLEMS
Singles du mois
Fatima Al Qadiri, "War Games" (j'aurais pu aussi mettre tout l'EP DESERT STRIKE)