Photographie: Jan Lukas, "Der Sprung", in Walther Heering, "Das goldene Buch der Rolleiflex" (1936) |
Alors qu’enfin tu restes avachi dans l’herbe, à suçoter des glaces, que de nouveau tu transpires sur la piste de dance, il est temps de s’enduire de douceur musical : Inc., Autre Ne Veut et Cassie sortent leurs plus belles chemises et leurs déhanchés les plus lascifs. Avec le soleil qui frôle ta peau, c’est tout ton corps qui est de sortie. Il est temps de dégainer tes atours les plus sensuels.
Chemise noire
Tu te sens jouasses, le soir tu vends des sushis, mais dès minuit tu agites ta mèche, sur la piste tu te donnes des faux airs chics pour mieux faire n’importe quoi, ton sourire sent tellement la sensualité et l’enjailllement que tu ne peux triompher. Tu le sais au regard pétillant en face de toi. Pour te rapprocher définitivement, tu demandes au dj de passer Autre Ne Veut. Après deux premières sorties réussies, AUTRE NE VEUT et BODY EP, Autre Ne Veut se lâche complètement sur ANXIETY. Dans le bon sens du terme : ce qui n’était qu’une touche R’N’B sur de la musique quelque peu bricolée explose désormais sous forme de chœurs, de claquements joyeux et d’une voix qui monte plus haut. Sorte de fils décomplexé d'How To Dress Well, Autre Ne Veut ose se débarrasser de tous les oripeaux indé. Il va donc falloir s’habituer à cet exact contraire de la précédante vague des garçons émus : finies les voix voicodée, coucou les garçons qui chantent très haut et pas toujours juste. Au contraire de son titre, ANXIETY exprime une forme d’euphorie, y compris dans les ballades sentimentales. Autre Ne Veut évite de surjouer des postures kitsch pour laisser éclater un élan de liberté s’exprimant dans une écriture d’une rare intelligence, laissant le pourtant très côté M83 à des années lumières. Il n’y a qu’à écouter les différentes rythmiques, le travail sur les voix ou la confection sonore de titres comme "A Lie" ou "I Wanna Dance With Somebody" pour s’en convaincre. Une seule déception : pourquoi n’avoir pas mis la version de "Counting" en featuring avec Mikky Blanco sur l’album.
Chemise blanche
Le soleil brille sur l’écume et de la mer et de la transpiration sur les poils qui s’échappent de ta chemise immaculée. Rien n’a été oublié : les palmiers ondulent, l’ombrelle virevolte dans ton daikiri. Pour couronner cette ambiance romantique, juste avant de délier le nœud d’un bikini, tu t’avances tranquillement vers ta platine et y dépose le vinyle d’Inc. Malgré les mêmes voix de jeune homme blanc converti au R’N’B, on ne retrouve pas du tout le même registre que chez Autre Ne Veut. Dans NO WORLD, il n’est pas question de dépasser le genre par une écriture pop très fine. Il s’agit plutôt de jouer avec la posture que ce style impose, balançant sans cesse entre le mauvais gout assumé (jusqu’au solo de guitare) et le romantisme de garçons sensibles. Tous les titres se vautrent dans des ambiances suaves au possible. A se faire serrer les poings sur le torses et porter son regard au loin. Le plus grand succès de NO WORD consiste à suivre à la ligne un seul et unique style, en véritable ayatollah de R Kelly sans pour autant qu’aucun des titres ne soit redondant. Ce R’N’B des plus pures, porté par une musique toute en volupté, rebutera sûrement des oreilles non converties. C’est bien dommage car malgré l’aspect cool de Inc., les deux frères ne font pas que poser, ils possèdent bien plus et cela se ressent dans "Black Wings", "Desert Rose" ou encore "Seventeen".
Rouge à lèvre
La chaleur monte. Tu dégaines ton plus beau rouge vif, prêt à gober tout ce qui se trouve sur ton chemin. Tu es l’anthropophage, bien décidée à mordre les autres, autant parce que c’est bon que parce que rien ne peut te résister. La chaleur monte encore. Tu perces la foule avec autant de grâce que de puissance. La chaleur embue et fait se fondre les glaçons avant même la première gorgée. Dans le club, retentit la voix de Cassie. Certains titres comme "King of Hearts" laissait entendre tout le vrai potentiel de celle qui a été lancée très tôt comme une futur star du R’N’B américain. Sa nouvelle mixtape, ROCKA BYE BABY, vient prouver qu’elle a su profiter de la nouvelle vague hip hop pour durcir son style, devenu beaucoup moins chanté, gagnant en noirceur, en agressivité, et jouissant de productions moins mielleuse. Evidemment, c’est sur une mixtape, le nouveau miracle du hip hop. Dans quel autre genre musical peut-on trouver un exemple similaire ? Un format de distribution à la fois gratuit et exprimant une liberté expressive dingue que ce soit par les expérimentations, le nombre de collaborations ou encore la légitimité de reprises. On est pas loin de penser que ce qui est sorti de mieux niveau hip hop ces dernières années relève de la mixtape : Asap Rocky, Odd Future,… ROCKA BYE BABY joue dans la même ligue. Alors que les albums habituels de R’N’B américain féminin (Beyonce, Rihanne) restent difficile à écouter en entier, ici, aucun titre ne cède à la facilité. Tout sonne à la fois extrêmement mainstream mais déchainé, sensuel mais puissantm punchy mais attentifs à tirer le meilleur de tout ce qui fait actuellement en terme de production. Difficile de ne choisir seulement que quelques titres dans cet exercice proche de la perfection. Tout débute lascivement avec "Paradise", déjà caniculaire avec Wiz Khalifa et un flow mordant. Jeremih vient lui assurer un pic de sensualité sur "Sound of Love". "I Love It" plane sur une production en forme de transe sous calmant, n’en gardant que les pointes. Décidément, rien ne manque sur cette mixtape. Ni la chanson puissante-pétasse avec la très bonne reprise de "Do my dance", ni le single qui claque avec "Numb" avec la formule imparable : Rick Ross + flow plus rappé de Cassie + une production bien sombre. Vraiment un des meilleurs albums de R’N’B actuel. Plus fort que les premières chaleurs, déjà au top de l’été.