Illustration: Giom |
En 2011, plusieurs films de gangsters ont suscité notre intérêt : l’Australie nous sortait une merveille avec Animal Kingdom et les Etats-Unis draguaient le Danemark en produisant Drive, le coup de maître de Refn. Ces dernières années en France, le film noir c’était comme la pizza: à éviter et à déguster ailleurs que sur les terres de Truffaut. En manque d’inspiration, il faut alors se tourner vers le cinéma belge, qui ronronnait tranquillement dans son coin, pour nous sortir le meilleur film de ce premier trimestre.
La première réalisation de Michaël R. Roskam regroupe beaucoup de choses : Bullhead, c’est un peu du Cronenberg (période History of Violence), beaucoup de Refn (surtout la trilogie Pusher, mais aussi du Drive), un brin de Scorsese (Les Infiltrés voire Alice n’habite plus ici) et, allez, une louche du talentueux Jacques Audiard. Oui, ça fait beaucoup, mais quand un film est vraiment bon, autant y mettre le paquet pour motiver notre lectorat à se payer une séance à 15.- dans le mois. Bullhead raconte l’histoire d’un paysan, Jacky, une montagne de muscles qui renferme la fragilité d’un jeune enfant, une sorte d’héros antique, mi-animal, mi-homme, s’injectant les mêmes produits à base de testostérones qu’il réserve à son bétail. La métaphore se fait sans forcer : Bullhead c’est lui, c’est l’acteur Matthias Schoenaerts qui porte sur ses épaules d’Hercule le film et sa passionnante intrigue qui mêle marchandise animale, mafia de bétails et un secret qui tarde à se faire connaître. Le tout installé dans un paysage paysan flamand avec ces gueules grolandaises taillées dans le purin (quel casting !) et ces paysages rendus sublime par la photographie emballent le spectateur dès les premières minutes.
Maniant les ralentis bien placés, les flash-backs intelligents, les scènes de dialogues et les pauses narratives avec talent, l’inconnu et très prometteur réalisateur belge nous concocte une véritable pépite du genre policier. Il y a par exemple l’ouverture, avec voix-off (toujours risqué) sur paysage matinale et brumeux. Plan fixe sur un bout de campagne belge dans le brouillard, c’est gris, sombre et humide. La voix maladroite de Jacky installe l’atmosphère, enclenche l’intrigue qui va nous tenir en haleine pendant la première partie du film : « tout secret enfoui où que ce soit ressortira un jour, que ce soit aujourd’hui, demain ou dans 10 ans ». Puis raccord sur une petite camionnette qui roule en direction d’une ferme. La caméra qui nous filme alors un plan d’ensemble, installant les personnages, le décor et l’action, devient, sans changement de plan, une caméra subjective, se dirigeant dans la cour intérieure de la ferme. En quelques minutes, le film nous a mis dans la peau de Jacky : par la voix inaugurale d’abord, par la vision ensuite. La prochaine coupe sera un dialogue classique.
Il faut donc peu de temps pour remarquer la prouesse avec laquelle Roskam filme son sujet, les petits détails incompris au premier coup d’œil deviennent vite partie intégrante de l’intrigue, comme la rencontre entre Jacky et le petit groupe de mafieux à l’hippodrome ou encore le retour à l’enfance. Séquence déjà culte, immense, employant les ralentis comme Michôd dans Animal Kingdom avec facilité et intelligence, ajoutant de la grandeur à son sujet, qui devient alors plus qu’un petit film belge, mais tout simplement la meilleure surprise de ce début d’année.
Bullhead (Tête de boeuf) de Michaël R. Roskam (Belgique, 2011) / sortie suisse mars 2012
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