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17 mars 2012

LP: Grimes -VISIONS

Illustration: Cave Caillou
Grimes est ce que l'on appelle un phénomène, événement qui n'arrive plus très souvent dans le monde culturel aujourd'hui. Très attendu, VISIONS vient donner une réponse forte à tous ceux qui pensaient qu'on ne pouvait pas faire confiance à une personne aussi cool.

Cela faisait un moment que Think Tank n'avait pas consacré une chronique dédiée à un seul disque, préférant rassembler les albums dans différentes tendances. Pour nous, VISIONS mérite ce traitement. D'abord, il échappe aux catégories habituelles, ou alors il s'agirait de la face sensuelle de la musique hantée ou du visage hanté de la sensuelle séduction. Bien plus, il est sa propre tendance. Grimes est un phénomène, auquel il est difficile d'échapper. Par phénomène, nous entendons un événement qui précipite sur lui l'ensemble des regards et s'impose extrêmement rapidement sur une scène par une apparence de perfection dans tout ce qui le touche, tant la musique que le style ou les rumeurs qui entourent sa personne. Cette évidence de Grimes fera que beaucoup critiqueront d'emblée ce qu'ils percevront comme hipster. Pas nous. Il y a quelque chose de profondément élitiste ou réactionnaire à ne pas supporter tout ce qui réussit un tant soit peu tout en étant original. Oui, il faut bien le dire, Grimes est diablement cool. Ses clips sont bien faits, c'est sûr mais surtout elle les irradie d'un charisme hallucinant. Difficile de ne pas tomber amoureux, de ressentir cette même chose que lorsque l'on vit pour la première fois Julian Casablancas dans un clip. Mais signalons d'abord que Grimes ne débarque pas de nulle part et c'est bien ce qui devrait détromper ceux qui ne voient en elle que la dernière mode hype. Ainsi déjà en 2010, on était convaincu de son talent pop tant "Rosa" berça tout notre été, avec une Grimes plus en guitare et en simplicité mais tout aussi géniale. En 2011, cela se précisait avec "Vanessa" sorti sur un simple EP en collaboration avec d'Eon. Déjà un titre parfait, un clip parfait qu'on n'a pas hésité à mentionner dans notre top de l'année. Avec ce titre, Grimes définissait le style qu'on lui connait actuellement, fait d'effets d'écho sur la voix et de pureté,  et que, pour faire savant, on rapproche de la K-pop (Korean Pop), même si cela reste assez différent de "Bublepop".


VISIONS est donc le troisième album de Grimes. Là où certains tournent en rond, cette dernière explose véritablement et explore tous les horizons possibles. Si le concept d'after pop a déjà été articulé théoriquement, notamment par Eloy Fernandez Porta, dans la pratique on trouve très peu de groupes qui réalisent au niveau sonore cet état d'after pop. Parmi ces quelques novateurs, on peut sans aucun doute compter Grimes. VISIONS brouille toutes les frontières, c'est à la fois évidemment pop avec des mélodies tubesques et extrêmement bizarres, avec ce rythme des lyrics qui fait penser à une langue asiatique. A la fois raffiné, bien produit et bordélique avec des sons dégueulasses d'eurodance. Cela lorgne à la fois du côté des années 90 et celà s'ouvre en même temps vers un futur dont on aime ne pas comprendre encore totalement la beauté et le sens. Mais ces oppositions ne sont pas données comme un balancement entre des contrastes mais dans une osmose. C'est là le talent de Grimes: réussir à cristalliser le noeud d'influences et d'envies multiples. Ce n'est pas vraiment du mainstream, ni de l'expérimental: VISIONS se positionne au delà de ces frontières, dans une after pop forcément hybride. Quand on parle de réalisation de l'after pop, il ne s'agit pas d'expérimentation d'un concept mais d'un son concrètement réussi, s'imposant dans toute la force de l'évidence de sa qualité. Des treize titres de VISIONS, aucun n'est à jeter. Il y a bien sûr les bombes "Genesis" et "Oblivion". On ne sait d'où vient la puissance de ces titres. De cette voix jouant de ryhtmes comme Panda Bear, de répétition et d'arpèges comme Julianna Barwick, et qui n'hésite pas à monter très haut et cotoyer le kitsch de T.A.T.U.. Au niveau instrumental, les samples et les synthés mélangent sons futuristes, loops saturés, piano, érigent en trésor des importations bigarrées et des rebus de transe nineties. Tout cela produit une énergie spirituelle et organique qui donne finalement envie de danser malgré tous ces changements de rythme. Au fond, on n'arrive pas totalement à décrire ce qu'il se passe dans des titres comme "Vowels = Space and Time", "Eight" ou "Skin" et c'est très bien comme ça. Contentons-nous de profiter de cette hybridité aussi sensuelle qu'androïde. Avec Grimes, l'after-pop c'est maintenant.


Alors que durant ces dernières années, il était presque devenu impossible de voir un bon clip, 2012 commence très fort avec deux clips de femmes puissantes. D'abord, il y a eu "Bad Girls" de M.I.A. Et maintenant, "Oblivion" de Grimes. Alors que M.I.A. posait tout en surenchère dans un décor marqué par l'esthétisation forcenée de Romain Gavras, Grimes reste dans les codes du lo-fi, la plupart des scènes se faisant sans acteurs mais à l'arrache. L'équipe se pointe dans différents lieux bondés, Grimes met ses écouteurs et danse au milieu des gens. Ce que ce clip nous montre, c'est l'immersion de Grimes dans des lieux de culture de masse (show de motocross, match de football américain) à très forte dominante masculine. Ce scénario simple est bluffant par l'intelligence de ce qu'il sous-entend et par le brio avec lequel il est effectué. Il y a bien sûr cet empowerment d'une fille qui rentre dans un milieu dominé violemment par les hommes. Néanmoins, les images montrent toujours que c'est bien Grimes qui contrôle la situtation et exerce sa puissance créative sans agressivité. Mais on peut aussi voir l'immersion d'une musique indé dans le monde du mainstream, signifiant à la fois la volonté de jouer dans la cour des tubes sans renier son style ni rejeter avec dédain tout ce qui peut ressembler à de la consommation de masse. Cette rencontre se traduit visuellement par des images de stades et de motos magnifiées par la caméra. Et tout cela serait impossible sans la coolitude absolue de Grimes qui parvient à interagir sans jamais être sur la défensive ou dans l'accusation didactique, mais toujours dans l'amusement, ce qui donne des scènes hallucinantes comme celle où elle reçoit en souriant un coup dans le dos en plein pogo ou celles plus amusantes d'interactions impromptues avec des supporters, non coupées au montage. Allez on se re-regarde le clip.