Adrien Chevalley inaugure notre série estivale d'illustrations: durant trois semaines, nos collaborateurs visuels s'emparent de Think Tank à coup de gifs salvateurs et autres coups de pinceaux numériques. Né en 1987, Adrien Chevalley vit et travaille à Vevey. Son travail basé essentiellement sur la pratique de la sculpture et du dessin est montré depuis 2009 dans plusieurs expositions en Suisse et à l’étranger. Il a récemment été sélectionné pour l’exposition Plattforme 13, qui réunit les travaux d’anciens étudiants des écoles d’arts de suisse. Il est membre fondateur de l’Association RATS, œuvrant pour la visibilité de l’art contemporain à Vevey.
Retour vidéo sur l'invitation de la galerie M J de Genève faite à Think Tank: double proposition artistique, faisant la part belle à deux musiciens de premier ordre, Lorenzo Senni et son projet Stargate, aux côtés du britannique Palmistry. Au mur, deux lutteurs sénégalais grandeur (presque) nature entourent les prestations lives: la série photographique est signée par l'artiste multidisciplinaire originaire du Chili Sebastian Vargas. Retrouvez toutes les informations de cette soirée curatée par nos soins sur notre précédent article relatif, ainsi que les reproductions photographiques sur le site de l'off-space genevois tenu par la sémillante Asiah Payne.
Au delà de la populaire appellation de tubes de l’été, semble bien s’incarner un sentiment collectif : l’été appellerait un son spécifique. Think Tank vous propose donc 2x3 albums pour se plonger dans le zeitgeist estival.
Pierre : En été, il s’agit de se mettre bien. Découvrir sa peau et se laisser aller à l’aise. On a tous en nous une pétasse qui sommeille en nous prête à se réveiller. Regarde moi siroter mon cocktail à la paille et me déhancher. Pour laisser sortir la pétasse qui est en vous, rien de mieux que le nouveau Ciara. Celle qu’on a très vite annoncée comme une nouvelle reine du R’n’b’ semble comme Cassie bloquée au niveau princesse, malgré quelques tubes comme "Like a boy". Avec l’éponyme, CIARA, elle signe un retour bien léché. Le premier single, "Body Party", figure déjà tout en haut des meilleurs titres de 2013. Au contraire de la tendance bad bitch, comme Nicky Minaj, Cassie voire Rihanna, Ciara réussit un exercice presque oublié mais rendu possible par le revival 90’s : le titre ultra sensuel que même LL Cool J saluerait de son bob. Ciara déborde de sensualité soul sur cette fête du corps : "My body is your party, nobodies invited but you may be", la production plein de splash de Mike Will Made It faisant le reste. Pour ne rien gâcher, la refrain contient une reprise de "My boo" de Ghost Town Dj’s (remixé il y a quelques temps par Balam Acab). Le reste de l’album ne restera malheureusement pas à ce niveau, à vrai dire très très fort. Néanmoins, on reste dans le haut du panier de la pop américaine. Dans la registre soul, on retrouve le plus mélancolique "DUI", ou encore l’autre titre dont la production est signée par Mike Will Made It : "Where You Go". Ce titre en duo avec Future flirt avec le tube indé, avec l’utilisation de guitare et de sample électro. Les autres titres tombent plus dans la pop trop mielleuse, sombrant du côté Miley Cirus de la force, c’est le cas du terrible "Livin In Up", audible uniquement au second degré. Pour les soirées pétasses, on lui préférera la plus lascive "Keep On Looking", ou la plus sympa "Read My Lips".
Julien : L'acmé estival peut aussi se vivre avec des ambitions baroques: Julia Holter annonce ainsi son nouvel album, LOUD CITY SONG, à vivre comme une expérience totale dès le 19 août. Pour qui connaît la Californienne de 29 ans, ses deux premiers albums sont des petites perfections folk, expérimentales et ambiant. Son label Domino a préparé le terrain en rééditant son premier LP – TRAGEDY – contenant en 2011 de belles promesses, permettant de revenir aux sources et aux influences artistiques de la dame, multi-instrumentaliste. Album du mois d'avril 2012, EKSTASIS nous hante encore, d'une beauté indescriptible, aux résonances lumineuses, en phases multiples, développant les axes stratégiques de ses composition, de l'ambiant psychédélique ("Boy In The Room") à l'avant-gardisme synthétique de "Four Gardens". Julia Holter a aussi pris l'excellente résolution de livrer un album par année: LOUD CITY SONG semble d'ailleurs montrer une artiste au firmament de son art, ouvrant encore un peu plus le spectre – on pense aux écarts jazz pop sensuels de "This Is a True Heart", aux grandeurs spectrales de "Horns Surrounding Me" avant d'enchaîner sur des incursions plus théâtrales ("In The Green Wild", "Maxim's 2"). A l'image de "Maxim 1", ce LP d'un nouvel ordre (le premier enregistré à l'aide de musiciens, hors de sa chambre), lorgne les grandes scènes et n'hésite pas à jouer de grandiloquence. Plus Laurie Anderson que Florence Welch toutefois, rassurez-vous. Pour son unique concert sur notre sol helvétique, elle sera en concert le 7 août à Bâle, au Im Fluss Festival.
Pierre : Peut-être est-ce le fait de les avoir vus en concert sur un ponton surplombant la plage au bord de la Spree en sirotant un mojito, mais CURIOSITY de Wampire sonne à mes oreilles comme un magnifique coucher de soleil, le combo parfait : chill + montée épique. A une époque où cette espèce se fait de plus en plus rare, on tient entre les mains un bon disque à guitare. Dans le sillage du second album de MGMT, donc dépouillé des bricolages électro-pop, Wampire donne tout dans la mélodie. Les 9 titres de CURIOSITY fondent dans l’oreille avec délice. Psychédélique sans être boursouflé, simple sans être folk, romantique sans être niais, Wampire ont su ne garder que les bons côtés. Cela commence très fort avec l’éclair "The Hearse", on ferme carrément les yeux sur le bonbon "Giants". Même les ballades un peu retro comme "Orchards" passent la rampe. C’est dire le talent des mecs, on retrouve devant un de ses petits miracles tel le récent Little Joy.
Julien : Malgré un paysage surchargé de musique vintage, MGMT a clairement fait sa place, réapparaissant semble-t-il à chaque fois dans les influences (et inspirations) des groupes actuels. On attend d'ailleurs leur nouveau LP pour cette rentrée. Certains ont déjà pu l'écouter et il se murmure que l'effet psychédélique démesuré est encore plus stupéfiant avec ce troisième album. Wampire me rappelle en certains points les excellents (et trop méconnus) Foxygen, à l'humour tenace et à la mélodie sémillante. Parmi les musiciens sous-estimés, on retrouve sans doute la compatriote de Julia Holter, Alela Diane, qui sort actuellement son quatrième album intitulé ABOUT FAREWELL. Le disque des adieux? En tout cas pas celui des festivités, l'été y est ici tempéré, intime. La grâce de Diane rappelle forcément un Nick Drake: en rupture (sur tous les plans – labels, mari, artistiquement), elle revient à ses fondamentaux folk en dix titres le vague à l'âme, les arrangements sobres, les titres succincts. Mais quelle série de chansons!, chansons qu'on oserait décrire comme intemporelles. Big up à l'aiguisé "Before the Leaving" qu'on n'oubliera pas de glisser dans sa voiture une fois les amarres larguées avec nos obligations. Cette semaine, j'ai vu la piètre prestation de Lou Doillon à Paléo – un sacrilège aux règles de l'art. Larguée de tout bord, Alela Diane ne semble pas connaître la même chance que cette "fille de". ABOUT FAREWELL prend des contours d'autant plus bouleversants. L'été de tous les changements.
Pierre : A part chiller et se prélasser, l’été c’est aussi un moment pour le temps. Et pourquoi pas le prendre pour faire de grandes choses et écouter des grands disques. La notion d’ambition m’a toujours semblé problématique par ce qu’elle sous-tend d’écrasement de la concurrence et de course au prestige et au mérite. Néanmoins, il faut bien avouer qu’il existe des disques plus ambitieux que d’autre, des albums qui ne se contentent pas d’enregistrer une dizaine de bons titres et de les rassembler sous un nom. Des disques qui sont véritablement construits et pensés. La simple écoute permet de se rendre compte que derrière il y a une volonté d’aller le plus loin possible en terme d’écriture. On pourrait parler ici de Kanye West. Néanmoins, pour laisser le temps de maturer l’écoute de ce dernier, ici je choisis le dernier These New Puritans : FIELD OF REEDS. Ces derniers ne font qu’élever le niveau d’album en album. Le premier, en plein boom rock et fashion, semblait devoir ne représenter que quelques tubes d’un groupe voué à passer de mode. Le second album vient amener un démenti sévère. HIDDEN tapa très fort, entre dubstep ultra lent à percussion et titre mélodique avec "White Chords", dont le final reste un des trucs les plus magnifiques qu’on ait écouté ces dernières années. Tout FIELD OF REEDS part de ce titre. L'ensemble reste dans le sombre et prétend au magnifique avec force orchestration et boucles intenses. Pas forcément séduisant à la première écoute, cet album fourmille de mille merveilles et voit These New Puritans devenir de nouveaux Divine Comedy. La voix du chanteur affiche toute sa maîtrise dans ce registre ; les pianos utilisés avec parcimonie bouleversent, que ce soit sur le single "Fragment Two" ou sur "Organ Eternal". Un joyaux noir qui brillera encore une fois l’été passé.
Julien : Après mes deux figures féminines dans des rôles tragiques et revanchards, je termine ma prospection estivale par d'autres grands absents de l'été: Fuck Buttons livrent un album malade, impérieux et sacrément radical, sorte d'électronique industrielle nouvelle génération, délestée de tout le décorum de ses prédécesseurs. Avant ce nouveau disque, SLOW FOCUS, il y avait eu le très remarqué LP TAROT SPORT qui avait même tapé dans l'oeil de Danny Boyle. La production était signée par la figure historique Andrew Weatherall, rendant irrésistibles des titres comme "Surf Solar" et "Olympias" (et qui leur valurent les honneurs de la cérémonie d'ouverture des Jeux de Londres, orchestrée par le réalisateur prophète en son pays). Un peu avant, Benjamin John Power s'émancipe du duo et sort un album sous le nom de Blanck Mass. La première sortie discographique de ce projet, en septembre 2011, n'était pas passée inaperçue auprès de toi Pierre. Tu semblais même te réjouir que Blanck Mass ait "(laissé) tomber le côté grand-huit du groupe, avec ces montées endiablées et ces descentes plus folles encore, pour prendre du recul et laisser planer les courbes du paysage". La kosmische musik est elle aussi présente sur SLOW FOCUS, sorte d'hybride des genres, entre Jon Hopkins et A Place to Bury Strangers. Brouillant les pistes, Fuck Buttons enjoint aux comportements les plus radicaux, prenant l'été par surprise, annonçant un hiver fumeux. La belle menace. Oh oui. En attendant, on prendra le temps de voyager, l'air léger. Retour en force de Think Tank tout bientôt.
Fiona Apple ou l'un des secrets les mieux gardés des Etats-Unis. A ses côtés sa soeur Maude Maggart, interpète de cabaret et figure du genre. En face, à la caméra, entre deux films, l'ancien compagnon d'Apple et réalisateur tant chéri de Think Tank: Paul Thomas Anderson, auteur du récent "The Master" (chroniqué alors dans nos colonnes). Véritable performer, Fiona Apple met ici en scène le très spectral "Hot Knife", crescendo vocal, fusion de contralto et de music-hall, association pour le moins baroque. Captation seyante du duo par un PTA ajoutant une nouvelle ligne à sa clippographie avant la sortie du très attendu "Inherent Vice", prévu pour 2014. "Hot Knife" est issu du dernier LP en date d'Apple, le brièvement nommé "The Idler Wheel Is Wiser Than the Driver of the Screw and Whipping Cords Will Serve You More Than Ropes Will Ever Do" (voir ses précédents faits d'armes similaires).
Vaghe Stelle, Lorenzo Senni, Dracula Lewis, ... Jusque chez nous, se fait connaître une nouvelle scène italienne hors des circuits habituels, finissant par se trouver peut-être à la pointe de la musique actuelle. Retour sur une approche spécifique de la culture teintée de trash love.
Les approches culturalistes, consistant à naturaliser une pratique culturelle en fonction de l’origine de son producteur, nous ont toujours semblé peu pertinentes, si ce n’est proches d’une forme de racisme. Loin de nous l’idée d’écrire ici une version musicale et contemporaine d’un livre à la Mme de Staël. Pour autant, il semblerait bien qu’il se passe quelque chose de spécifique dans le monde musical du pays de Balotelli et Ruby. Si les déterminismes et les généralisations représentent des analyses réductrices, il faut néanmoins affirmer que le champ musical est traversé par différents styles qui se cristallisent autour de paroisse, d’évêché, de cathédrale dans ce qu’on dénomme des scènes. A l’heure de l’internet, ces scènes peuvent bien sûr se constituer en dehors de tout point commun géographique via un label ou un réseau spécifique. Il n’empêche que la communauté spatiale reste un facteur fort pour la cristallisation d’une scène. C’est bien le cas avec l’Italie, les différents musiciens se côtoyant souvent dans les mêmes villes, les mêmes soirées ou encore via des labels (Hundebiss). Cette qualification de scène ne signifie pas qu’il s’y développe un son homogène, mais plutôt que les différentes musiques y sont traversées d’une effervescence commune. Cette dernière s'observe l'éclosion de formation d'un soir et dans l'impressionnant nombre de collaboration, que ce soit entre musiciens ou entre art contemporain et musique. Les galeries organisent ainsi énormément de concert, autant de moments renforçant la cohésion et les échanges propres à cette scène.
Le fait qu’une scène intéressante vienne d’Italie affiche déjà son originalité, les discussions habituelles étant plutôt de débattre de quelle côte ou de quelle ville américaines provient telle scène, même l’Angleterre ou à la rigueur l’Allemagne faisant désormais figure d’exception. L’histoire de la culture contemporaine italienne pourrait se résumer à une forme de hors champ. Malgré une place importante, tant au niveau financier (surtout avec Milan et Turin) qu’à celui des institutions (Biennale de Venise, Salon del Mobile et Fashion Week Milanaise), il y a toujours cette impression que l’Italie reste en dehors des circuits dominants formés autour de l’axe New York-Londres-Paris-Berlin. En résulte une population qui pense des fois moins à se juger et plus à bien vivre ensemble. Le genre musical qu’on associe directement à ce pays corrobore ces impressions. L’italo disco n’est-elle pas une expression presque exotique par son mélange de sincérité émotionnelle et d’extravagance kitsch ? Domina, O’gar, Bagarre sont autant d’exemple d’une musique déconcertante par sa capacité à se donner dans un élan de générosité qui passe par une forme de premier degré. Ce mélange entre d’un côté une force émotionnelle et de l’autre une forme naïve renvoie à la catégorie Trash Love, le love pour la candeur, le trash non pas comme quelque chose de dur mais pour le style empruntant des sons retrouvés au milieu des ordures, l’usage de produits pauvres (Arte Povera).
Si les musiciens italiens actuels peuvent eux aussi être compris dans une démarche Trash Love, c’est par leur mélange de simplicité candide et leur passion pour des matières sonores abruptes. Une forme de conception minutieuse qui se donne avec une ferveur adolescente. Une ambiance sombre mais câline une fois qu’on s’est laissé plonger dedans. S’il fallait trouver un point commun à Lorenzo Senni, Dracula Lewis et Vaghe Stelle, ce serait dans leur propension à creuser dans les différents styles musicaux pour en ressortir les intestins. Un peu à l’instar de la démarche quasi prophétique ici d’Ital, il s’agit d’une forme de musique ontique, un plongeon dans l’être même des différents styles musicaux, en les dépouillant de tous leurs oripeaux pour ne laisser plus subsister que la pureté sonore et rythmique. Le disque emblématique de cette démarche reste QUANTUM JELLY de Lorenzo Senni. La trance se voit dénudée de ses atours les plus pop, de tout ce qui scintille pour ne laisser entendre que les sons les plus étranges, beaux dans leur dénuement. C’est comme si lors d’une fête tes oreilles explosaient sous le coup de basses barbares et que soudain dans une épiphanie tu n’entendais plus que les scintillements nichés comme dans un rêve. QUANTUM JELLY déconstruit la trance pour mieux en révéler les secrètes beautés. L’autre projet de Lorenzo Senni, Stargate, explore quant à lui un son beaucoup plus lascif, aux confluents du R’N’B’ et de ce que l’on appelle vaporwave, une musique planante et sensuelle emprise de musique publicitaire. On retrouve l’influence trance mais ici dans un rythme ralenti. Le résultat surprend une fois de plus de par son côté irréel, mais aussi par sa fluidité, rendu possible par le fait que les genres musicaux ici explorés ne sont pas traités comme des prétextes d’expérience mais toujours comme des objets d’amour.
D’autres artistes comme James Ferraro ou Dean Blunt sont présents sur le même label que Stargate : Hundebiss. Derrière celui-ci, on retrouve le projet musical Dracula Lewis. Ici la sensualité prend des formes plus agressives avec une musique où le synthé tape et l’agressivité hésite entre rap et punk. Dans "Permafrost", difficile de se tenir à couvert face à une violence qui permet à la musique de s’échapper de toute forme d’ambient en retrouvant une force physique. Le son robotique et les nappes publicitaires se lèvent de leur torpeur pour faire résonner leur cris. Enfin, chez Vaghe Stelle, signé sur Danse Noire, on retrouve cet appétit pour la musique club qui consiste à la digérer pour mieux la faire sortir de ses rails. L’Ep OUT OF BODY se donne à entendre comme un son club rendu plus incisif et comme retourné par l’usage de lames répétitives ("Out of body sex expérience"). La matière sonore faite de nappes proche de registres à nouveau pauvres comme la trance ou de sons vaporeux se voit magnifiée par des montées épiques ou des collages mystérieux ("The Sure Thing", "Video Game Paraphernalia"). On pense ici au travail de Fatima Al Qadiri ou à Ngunzunguzu. Cette scène italienne, vue de l’extérieur grâce à quelques concerts glanés, n’a pour l’instant cessé de nous séduire et de nous surprendre. Cet article n’en aborde qu’une facette avec ces 4 formations. On est bien décidé à en découvrir d’autres encore.
Après le très oubliable There Must Be The Place guidé par un Sean Penn asphyxié, le réalisateur napolitain livre à 43 ans l’un des films les plus forts, les plus puissants et extraordinaires de ces dix dernières années. Entre un Holy Motors moins sombre et un Eyes Wide Shut en terres romaines, Paolo Sorrentino sort ses couteaux à parmesan dans cette œuvre monstre et y découpe les questions universelles de l'Homme, et celles des mondains en quête de foie.
Rome comme vous ne l’avez jamais vu. Rome comme dans les films, Rome comme dans les livres… Voilà l’idée première que devait avoir Sorrentino avant même de commencer l’écriture de La Grande Bellezza. Sublimés par des mouvements de caméras tous plus complets et célestes les uns que les autres, le cinéaste montre d’amblée sa maitrise sur l’art du mouvement, qui sera l’antithèse finalement paradoxale du film : on ne bouge jamais de Rome, on y retourne sans cesse et on ne la quitte qu’en rêves, étrangement. Parce que comme le souligne Jep Gambardella (le génial Toni Servillo) : « Arrivé à Rome à 26 ans, je voulais devenir un mondain. Je suis finalement devenu si grand, que je pouvais pourrir à moi tout seul ces soirées de mondains ». Sorrentino se met ici sûrement (un peu) en scène, dans un futur éloigné et fantasmé.
Jep, le personnage principale qui refuse de se mettre à écrire son deuxième roman après un bref succès du premier, fête ses 65 ans dans le lit d’une femme milanaise rencontrée le soir même et se rend compte qu’à son âge avancé, il ne peut plus perdre du temps aux choses qui l’ennuient. Il quitte alors le lit pour marcher dans Rome en pleine nuit. Il rencontrera la fille d’un de ses amis d’enfance, propriétaire d’un cabaret, et se plongera avec elle dans une nouvelle histoire. Il fera découvrir à Ramona les lieux interdits de Rome, les pièces inviolées par les yeux du touriste, les places insolites. Il la fera entrer dans son monde, celui d’un homme fatigué de tout mais qui, toujours, garde une dignité joyeuse et sereine.
La Grande Bellezza fait partie de ses films où l’on pardonne tout à son héros et donc à son réalisateur. Sorrentino ne cache pas son amour pour les personnages qu’il créé. Ici, il a fabriqué ce vieil homme qui enchaîne les soirées friquées du tout-Rome mais qui n’hésite pas à rappeler à ceux qui pensent être « une classe au-dessus », qu’ils sont tout aussi pourris que les autres. Comme cette scène où Jep fait signifier à l’une de ses amies qu’elle n’est pas à plaindre et qu’ils sont tous logés à la même enseigne : ceux de pourris gâtés, une situation qu’il faut accepter. On pourrait y voir un certain parallélisme avec les films de Sofia Coppola, où une jeunesse dorée est peinte sur fond de palmiers bling bling qui s’emmerde. Sauf qu’au lieu de tourner en rond devant le spectateur, Sorrentino tourne en rond avec lui. Et là est toute la différence.
Intrusion romano-mondaine
Sorrentino va chercher le regard du public, pour lui faire ressentir et lui faire vivre ce qui se passe dans son monde. La séquence qui suit la seconde ouverture (la longue fête), montre Jep qui déambule dans Rome au petit matin. Il passe devant un couvent, regarde une petite fille en habit de sœur, la caméra suit son regard dans un mouvement panoramique parfait, s’engouffre dans le bâtiment, puis revient sur Jep marchant de l’autre côté du portail. Plus fort encore est cette promenade (matinale elle aussi) de Jep au bord de l’eau où il croise des hommes d’affaires qui font un jogging avant de se faire dépasser par un bateau de touristes vide. Jep regarde ces deux entités opposées d’un œil désintéressé mais compatissant. Plus tard, lorsqu’il apprendra une triste nouvelle, une scène en slow-motion le verra se perdre à l’intérieur d’un petit café urbain, au milieu de figures pathétiques et singulières. Encore une fois, la caméra nous fait nous sentir avec lui dans un étonnant étourdissement tragique. La caméra s'amuse à exposer l'image en tant qu'artifice premier du cinéma, élément révélateur de l'art du trucage, comme le démontre la séquence de la girafe.
L’autre grande prouesse du film est cette capacité à mêler les peines, la peur et la mort, avec l’humour, la légèreté et la vie. C’est dans cette contradiction, ou plutôt cette balance de forces que La Grande Bellezza séduit. Il est évident que souvent, cet équilibre ne tient pas debout, ou bascule du mauvais côté. S’il est vrai que la fin du film est un peu longue voire peut-être même inutile tant la première heure et demi est maîtrisée, Sorrentino exprime parfaitement la dualité de cette vieillesse où les choix de vie prennent de moins en moins de sens. Soutenu par une musique puissante (Gorecki, Mendelssohn, Martyno), le réalisateur évoque même Stendhal (et son fameux syndrome) de façon extrêmement subliminale dans son ouverture. De cette manière-là, le cinéaste envoie un signe fort et élégant à une époque où tout et n’importe quoi peut devenir objet artistique : Rome, de par son lourd passé historique et artistique, exige une rigidité dans sa volonté d’être filmée. Sorrentino l’accepte, et se hisse à son niveau.
Ouverte au printemps de cette année, la galerie genevoise M J se présente comme un Off Space s’intéressant aux pratiques contemporaines autour de la musique et de l’art à travers les cultures numériques. Partageant les mêmes préoccupations sous un versant pop et online, la structure éditoriale Think Tank répond à l'invitation de M J par une double proposition curatoriale: d'un côté deux concerts, de l'autre une exposition photographique.
Julien:Ce vendredi 5 juillet donc, Think Tank présentera sa double proposition artistique à la galerie M J, légitimant encore un peu plus ses incursions non-digitales, entamées dès sa création en 2010 par de nombreux DJ Sets et After-Shows dans un premier temps, par la naissance du projet Entourage au Romandie cet hiver qui devrait prendre des contours insoupçonnés en deuxième partie d'année ainsi que d'autres projets en cours ainsi qu'à travers ses soutiens et collaborations à des projets éditoriaux et artistiques. Think Tank reste centré autour de ses articles thématiques et concrets sur la culture pop contemporaine, tout en élargissant son spectre d'interventions, pour ainsi mieux répondre de sa interdisciplinarité affichée. Pour se faire, nous avons décidé d'intervenir sur deux axes artistiques, se répondant dans leurs intentions: Stargate et Palmistry en double concert, face à la proposition photographique du Chilien Sebastian Vargas.
Raphaël: La proposition musicale, même si elle apparue de manière très spontanée, s'inscrit précisément dans cette zone que Think Tank vise à explorer: pop culture, monde de l'art et flirt avec l'expérimental. D'un côté, Stargate, projet d'électronique post-digitale de l'artiste italien Lorenzo Senni, également fondateur du label Presto!?. Si son projet éponyme explore les extrémités de la hard trance nineties, sans percussions et sous la forme d'évolutions cycliques et lentes, les contraintes du projet Stargate sont moins drastiques. Ce projet, signé sur le label Hundebiss (Dracula Lewis, Hype Williams, Aaron Dilloway, Sewn Leather), fait intervenir des éléments (vaguement) pop, r'n'b cosmique et constitue le penchant plus ludique de Lorenzo Senni, dont les performance récentes notamment au Musée d'art contemporain de Barcelone pour le finissage de Sonar ou encore au Transmediale de Berlin démontrent l'engouement grandissant. L'expérience live -ceux qui l'ont vu au Bourg s'en rappelleront probablement- est d'une autre dimension.
De l'autre côté, c'est Palmistry, producteur anglais du projet Triad God (Hippos In Tanks) et nouvelle signature du label Presto!? de Senni qui vient pour la première fois en Suisse. R'n'b hyper-pop et évanescent amèneront suavité en début de soirée (attention, c'est tôt!). La frontière avec le FM est mince, mais la démarche comme le résultat sont conscients. Une fois de plus, un artiste qui, notamment dans proximité avec la démarche d'artistes expérimentaux comme Senni, démontent vigoureusement l'absurde cloisonnement entre musiques précieuses et pop qui sévit malheureusement encore à l'heure actuelle. Une démonstration à laquelle nous pourrons peut-être assister sur scène, durant une éventuelle partie commune entre les deux live.
Julien:Pop culture et flirt s'enlacent dans le travail photographique de Sebastian Vargas, "Vous êtes de la famille maintenant". Le procédé est simple: mettre en scène deux lutteurs sénégalais, accessoirement gros bras des soirées genevoises chics, grands dragueurs – surtout – et un peu rêveurs. La série relève donc de ces micro-reportages qui ont le charme de leurs moyens: Amadou et son frère Dieylani sont de parfaites sculptures syncrétiques contemporaines nichées dans un 2-pièces avec pour totems iMac, vitamines C et reliques d'une culture partagée entre citée de Calvin et continent d'origine. Des symboles folk qui trouvent leur consécration dans leur exhibition digitale. Entre deux levées de poids, celle, plus obsessionnelle encore, des notifications.